~ La forêt verte tenait bien son nom. Tout portait cette couleur : les arbres, le sol, la brume verdâtre qui flottait dans l’air jusqu’au ciel, donnant l’impression que même ce dernier n’était plus d’un bleu lumineux, mais plutôt d’une teinte vert d’eau. Au milieu de ce paysage magique, féérique, une créature naviguait avec aisance. Ses écailles beiges et sa tenue blanche tranchant avec la couleur des lieux tandis que ses feuilles se fondaient dans le paysage verdoyant. Cet être n’était autre que Druid, un Neptulys relativement solitaire mais que tout le monde connaissait : expert en potions, ses services étaient souvent réclamés par les créatures des environs. Malgré son naturel bienveillant, Druid était aussi un très bon stratège, et il tirait toujours le meilleur de ses prestations : ses potions n’étaient pas gratuites, mais il ne demandait rien de faramineux en échange ; parfois quelques plantes, des ustensiles ou une aide lors d’une intervention particulière lui suffisaient comme payement. Son doux caractère et son rayonnement naturel en faisait un très bon compagnon de vie, pourtant, il préférait rester à l’écart, vivant seul dans la forêt, constamment à la recherche de nouvelles plantes, de nouvelles combinaisons d’ingrédients pour améliorer ses potions ou en créer des nouvelles.
Il avait une routine bien ficelée, et était très heureux de son rythme de vie et de travail.
Pourtant, rien n’était réellement fait pour durer…
Un beau jour le destin se mêla de son quotidien tandis qu’il voguait au milieu de cette forêt qu’il connaissait aussi bien que sa sacoche fétiche. Il faillit passer à côté sans le remarquer, mais, un éclat jaunâtre attira son œil affuté : c’était si rare au milieu de tout ce vert ! Druid s’enfonça entre des broussailles, en direction de la brume qu’il avait repérée. Son appréhension se transforma en une douce stupeur lorsqu’il reconnut le corps d’un Flamiris, roulé en boule sur le sol. Ses écailles pailletées étaient violettes ou jaunâtres, tranchant étrangement avec la couleur des lieux. Il se rendit directement compte que quelque chose n’allait pas, alors, il se pencha sur la créature et la secoua doucement, avec délicatesse, pour la tirer de sa torpeur. Les paupières s’ouvrirent difficilement, découvrant des yeux vitreux, exactement comme Druid s’en était douté. Serviable, le Neptulys proposa au Flamiris de venir chez lui, pour qu’il lui concocte un petit remède, mais le reptile, visiblement très méfiant, rejeta son aide. Le druide usa de toute sa gentillesse, sa patience et sa bienveillance pour amadouer la créature. Il y passa la journée, avant de finalement réussir à le convaincre de venir passer la nuit au chaud, sous son toit. Il ne savait pas de quoi souffrait le Flamiris, et il lui faudrait user de mille stratèges pour le pousser à parler, mais le Neptulys était prêt à relever le défi, refusant de laisser une âme en difficulté. Il passa donc la soirée à concocter quelques remèdes, mais il était difficile de trouver un remède lorsqu’on ne savait pas de quel mal souffrait le patient. Il observa les symptômes (la brume, les tremblements, les yeux vitreux) et décida de préparer des décoctions pour traiter chacun d’eux séparément en attendant d’en savoir plus. Il lui faudrait cependant agir avec rapidité, il ne savait pas depuis combien de temps le Flamiris était malade et il devait donc le soigner au plus vite et le plus précisément possible.
Une journée supplémentaire passa, durant laquelle Druid essaya différentes potions sur son patient : il savait que cela n’aurait pas d’effets probants, mais cette technique d’approche lui permettait de gagner la confiance de cet être fragile.
