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Messagepar New Mentali » 08 Juin 2020 16:46

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Année : après 95...



Je m’ennuie. Il ne se passe rien. Je fixe la ville qui s’étend à perte de vue en contrebas. Je n’aime pas l'air ici.

« Pigné ? »

Je lève lascivement la tête. C’est Azken. Que fait-il ici ? Il est censé être très occupé en ce moment… notamment avec la ratification des modalités pour la création de l’Assemblée.

« Comment vas-tu ? Les affaires marchent ?
- Je vais bien. C’est calme en ce moment. Et toi ? »

Il s’assit à côté de moi, au bord du toit, les pieds dans le vide.

« Un peu fatigué, mais je tiens le coup. Nos projets avancent doucement. Les chefs des nations semblent peu à peu faire confiance à ce nouveau système. Nous les avons rassurés, même si on sait tous que les premières années seront les plus dures. Ils ne faut pas qu’ils aient l’impression de perdre du pouvoir, et pourtant il faut en transférer au peuple. Dans les faits, nos réformes ne donnent que le droit de s’exprimer aux habitants, ils n’ont aucun droit de décision. Je pense que c’est ce qu’il faut.
- Et qu'est-ce qui t’amène ici ?
- Je venais voir si la Banque de Services se mettaient en place comme il le fallait. Le transfert du FAUCON s’est bien passé ? Tu as du y assister, non ?
- Oui. Le plus dur a été de rassembler tous les documents qui trainaient à droite à gauche. Maintenant que les bureaux sont installés, tout rentre tranquillement dans l’ordre. Le chef de service Sounsa est patient et attentif. Il a très bien pris la situation en main, il connaît bien son travail. Heureusement, je ne suis pas sûr que j’aurais été capable de gérer tous les problèmes !
- Oui, j’ai été le voir. Il n’est pas mécontent d’avoir de nouveaux bureaux neufs et ne semblent pas hostiles au nouveau système. Il espère simplement que tous les chefs accepteront de payer les services proposés, car il sait leur importance dans la vie des habitants. Mais je ne m’inquiète pas, je sais que les hauts placés savent combien FAUCON a apporté à leur peuple.
- Tant mieux alors… mais pour l’instant, les bureaux ne sont occupés que par FAUCON. Est-ce que d’autres vont venir ?
- La caste est de Lurra devrait s’installer également. Kerme négocie ce déplacement en ce moment. J’ai beaucoup d’idées pour cette banque de service, mais tout est à créer, ça prendra des années. Et pour le moment, poser toutes les instances de notre système est le plus urgent.
- Quelles sont tes idées ?
- Eh bien, il serait intéressant de développer un système de santé accessible à tous par exemple. Je veux dire, peu de personne ont la chance de pouvoir s’offrir un médecin ou des médicaments. De même pour l’école. Mais tout ça demande d’avoir des bâtiments un peu partout sur le Continent et de décentraliser alors que nous sommes en pleine structuration et qu’il est plus simple que tout soit groupé.
- Je comprends. Je pourrais peut-être y réfléchir ? Je ne sais pas si je serais capable de monter quelque chose de cette ampleur… mais je peux essayer d’enrichir tes idées.
- N’hésite pas ! Et puis, si tu as des questions, le chef Sounsa pourra peut-être y répondre.
- Oui. »

Je souris. Aucun d’entre nous n’avait une seconde pour souffler depuis la réussite de notre coup d’état. Il fallait rassurer, construire, créer, réécrire. Nous nous sommes répartis les tâches selon nos domaines de prédilection.

« Tu as des nouvelles des autres ?
- Hm… Kerme fait le tour des castes en ce moment. Il en recense les membres et leurs affectations. Pendant ce temps, Erortzen épluche les différents bataillons dont nous disposons. L’armée continentale est assez bordélique… je comprends pourquoi les forces d’intervention n’était pas à leur maximum. De nouvelles obligations vont être adoptées à son propos. J’ai réussi à négocier avec tout le monde.
- Il y a du travail…
- En effet ! Osasun, Kaosa et Sua sont occupés à déchiffrer les finances. C’est très difficile avec tous les détournements qui ont été fait, et ce ne sont pas forcément des professionnels. J’aimerai les aider mais je manque de temps.
- Tu t’y connais en finance ?
- Plus que tu ne le penses. Mon père tenait absolument à ce que je les étudie pour être capable de reprendre son commerce.
- Et euh… il ne pourrait les aider ?
- Qui ? Mon père ?
- Oui.
- Je me vois mal le lui demander. Nos relations ne sont pas des meilleures, tu sais…
- Ta sœur alors ?
- Les filles ne sont pas éduquées pour faire ce genre de chose, elle serait aussi perdue que nos trois compères. Je serais plutôt d’avis à demander s’ils ont un expert chez les Pirates.
- Et… on ne peut pas demander de l’aide aux anciens conseillers ? Ils doivent bien les connaître, eux, les finances.
- Je ne leur fais pas confiance. De plus, on compte leur faire rembourser tout ce qu’ils ont volé, pas sûr qu’ils ne tentent pas de magouiller.
- Je vois… d’ailleurs, comment ça se passe avec Azmin ?
- Il reste roi des garous, comme ce qui était prévu. Il est très hostile avec nous, ce qui se comprends puisqu’on fouille beaucoup le château et qu’on le démet de ses fonctions d’empereur.
- Je vois.
- Ensuite, Txiki et Oun se sont rendus sur les terres gelées pour entamer une discussion avec les Selkies.
- Ils sont toujours sous la dominance des elfes ?
- Oui. Nous souhaitons leur rendre leur territoire, mais ce ne sera pas chose aisée. Arrano et Zizare sont affectés à la transmission des messages. Grimgrim s’assure que la situation sur l’île du sud reste stable. Pour le moment, les fées ont le droit d’élire et de se faire élire, mais je préfère que nous restions méfiants jusqu’aux prochaines élections.
- Elles sont dans combien de temps ?
- Deux mois. Ils élisent leurs délégués.
- Quel est leur rôle déjà ?
- Hm… en gros, il y a deux élections pour les elfes de l’île du sud. Elles sont font tous les six ans avec un décalage de trois ans. Les premières sont pour les délégués qui forment un groupe de conseillers. Ils sont un intermédiaires entre la population et le président, élu à l’occasion de la deuxième élection. Ils proposent notamment des lois, demandent la révision d’autres, mais aussi des financements pour tels ou tels projets. En gros, ils peuvent tout faire du moment qu’ils demandent l’accord du président et d’une certaine proportion de délégués. Il en est souvent élu une cinquantaine.
- Je vois. Et Ezer, que fait-il ?
- Il saute d’un dirigeant à un autre. Il leur demande leur avis, leur besoin, ce qu’ils aimeraient… il crée du lien quoi. Cela me permet d’ajuster mes textes pour qu’ils passent mieux. C’est dur de mettre tout le monde d’accord et de garantir un équilibre entre les territoires. Si encore tout le monde avait le même système, ce serait simple mais là, il faut respecter les coutumes de chacun en respectant l’égalité des espèces dans notre organisation. Notre but est la coopération, pas d’écraser tous les peuples par un même modèle. C’est là toute la subtilité…
- Je comprends que tu ne t’ennuies pas.
- Oui, heureusement qu’Ezer m’aide. Quand il rentre, jamais longtemps mais ça arrive, il m’aide à corriger et à rédiger. Il est aussi fatigué que moi, mais nos progrès sont encourageants. Je suis content de m’être lancé là-dedans… j’ai hâte que tous les rouages s’imbriquent et tournent ! Si tu savais !
- Moi aussi ! »

Je baisse les yeux. J’ai une pensée pour celui qui aurait dû nous guider et réaliser ses ambitions à nos côtés.

« Je suis certain qu’il est fier de nous, souffle Azken. »

Moi aussi. Je suis sûr que de là haut, Zorigaitza nous observe. Tout ça, c’est grâce à lui… Nomnos aussi doit être avec lui. Tous les deux doivent se réjouir de nos réussites. Le monde tel qu’il est en train de se renverser est leur héritage.

« Je ne vais pas pouvoir rester plus longtemps avec toi, Pigné, j’ai encore beaucoup de choses à faire. »

Il se lève, souriant. Je le trouve heureux. Je crois que ce travail lui plaît.

