~Une légende raconte que Neptune aurait créé les chevaux à partir des vagues, s’inspirant des remous pour la beauté, la rapidité et fugacité de ces êtres. Et si c’était par un processus similaire que Nennvial était venu au monde ?
Dans un recoin d’une des îles de Renarhim se trouve un lac. Un lac constamment plongé dans le noir, peuplé d’ombres mystérieuses et méconnues. L’eau qu’on y trouve est froide, glacée même, mais aussi pure qu’un diamant. Au milieu de cette nuit constante on ne se rend pas compte de la beauté de cette étendue, de sa transparence : elle est cristalline au point de pouvoir en distinguer le fond, empli de pierres blanches parfaitement arrondies.
Durant des siècles le lac resta plongé dans un crépuscule qui semblait sans fin, d’où il tira son nom. Mais les ténèbres ne peuvent vivre éternellement sans lumière, tout comme le jour doit toujours céder la place à la nuit... La Déesse Sangorah et le Dieu Astisian comprirent qu’ils devaient se rencontrer et régénérer leur pouvoir respectif : les Ténèbres et la Lumière. C’est ainsi que fut organisée la Cérémonie du Lac. Une rencontre des deux Dieux, qui serait organisée une fois par siècle toujours au même endroit : sur cette île de Renarhim à proximité d’Aydo’h.
Ce jour sacré, lorsqu’Astisian arriva, Sangorah était déjà présente, accroupie au bord du Lac, unique témoin d’une rencontre mémorable. La Lumière qui irradiait normalement du Dieu semblait amoindrie par l’ombre omniprésente, tout comme les Ténèbres qui émanaient de la Déesse semblait se contracter et se refermer sur eux-mêmes face à l’inhabituelle luminosité. Ils s’approchèrent l’un de l’autre et se serrèrent la main. Ce simple geste créa une réaction inattendue : un rayon lumineux, autour duquel s’enroulaient des filaments de ténèbres, s’échappa de leurs mains jointes, plongeant aussitôt dans l’eau azurée du Lac du Crépuscule. La réfraction de la lumière et les reflets projetés sous l’eau se mirent à briller plus intensément, se tintant d’une infinité de variété de couleurs, plus imposantes et diversifiées que n’importe quel arc-en-ciel. C’était un spectacle magnifique à voir et les deux Dieux restèrent bouche bée. Le Lac du Crépuscule était entièrement illuminé, la moindre pierre blanche du fond s’embellissait de chatoiements, jusqu’au moment où cet éclat lumineux toucha une pierre en particulier. En dehors de sa taille, elle semblait identique aux autres, pourtant lorsque le rayon qui s’échappait des mains de Sangorah et Astisian la toucha, elle engloutit tout.
Les couleurs.
La lumière.
Les reflets.
L’obscurité reprit ses droits sur le lieu, encore plus oppressant et sombre qu’avant. Les Dieux pouvaient à peine distinguer leurs mains toujours jointes et Astisian ne brillait plus. Toutefois, lorsque leurs yeux furent habitués à cette brusque opacité, ils se rendirent compte qu’il y avait bel et bien une nouvelle source de lumière. Elle se situait au fond du Lac du Crépuscule et semblait émaner de la pierre qui avait causé cette noirceur. Ce gros galet avait absorbé la moindre lumière, le moindre reflet, la moindre couleur, la moindre nuance et tout ce panel formait sur sa blancheur un dégradé sublime dont la contemplation était fascinante. A la surface de l’eau, aucun mouvement n’était perceptible, tous les êtres vivants de ce lieu retenaient leur souffle, en attente d’un événement qui ne tarda pas.
Une fissure commença à craqueler la pierre, laissant la lumière s’échapper de son intérieur. La craquelure s’élargit, poussée par une force intérieure. Très rapidement, la pierre céda totalement et la lumière inonda le Lac du Crépuscule. Alors qu’ils croyaient que la source de cet éclairage était la pierre, ils découvrirent que c’était ce qu’il y avait à l’intérieur. Ce qu’ils avaient pris pour un vulgaire galet n’était autre qu’un œuf, un œuf qui avait patienté durant des siècles sous les eaux du Lac, attendant leur rencontre à eux, les Dieux, qui le ferait éclore. Un petit Neptulys en était sortit, triomphant et hésitant à la fois : il avait hérité des sublimes couleurs dégradées et arc-en-ciel crées par le faisceau lumineux de Sangorah et Astisian, mais, peut-être à cause de ces années passées dans ce bas fond, il était aussi accompagné de bulles d’eau, accrochées à lui comme une extension de son corps. Le jeune être semblait un peu confus de les voir, et constatant qu’elles entravaient ses mouvements, il cherchait à s’en débarrasser. Pourtant, après de longues minutes de vaine bataille, il fut contraint de s’y faire, et au lieu de se dresser contre elles, il décida de les utiliser à son avantage pour se déplacer plus gracieusement Alors, tranquillement, sans même prêter attention aux Dieux, qui le regardaient hébétés il s’en alla.
