À travers les plaines de Renarhim, on raconte qu’un.e Lunaris mystérieuse ne vit qu’avec les étoiles. Iel passerait ses nuits à chasser une fée que personne ne connait. Les rumeurs veulent qu’Aquila était jadis une Ombre redoutable qui terrorisaient même les âmes les plus sombres de la contrée. Mais un jour, un clan de fées eut pitié de ces créatures terrifiées. Elles s'allièrent alors pour purifier l'Ombre, qui se transforma en l'Aquila que l'on connait aujourd'hui. Une seule fée n’avait pas pu assister à l’événement, et Aquila la cherche désormais pour qu’elle purifie le bout de ses oreilles. Grâce à cela, iel pourrait vivre en plein jour, avec les autres habitants de Gothicat.
Comme toutes les histoires fantastiques de ce monde, celle d’Aquila avait traversé les frontières de Renarhim. Quiconque s’intéressant quelque peu à la magie noire, aux Ombres, ou même à la science, en avait entendu parler. C’était le cas de Mab, une Destrinos noble d’Aydo’h. Celle-ci était passionnée de magie et de science, et était plus curieuse que la curiosité elle-même. Son familier Puck et elle étaient avides de nouveautés, surtout quand elles concernaient les maléfices anciens ou les Ombres, ce que Mab prenait soin de cacher… Seulement, quand elle connut l’histoire d’Aquila, elle n’en crut pas ses oreilles. Jamais elle n’avait lu ou entendu un tel récit.
Après plusieurs jours de réflexion, elle décida de partir à la rencontre d’Aquila. Elle laissa Puck à leur atelier pour qu’il puisse la couvrir en cas de visites. C’était pour elle une occasion inespérée d’en apprendre davantage sur sa passion, sous laquelle était en réalité caché un certain fantasme. Ce que Mab n’avait jamais dit à personne, c’est qu’elle rêvait secrètement de pouvoir exercer la magie noire. Les nombreux ouvrages qu’elle avait lus l’avaient fascinée. Une telle puissance dans un seul être, c’était attrayant.
Mab emporta avec elle son grimoire préféré, son carnet de notes et quelques potions, au cas où. D’après les échos, Aquila habiterait à Bismarh. La Destrinos choisit la voie des airs pour s’y rendre. Elle attirerait moins l’attention qu’en bateau. En atterrissant sur les rives de Renarhim, Mab eut un sursaut de surprise. Elle avait lu tous les livres et écouté toutes les histoires et rumeurs. Pourtant, elle ne s’était pas attendue à ce type de paysage. L’environnement était à la fois sombre et lumineux. Certains recoins donnaient la chair de poule, tandis que d’autres étaient presque chaleureux. Cette contrée de Gothicat était à la fois ténèbres et clarté.
Sans plus attendre, Mab sortit son plan et se dirigea vers le sud pour rejoindre Bismarh. Elle y arriva sans rencontre infructueuse, et commença par interroger les passants sur sa recherche. Hélas, personne n’avait croisé Aquila, ou plutôt personne ne le souhaitait. Chacun des habitants semblait plus inquiet que désolé lorsqu’ils répondaient à Mab. Celle-ci commençait de ce fait à se poser des questions sur sa venue. La peur ne la prenait pas encore, mais quand vint la tombée de la nuit, la scientifique n’était pas des plus rassurée. Elle décida d’attendre, en espérant tomber par hasard sur Aquila. Après tout, iel ne vivait que quand la noirceur prenait le dessus. La Destrinos s’installa contre un arbre, face à la place principale de Bismarh, et patienta. Pour passer le temps, elle comptait les étoiles, qui brillaient étonnamment fort, s’amusait à retracer les constellations, et répétait dans sa tête ce qu’elle dirait à le.la Lunaris. Plusieurs heures passèrent, et la fatigue arrivait peu à peu. Mais Mab n’était pas décidée à dormir. Cependant, la force de la nuit fut plus puissante, et elle sombra dans un sommeil léger. Dans son rêve, elle trouvait Aquila, et celle-ci acceptait de lui donner ses pouvoirs d’Ombre.