« Rentre bien alors et soit prudent !
- Fais attention à toi aussi !
- Merci. »

Il me salue de la main et file. Je le suis du regard. Il se donne à fond. Je devrais en faire de même ! Peut-être que le chef Sounsa a besoin d’aide pour quelque chose ? Je me lève à mon tour et saute au sol. J’utilise ma magie pour amortir mon atterrissage, le toit est plutôt haut. Je rejoins la porte du bâtiment et me glisse dans ses couloirs. Quelques personnes en vêtements vert foncé circulent, portant des paquets de lettres ou des cartons. Ils font les livraisons. Mais ce qui les distingue vraiment, c’est un tissu jaune fluo, communément attaché en brassard ou en bandana.
J’en connais certain. Nous nous saluons brièvement. Je continue ma route jusqu’au bureau de Sounsa et frappe à la porte en bois.

« Entrez ! »

Je me glisse dans la pièce.

« Bonjour chef, j’espère que je ne vous dérange pas ?
- Aucunement Pigné. Que me vaut l’honneur de ta visite ?
- Je venais voir si vous aviez besoin d’aide.
- Ça ira, je suis en train de résumer les dépenses et les recettes du FAUCON. Je pourrais ensuite m’attaquer aux paies de tout le monde. En revanche, si tu t’ennuies, il faudrait trier les nouveaux arrivages de courrier. Demande à Fleez de te montrer.
- C’est ce que je vais faire alors ! Merci !
- Merci à toi, jeune homme ! »

Je souris. J’aime bien quand il m’appelle comme ça, il a un ton doux et solennel. Et puis, je crois que j’oublie un peu que je suis un dragon… je me sens finalement plus proche des humains.

Je sors du bureau, et me dirige vers l’entrepôt. Là, plusieurs personnes s’activent à trier, ranger, compter les lettres et colis à envoyer. Je repère Fleez en train de nombrer des paquets qui viennent d’arriver. Je m’approche de lui. C’est une harpie bien bâtie et aux plumages bruns parsemé de reflets dorés. Il a attaché son tissu jaune autour de son coup.

« Fleez ? Je peux t’aider à trier ?
- Si tu veux, gamin. Je suis en train de compter les arrivages. Je les mets par paquet de dix. Tu peux prendre ceux déjà fait. Tu regardes les adresses, et tu les ranges par territoire dans les étagères. Pigé ?
- Pigé ! »

Fleez est gentil, même s’il est parfois un peu rude dans ses propos. Il me traite toujours comme un enfant sans jamais être dévalorisant, c’est agréable.

Je fais ce qu’il dit. Il compte plus vite que je ne range : les étagères sont immenses et remplissent un entrepôt pas moins impressionnant. Faire des aller-retours avec les courriers est assez éreintant, et c’est souvent sur cette tâche que les nouvelles recrues se font la main avant de partir en distribution.

Si le rôle de fauconnier, c’est le nom des personnes qui distribuent, est réservé souvent aux harpies, aux fées, aux garous et aux dresseurs de griffons ou d'hippalectryons, il arrive parfois que des hommes à pied rejoignent les rangs. Pour eux, l’endurance et la vitesse sont des qualités essentielles s’ils ne veulent pas se faire remplacer. Ainsi, on les teste les premiers jours sur des aller-retours dans l’entrepôt. Finalement, fauconnier est un métier très physique qui demande de savoir lire et s’orienter, même si beaucoup de livreurs ont un secteur prédéfini.

Lorsque Fleez termine de compter, il vient m’aider à tout ranger.

« Qu’est-ce que tu projettes maintenant que nous sommes installés, gamin ? Tu ne venais que pour surveiller, n’est-ce-pas ?
- Hm… je vais me pencher sur le développement de nouveaux services, j’imagine. Il reste des bureaux vides, ce serait dommage de ne pas les utiliser !
- Tu l’as dit ! Mais avant de développer de nouvelles choses, prend soin de t’assurer que ce qui existe déjà fonctionne bien.
- Hm ? Le FAUCON a des difficultés ?
- Pas spécialement, c’est un conseil général. Le FAUCON vole bien parce qu’il a de l’expérience et qu’il est déjà bien implanté, nos relais sont nombreux et répartis sur le Continent entier. Ces derniers changements bouleversent peu notre manière de travailler. Désormais, on ne s’occupe plus de la gestion de l’argent puisqu’on n’est plus payé avec la lettre à livrer. C’est un gain de temps considérable, même si certains sont inquiets pour leur paie. Et puis, se promener avec de l’argent, ce n’est pas la chose qui nous met le plus en sécurité alors je pense que ces réforme sont positives pour le moment.
- Je suis content que ça plaise.
- Si tu veux mon avis, un bon service est un service facile d’accès pour la population. Le FAUCON dépose les lettres chez les gens, ou à défaut dans les villages lorsque c’est trop excentré, les gens n’ont presque aucun effort à fournir.
- Oui, je comprends.
- Je pensais, peut-être qu’il serait intéressant de joindre les Pirates à la banque de service ? Ils offrent l’information, je ne suis pas sûr que ce soit un service à part entière mais ils ont quand même un rôle important. Ils pourraient remplir les bureaux ?
- C’est une idée à creuser mais je pense que ce sera difficile. Les Pirates ont toujours été très indépendants et ça fait partie de leur revendication.
- Mais maintenant qu’ils ont légalisé leurs activités, la situation est différente. Après avoir été si longtemps chassés, peut-être qu’ils attendent qu’on leur tende la main ? Tu ne crois pas ?
- Peut-être… J’y réfléchirai ! »

Il est vrai que dans le fond, Fleez n’avait pas tord. En revanche, toutes ces années menacés, les Pirates ont développé leur propre moyen de survie. Ils n’avaient probablement pas beaucoup besoin d’aide… mais je pouvais toujours demander ! Kaosa pourrait m’aider, elle doit être au courant de ce genre de choses ! Azken a dit qu’elle s’occupait des finances, je pourrais aller la voir. Je n’ai plus grand-chose à faire dans le coin pour le moment.

________________________________________________________________________

Le château est carrément effrayant… pire que les souterrains de Lurra. L’ambiance est écrasante, tout le monde a un regard dur et solennel. Le garde qui m’a reçu me guide dans le dédale de couloir. Tout est richement décoré, du sol immaculé jusqu’au plafond haut et sculpté en passant par les murs dorés et orné de tableaux. Ce n’est pas laid, mais ce n’est pas moins style non plus.

L’homme en armure légère s’arrête devant une pièce et toque à la porte.

« Entrez ! crie une voix qui paraît… lointaine ? »

Il pousse la porte et me fait signe d’entrer. Je ne le contrarie pas. La pièce est immense ! Ce ne sont que des étagères de livres et de papiers partout ! C’est complètement démentielle ! Il y en a du sol au plafond et tout a l’air plein ! Même le bureau de Zorigaitza n’était pas aussi impressionnant.
Le garde ferme la porte derrière moi, je n’ai pas le temps de le remercier.

« Pigné ! »

Je lève la tête. C’est Sua, il est en haut d’une échelle, quelques livres dans les bras. Il semble content de me voir.

« Salut ! »

Il descend de l’échelle.

« Comment vas-tu ?
- Bien et toi ?
- Le nez dans les registres comme tu peux le voir. Ce n’est pas très passionnant mais c’est important. Le FAUCON est installé ?
- Oui, tout s’est bien passé. Le plus dur a été de ranger les documents, ils en ont plein.
- Ah la paperasse ! Il y en a toujours de trop !
- Oui mais c’est utile. Cela permet de stocker beaucoup d’informations, qui plus est peuvent être accessibles à tous.
- Possible. Bref, qu’est-ce qui t’amène ? Tu viens nous aider ?
- Non, désolé, je venais voir Kaosa. Je voulais lui poser quelques questions.
- À quel sujet ?
- Pirates.
- Elle doit être dans le fond. Je finis de chercher mes registres et vous rejoins.
- Merci ! »

Je lui souris et m’enfonce entre les étagères. La pièce est immense. Je crois que je pourrais m’y perdre… j’essaie de repérer les magies de mes camarades. Je sens celle d’Osasun un peu plus loin. Kaosa et avec un autre homme que je ne connais pas, ils sont sur ma droite.
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Messagepar New Mentali » 08 Juin 2020 21:04

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Année : été 93



La une d’aujourd’hui est surprenante. Les dragons auraient offert un œuf à l'empire. Je n’y crois pas une seconde. Pourquoi auraient-ils fait ça ? S’ils considéraient une seule seconde le Continent, ils commenceraient par venir au Conseil. Enfin, c’est mon avis. Mais cet œuf, il doit avoir des parents… sont-ils d’accord ? Les rumeurs disent les dragons sont très protecteurs. Ce doit être vrai avec les petits aussi. Je pense qu’il y a anguille sous roche.