Son voyage commençait.
Les bulles et les courants autour de lui émettaient des bruits, des clapotis, des sifflements et en tendant l’oreille, il distingua un son plus distinct, comme une voix qui entonnait une douce mélodie :
Élu du Lac du Crépuscule, Nennvial, écoute-nous :
Suis le courant, et plonge, plus loin, plus profond,
Là où les cœurs n’ont jamais connus plus doux,
Que la nuit et l’eau glacée des insondables tréfonds.
De la rencontre de deux dieux dévoués tu es l’essence,
Ainsi, dans les ténèbres qui t'entourent, ne prends pas peur,
Car elles te sont amies et attendaient ta naissance.
Fais-nous confiance, et nous te mènerons sans heurt,
Pour que tu puisses répandre cette bénédiction des dieux.
Suis-nous, nage, luis et reflète : tu es la seule lueur en ces lieux !
Va, éblouis les abysses de ta lumière irisée,
Ouvre les yeux du monde sur les beautés oubliées…
Nennvial… C’était le nom qu’il avait perçu au milieu de cette douce mélodie. Cela lui plaisait bien ! Il adopta ce mot et en fit son nom, continuant son chemin avec la sensation d’être plus complet.
Il venait de trouver une partie de lui, mais il avait encore bien des choses à découvrir…
Les courants le menèrent en dehors de ce lac, des grottes oubliées et terrées dans l’abyme, le laissant émerger au grand air. Il se laissait emporter par les mouvements de l’eau, sa lumière éclairant les alentours de la nuit éternelle de Renarhim, attirant les regards de nombreux êtres curieux. Un soleil semblait se lever au milieu des ténèbres ! Il perçait les ombres de ses rayons lumineux, tout en s’abreuvant d’elle pour garder sa force : il était un être de lumière né dans la noirceur, fait pour vivre au milieu de cette nuit.
Il parcourut les terres sombres de Renarhim durant de longues années, sans comprendre quel était son rôle dans ce monde. Durant son voyage, il avait parcouru de nombreux lacs comme celui du Crépuscule, la lumière irradiant de son corps faisant éclore de nombreux œufs oubliés sous les eaux : la plupart des organismes vivants ont besoin de soleil pour s’épanouir, éclore, vivre, mais au milieu de ces terres nocturnes, il n’y avait aucune lumière. Aucune, en dehors de Nennvial. Le Neptulys, créateur de vie, géniteur d’une multitude de petits Neptulys aux couleurs identiques aux siennes qui avaient parcouru le monde, y ramenant une vie chatoyante ! Pourtant aucun d’eux n’était fait pour vivre dans les ténèbres comme Nennvial, ils étaient des êtres de lumière, nés de la lumière, qui avaient rapidement quittés ces terres sombres. Mais leur créateur, le Lac du Crépuscule en personne, lui, ne pouvait pas partir. Pas pour le moment du moins. Il savait au fond de lui que son rôle ne se limitait pas à faire éclore d’autres êtres de lumière.
Au bout d’une dizaine d’années, il avait finit par visiter le moindre lieu, le moindre lac, la moindre crevasse : Renarhim n’avait plus aucun secret pour lui et il n’y avait plus non plus de petits œufs à guider vers la lumière. Il était désormais la seule source étincelante, élu des dieux pour amener la paix entre la lumière et l’ombre, il était l’exemple même qu’elles pouvaient s’unir pour créer et non simplement détruire en voulant prendre le dessus sur l’autre. Il avait apporté la joie et la sérénité là où il était passé, il avait été un guide, pour les petits Neptulys, mais aussi pour de nombreux êtres perdus dans les ténèbres éternelles.
Il était un porte-bonheur.
Alors il réalisa que son rôle avait bel et bien de révéler les beautés cachées de Renarhim, cette lumière bien présente, mais enfouie sous des siècles de noirceur.
Il avait compris la morale : il était un être né de l’obscurité, avec un cœur aussi pur et lumineux qu’un ange. ~