Soudain, la Destrinos se réveilla en sursaut. Quelque chose l’avait effleurée, et elle entendit comme un tintement de perles. Elle se leva d’un bond sur ses quatre pattes, et scruta la nuit profonde. Au premier abord, elle ne vit rien de particulier, puis ses yeux s’habituèrent au noir, et c’est là qu’elle vit un.e Lunaris, à peine scintillante, cachée derrière un buisson. Mab se calma, et s’approcha doucement. Le.la Lunaris sortit de son refuge et bomba le torse. Elle n’avait clairement pas peur d’une Destrinos, même si elle avait de grandes ailes.
« J’ai entendu que vous me cherchiez chère créature. Je suis Aquila, et avant de décider si je passe mon chemin, j’aimerais savoir ce que vous me voulez. »
Mab était à la fois réjouie d’avoir trouvé le.la Lunaris, mais aussi étonnée qu’iel sache qu’elle voulait le.la rencontrer. Mais sans hésiter, elle se présenta et lui raconta la raison de sa venue.
« J’entends vos volontés Mab. J’accepte de vous raconter mon savoir, néanmoins, je n’ai pas la moindre idée de comment je pourrais vous transmettre mes anciens pouvoirs d’Ombre. Je n’en ai aucun reste, hormis mes oreilles qui m’empêchent de vivre le jour. Si je pouvais, croyez-moi que je m’en serais déjà débarrassée... »
La rencontre avec Mab était pour Aquila une opportunité parfaite. La Destrinos appartenait à la noblesse d’Aydo’h, alors elle avait forcément des contacts avec Astisian. Elle pouvait être la passerelle entre iel et sa renaissance.
« Écoutez Mab, il y a quelque chose que vous ignorez. Cela fait désormais plusieurs mois que je sais où se trouve la fée dont j’ai besoin pour ma délivrance. Celle-ci habite dans la Tour d’Astisian, aux côtés d’une érudite nommée Artemi. Malheureusement, ma malédiction m’empêche de voyager en dehors de Renarhim. Et quand bien même j’aurais pu rejoindre Aydo’h, je n’aurais eu aucun moyen d’atteindre cette Tour. Ma chère, je vous propose un marché. Faites en sorte d’amener les Fées jusqu’à moi, et je leur demanderai de satisfaire votre souhait. Qu’en dites-vous ? »
Mab n’eut pas une seule seconde d’hésitation. Elle accepta le marché d’Aquila et les deux créatures discutèrent d’un plan jusqu’au lever du soleil.
Le lendemain, alors qu’Aquila avait disparu avec la nuit, Mab réfléchissait à l’exécution de sa mission. Elle connaissait Artemi de loin, mais elle savait qu’elle était aussi passionnée par l’écriture que la Destrinos l’était par la magie noire. Elle eut alors l’idée d’utiliser cet élément pour l’attirer à Renarhim. Car si Aquila ne pouvait pas se déplacer à Aydo’h, il n’y avait qu’une seule autre solution : Artemi devait venir à iel. Et pour cela, Mab usa de ses nobles connaissances pour que l’érudite ne puisse refuser sa requête. Elle se procura du beau papier à lettres, prit sa plus belle plume et écrivit une lettre, qu’elle marqua d’un sceau seigneurial.
De l’autre côté de la Mer de Hulen, la Lunaris Artemi était, comme à son habitude, dans sa bibliothèque. Elle rangeait pour la énième fois ses étagères, déjà on ne peut plus organisées. Et malgré sa méticulosité, quelques toiles d’araignées trainaient par-ci par-là. Elle venait de les épousseter quand une de ses compagnes Fée fit irruption dans la pièce, une lettre à la main. Artemi la saisit, et vit qu’un sceau inconnu était apposé dessus. Sa clairvoyance lui disait qu’il s’agissait d’une personne importante d’Aydo’h, alors elle ouvrit l’enveloppe. Ces derniers temps, son don manquait de précision, ce qui l’empêchait de connaitre l’identité exacte de l’émetteur de la lettre.