Et puis, cet œuf est en tout point considéré comme un bien dans l’article, comme si on oubliait l’être vivant à l’intérieur. Que voulait en faire l’empire ? Une monture ? Une arme ? La puissance des dragons n’était plus à prouver, ils allaient forcément s’en servir. Je ne connais pas de dragon, je n’en ai même jamais vu de mes propres yeux, mais ils ne doivent pas être plus bête que n’importe quelle autre espèce s’ils ont un siège au Conseil. Ce petit aura probablement envie de devenir autre chose qu’un objet…

Je tourne la page suivante. Une nouvelle boutique s’est installée à Koudre, les récoltes estivales sont mauvaises pour les caprins suite à des invasions d’insectes, une nouvelle tempête a frappée les harpies du nord, …

« Des nouvelles intéressantes ? »

Je reconnais la voix d’Ezer.

« Oui. »

Je lui montre la première page.

« Oh ! C’est surprenant ! Mais c’est « Le Continental », c’est un ramassis de mensonges. On en apprendra plus en lisant « Le Pirate ». Il arrive demain.
- Ce n’est pas des mensonges, c’est simplement censuré, c’est différent.
- Il n’empêche qu’ils ne disent pas tout ! »

Je ne peux pas le contredire là-dessus. Il passe son chemin alors je continue ma lecture.

________________________________________________________________________

Le lendemain, le fameux journal des Pirates arrive. La une ne parle pas de dragons ou d’œuf, mais du blocage d’une école de fille. J’ai un pressentiment. Ça se passe à Atka… ce sont les demoiselles en dernière année qui lancent le mouvement et elles sont menées par nul autre que Tara. Elle n’a pas perdu de temps ! Je suis fier d’elle ! Il va falloir que je me démène aussi pour ne pas faire tâche à notre prochaine rencontre. L’article raconte qu’elles ont empêché la tenue des leçons, elles réclament le droit de se marier selon leur volonté, d’avoir la même éducation que les garçons et les mêmes libertés. Le mouvement a cependant du mal à tenir, les adolescentes reçoivent beaucoup de réprimandes, notamment de leur propre famille. Elles sont déterminées mais peu soutenues en somme.

Cela peut s’expliquer : elles ne pénalisent qu’elles-mêmes en bloquant simplement l’école. Celle-ci se situe dans les quartiers riches, seuls des nobles et des grands bourgeois y passent, pour eux, il n’y a pas de raison de se plaindre. J’espère que Tara va y réfléchir vite pour faire tenir son mouvement, qui semble avoir déjà du mal à vivre quelques jours. Elle doit trouver des solutions. Elle va les trouver. J’en suis sûr. Il le faut.

Le reste du journal ne traite nulle part du sujet attendu. Pourquoi n’y a-t-il pas d’article sur un événement qui a fait la une la vieille ? Je suis certain qu’ils avaient le temps d’écrire un article… alors quoi ? Peut-être qu’ils n'avaient rien à redire ? Ou alors ils n’avaient pas assez d’éléments ? Je ne suis pas vexé qu’ils me donnent des nouvelles de ma sœur, mais ce n’est pas ce à quoi je m’attendais. Ça m’étonnerait qu’une affaire qui fasse la une soit trop obscure pour que les Pirates se taisent. Cela signifie que l’article hier ne racontait que la vérité ? J’ai du mal à l’admettre.

« Des nouvelles intéressantes ?
- Non. »

Je tends le journal au garou. Qu’il constate par lui-même et qu’il en tire des conclusions !

« Merci ! »

Il prend le journal et commence sa lecture. Je me lève, je dois faire du tri avec Osasun aujourd’hui. Les placards de l’infirmerie sont plein, et ça ne me plaît pas. Je suis sûr qu’il y a des choses trop vieilles, ou carrément inutiles là-dedans.

« Azken ? »

Je me retourne. Ezer lève les yeux du journal.

« La une, elle est intéressante.
- Si tu le dis ! »

Il me sourit malicieusement, je détourne le regard. Il n’y a pas encore de quoi se réjouir. C’est trop tôt.

Je rejoins l’infirmerie. Osasun n’est pas encore là. Je ne l’ai pas croisée ce matin… j’espère qu’elle ne fait pas une grasse matinée. J’ouvre les deux armoires pleines et les placards sous la table centrale. Je commence à les vider, disposant herbes, fioles et sachets ensemble, un peu en vrac. Qui a mis tout ça là-dedans franchement ? Moi et Osasun… enfin surtout elle, je n’ai pas eu encore le temps de constituer beaucoup de stock. Ça doit faire des années que ça n’a pas été rangé.

Osasun pousse doucement la porte.

« Bonjour Azken, désolée pour le retard.
- Salut, pas de soucis. J’ai commencé à tout vider. »

Elle m’aide à finir. La table est pleine de remèdes en tout genre. Ça va être long… je ne suis même pas sûr de tout connaître.

« Commençons par les plantes ! »

C’était ce qui allait probablement aller le plus vite : elles sont reconnaissables, bien que sèches, par leur forme et leur odeur. Je sais cependant que l’autre elfe n’y connaît pas grand-chose, c’est l’occasion de lui apprendre quelques trucs. Si elle a une magie très pratique, celle-ci n’est pas illimitée et peut-être qu’un jour, cela sera inutile.

J’attrape une première boîte contenant de petites feuilles allongées, brunies. Elles ont l’air encore en bon état. Je regarde Osasun.

« Tu sais ce que c’est ?
- Je ne me souviens plus du nom mais ça sert pour les maux de gorge et les rhumes en tisane.
- C’est ça et je pense que la place de ce genre de chose serait plus la cuisine que l’infirmerie. Je pense que nos camarades sont assez intelligents pour ne pas en faire n’importe quoi, le cas échéant ce n’est pas dangereux. La plante s’appelle du myth. »

Je pose la boîte près de la porte, on l’emmènera tout à l’heure. Je prends une seconde boîte. Il n’y plus que de la charpie dedans.

« Ça, c’est bon à jeter. »

J’ouvre la porte qui m’emmène à l’extérieur et jette les morceaux de végétaux dehors.

Nous continuons de trier les plantes pendant une petite heure. J’essaie d’expliquer à Osasun l’utilité de chacune, même si je sais pertinemment qu’elle ne retiendra jamais tout d’un coup. J’essaie d’insister sur les plus importantes.

Finalement, nous passons sur les sachets. Ils contiennent essentiellement des pastilles ou des fruits séchés, mais il n’est pas rare de tomber sur de la pourriture. Le seul problème, c’est qu’il y a rarement des étiquettes sur ce qui est encore bon, et toutes les pastilles se ressemblent. Je suis incapable de les distinguer et ma collègue est pareille. Nous sommes contraints de les jeter.

Cela nous emmène jusqu’à l’heure du déjeuner auquel nous sommes appelés. J'en profite pour emmener la plante séchée à la cuisine.

« Qu’est-ce que c’est ?
- Du myth, à mettre en tisane pour les maux de gorge et les rhumes. »
Je range la boîte au-dessus d’une étagère sous le regard curieux de Sua.
« On fait du rangement dans l’infirmerie, expliqué-je. Il n’y a pas d’intérêt à y garder ça, autant que chacun se serve selon son besoin.
- Je comprends, assure-t-il. »

L’après-midi, il faut trier les fioles de liquide. C’est le plus difficile et probablement le plus dangereux. J’ouvre les fenêtres en prévision de vapeurs. De toute façon, c’est la saison chaude, autant aérer.

J’attrape le premier flacon. Une étiquette indique « Jus de Solea ». C’est un poison… le solea est un fruit toxique qui peut néanmoins se manger cuit. C’est un bon remède contre la fièvre. Mais du jus comme ça, sans notice de préparation… je me méfierai. Je regarde Osasun.

« À quoi ça sert ?
- Je ne sais pas… beaucoup de ces fioles ont été récupérés à droite à gauche par Grimgrim et moi.
- Par Grimgrim ? Elle s’y connaît ?
- Plus que moi. Ses maîtres étaient herboristes alchimistes, elle a appris quelques trucs d’eux.
- Je vois… tu veux bien aller la chercher ? Elle pourra peut-être m’éclairer sur l’utilité de ce produit. »

Elle s’exécuta. Non mais franchement… garder un truc aussi dangereux au milieu des remèdes, c’est n’importe quoi. Je ne dis pas qu’il faille le jeter, mais au moins le mettre à l’écart. À moins que j’aie vidé une étagère complète de poisons, mais je l’aurais remarqué… et ça n’aurait pas trop d’utilité dans une infirmerie.

Grimgrim pointa le bout de son nez, arborant un sourire joyeux. Elle m’énerve… mais si elle peut aider alors qu’elle se rende utile ! Je lui tends la fiole.

