~ Face à cette immensité, elle se sentait plus petite que jamais. Tout ici était d’une grandeur absolue ! Incapable de voir le haut de la voute, entourée de pics acérés et aussi gros que les dents d’un immense dragon, elle se sentait autant oppressée que si elle avait été enfermée dans une boîte… Tout était en plus plongé dans l’obscurité, des formes se mouvaient dans le coin de ses yeux, des petits bêtes semblaient se cacher dès qu’elle regardait dans une direction : des présences fugaces et invisibles pour ses yeux.
Bien que toujours intimidée par cette noirceur et les proportions de la grotte, elle commençait à s’habituer au lieu et s’y baladait librement, allant toujours plus loin, plus profond, ou plus haut.
Elle, une petite souris entièrement blanche, accompagnée de ses deux petites torches, commençait à connaître comme sa poche tous les recoins de sa nouvelle maison. Elle se devait de repérer la moindre issue, le moindre trou, n’importe quel morceau de roche qui aurait pu être tranchant, pour éviter un quelconque incident.
Car sa maitresse, contrairement à elle, ne voyait pas.
Elle finit donc sa ronde quotidienne et revient auprès de la deuxième créature vivant en ces lieux : une magnifique Lunaris, blanche elle aussi, le corps empli de cristaux et de motifs de couleurs différentes, avec des ailes diaphanes fièrement ouvertes de chaque côté de son poitrail. Une longue-vue était présente sous sa patte droite, témoignant d’un long passé d’aventurière. Il y avait aussi une lampe, parfois posée à terre, parfois tenue dans les crocs de la Lunaris, qui avait elle-aussi son histoire…
La petite souris trottina et s’assit devant son amie, pour lui faire un compte rendu de son exploration et la tenir au courant de ses découvertes. La Lunaris resta silencieuse le temps d’assimiler toutes ces données, puis avec gentillesse, elle la remercia. Elle ne reprit pas la parole, mais la petite souris connaissait son amie aussi bien que ces lieux désormais, et elle sentait qu’elle avait quelque chose sous la langue, prêt à sortir. Alors, elle resta à côté de la patte de son amie, lui faisant sentir sa présence, sans pour autant la presser, et se mit à patienter le temps qu’il fallait.
« Dub ? »
La petite souris releva son nez en entendant son nom.
« Oui ? »
« Je… pensais à quelque chose… »
Elle était hésitante, pas parfaitement certaine de ce qu’elle allait dire.
« Je pensais que, peut-être, tu… nous pourrions… écrire… ou du moins essayer d’écrire mes aventures ? »
« Oh !! »
« Quoi ? Cela te parait absurde ? » dit-elle d’un ton triste. « Je savais que ce n’était pas une bonne idée » ajouta-t-elle plus faiblement.
« Non au contraire ! J’adore cette idée ! Nous avons plein de papier parcheminé inutilisé, largement assez pour écrire toutes les péripéties de ta vie complètement folle ! »
Un sourire commença à naitre aux commissures des lèvres de la Lunaris, lentement. Dub enchaina :
« On pourra raconter toutes tes histoires, et ensuite, on sera admirées par tous ! Tout le monde parlerait de nous, les enfants voudraient vivre les mêmes aventures que toi, tu serais un exemple pour eux tous ! »
Au fur et à mesure que la Lunaris entendait les paroles de son amie, son sourire s’agrandissait, une confiance en elle commençait à naître, toujours plus forte, augmentant sa détermination par la même occasion !
« Alors qu’attends-tu Dub ?! Vas donc préparer le papier, nous commençons dès maintenant ! »
La petite souris ne se fit pas attendre et elle revient très vite avec une pile de papier trainée derrière elle.
« Voilà ! Je suis prête à noter tout ce que tu me diras ! Au mot près ! »
Felagund posa son regard aveugle sur la petite souris, comme si elle pouvait la voir.
« Je me suis toujours demandée comment une si petite souris pouvait réussir à écrire… »
« Tu as tes secrets, j’ai les miens ! » répondit Dub en rigolant.
Un silence s’installa entre elles, les laissant dans leurs pensées. Puis Felagund inspira profondément avant de prendre la parole.
« Je m’appelle Felagund et les lignes que vous lisez sont les miennes.. »
Alors que Dub commençait à écrire, la Lunaris secoua la tête :
« Non, c’est n’importe quoi ! On recommence ! »
Dub, docile, ratura les quelques mots qu’elle avait écrit.
« Il y a quelques années de cela, une jeune Lunaris est née. Son pelage d’une blancheur immaculée et ses cristaux intriguant qui semblaient incrustés en elle ont donné l’origine de son nom : Carat. Ses yeux étaient bleus comme le ciel. Elle était vive, pleine d’énergie, de bonheur et d’innocence. Très vite, tout le monde compris qu’elle était curieuse, rêveuse, chercheuse : tout pour faire d’elle une future grande aventurière ! Et ce fût son avenir. Un avenir rempli d’aventures, de batailles, de trésors enfouis ! »
La plume de Dub grattait le papier, fiévreuse, ne manquant pas une seule parole.