« Chère Artemi,
J’ai été touchée par des échos concernant la qualité de vos écrits passionnés. Si vous l’acceptez, je désirerais être mécène de votre prochain texte. J’aimerais que celui-ci porte sur les Ombres, leur histoire et leurs pouvoirs. Si vous êtes d’accord, nous nous rencontrerons d’ici deux jours sur la place principale de Bismarh, capitale de la contrée de Renarhim.
En espérant que votre réponse sera positive, je vous souhaite une belle journée. »
Etrangement, la lettre n’était pas signée. Mais Artemi n’eut pas le temps de le remarquer car elle sautait déjà de joie. Elle cala l’invitation sous sa patte et s’empressa de préparer ses affaires. Elle prit soin d’écrire un mot pour ses compagnes Fées, et quelques minutes plus tard, elle était dans un bateau pour Renarhim.
Comme convenu, elle arriva deux jours plus tard. Arrivée sur la place de Bismarh, Artemi se rendit compte qu’elle ne savait pas qui chercher. Elle écouta sa clairvoyance, et celle-ci lui indiqua une Destrinos, mais sans plus de précision. La Lunaris observa les passants, et remarqua un peu plus loin, adossée à un arbre, une Destrinos plus scintillante que les autres créatures.
« Bonjour chère Destrinos, je suis Artemi, écrivaine à la Tour d’Astisian. Êtes-vous l’autrice de cette lettre ? »
Mab acquiesça, se présenta à la Lunaris et lui expliqua les détails de sa requête. Elle se garda de mentionner Aquila, et la questionna sur ses amies les Fées.
« Je suis venue ici seule. Mes petites compagnes ailées ne sont pas très friandes des histoires de magie noire et m’auraient déconseillé de vous rendre visite. Jadis, elles ont purifié une Ombre qui terrorisait Renarhim, et elles n’en gardent pas un très bon souvenir. »
Ce détail fit tiquer Mab, mais elle ne sut pas vraiment pourquoi. En tout cas, aucune fée n’était ici, et cela compromettait quelque peu son plan…
À Aydo’h, le sommet de la Tour d’Astisian était étrangement calme. D’habitude, la musique d’Artemi embaumait l’air et faisait fredonner les passants. Inquiètes, les Fées entrèrent dans la bibliothèque mais ne trouvèrent personne. Elles remarquèrent la lettre de leur compagne et un flash leur apparut. Il était plein de noirceur et de peur. Parmi tout cela, une faible lueur frémissait. Ce mauvais présage agita les Fées. Artemi était en danger, mais elles voulaient croire que cette petite lumière était un espoir de solution. Sans même lire la lettre, elles s’envolèrent vers la capitale de Renarhim.
Mab et Artemi discutèrent d’Ombres toute la journée. La nuit tombait et les étoiles pointaient le bout de leur nez. Aquila n’allait plus tarder.
Les Fées volaient aussi vite qu’elles pouvaient. Ce n’était qu’une question de temps avant que leur compagne ne tombe dans la noirceur qu’elles avaient vue.
Aquila sortit de sa cachette et s’approcha de Mab et Artemi. Cette dernière était assez impressionnée par le.la Lunaris. Elle dégageait une puissance assez sombre, presque méchante.
« Bonsoir Artemi, je suis Aquila. Cette Destrinos t’a amenée ici car j’ai un service à te demander. J’ai entendu que tu avais pour compagnes des Fées. Vois-tu, il y a de cela plusieurs années, tes petites amies m’ont enlevé mes pouvoirs d’Ombre. Depuis, je ne suis qu’une âme errante. Par chance, il m’en reste un peu sur les oreilles. J’espère que tes compagnes sont en route, car je ne suis pas de nature très patiente. »
Aquila leva les yeux sur Artemi et Mab. Une lueur maléfique dansait dans ses pupilles. Un frisson parcourut l’échine de la Destrinos, tandis que la Lunaris restait sans voix. Son don de clairvoyance, bien que défaillant, criait l’alerte.
Les Fées n’étaient plus qu’à quelques kilomètres de Bismarh. Elles espéraient arriver à temps.