« Est-ce que tu sais à quoi ça sert ?
- Hm… »

Elle tourne la bouteille, déchiffre l’étiquette.

« Jus de Solea ? C’est pas pour la fièvre ?
- Je te le demande. Si tu n’es pas sûre et certaine, je ne prends pas de risque et je jette.
- Jette alors, c’est vieux en plus ce truc-là. Je crois que je ne m’en suis jamais servie.
- C’est rassurant… »

Je jette donc à l’extérieur. Je verrai bien demain si les herbes sont mortes j’imagine…

La prochaine fiole contient un liquide visqueux, sombre, étiqueté « huile de frez ». Ça ne m’inspire rien. Je la débouche. L’odeur est faible, elle ne me permet pas d'en déterminer des ingrédients potentiels.

« J’avais pris ça pour les douleurs d’articulation, remarqua Osasun. J’ai lu que ça fonctionnait bien mais je ne l’ai jamais testé. Personne ne s’est jamais plaint.
- Où l’as-tu lu ?
- « Médecines et plantes » de Tamat Raot. J’avais demandé ce livre pour apprendre un peu…
- Je ne l’ai jamais lu mais j’en ai entendu du bien. Je mets ça de côté, tu me montreras la page.
- D’accord ! »

Le reste de la journée s’écoule. Je jette beaucoup de choses… il n’est pas rare que des odeurs immondes s’échappent des fioles ou qu’il y ait du dépôt dans le liquide.

En début de soirée, les armoires sont rangées et propres. Ça fait plaisir à voir. Les filles semblent contentes d’avoir fini, des sourires étirent leurs lèvres. Je conclus finalement que toutes les deux n’y connaissent pas grand-chose, cela couplé à peu d’expérience. Grimgrim connaît les usages de médicaments courants, sans toujours savoir nommer, sans connaître les ingrédients ou mêmes les doses limites. On voit qu’elle a appris sur le tas. Quant à Osasun, elle s’est beaucoup reposée sur sa magie j’imagine. Elle ne connaît que les bases qu’elle semble avoir appris dans un livre. Sa confiance en elle fait qu’elle a rarement utilisé ses quelques connaissances, ce que je peux comprendre.

En somme, il y a du boulot.

________________________________________________________________________

Le lendemain matin, je remarque Ezer en train d’enfiler son manteau. Il est équipé comme s’il partait en mission… qu’est-ce qu’il fait ?

« Tu pars ?
- Oui. Je vais à la pêche aux infos.
- À quel sujet ?
- L’œuf de dragon.
- Tu rentres quand ?
- Je te manque déjà ? Je ne suis pas encore parti tu sais.
- La ferme. »

Je passe mon chemin. S’il ne veut pas me répondre, je ne vais pas insister !

« Donne-moi trois jours ! »

C’est court pour trouver des informations.

________________________________________________________________________

Je sursaute en entendant la porte s’ouvrir. C’est Ezer. Il est rentré.

« Bon retour, le salué-je.
- Merci. »

Son ton est moins gai que d’ordinaire.

« Tu sais où est Zorigaitza ?
- Probablement dans son bureau. »

Il a l’air préoccupé, ça veut sûrement dire que ses recherches ont payé. J’espère quand même ça ne va nous attirer trop d’ennuis… c’est mauvais signe quand Ezer devient trop sérieux.

Le garou passe. Je me replonge dans ma lecture. Osasun m’a prêté son livre sur la médecine. Il n’est pas mal, même si les conseils et indications restent assez basiques.
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Messagepar New Mentali » 08 Juin 2020 22:25

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Année : 84 environ
Keta est un personnage que j'hésite encore à ajouter à l'histoire.
Le passage est incomplet, je n'ai pas été jusqu'au bout de mes idées.



Ezer s’approcha des deux caprins. Keta manipulait une boule de tissu dans laquelle il glissait des feuilles épaisses et sèches. L’adolescent reconnut des algues.

« Qu’est-ce que vous faites ?
- Une bombe, répondit Sua.
- Une bombe ? Pour la faire exploser ici ? C’est dangereux, non ?
- Keta a dit que non. »

Ezer haussa un sourcil. Si Keta a dit ça, alors c’est faux ! C’était probablement le plus inconscient ici ! Celui-ci arborait d’ailleurs un sourire carrément flippant et ne lâchait pas sa bombe artisanale du regard.

L’adolescent s’accroupit près des deux et surveillait les gestes de l’adulte. Il jubilait en fourrant son tissu. Finalement, il le referma et le ficela.

« Elle est prête ? demanda Ezer.
- Ouais ! Tu veux voir ? fit l’autre plus qu’enthousiaste.
- Pas maintenant ni ici ! C’est dangereux ! Imagine que ça provoque un éboulement !
- Mais non, regarde ! »

Il arma son bras, prêt à lancer son jouet mais l’adolescent lui sauta dessus pour l’en empêcher.

« Ne fait pas ça !
- C’est sans risque ! Laisse-moi faire !
- Sua, aide-moi ! »

Keta se débattait ardemment, mais l’autre caprin se décida à aider le garou à le maintenir au sol. Ezer tentait de retirer la bombe des mains de l’adulte, mais ce dernier n’était pas décidé à le laisser faire. Il lança sa précieuse fabrication en contrebas de la pente dans laquelle ils se trouvaient. Avant que les jeunes puissent se jeter dessus pour la récupérer, il lança une faible boule de feu dessus grâce à sa magie. Le tissu s’embrasa et la fraction de seconde suivante, une explosion claqua l’air. Un souffle décoiffa les trois compères, coucha les herbes aux alentours et les oreilles d’Ezer, et fit rouler des roches. Une brève fumée blanche s’éleva. Rapidement, le ricanement satisfait de Keta ramena le monde à la réalité.

« J’avais dit non ! se fâcha Ezer que la détonation avait plus effrayé qu'énervé.
- Oh, ça va ! Avoue que c’était trop cool !
- Non ça ne l’était pas ! C’est super dangereux ! Et c’est pas discret du tout ! »

Zorigaitza, Nomnos et Zizare apparurent, l’air paniqué. En voyant les trois compères à terre en train de se disputer, Zorigaitza les rejoignit. Il remarqua l’herbe brûlée et le sol noirci là où avait explosé la bombe.

« Qu’est-ce qu’il s’est passé ? s’enquit-il, trahissant une certaine inquiétude.
- C’est Keta ! Il a fait pété une bombe ! dénonça Ezer encore affecté par l’explosion.
- Je leur montrais comment ça marchait bien ! sourit l’intéressé.
- On t’a demandé de ne pas le faire ! s’insurgea l'adolescent.
- Mais vous aviez très envie de voir quand même, tu ne peux pas le nier !
- N’importe quoi ! Si c’était le cas, je n’aurais pas essayé de t’en empêcher !
- Eh ? Tu as peur ? ricana le caprin.
- Du calme tous les deux ! les reprit le meneur. »

Ils se relevèrent silencieusement et enlevèrent la poussière de leurs habits.

« Keta, tu ne devrais pas montrer ça à des adolescents… et encore moins ici, gronda le leader.
- Mais c’est sans danger ! protesta l’autre.
- Justement, ils pourraient se blesser et toi aussi.
- Aucune chance ! La situation est sous contrôle !
- Il n’empêche que je te demande de ne pas recommencer.
- Mais c’est cool les explosions !
- C’est plus dangereux qu’utile dans le cas présent. Ne discute pas. Si tu tiens à faire péter des choses, attend les missions.
- C’est long !
- Nous faisons ce que nous pouvons… »

Keta fit une moue contrariée. Rien ni personne ne l’empêcherait de faire des bombes quand il le voulait… c’était sa passion depuis tout petit et il ne comptait pas y renoncer comme ça !
________________________________________________________________________

« Keta, où tu vas ? appela Sua. La rivière est de l’autre côté ! »

Le caprin s’éloignait des deux adolescents pour s’approcher d’un pic rocheux. Celui se dressait vers le ciel et devait faire six mètres de hauteur, facile.

« Tu crois que je peux l’exploser ? répondit l’adulte.
- Ne dis pas n’importe quoi et viens ! Le linge ne va pas se laver tout seul ! »

Keta rejoignit ses camarades en râlant. Ils marchèrent jusqu’à la rivière et mirent les vêtements de tous les habitants de leur foyer à l’eau. L’eau était claire et glissait entre les rochers, peu profondes. Ils frottaient les tissus avec du savon et les rinçaient.

