Des écailles, des nageoires, des branchies. Qu’est-ce qui définissait au juste un poisson ? Pavonine observait son aquarium en se posant ce genre de questions. Bulle, son poisson de compagnie, la jaugea du regard avant de se détourner, ondulant gracieusement dans l’eau. La Flamiris apprécia le mouvement et lâcha un soupir envieux. Pourquoi n’était-elle pas née Ekoyus ?
S’écartant, elle revint au dessin sur lequel elle se penchait avant d’être distraite par les ondoiements de l’animal. Elle observa d’un œil critique les traits au crayon, en gomma un pour mieux le redessiner et suivit l’entrelacs de câbles imbriqués. Non, ça n’allait toujours pas. C’était certes fonctionnel mais pas durable comme elle le souhaitait et elle n’avait plus d’idées.
Elle s’écarta et se décida pour une balade, l’air frais allait lui changer les idées. Il faisait beau, dehors. Le ciel était d’un bleu rivière et les nuages bougeaient au gré du vent, tels des algues au fil de l’eau. Décidément, se morigéna-t-elle, elle n’avait que cela en tête. Elle avait un air peiné lorsqu’on lui tapa amicalement l’épaule et elle reconnut la voix de Loya, son amie Lunaris.
- Pavonine ! Que fais-tu ici, avec cette tête d’enterrement ?
- Oh, bonjour, Loya. Vois-tu mon système ne marche toujours pas et je ne sais plus que faire.
- Toujours ton projet insensé de vivre sous l’eau ? Ne devrais-tu pas abandonner et profiter de la vie sur la terre ferme ? Tu rates beaucoup de choses ! A propos, tu viens prendre un verre ?
Elle s’apprêtait à refuser, n’en ayant aucune envie, mais ne trouva pas d’excuse. Aussi hocha-t-elle la tête, piteusement. La Lunaris sembla ravie et cela ramena un sourire à Pavonine. Les deux se dirigèrent vers la place la plus proche et commandèrent une tasse de thé pour l’une, un soda à la violette pour l’autre. Elles discutaient tranquillement – ou du moins, Loya babillait joyeusement pendant que la Flamiris l’écoutait d’une oreille distraite – lorsque cette dernière réalisa quelque chose.
Elle touillait sa boisson avec sa paille, observant le mouvement du liquide distraitement. Et une pensée lui vint. D’où provenaient les bulles ? Ça n’était pas elle, elle ne soufflait pas dans la paille. C’était donc que l’air dont elles étaient chargées existait déjà dans le soda. Elle se redressa d’un coup, interrompant Loya. Elle sortit quelques floryns et s’excusa précipitamment, avant de rentrer chez elle sous l’air interloqué de son amie.
Elle prit à peine le temps de poser ses affaires, ses yeux étaient déjà fixés sur son croquis, à son bureau. S’emparant du crayon, elle ajouta une hélice ici, un moteur là et l’inspiration guida sa patte. Quelques minutes plus tard, elle posa sa règle et son compas, elle avait fini les dernières mesures. Lâchant un petit cri de joie, elle reprit son sac et ressortit pour revenir une heure plus tard, les yeux pleins d’étoiles et le dos chargé de matériel.
On ne la vit pas des jours suivants, elle se focalisait entièrement à sa construction étrange, ne prenant que quelques pauses pour manger, dormir et faire ses besoins. Puis ce fut prêt. On la vit alors traverser le village d’Elkim, à l’est de Sandisia, vers la mer, son barda sur l’épaule, bien calé entre ses deux ailes. Loya, qui n’aimait pas être enfermé et se trouvait souvent dehors, l’entendit plus qu’elle ne la vit et la suivit, curieuse. Elle la rattrapa alors qu’elle descendait sur la plage, l’accompagnant.
Pavonine lui expliqua alors qu’elle avait enfin réussi à concevoir un appareil lui permettant de respirer sous l’eau. La Lunaris ne la croyait pas et une lueur de pitié s’alluma dans son regard, tandis qu’elle expliqua à la Flamiris qu’elle était une créature de la terre et de l’air, pas de l’eau. Qu’il ne lui serait jamais possible de vivre dans l’océan, qu’il fallait qu’elle comprenne et renonce. Là, Pavonine se tourna vers elle, bien décidée et lui dit :
- C’est mon rêve, jamais je n’abandonnerai. Un jour, j’y parviendrai, peut-être bien aujourd’hui !
Loya secoua la tête, dépitée. Elle ne savait pas comment lui faire entendre raison et souffrait de voir son amie poursuivre ce qu’elle considérait comme une chimère. Aussi, tristement assise, elle l’observa assembler des tuyaux, brancher des câbles dénudés et visser une boîte dans laquelle elle avait tout enfermé. Une fois qu’elle fut satisfaite, elle l’accrocha soigneusement dans son dos, s’empara du masque qu’elle avait conçu et salua Loya.
- Tu n’oublieras pas de nourrir Bulle, hein ?
Puis, sans attendre la réponse de son amie, elle s’enfonça dans les vagues sous les yeux surpris d’une famille de Stoufix qui profitait du beau temps. Ce fut un magnifique ratage. Pavonine ressortit moins de cinq minutes plus tard, crachotant de partout. Loya vint à sa rencontre et l’aida à rentrer, mi amusée, mi-inquiète devant la détermination de son amie qui ne prenait pas son échec comme une fin mais une étape.