Aquila tournait autour des deux autres créatures comme une prédatrice. Celles-ci étaient apeurées. Mab avait perdu le contrôle de la situation, et cela ne lui plaisait pas du tout. Aquila n’avait plus du tout la même attitude que lors de leur rencontre.
« Voyez-vous, chères amies, être une Ombre ne m’a jamais dérangée. Les Fées m’ont enlevé mes pouvoirs alors qu’ils étaient ma raison de vivre. Artemi, je compte sur vous pour les convaincre de réparer leur erreur, ou elles le regretteront. »
Les Fées arrivèrent sur la place de Bismarh, et découvrirent Artemi accompagnée d’une Destrinos, toutes deux apeurées. Autour d’elles tournait une créature qu’elles auraient préféré ne jamais recroiser.
Quand Aquila les vit, elle sourit, ce qui le.la rendait encore plus terrifiante.
« Enfin vous voilà ! J’ai failli attendre. Je ne vais pas passer par quatre chemins : rendez-moi mes pouvoirs d’Ombre, ou j’utilise les derniers qu’ils me restent pour disons… nuire à votre chère amie. »
Les petites magiciennes savaient de quoi Aquila était capable, et elles n’étaient pas du tout rassurées. Elles restèrent à distance et discutèrent. La balle était plus ou moins dans leur camp, car Aquila n’avait aucun autre moyen qu’elles pour redevenir Ombre. Elles disposaient donc d’un petit avantage. Elles se concentrèrent et visualisèrent le futur. Dans leur vision, la Destrinos avait un rôle à jouer. Une de ses potions allait les aider.
Après quelques minutes, les Fées s’approchèrent des trois autres créatures. Elles lancèrent un regard à Artemi, puis à Mab, et se tournèrent vers Aquila.
« Nous réaliserons ton souhait Lunaris. »
Le groupe se mit en cercle autour d’Aquila et commença à proférer des incantations. Le.la Lunaris ricanait de victoire et sautait presque de joie. Des effluves bleu foncé émanèrent de leurs petites mains et s’approchèrent d’Aquila, qui jubilait. Au moment où elles allaient l’atteindre, une explosion jaune enveloppa le.la Lunaris, et les Fées disparurent. Iel passa de l’euphorie à l’effarement. Les Fées apparurent derrière iel. Aquila bougea ses oreilles, et iel comprit qu’iel s’était fait berner.
« Vous me le paierez ! Même sans mes pouvoirs, je resterai une Ombre à jamais, et je trouverai un moyen de me venger. Vous me le paierez ! »
Aquila s’enfuit alors que le soleil se levait, et les Fées se rapprochèrent d’Artemi et Mab.
« Nous vous remercions pour votre potion d’illusion Destrinos Mab. Cette Ombre nous avait donné du fil à retordre la dernière fois, nous avons eu un peu de chance aujourd’hui. Si cela ne vous dérange pas, nous allons nous abstenir de réaliser votre souhait le plus cher. Vous savez, derrière les pouvoirs d’une Ombre se cache souvent une âme plus noire que les ténèbres. Nous comprenons qu’il soit attirant de détenir autant de puissance, mais c’est celle-ci qui vous contrôle plus que vous ne la contrôlez. Maintenant, nous allons rentrer avec Dame Artemi. Nous vous souhaitons une bonne continuation dans vos travaux scientifiques. »
Mab regarda Artemi et ses Fées partir. Elle était encore sous le choc de ce qu’il venait de se passer. Malgré tous les livres qu’elle avait lus, elle n’aurait jamais pensé que cette magie noire pouvait être aussi maléfique.
De retour à Aydo’h, elle raconta son expédition à Puck, en omettant volontairement quelques détails. Elle n’était pas décidée à abandonner sa passion pour les Ombres, mais désormais, elle allait se contenter de les connaître de loin. Mab rangea ses affaires, et s’attela à la préparation d’une nouvelle potion d’illusion. Après ça, elle prit soin d’écrire une nouvelle lettre à Artemi pour s’excuser de cette mésaventure, et lui proposa, cette fois-ci pour de bon, d’être mécène de son prochain écrit.