« Il paraît qu’il fait très chaud chez les pandis et que les récoltes sont très mauvaises.
- C’était dans le journal ? demanda Sua.
- Ouais. Ils commencent à avoir très faim et les puits s’assèchent. Ils appellent ça la sècheresse.
- C’est pour ça que Grimgrim, Erortzen et Arrano sont partis… s'ils allaient voir des fermiers, c’était pour savoir s’ils pouvaient obtenir de quoi nourrir les pandis.
- Oui, mais ça les pandis auraient pu le faire d’eux-mêmes, ils ont des relations commerciales…
- Ils n’ont peut-être pas assez d’argent ?
- Peut-être. Ils n’ont pas l’air d’un peuple pauvre mais c’est possible. Après, le plus gros problème, c’est l’eau.
- Effectivement… ce n’est pas facile à transporter en plus, surtout dans un pays si aride…
- C’est bête de manquer d’eau quand on est coincé entre une mer et un océan… il faudrait pouvoir enlever le sel et la pisse de poisson pour qu’elle soit buvable.
- On boit bien du pipi de nuages, le plus embêtant c’est le sel.
- Oui mais le pipi de nuages, c’est propre.
- Du pipi c’est du pipi !
- Du pipi c’est jaune !
- C’est pas toujours vrai !
- Il n’empêche que la pluie c’est propre ! »

Keta avait profité de cette dispute pour sortir de sa poche un long bâtonnet à mèche. Sans une hésitation, il l’alluma. Les deux adolescents se tournèrent vers lui d’un seul mouvement.

« C’est qu…
- Éteint ça ! hurla Ezer en comprenant. Éteint la flamme ! »

Il sauta sur Keta qui lança le bâton un peu plus loin. Ezer le regarda… avait-il le temps où l’explosion était inévitable ? Avant même de se poser la question, il avait bondi rattrapé l’explosif. Celui-ci avait roulé entre deux cailloux. Il l’attrapa et écrasa l’étincelle entre ses doigts. Cela fait, il soupira de soulagement et se tourna vers le caprin, furieux.

« On t’a déjà dit pas d’explosion ici !
- Tu l’as éteint… la mèche est trop petite maintenant pour s’en servir, râla l’autre.
- Ce n’est pas la question ! Arrête de vouloir tout faire péter ! »

Keta haussa les épaules avec innocence et se replongea dans sa tâche de laver le linge. Ezer soupira d’exaspération, il savait qu’il était vain de raisonner ce malade… il glissa l’explosif dans sa poche pour être sûr que l’adulte ne tente rien de plus avec et reprit lui aussi le lavage des habits. Mais d’où sortait-il toutes ces bombes ? Il ne devait pas les pondre pourtant…

________________________________________________________________________

« Mettons des explosifs dans tous les pagnes, chantonna gaiement Keta. Posons des bombes, des bombes partout ! Faisons sauter toutes ces cervelles de piaf ! »

Et, en plein refrain, il regarda les deux adolescents avec un enthousiasme débordant.

« Devrions-nous réduire le monde en cendre ?!
- Non ! répondit le duo avec la même énergie. »

Sans se décourager, Keta continua sa petite mélodie. Ezer et Sua se regardèrent, d’un accord tacite, lâchèrent un joyeux « La ferme et fais ton job ! ».

Zorigaitza qui les accompagnait, les fixait avec une pointe d’exaspération. Comment faisaient-ils pour supporter Keta et sa folie des explosions ?... Il savait que le trio passait beaucoup de temps ensemble, Ezer et Sua surveillaient le poseur de bombe avec beaucoup d’attention. Mais au-delà de ça, ils semblaient bien s’entendre, après tout Keta avait presque la même maturité qu’eux. C’était comme un grand enfant, quoique qu’un peu fêlé sur les bords.

Le quatuor étaient en train de surveiller les alentours tandis que Nomnos, Zizare, Erortzen et Grimgrim s’occupaient de poser une machine à filtrer l’eau. Postés sur un toit, dans un des rares villages sédentaires de pandis, ils craignaient l’arrivée d’une caste. Elles aussi devaient être en train d’agir pour ravitailler tout le monde… du moins, on pouvait l’espérer.

« J’ai chaud, se plaignit Ezer.
- C’est la sécheresse, remarqua Sua.
- Et puis le sable, ça gratte… »

Ils avaient tous enfilé une tenue de la région, une long tissu fin qui couvrait l’intégralité de leur corps. Ils avaient en plus un foulard pour se protéger du soleil et des tempêtes de sable.

« Vous devriez vous…
- Je peux vous aider ? »

Un pandi se tenait derrière eux, visiblement amusé de leur présence. Les quatre autres se raidirent en constatant un brassard rouge autour de son bras : ils appartenaient à l’armée. Zorigaitza dégaina son sabre, méfiant.

« Du calme ! Je ne suis pas là pour me battre. Vous êtes l’Œil du Corbeau, n’est-ce-pas ?
- Peut-être bien, que veux-tu ? répondit le brun sans baisser sa garde.
- Je me présente, je m’appelle Kerme, je suis un soldat affecté à la caste de la ville voisine. Je suis ici en patrouille avec quelques camarades, pour mieux cerner les besoins de la population. En fait, je pense sérieusement à quitter l’armée impériale pour celle du peuple pandi. Vous savez, les castes sont en train de partir en vrille… on fait plus que de l’intervention auprès de la population. Maintenant, on mène des recherches, on explore des coins méconnus… l’idée n’est pas mauvaise en elle-même mais ça manque de règles. Enfin peu importe. Tout ça pour dire que le système mérite quelques remaniements. »

Il sortit de sa poche un morceau de papier et le plia pour lui faire deux ailes et un nez pointu. Cela fait, il l’envoya et le laissa planer jusqu’aux criminels.

« Sur ce, bonne continuation ! J’espère que nos routes se recroiseront ! »

Et il partit, sautant de toit en toit. Zorigaitza ramassa le papier et le déplia précautionneusement.

« Carrément ? souffla-t-il pour lui-même.
- Qu’est-ce que c’est ? demanda Sua.
- Les jours et les lieux des interventions de sa caste.
- Il n’est pas censé nous filer ça… tu crois que c’est un piège ? remarqua Ezer.
- Peut-être. On peut toujours vérifier… »
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Messagepar New Mentali » 08 Juin 2020 22:37

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Ce texte n'est pas abouti.



Le vent se lève soudainement, les gros nuages sombres qui surplombaient le ciel depuis le matin commencèrent à déverser un torrent de larme sur la terre. Je me lève vivement, ramasse mes hameçons et ma canne à pêche, puis cours jusqu’à la maison, sautant par-dessus les flaques boueuses des sentiers boisés.

Je pousse la porte et la referme aussitôt derrière moi. Quel vent ! La tempête risque d’être violente. Je retire mes chaussures ainsi que mes chaussettes trempées. Je suis gainée. Je dépose ma canne à pêche contre le meuble de l’entrée et pose les hameçons dessus. Le vent souffle furieusement dehors, je suis content d’être rentré ! Les murs grincent, mais ça ne m’inquiète pas, ça fait des années que c’est comme ça. J'ai plus peur qu’un arbre tombe sur le toit.

Je commence à me déshabiller et à placer mes vêtements devant la cheminée que j'entends frapper à la porte. Qui ça peut être par ce temps ? Je cours ouvrir, ne souhaitant pas faire attendre le nouveau venu sous la tempête.

C'est un homme, une capuche lui cachant le visage, qui est trempé jusqu’aux os. Avant qu’il n'ouvre la bouche, je l'attrape par la manche et le pousse à l’intérieur. Il ne résiste pas. Je referme la porte derrière, luttant contre une rafale.

Je me tourne vers l'homme. Qui est-ce ? Il retire sa capuche et me regarde. C’est un caprin d’après ses cornes et ses oreilles de chèvres. Je ne l’ai jamais vu dans le coin. Un voyageur égaré ?

« Excuse-moi de te déranger, je me suis fait surprendre par la tempête.
- Il n’y a de soucis, je me suis pris une saucée aussi ! Si vous voulez, vous pouvez vous réchauffer auprès du feu.
- Merci de ton hospitalité.
- C’est normal voyons ! Je m'appelle Txiki.
- Sua, enchanté !
- De même. Vous voulez boire quelque chose ?
- Je ne veux pas t’embêter.
- Vous ne m’embêtez pas. J'ai pas souvent de la visite alors je suis content quand quelqu’un vient !
- C’est vrai que c’est plutôt perdu par ici. Il ne doit pas passer grand monde. »

Je me dirige vers la cheminée et y remet du bois. Sua s'approche après avoir essuyé ses sabots sur le tapis, et retire sa veste. Je vais lui chercher une chaise. Il dépose son manteau et s'assoit. Je crois décerner une certaine forme de soulagement chez lui à cet instant précis. Il a dû en baver dehors… surtout que c’est en pente ici, il doit venir de plus bas.