Le surlendemain, il réussit enfin à faire parler le Flamiris : Little Lion, tel était son nom. Une fois lancée, la créature ne fut plus capable de s’arrêter et lui conta son histoire. Après s’être rendu compte qu’il était malade, et que cela semblait plus grave que les petites maladies qu’il avait pu avoir au cours de sa vie, il avait pris la décision de s’isoler. Cela étonna Druid, avant que le Flamiris ne lui explique la raison de son choix : il ne voulait pas que le village sache pour sa drôle de maladie, de peur d’être rejeté. Il avait donc erré dans la forêt, cherché les plantes qu’il utilisait habituellement pour se soigner, mais rien n’y faisait : sa maladie ne passait pas, rien ne semblait aller, bien au contraire, ses symptômes empiraient. Et puis, plusieurs semaines après, il avait fait cette miraculeuse rencontre lorsque le Neptulys était tombé sur lui dans la forêt. Druid l’interrogea donc avec précision sur les fameux symptômes, mais aussi sur les jours précédents le début de la maladie. Les actions, les lieux visités, tout ce qui pouvait avoir eu une influence sur la réaction du Flamiris intéressait le druide. Ainsi, il apprit que Little Lion avait trébuché lors d’une balade, et s’était légèrement écorché la fine membrane de l’aile sur une grande plante aux corolles blanches. En entendant la description de la plante, l’intérêt du Neptulys décupla : il en connaissait l’existence, il savait aussi les effets qu’elle pouvait avoir, néfastes lors d’un contact direct mais extrêmement bénéfiques lorsqu’elle était bien manipulée. Pourtant, malgré ses innombrables voyages, il n’avait jamais eu l’honneur de croiser cette fleur, très rare, qui apparaissait à peine pour une petite heure avant de disparaître. Le druide comprit très vite la potion qu’il allait devoir concocter pour soigner le malheureux Flamiris.
Mais pour cela, il allait avoir besoin d’aide.
Il donna à Little Lion une décoction pour l’endormir, prétextant que cela ferait du bien à son corps d’avoir du repos. Ce n’était pas un mensonge, mais la véritable raison constituait plutôt dans le fait qu’il souhaitait s’éclipser un moment, sans avoir à répondre aux questions du Flamiris. Cela était quand même un comble, vu le nombre de questions qu’il avait lui-même posé à son patient…
Le Neptulys s’en alla au village, où il réunit sans mal tous les habitants. Il leur exposa rapidement la situation : leur camarade Little Lion était malade, et il avait besoin d’eux. Druid leur expliqua qu’ils devaient l’aider à ratisser la forêt pour trouver la fameuse plante blanche : il leur la décrit avec précision et leur expliqua comment la couper sans l’abîmer ni la tuer. À lui seul, il ne pourrait jamais la trouver, la probabilité d’être au bon endroit au bon moment étant bien trop faible. Mais, avec leur aide à tous, ils allaient forcément tomber dessus. Et pendant que les villageois chercheraient, lui s’occuperait de trouver les autres plantes dont il avait besoin avant de retourner auprès de son patient.
Aussitôt dit, aussitôt fait.
Chacun laissa en plan ce qu’il faisait pour s’enfoncer dans la verdure. Druid sourit en constatant la solidarité qui régnait dans ce calme village avant de lui-même s’enfoncer parmi les arbres. Avec son expérience, il remplit très rapidement sa sacoche des ingrédients dont il avait besoin : le soleil avait à peine décliné dans le ciel. Il retourna dans sa cabane, commençant à préparer sa nouvelle potion, bien qu’il lui manque la plante principale.
Lorsque Little Lion se réveilla, Druid n’était toujours pas entré en possession de la fleur. Il expliqua simplement au Flamiris qu’il avait été récolter des ingrédients, mais que la décoction n’était pas encore prête.
Le soir venu, aucune créature n’était venue toquer à sa porte : ils étaient désormais rentrés chez eux, comme leur avait dit Druid. Les recherches reprendraient le lendemain. Il était évident qu’en termes de probabilités l’une des créatures tombe sur la fleur, mais cela pouvait malheureusement prendre plusieurs jours… Le druide implora le Grand Esprit des Neptulys de lui porter chance, car à chaque jour qui passait l’état de Little Lion s’aggravait.