« Pendant ses investigations aux quatre coins de Gothicat, elle s’était fait des ennemis. Et des amis. Comme Dub, une petite souris blanche. Elle ne s’était plus jamais séparée de la jeune bestiole. Un jour, au cours d’une de leurs recherches, Carat était tombée sur un livre. Un livre spécial. Il sentait le vieux, ses feuilles étaient abimées et jaunies, mais une aura magique s’en échappait. Il y avait un petit dragon perché sur son coin, qui semblait monter la garde… Elle avait hésité à le prendre, notre chère Lunaris… et peut-être aurait-elle dû le laisser. Car ce livre signa la perte Carat. Elle l’avait emporté pour prendre le temps de le lire, calmement. Mais après l’avoir ouvert, tout changea. Ce livre l’incitait à retrouver une caverne. Une caverne mystérieuse, inconnue, quasiment inaccessible ! Se lancer à sa recherche semblait conduire à la mort…
Et Carat était morte en suivant ce chemin.
Elle était revenue, mais désormais, elle était Felagund. La Maitre des cavernes. Dub ne l’avait pas abandonnée et elle la suivit partout, malgré les conditions, malgré la situation totalement incongrue, malgré la folie de cette expédition quasiment signée sans retour possible…
Elles avaient réussi à atteindre leur but, après des années de recherches infructueuses. Une fois arrivées là-bas, Felagund avait ressenti au fond d’elle-même qu’elle était au bon endroit. Pourtant, elle ne savait pas ce qu’elle faisait là. Que devait-elle trouver ? Elle avait voulu consulter le livre pour l’aider, mais impossible de le rouvrir… Il restait obstinément fermé.
Elles établirent leur nouveau domicile dans ce lieu mystérieux. Elles y restèrent des années.
La magie de cet endroit était puissante et totalement instable… Cela impacta sur Felagund, et la changea physiquement : des ailes poussèrent dans son dos. Grâce à cette nouveauté, elle put inspecter de nouveaux endroits de la grotte, inaccessibles pour les êtres qui ne savaient pas voler. C’est ainsi qu’elle avait trouvée la lampe. Elle avait compris que c’était l’objet de ses recherches depuis tout ce temps. Une lampe… A quoi pouvait-elle bien servir ? Elle ne le savait pas. Et le livre restait toujours fermé, ne lui donnant aucune réponse.
Felagund pris la décision de quitter cet endroit. Maintenant qu’elle avait trouvé l’objet de ses recherches, elle ne ressentait plus ce besoin pressant qui l’avait envahie tout ce temps. Elle pouvait partir librement. Elle et Dub se remirent en marche, traversèrent la grotte et arrivèrent près de l’ouverture. Le soleil brillait fort. Elles rirent de bon cœur ! Combien de temps cela faisait-il qu’elles n’avaient pas vu le soleil ?! Dub sortit la première, tournoyant sur elle-même, heureuse. Puis Felagund pointa le bout de son museau à la lumière du jour. Sauf que, contrairement à la petite souris, le soleil lui fit du mal.
Un mal violent, qui traversa ses paupières, lui brûla les iris, chauffa l’intérieur de sa tête !
Elle glapit en faisant un bond en arrière pour se réfugier à l’ombre, dans la fraicheur de la grotte. Elle sentit Dub près d’elle, ouvrit à nouveaux ses paupières douloureuses. Mais tout resta sombre. Elle appela son amie. La voix lui répondit « Felagund… tu… tes yeux… ils sont blancs… complètement laiteux… »
Elle était devenue aveugle.
Après avoir passé trop de temps dans les ténèbres, le soleil l’avait brûlé.
Elles étaient retournées dans la caverne. Il avait fallut des années de plus à Felagund pour s’habituer à sa nouvelle condition. C’était un handicap indéniable pour une aventurière… Pourtant, avec l’aide de Dub, elle avait réussi à se refaire une vie, à se repérer grâce à ses autres sens.
Alors, lorsqu’elle se sentit prête, elles reprirent la route. Elle ne voulait plus rester dans cet endroit. Il lui fallait trouver une autre caverne. C’est ainsi qu’elles atterrirent dans cette nouvelle grotte d’où elles écrivaient ces lignes.
La lampe était là elle aussi. Unique vestige du passé. Une lampe qui avait sa propre histoire, mais qui n’existait pas encore. Une lampe qui était son seul espoir, la première lumière qu’elle verrait à nouveau. Son pouvoir pouvait la soigner, tout comme il pouvait soigner bien d’autre maux. Mais pour cela, il fallait savoir comment elle fonctionnait. Le livre contenant tous les indices s’ouvrait à nouveau, maintenant qu’elles n’étaient plus dans la caverne de tous les maux. Mais elles avaient besoin de quelqu’un qui, aventurière comme l’avait été Carat, trouverait leur trace et pourrait décoder ce fichu livre… Felagund ne pouvait plus consulter le livre sans ses yeux… Et Dub, n’ayant pas été choisie pour cette mission, ne pouvait pas déchiffrer ce qui était écrit… »
Felagund prit une grande inspiration, avant d’ajouter :
« Qui sera capable d’accepter cette mission ? Qui sera capable d’arriver au bout ? Qui saura comprendre ce livre, utiliser cette lampe, et me rendre ma vue ?...
Je vous laisse nous retrouver. »
Elle soupira, épuisée par son récit, alors que le bruit de la plume s’arrêtait sur le dernier mot.
« C’était beau » murmura la petite souris.
« Merci Dub… Je te confie la mission d’aller déposer ce manuscrit, de le propager partout. Sans aucune indication complémentaire sur le lieu où nous nous trouvons. Celui qui mérite le pouvoir de ces deux objets doit arriver ici par lui-même. Comme nous. »
La petite souris hocha la tête et s’en alla, chargée de son lourd tribu.
Les yeux de Felagund se posèrent sur la lampe, comme si elle la voyait.
« Bientôt… » se dit-elle-
Bientôt, elle la verrait. ~