« Tu vis seul ici ?
- Non, il y a Zokuro mais il doit dormir à cette heure-ci.
- Avec la tempête ?
- Il n’y a pas encore de tonnerre, donc oui. »

Je sors une casserole dans laquelle je mets de l'eau. J'attrape une poignée de feuille de Syricus que jette dedans. Il va falloir que je refasse une réserve, il n’y en a bientôt plus… de toute façon, je vais devoir descendre au village, les stocks seront vides d’ici quelques jours. J’espère que la pluie d’aujourd’hui ne va pas abîmer les chemins.

« En fait, que faites-vous dans le coin ? Comme vous le disiez, il n’y a pas beaucoup de personnes qui montent jusqu’ici.
- Je suis en voyage. Ma destination finale est dans les montagnes de l'Est.
- Il vous reste un bout de chemin à faire, ce n’est pas la porte d’à côté.
- Je devrais y être dans une bonne semaine. »

Je reviens près de la cheminée et pose une grille au-dessus du feu. Je mets la casserole sur le feu. Dehors, la tempête bat son plein. Ça n’a pas l'air de se calmer. Il fait sombre et ça ne va pas s’arranger, je vais devoir sortir les bougies.

Soudain, un flash illumine la pièce. Un grondement sourd s’ensuit. Ça y est, le tonnerre est là. Et il semble proche.

« On dirait que ça ne va pas se calmer.
- On va en avoir pour la nuit… »

Il semble embêté. Ça ne me dérange pas qu’il dorme ici cette nuit, il y de la place pour trois. Tiens, Zokuro n’est pas encore debout, c’est étonnant. D’habitude, il n’arrive pas à dormir lorsqu’il y a de l’électricité dans l'air.
Pendant que l'eau chauffe, je m'affaire à allumer les bougies, utilisant les dernières allumettes que je possède. Sua semble m'observer du coin de l'œil, je me demande s’il se méfie.

Soudain, un grognement agressif retentit à l’autre bout de la pièce unique. Zokuro vient de descendre du grenier par la trappe. À peine j'eus le temps d'ouvrir la bouche que l'animal avait disparu. Je me retourne. Zokuro a attrapé le sac de Sua et se tient quelques mètres devant lui, le pelage hérissé. Le voyageur s’est levé.

« Rends-moi ce sac ! »

Je ne dis rien. Zokuro est le gardien de la maison, et il ne s’est jamais trompé sur le compte d'un étranger.

« Tu as de la chance que ton espèce ne pullule pas, sinon je t'aurais cramé les poils ! menace Sua. Maintenant sois sage et rends ce sac. »

L'animal gronde de plus belle avant de disparaître avec le sac comme par enchantement. Zokuro a le pouvoir de se téléporter. Je me demande où il est parti… mais il semble m’avoir laissé tout seul là. Est-ce que ça voulait dire qu’il n’y avait que la contenance du sac qui présentait un danger ?

« Est-ce que tu sais où il aurait pu emmener mes affaires ? Je dois absolument les récupérer.
- Elles peuvent être au grenier comme à l’autre bout de la montagne, Zokuro est le seul à savoir il les a mises. Désolé.
- Hmf. Autrement dit, je n'ai plus qu’à le chopper quand il reviendra.
- Zokuro a jugé que votre sac présentait un danger, c’est pour ça qu’il l’a emmené.
- Je vois… tu aurais pu me prévenir que Zokuro est un kinki. J’aurais pris mes précautions.
- Désolé. »

Et la fraction de seconde plus tard, Zokuro était arrivé sur mon épaule, ses petites griffes enfoncées dans mon t-shirt.
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Messagepar New Mentali » 08 Juin 2020 23:15

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« Et elles ont pleurer, elles ont pleurer parce qu’à ce moment précis, c’est la seule chose qu’elles pouvaient faire.
- Je ne te crois pas, il devait forcément y avoir autre chose qu’elles pouvaient faire.
- Non. Rien. »

Je regarde Maman. Elle qui d'habitude prétendait qu’il y avait toujours une solution, la situation devait être désespérée. Et pourtant, elle refusait de me la raconter. Mes frères et sœurs aussi, j'ai toujours été le seul ici à ne pas comprendre leurs pleurs. J'aimerai bien pourtant, pouvoir trouver les bons mots pour les aider à aller mieux, partager leurs souffrances. Mais ils restaient tous cloîtrer dans leur silence. Nous sommes pourtant de la même famille ! Je me sens exclu. J’imagine que c’est pour mon bien, ils doivent juger que je ne suis pas assez fort pour porter ce poids qu’est le leur.

Hegal et Helin rentrent dans la grotte, repliant soigneusement leurs ailes. Les deux femelles tiennent dans leur gueule des lapins fraîchement tués. Elles sont rapidement rattrapées par Koreh qui ramène un bouc. Les trois jeunes chimères posent le repas près de l’entrée de la grotte, mais pas trop en vue de l’extérieur non plus. Se faire voler n'est pas rare. Maman s’approche et les félicite d'un coup de langue affectueux. Je me sens étranger. Je sens ce décalage entre eux et moi. Ce sont des chimères qui partagent le même fardeau, et moi, je suis un garou, sans soucis. Je veux dire je mange bien, j’ai un toit, une famille, tout va bien.

« Ezer, tu viens ? appelle Hegal.
- Oui. »

Je m'approche de ma sœur tout en prenant l'apparence d'une panthère. Nous commençons à manger. Je me sens observé. Je lève les yeux vers Hegal, elle me fixe du coin de l'œil. Je devine qu'elle sent mon mal-être. Je ne suis pas très discret apparemment. Je me concentre sur le repas, fermant mon esprit à ceux qui m'entourent.

Le soleil commence à descendre. L'automne approche, les journées deviennent plus courtes. Je m’approche de la sortie de la grotte. En contrebas, un plateau verdi s'étend. C’est notre terrain de jeu. Je n’ai pas envie de jouer aujourd’hui. Je tourne le regard vers Maman et Helin qui sont en train de faire la sieste. Hegal est partie se promener, elle a dit qu’elle allait voir les harpies. Koreh quant à lui est allongé et joue avec un caillou. Il lève le regard vers moi en se sentant observé. Il finit par se lever et s'approcher. Je le suis des yeux. Sa démarche souple et imposante est toujours agréable à suivre. À ma grande surprise, il ne s’arrête pas, il m'attrape au vol par la peau du cou et m’entraîne à l’extérieur. Je ne proteste pas. Je sais que personne ici ne me fera de mal, alors je les laisse faire.

Il grimpe dans la montagne entre les rochers. Il glisse parfois, mais veille toujours à ne pas que je me fasse mal. Je ne dis rien. Il sait que je peux marcher. Koreh aime jouer au dur, c’est le mâle de la portée après tout. Après de long moment d'escalade, il choisit de s’arrêter sur un rocher qui surplombe le vide. En dessous, il y a une vue imprenable sur le plateau et l'horizon. Des montagnes de chaque côté, une brève forêt et des plaines vertes, hérissée de quelques rochers perdus. Une rivière barre ce paysage aux couleurs variés.

Koreh me pose sur le sol avant de s'allonger contre moi. Je reprends mon apparence humaine, ne comprenant pas très bien ce qu’il attendait de moi. Sans me répondre, il plante son regard vers l'horizon. J’aurais eu beaucoup d'espoir d'attendre une réponse de Koreh de toute façon. Je soupire silencieusement, avant de m'asseoir contre son flanc. Sa respiration est calme, son pelage tiède. C'est ce que j'aime chez mon frère. Sans rien dire, il est calme et apaisant. Je ferme les yeux, profite pleinement de cette sensation, je me blottis un peu plus contre lui, passe mes doigts dans son épaisse crinière. Sérénité.

J'ouvre lentement les yeux, l'esprit embrumé. Je crois que je me suis endormi. Je regarde autour de moi, me frotte les yeux. Koreh n'a pas bougé, mais le soleil décline dangereusement. Je m'étire et me redresse.

« Excuse-moi, je me suis endormi. »

Koreh me regarde, calme, avant de me donner un petit de museau. Oui, je sais, les filles vont s’inquiéter. Je le regarde, le corps encore un peu coton. Je m'étire tandis que mon frère se redresse. Il prend la tête du retour. Je le suis et pose une main sur son flanc pour m'aider à ne pas tomber sur les rocs abrupts. Malgré ses membres dépareillés, Koreh est stable et montre un bon sens de l’équilibre. Soudain, il s’arrête et grogne. Je m’arrête aussi et regarde autour de nous, cherchant la menace. Avant que je ne puisse la trouver, la chimère ne pousse en arrière et se tourne vers le danger. Un serpent de la couleur des roches ondule devant nous. Il siffle en sentant notre présence.