Lorsqu’elle réessaya, elle était là. La deuxième comme la cinquième fois. Un jour, un Tohylis qui passait par là s’approcha avec curiosité de la Flamiris échouée qui cherchait ce qu’elle avait bien pu oublier. Il observa le tout avec un regard intelligeant et commença :
- Si vous permettez, je crois que vos joints ne sont pas très étanches. Si vous le souhaitez, je peux regarder avec vous ?
Loya n’avait pas eu le temps de le stopper, déjà, Pavonine était sur ses pattes, à nouveau enthousiaste. La fois suivante où elle se dirigea d’un air décidé vers les flots, elle était encore là. Pour la première fois, elle réalisa à quel point son amie était décidée et qu’elle parviendrait sûrement à ses fins. Elle avait raison. Lorsque la Flamiris plongea sous l’eau, elle ne ressortit que plusieurs minutes plus tard, exultant. Elle cria un « ça marche ! » avant de replonger. Et encore, Loya était certaine qu’elle l’avait juste dit pour ne pas qu’elle vienne la chercher à la nage, la croyant en train de se noyer. Car, déjà, elle explorait avec avidité les fonds marins.
Lorsqu’elles rentrèrent chez Pavonine, ce soir-là, elle comprit en la voyant empaqueter quelques affaires qu’elle s’en allait pour de bon. Et elle fut surprise de n’être pas si triste. Non pas qu’elle ne tenait pas à son amie, mais sa joie, son enthousiasme et sa ténacité lui faisaient plaisir. C’était ce qu’elle souhaitait, ce qui la rendait heureuse et elle n’aurait jamais pu se contenter d’une vie sur terre. Lorsqu’elles se dirent adieu, le lendemain, elle lui fit promettre de revenir un jour et rentra chez elle avec Bulle. Elle n’était pas déçue. Elle était fière d’avoir une amie qui se battait pour ses rêves, qui faisait ce dont elle avait envie. Elle décida ce soir-là de rentrer à Duno, retenter l’école d’art qu’elle avait fui, par crainte de l’échec. Cette fois, elle y entrerait et n’en ressortirait qu’avec le diplôme dont elle avait toujours eu envie en patte.
Pavonine, pour sa part, passa plusieurs semaines à explorer la mer. Elle apprit à se nourrir d’algues et se diriger avec les courants marins. Elle s’émerveillait chaque minute de ce qu’elle découvrait, là où quelque créature normale n’aurait vu que des bancs de sable. Pour elle, tout était nouveau et fascinant. C’est ainsi qu’elle parvint à une ville abyssale. Elle entra, curieuse de cette construction assurément gothicatienne. Il y avait des coquillages géants et des coraux un peu partout, entre lesquels avaient été conçus de genre de grosses bulles rocheuses. Visiblement d’étranges habitations, adaptées à ces profondeurs.
Elle croisa des Ekoyus et des Neptulys, qui la regardaient avec surprise. Elle s’approcha et découvrit alors qu’elle avait du mal à parler avec son masque sur le museau. L’un des habitants sembla comprendre et la mena dans un des bâtiments étranges, tout rond. En y entrant par le bas, elle fut surprise de découvrir une bulle d’air qui y était bloquée. Ôtant son attirail, elle remercia son sauveur. Il se présenta comme étant Illìot et se montra fort curieux de ce qu’elle avait accompli puis alla même chercher un mage Neptulys qui s’esclaffa de ce qu’elle avait inventé. Elle fut un peu vexée, mais lorsqu’il incanta, illuminé de blanc, et qu’elle vit son invention diminuer en taille et se glisser doucement sous ses écailles, elle resta gueule-bée.
Il l’invita à essayer de respirer sous l’eau et, lorsqu’elle constata que cela fonctionnait, fut émerveillée. Il expliqua qu’il avait relié les tuyaux à ses poumons et que ceux qui dépassaient n’étaient que ceux qui allaient chercher l’air présent dans l’eau, afin de l’alimenter. Il conclut en disant qu’elle avait désormais des branchies à la fois technologiques, magiques et organiques. Et que si elle souhaitait revenir un jour sur terre, elle n’aurait qu’à boucher un tuyau – là – pour bloquer l’arrivée d’eau. Pavonine lui sauta au cou, follement heureuse. Elle avait accompli son rêve.
Elle s’installa définitivement en ville, partant parfois pour des mois d’exploration, jamais rassasiée des merveilles sous-marines qu’elle découvrait. Illìot était son premier ami marin et l’accompagna souvent, s’amusant de la curiosité jamais assouvie de sa compagne de voyage. Il se montra curieux de découvrir la surface et ce fut l’occasion parfaite de retourner saluer Loya et lui présenter son ami. Cette dernière, qui n’était rentrée que pour quelques jours, par pur hasard, la remercia chaleureusement de lui avoir donné l’envie de se battre pour ses rêves et c’est ainsi que Pavonine découvrit qu’elle avait inspiré l’une des rares créatures terrestres dont elle avait été proche. Cela lui fit plaisir et elle se dédia à partir de ce jour à aider les autres à accomplir leurs buts et devint une ambassadrice entre le monde marin, terrestre et aérien.