~ Maléfix était un nom connu. Celui d’un sorcier hors-norme, aux compétences infinies et au potentiel intarissable. Il avait inspiré de nombreuses créatures, notamment des Stoufix qui faisaient tout pour lui ressembler, tant au niveau du physique que sur les capacités magiques, allant jusqu’à prendre son nom, pour les plus doués. Certains étaient excellents, et d’autres à l’inverse catastrophiques… Et il y avait ceux avec un potentiel extraordinaire, mais auxquels il manquait l’expérience. C’était le cas de ce Maléfix, nommé Maléfis.
Il s’intéressait notamment à la botanique, cherchant constamment à apprendre de nouvelles choses sur les plantes : il voulait en apprendre le plus possible, autant pour sa curiosité personnelle que pour ses envies d’appréhender les caractéristiques les plus spécifiques de chaque végétal. Comment certaines plantes pouvaient survivre à la chaleur étouffante de Sandisia ? Comment d’autres pouvaient produire de l’eau ? Il cherchait à répondre à de nombreuses questions de ce type, cherchant constamment à comprendre, apprendre, et reproduire les phénomènes les plus impressionnants. Parmi ses missions du moment, il cherchait notamment à créer un engrais adaptatif. Il voulait réussir à fabriquer un unique produit capable de s’adapter à chacune des caractéristiques des différentes contrées, pour répondre aux besoins divers et variés des nombreuses plantes peuplant le monde de Gothicat.
L’engrais devait être le plus naturel possible, évidemment, de la terre à la plante, sans ajout particulier. Il menait de nombreuses expériences depuis plusieurs jours déjà, sans succès. Mais une piste s’était avérée intéressante, puisqu’une tige avait temporairement changé de couleur au contact d’un des produits appliqués. Cela lui sembla un signe, et il décida de continuer sur sa lancée, alors que la nuit tombait et que la lune commençait à briller, pleine et lumineuse, dans un ciel découvert. Il laissa de côté la fatigue qu’il ressentait pour travailler, encore, et encore, et encore, jusqu’à très tard. Il ne prenait même plus le temps de refermer précautionneusement ses flacons, ni de les ranger à leur place, grisé par l’idée qu’il touchait peut-être au but !
Mais la fatigue rattrape tout le monde, même un apprenti sorcier. Ou plus exactement : surtout un apprenti sorcier, manipulant des produits qu’il inhalait toute la journée… Il commença à s’assoupir sur son plan de travail, luttant pour garder les yeux ouverts. Il finit par s’endormir, la joue sur la table en bois, la bave coulant abondamment.
Maléfis se réveilla en sursaut, quelques heures plus tard, tiré de sa torpeur par un mauvais rêve. Dans la brutalité de son geste, il renversa les flacons restés ouverts sur son établi de travail. Ils se renversèrent brutalement et il bondit pour les rattraper, les redressant les uns après les autres aussi vite que possible ! Mais c’était trop tard, les produits se mélangèrent sur la table, et une abondante fumée s’en échappa, obstruant son champ de vision. Seuls les crépitements envahissant ses oreilles trahissaient une activité mi-magique mi-chimique. Le Stoufix s’énerva, exaspéré de ne pas avoir refermé ses flacons, comme un terrible débutant. Mais, là où les différents liquides s’étaient combinés, un tas de terre était apparu, prenant la place de l’abondante fumée. Une terre légèrement humide, ce qui laissa perplexe l’apprenti Maléfix : il n’avait pas conscience d’avoir bavé sur la table, ni que ce liquide s’était mélangé aux autres… Il observa cette création en la laissant glisser entre ses pattes. C’était la texture désirée, mais il ne pouvait n’y avoir aucune forme de vie ni de capacité d’adaptation, puisqu’il s’était endormi avant de mettre l’ingrédient principal. Ce mélange ne lui donnait pas l’impression de pouvoir fonctionner comme l’engrais souhaité, néanmoins, il n’aimait pas jeter ses expériences. Alors il regroupa cette terre étrange dans un bocal fermé, l’étiqueta soigneusement, et le posa sur une des étagères qu’il utilisait peu. Il n’avait pas conscience qu’il venait de créer un environnement bénéfique au développement de la vie : c’était chaud, dans un lieu ensoleillé, et surtout humide.
Mécontent, et fâché, d’avoir laissé la fatigue interrompre son expérience, il rangea son établi, soigneusement, remis les produits à leur place, et nettoya de fond en comble son plan de travail. Il se décida à aller dormir, pour reprendre des forces et finir sa nuit. Il retenterait le mélange plus tard.