Koreh commence alors à frapper le sol de sa patte, répétitivement. Le serpent siffle de nouveau, énervé par les vibrations. Koreh recule, ce n’était pas la réaction qu’il attendait. Il voulait que le serpent prenne peur et s'enfuit. J'attrape une des plumes qui composent sa queue et le tire doucement en arrière. Cherchons une autre route. À peine a-t-il tourné la tête vers moi que le reptile attaque.

« Koreh ! »

Je me jette en avant. C’est de la folie, mon corps a réagi seul. Je n'ai aucune chance, je vais me faire mordre. Et pourtant, je plonge, les mains en avant. Je parviens à agripper la base du cou du long reptile, l’empêchant de mordre Koreh. Il change de cible et pique mon avant-bras. Cela laisse le temps à mon frère de fondre dessus et de lui briser le crâne entre ses crocs. Il jette le corps dans des fougères, un peu plus loin. Je m'assoie et passe ma main sur les points rouges que m'a fait le serpent. Je dois rester calme, sinon le poison va se propager plus vite. C’est plus simple à dire qu’à faire, j'ai très peur. J'ai peur d'y passer. J'ai mal. Koreh donne un coup de langue sur ma morsure, je lève les yeux. Il essaie de m'apaiser, mais je sens qu’il n’est pas serein.

La chimère se redresse, prendre une profonde inspiration et rugit. Je sens le sol vibrer sous la puissance de son cri : un rugissement emprunt à la détresse qui traverse la montagne et transcende les rocs. Il répète une deuxième fois son appel, puis se couche contre moi. Sa respiration est plus rapide que tout à l’heure mais je vois qu’il essaie de ne pas céder à l’inquiétude. Je dois faire pareil. Je me concentre sur ma respiration et m'efforce de la ralentir le plus possible.

« Koreh ! Ezer ! »

Koreh lève brusquement la tête.

« Maman ! Ezer s’est fait piqué par un serpent ! Il était de la couleur des roches et faisait environ une longueur d'aile. »

Maman se posa près de moi, lécha ma blessure et leva les yeux dans ma direction.

« Comment tu te sens ?
- J'ai peur.
- Ne t’inquiète pas, ça ira. Je vais t’emmener voir quelqu’un qui pourra te retirer le poison. Mais il faut que tu restes calme. »

Je hoche la tête. Elle m'attrape entre ses serres, fait signe à Koreh de rentrer, et prend son envol. Je ne sens pas d’inquiétude chez elle. Elle ne sourit pas pour autant. Je pense qu’elle cache ses sentiments pour ne pas me troubler. J'ai peur. Est-ce que je vais m’en sortir ? Est-ce qu’on va réussir à me soigner ? J’ai peur. Je veux encore vivre. Reste calme, inspire… expire.

Je regarde le sol sous mes pieds. Je ne reconnais plus trop le paysage, il y a notre plateau au loin, et après, des lieux où je ne me suis pas encore rendu. Si je survis, j’irai les voir.

Nous volons un moment, ou du moins, cela me parait durer des heures. La nuit tombe, mais le couché de soleil me semble insignifiant. J'ai peur. Je commence à avoir du mal à contrôler ma respiration. J’ai mal. Je vais paniqué. C’est alors que Maman entame sa descente vers le sol. En bas, il y a un petit village avec des maisons en pierre. Je n’en avais jamais vu auparavant. La curiosité me fait un peu oublié ma situation. Les rues sont vides, mais de la lumière sort des fenêtres. C’est plutôt joli, ça réchauffe le cœur. C’est comme un ciel qu’on regarde d'un peu trop près. Peut-être que c’est un immense village dans le ciel la nuit ? Peut-être que toutes ces étoiles ne sont que des fenêtres éclairées ?

Maman me pose au sol devant une maison.

« Tirésie ! Tu es là ? »

Quelques secondes silencieuses lui répondent avant que la porte ne s'ouvre. Une jeune femme aux cheveux en bataille apparait, un grand sourire au visage.

« Tiens, Hene ! Ça faisait-
- Ezer s’est fait piqué par une vipère grise.
- Entrez ! »

Sa bonne humeur semblait s’être estompé. Est-ce que c’était si grave ? J'attrape le pelage de Maman.

« Tout ira bien, me rassure-t-elle. »

Elle m'attrape délicatement entre ses crocs et entre dans la maison. La pièce me parait grande, mais elle est encombrée de toutes sortes d'objets dont j’ignore la provenance ou l’utilité.

« Allonge-le dans la chambre et tiens-le au calme, je me prépare ! »

Et c’est ce que Maman fit. Elle semblait connaître les lieux. Elle connait la dame aussi, Tirésie. Elle me pose sur un lit et s’assoit au pied.

« Comment tu sens ?
- J’ai peur. C’est grave ? J'ai mal aussi. Il fait chaud ici. »

Je lui montre mes coudes, ils ont frotté la pierre quand je me suis jeté sur le serpent. Mes genoux sont dans le même état.

« Non, ça ira, mais tu dois être fort. »

Elle colle affectueusement sa tête contre moi. Je l'attrape et sanglote. J'ai peur. Ça ne va pas. Je sais que c’est grave. Aucun d’entre vous ne me l’a caché. Je ne vais pas m'en sortir, hein ?

« Ne t’inquiète pas, si la situation avait été désespérée, je ne t'aurais pas emmené ici. »

Sa voix était douce, se voulant rassurante. Je renifle et la regarde. Elle me sourit, elle semble confiante. J'essuie mes larmes d'un revers de poignet. Si elle est sûre que ça ira, alors ça devrait aller…

Tirésie entre dans la pièce avec des objets qui me paraissent étranges, dont je ne vois pas du tout l'usage. Elle se dirige directement vers moi d'un pas décidé. Je la suis du regard, un peu méfiant. Je ne la connais pas et elle va me faire des choses qui me sont inconnues aussi.

« Comment tu te sens ?
- J'ai chaud, j'ai mal et j'ai peur.
- C’est bien, tu résumes la situation au plus simple. Maintenant dodo ! »

Je n'ai pas le temps de réagir qu'elle pose sa main sur mes yeux. Je tente de.

________________________________________________________________________

Une chaleur intense me réveille. Je tousse, elle m'étouffe. Je me débats aveuglément. Elle se resserre autour de moi. J'ai peur, j'ai mal. J’ai trop chaud. J'ai du mal à respirer. J'ai peur. J’ai peur de mourir. J'ai mal, je m'étouffe. J'essaie d'appeler à l’aide. Rien. Rien ne sort. J'ai la gorge nouée, sèche. Je me débats encore. Je sens mes forces partir. La chaleur les ronge.

« Ezer ! »

Je reconnais la voix de Maman. Elle est inquiète. Où est-elle ? J’arrête de gesticuler. J'ai mal, j’ai chaud mais j’écoute. J'attends un autre appel, j’attends sa voix.

« Tirésie ! Ezer ne va pas bien ! »

Alors, c’est pour ça que j'ai chaud ? Je ne vais pas bien, hein ? Je vais peut-être y passer… je veux vivre. Mais, la mort, c’est peut-être bien aussi ? Maman va pleurer si je meure. Helin et Hegal aussi. Et peut-être même Koreh, mais il le fera en cachette, le connaissant. J'aimerai bien joué encore un peu avec eux dans le plateau.

« C’est rien, juste une grosse fièvre !
- En es-tu bien sûre ?
- Tu remets mes compétences de médecin en cause ?
- Non, bien sûr que non… »

C’est rien ? Je ne vais peut-être pas mourir alors ? C’est bien.

________________________________________________________________________

Un son. Celui d'une goutte. Puis d’une deuxième. La pluie. Contre la paroi. Contre les roches. Contre le toit. La pluie froide. La musique humide. Douce. Apaisante pour les âmes errantes. Un peu de repos pour les tourmentés. La pluie.

Je pose ma main sur mon visage. Il fait sombre. Mes yeux mettent du temps avant de distinguer le plafond. J'ai encore chaud. Je n'en peux plus. Je pleurs silencieusement. Je veux que ça s’arrête. Je veux qu’on en finisse avec toute cette souffrance ! La solitude pèse, il fait trop noir ! Je tremble. Je sais pas si je suis triste ou en colère. Je n’en peux plus. J’ai mal, j'ai chaud. J'ai arrêté d'avoir peur, j'ai renoncé à la vie. J’arrête de lutter, je pleurs. Je n’en peux plus. Je veux en finir. Je veux que tout ça s’arrête. Je plonge ma tête dans les draps. J'ai mal. Il fait trop chaud ici. Je veux sortir. Je veux partir. Je n'ai pas la force, pas le courage de me lever. Est-ce que j’ai encore des pieds ? Ah oui, je les sens. Je veux m'en servir. J'ai chaud, j'ai soif. Mes larmes sont sèches. Je ne peux pas bouger…

La porte s'ouvre. Je m'immobilise.