Le lendemain, il passa la journée auprès de son patient. Les deux parlaient beaucoup, se racontant leurs vies respectives, apprenant à faire connaissance, s’appréciant et liant un étrange lien d’amitié malgré la situation. La journée fila à toute vitesse et très vite, le soleil se coucha, tout comme les créatures qui avaient continué les recherches sans répit.
Le jour suivant, l’état de Little Lion ne lui permettait pas de parler. Il était fiévreux (un comble pour un Flamiris…), ses yeux plus que vitreux et il avait de la peine à rester lucide. Druid le veilla avec soin, lui donnant quelques remèdes pour atténuer son mal, en attendant que la version cruciale soit concoctée. Il sursauta violemment lorsqu’une patte tambourina à sa porte. Il voltigea aussitôt vers son entrée, ouvrant à la volée, plein d’espoir. Derrière le seuil se tenait une créature ravie, et essoufflée, la précieuse fleur entre les pattes. Le Neptulys la remercia avec gratitude avant de lui demander de prévenir les autres qu’ils pouvaient arrêter les recherches. Il se chargeait de la suite.
Il fondit sur son chaudron, où son début de potion attendait impatiemment le dernier ingrédient, et avec des gestes experts il découpa la fleur, en tira une sève dorée qu’il recueillit dans un pot. Puis il fit cuire les pétales dans sa mixture initiale avec soin. Lorsque son mélange prit une consistance qui lui convenait, il broya le tout pour avoir une texture lisse. Enfin, il mélangea ce liquide qu’il avait obtenu à la sève dorée qu’il avait conservée jusque là. La mixture se mit à crépiter d’étoiles et le Neptulys dût se protéger les yeux.
Puis, avec soin, il la transporta jusqu’au Flamiris. Heureusement, il était vaguement lucide, et Druid réussit sans mal à le convaincre de se redresser pour avaler l’entièreté de la potion. Puis Little Lion s’effondra à nouveau, dormant d’un sommeil profond et légèrement magique.
Le Neptulys passa le reste de la journée et toute la soirée à veiller son ami, attendant avec anxiété qu’il se réveille. Cela arriva au milieu de la nuit, alors que la lune teintait d’argent le vert environnant. Le Flamiris se redressa d’un bond, les yeux écarquillés.
Druid lui demanda doucement comment il se sentait et Little Lion vint se blottir contre lui en le remerciant. Il ne ressentait plus aucun mal, ni aucune séquelles, il était simplement… comme avant. Le Neptulys sentit un immense soulagement, puis il invita son ami à se reposer. Dès leur réveil, ils pourraient reprendre le chemin du village et Little Lion pourrait rentrer chez lui, auprès des villageois qui avaient durement œuvré pour lui, bien qu’il n’en sache rien.
Ainsi, le Neptulys raccompagna le Flamiris, qui gambadait joyeusement sur le chemin, heureux de se sentir bien et de pouvoir à nouveau se mouvoir aisément. Une brume flottait toujours autour de lui, comme une trace de sa malheureuse rencontre avec la fleur mystérieuse. Lorsqu’ils entrèrent dans le village, Druid remarqua aussitôt la différence : les créatures n’étaient pas éparpillées, gambadant, effectuant leurs tâches. Tout était plutôt calme. Puis, d’un coup, ils jaillirent tous pour serrer le Flamiris contre eux, heureux de le voir en bonne santé. Druid expliqua enfin à son ami ébahi ce qu’il s’était passé : son appel à l’aide pour la recherche collective de la plante, et Little Lion se mit à rougir sur les fines écailles sous ses yeux. Il réalisait que les villageois ne l’auraient pas rejeté, bien au contraire, ils avaient tout délaissé pour l’aider. Ému, il invita tout le monde à venir chez lui, où ils pourraient passer du temps tous ensembles. ~