Dès sa nuit de sommeil passée, il se réveilla en pleine forme, la création de la nuit dernière reléguée dans un coin lointain de son cerveau, comme un rêve dont il se souviendrait par bribes nébuleuses.
Il ne fit plus attention à ce flacon soigneusement entreposé. Et il manqua certainement la plus belle partie du développement qui avait lieu en son sein…
La terre paraissait inerte à première vue. Mais, au fil des jours, avec beaucoup de patience, un changement était perceptible. Une infime forme blanchâtre, comme une tige fine et fragile, sortait légèrement de la terre. Chaque jour, elle semblait prendre un petit millimètre, grandissant lentement mais sûrement. Elle grossissait aussi, mais plus lentement qu’elle ne prenait en hauteur. Peu à peu, le blanchâtre devient rose sur l’intérieur, et d’un vert de plus en plus foncé sur l’extérieur. Des excroissances se formaient à leur tour, donnant du relief à cette tige. Depuis sa première apparition en dehors de la terre, il semblait qu’elle ait grandi de manière démesurée. En réalité, cela était dû à un simple effet d’optique : la quantité de terre diminuait, donnant ainsi l’impression que la tige était plus grande. Mais, elle ne mesurait actuellement pas plus de cinq centimètres…
Maléfis accorda de l’attention à ce bocal abandonné une bonne semaine plus tard, à cause d’un bruit qui s’en échappait. Une sorte de crissement, faiblard. Constatant la présence d’une marque représentant le niveau de terre initial et le placement actuel de son étrange terreau, il fut intrigué par cette disparition. Alors il se saisit du bocal et le posa sur son plan de travail, sans ménagement, l’ouvrit avant de déverser la totalité du contenu sur son établi. Il retourna le contenant en verre mais ne trouva aucune fissure pouvant expliquer cette perte ni ce bruit.
Il se concentra alors sur la terre en reposant le bocal, et se figea de surprise. Une étrange petite tige verdâtre avec des ramifications était à moitié ensevelie sous la matière. Le Stoufix fronça les sourcils, il était certain de n’avoir mis que de la terre dans le bocal, ce soir-là. Il se saisit de cette… chose… avec précaution et intérêt, mais la relâcha aussitôt !
La chose était vivante !
Elle venait d’émettre un petit couinement lorsqu’il l’avait attrapée !
L’apprenti sorcier approcha une caisse sur laquelle s’asseoir, ainsi que son monocle-loupe. Il patienta longtemps, la petite créature s’étant cachée sous la masse de terre.
Lentement, une petite tête ressortit et Maléfis put l’observer en détail grâce au zoom de sa lunette. Une tête étonnamment reptilienne. Avec des tiges ? Cela lui rappelait curieusement une créature déjà connue…
Mais son idée s’envola en entendant à nouveau ce petit crissement, émis par la créature. Comme un cri de détresse… Le Stoufix réalisa le nombre de jours que la créature avait passé à se développer ici, et pensa aussitôt qu’elle avait faim. Il se précipita pour prendre un morceau de fruit et le posa à côté de la terre. La tige se mouvait avec une grâce étonnante, mais elle ne sembla pas intéressée par cette nourriture. Au contraire, elle enfonça sa tête dans le terreau et en avala une bonne bouchée.
« Voilà donc pourquoi le niveau a baissé… Tu te nourris de terreau. » constata-t-il à haute voix.
Mais alors, si elle n’avait pas faim… Elle devait avoir soif ? Il repartit pour prendre une petite coupelle, la remplissant d’eau fraiche et pure. Il la posa aux côtés de ce petit énergumène et la créature plongea quasiment dedans. Elle buvait avec rapidité, en s’éclaboussant par la même occasion. La coupelle se retrouva bien vite à sec, et la petite tige tourna sa tête aux yeux bleus vers le Stoufix en piaillant gaiement, comme pour en redemander.
Maléfis ne se fit pas prier, et lui amena cette fois une coupelle plus profonde. La créature plongea dedans et avala à nouveau goulûment. Elle frétillait dans l’eau, heureuse, se mouvant avec autant d’aisance que lorsqu’elle était dans le terreau. Ce que le magicien avait soupçonné semblait être vrai. Cette petite tige était... Un Neptulys.
Mais la petite créature avait compris que le Stoufix pouvait l’aider, et elle interrompit une nouvelle fois ses pensées en piaillant encore, réclamant à nouveau de l’eau. Il remplit encore une fois la coupelle, et lorsque le petit Neptulys la termina, il sembla enfin satisfait. Au grand étonnement du magicien, la créature se hissa hors de la coupelle, toujours avec une grâce de danseur, et se glissa dans le terreau. Avec ses petites ramifications, utilisées comme des pattes, le petit fit un tas et posa sa tête dessus, la penchant légèrement pour observer Maléfis.
Lui aussi dévisageait cette création, sans comprendre comment il avait fait pour lui donner vie. Son terreau naturel adaptatif n’aboutissait pas, mais, sans même le vouloir, il avait fait apparaître ce petit… Comment était-ce possible ? Il avait beau ne pas comprendre, il s’attachait déjà à cette petite bête vulnérable. Et il se posait de nombreuses questions, notamment concernant la croissance future de ce petit Neptulys qui semblait préférer la terre à l’eau. En attendant de mieux comprendre, le Stoufix décida de lui créer un petit abri, et de le garder près de lui. Il prit un grand pot en verre, de forme rectangulaire et y déversa tout le terreau étalé sur son plan de travail, en y ajoutant même un peu de frais. Le petit Neptulys se laissa entrainer dedans sans pinailler, s’installant confortablement dans la terre tendre. Maléfis creusa un emplacement pour mettre la coupelle et remit de l’eau. La petite tige émettait des cris différents désormais, ressemblant à un gazouillis d’oiseau, exprimant de la joie.
Cela faisait plusieurs jours que la petite créature avait l’occasion d’observer le sorcier depuis son étagère, il était donc temps que les rôles changent. Le Stoufix s’installa à nouveau, avec sa lunette et il observa pendant de longues heures le comportement de cette créature, en dehors de son environnement naturel. Le petit Neptulys avait un regard malicieux, malgré son très jeune âge, et il observait son nouveau protecteur avec tout autant de curiosité, comme une petite créature naïve découvrant le monde. Maléfis était sûr d’une chose : cette créature avait bon fond, et surtout son observation allait lui apprendre de nombreuses nouvelles choses.
L’apprenti était néanmoins convaincu d’une chose, le petit Neptulys se comportait comme une plante. Et comme pour toutes, il faudrait du temps à cette créature avant de germer comme une adulte. Cela tombait bien, Maléfis avait du temps à sa disposition !
« Bon… Commençons par te donner un prénom. Bugbane te conviendra-t-il ? »
Le petit être changea d’expression. Lentement, il s’approcha de la coupelle d’eau, prit une nouvelle gorgée, mais plutôt que de l’avaler, il la recracha en direction du Stoufix.
« Je prends cela pour un non… Cotyledon ? »
La petite créature fit une moue peu convaincue, mais sans répéter son jet d’eau.
« C’est une plante très jolie pourtant ! Et une version raccourcie, Cotyl ? »
Cette fois, le Neptulys piailla, visiblement satisfait par la sonorité.
« Parfait, alors, Cotyl… J’aimerais comprendre comment j’ai pu te créer… »
Et, sans s’en rendre compte, au fil des jours, puis des semaines, et des mois, le Stoufix essaya de répondre à cette question. Bien plus heureux en la présence de ce Neptulys qu’avec toute autre expérience, il en oublia même ses rêves d’engrais universel… Car Cotyl n’était pas seulement une expérience, c’était un succès à analyser sur le long terme, et surtout… C’était une créature vivante, attachante, qui avait besoin d’aide et dont le regard avait besoin d’un éducateur.
Alors Maléfis laissa tomber quasiment toutes ses recherches, pour se consacrer au Neptulys, comme un père le ferait avec son enfant. Et au final, c’était ce qu’il était : un père.
Le Stoufix commença à tenir un carnet, notant chaque élément intéressant : le rythme de pousse de Cotyl, sa fréquence d’alimentation, la quantité d’eau consommée, son attrait pour le soleil, mais aussi la moindre action du petit, et les moindres modifications… Lors de la découverte de Cotyl, le Stoufix s’était demandé comment grandirait le Neptulys, et voilà que quelques mois plus tard, alors que la saison douce prenait le relais après le froid, Cotyl faisait ses premières fleurs… Il fleurissait sur ses extrémités notamment, et Maléfis constata que le jeune Neptulys avait la mauvaise habitude de croquer les pétales à sa portée… Il avait encore du travail ! ~