« Tu es réveillé à cette heure-là ? Ah, ça doit être à cause de la pluie, elle bat drôlement fort ce soir. J’espère qu’elle ne va pas faire d’inondation. Comment tu te sens ? »

C’est la voix de Tirésie, rêche mais amicale. Il y a toujours un fond d’amusement dans ses paroles. Elle est vieille. La voix de Tirésie est fatiguée, et Tirésie aussi. Mais il reste cette vivacité jeune, cette envie d'aider les autres et de s’accrocher à la vie.

Elle s'assoit près de moi et pose sa main sur mon épaule. Elle est froide, ça fait du bien.

« Tu as cédé, hein ? Ce n’est pas grave. Le désespoir a la force de sauver des gens. Ce qui compte dans ce genre de combat, c’est de pas abandonner ses sentiments. Parce que tant que tu ressens, tu peux prétendre être vivant. »

Ses paroles me font sangloter de plus belle. Je ne voulais pas céder. J'ai trop chaud, je ne le supporte plus. Je ne veux pas abandonner, je veux me battre, mais c’est au-dessus de mes forces.

« Je t'ai ramené de l'eau. »

Je la regarde. Je suis intéressé. Je me sens si sec. Elle me tend un petit récipient qui contient de l'eau. Je me redresse et le prend dans mes mains. Il est froid. Je n'ai presque pas envie de le boire tout de suite. Mais Tirésie me l’a donné pour que je le boive. Je le porte à ma bouche et commence à laper la surface du liquide. Rapidement, c’est trop profond, alors j'essaie de pencher le récipient. Ce n’est pas pratique mais j'arrive à attendre l'eau. Finalement, je le penche trop et en renverse sur le lit. Tirésie rit un peu.

« Tu devrais demander à Hene de t’apprendre les coutumes humaines. Ça te servira. »

Je la regarde. Pourquoi faire ? Je ne vis pas avec des humains. Leurs coutumes ne m’intéressent pas. Je veux rester avec Maman, Hegal, Helin et Koreh.

Tirésie posa sa main sur mon front sans prévenir.

« Tu as toujours de la fièvre mais ça commence à redescendre. D’ici quelques jours, ça devrait aller mieux. C’est bien, tu es plutôt costaud. »

Elle se leva et ramassa le récipient vide.

« Allez, maintenant, il faut que tu te reposes, dodo. »

Une nouvelle fois, elle passa sa main sur mes yeux avant que je puisse protester. Inutile de résister.

________________________________________________________________________

Trois jours ont passé. Je n'ai plus chaud. Je me sens lourd, fatigué. Mais ça va. Je m'assois sur le bord du sommier. C’est le nom qu’on donne aux tissus dans lesquels on dort. Je suis seul. Tirésie est sortie, j'ai entendu la porte et la maison est silencieuse. Je crois qu’elle vit seule. Je n'ai jamais vu ou entendu quelqu’un d’autre.

En m'appuyant contre le sommier, j'arrive à me lever. Sur mes pieds, je perds l’équilibre dès que je lâche un support alors je me rabats sur une marche quadrupède. Ça va. Je sens que je peux avancer. Je peux me battre.

Je sors de la pièce éclairée par une petite fenêtre couverte d'un drap troué. La porte grince un peu. J’espère que Tirésie ne va pas rentrer tout de suite, elle n'apprécierait sûrement pas que je me promène chez elle sans son autorisation. Mais j’ai besoin de sortir, de voir autre chose que ma chambre. Cela fait trop longtemps que j’y suis enfermé.

Je m’approche de la porte qui mène à l’extérieur. J'essaie d'appuyer sur la poignet, puisqu’il semblerait que ce soit l’unique chose à faire pour ouvrir les portes. La poignée ne s'abaisse pas jusqu’au bout. Même si j'appuie plus fort. J'essaie de pousser la porte. Rien ne se passe. Ça ne bouge pas. Tant pis. Je fais demi-tour et observe la pièce. Tout autour, contre les parois, il y des constructions en bois. Je crois que ça s’appelle des tiroirs. Au centre, il y a une table sur laquelle est entassés des objets aux formes variées. Je m’approche. À quoi peuvent-ils bien servir tous ?

J'attrape le premier, un bâton métallique avec quatre branches. Je le retourne dans tous les sens, il n’a rien de spécial si ce n’est que sa forme étrange. Je le repose et attrape un second objet. C’est en métal aussi. Un récipient. Il y a quelques choses dedans. Je secoue un peu. Ça bouge. C’est liquide ? Je cherche une ouverture. Je veux vérifier. Je manipule la chose dans tous les sens avant de trouver un système coulissant. Je tourne le chapeau et découvre un liquide blanc, crémeux. On dirait du lait mais ça sent un peu différent. Je trempe le doigt dedans et goûte. Ce n’est pas mauvais. Maman me gronderait, ne pas manger ce qu’on ne connait pas fait partie des règles de survie de base. Je referme le récipient et le prend dans mes bras pour le remonter sur la table. Une faiblesse. Il m’échappe et s'écrase sur mon pied. Cri de douleur. Je tombe sur les fesses et porte mon pied à ma bouche, tentant d'apaiser la douleur. Je jette un regard à l’objet, intact au sol. Il faut que je le remonte. Je regarde mon pied qui bleuit. Je dois faire attention. J'attends que la douleur s’atténue un peu et réessaye de hisser le pot, avec succès cette fois. Sans demander mon reste, je retourne dans ma chambre et m'allonge.

Mon pied me lance mais ça va. Par rapport à ce que je viens de vivre, ce n’est pas grave chose.

________________________________________________________________________

J'entends la voix de Tirésie, j’ouvre les yeux doucement. Je suis seul dans la chambre. Je me redresse et me frotte les yeux. Il y a quelqu’un d’autre.

« Charlatan ! Vous auriez pu le sauver ! Sale sorcière !
- La médecine a ses limites madame. »

Quelque chose se brise sur le sol. Je m’inquiète. La situation semble corsée. Je me lève silencieusement et m'approche de la porte.

« Vous en avez sauvé d’autres en plus sale état que lui ! Vous l'avez laissé mourir ! Vous auriez pu le sauver si vous l’aviez voulu !
- Votre fils souffrait d’une maladie incurable. Il n’y a rien d'autre à dire.
- Vous dites n’importe quoi !
- Vous remettez en cause mes compétences de médecin ?
- Vous n’êtes pas médecin ! Vous êtes une sorcière sans cœur !
- Je ne vous permets pas.
- Ah oui ? Et qu’allez-vous faire ? Me jeter un mauvais sort ?!
- Sortez d’ici.
- Pas avant de vous avoir fait regretter la mort de Lyan ! »

J'ai poussé la porte, parce que je voulais savoir qui faisait tout ce tapage.

« Ezer, retourne te coucher ! ordonna Tirésie.
- C’est votre patient ? Je vais lui faire subir le même sort qu’à Lyan ! »

J'ai reculé en grognant. Attrape-moi si tu peux, pauvre folle ! J'ai retrouvé mes forces. Je peux me protéger. La femme avance vers moi. Tirésie lui attrape le bras.

« Je ne vous laisserai pas faire. »

La mère lui donne un brusque coup de coude au visage. La vieille s'étale au sol.

« Tirésie ! »

La femme me saute dessus. Je fais un bond en arrière, acculé dans la chambre. Je dois aller voir si Tirésia va bien. Je grogne, prends mon apparence de panthère et gonfle mon pelage. Elle allait voir ! Elle prépare un projectile magique. Ça ressemble à de l'eau. Je saute en arrière pour me laisser le temps d’éviter et me prépare à la contre-attaque.
Elle envoie sa grosse bulle d'eau. Je saute sur le côté. C’est plus rapide que ce que je pensais. Elle effleure mon épaule et elle m'éclabousse lorsqu’elle éclate au sol. Ça ne suffit pas à arrêter ma course, je fonce sur elle, tous crocs sortis. Je cherche sa gorge du regard. Je remarque qu’elle s’apprête à utiliser un nouveau sort. Je ne dois pas trainer. J'effectue l'ultime bond et plante mes crocs dans sa gorge.

« Conversion des éléments, de l'eau à l’acide, murmure-t-elle. »

Mon pelage commence à brûler. Ça gratte, ça fait mal. Mais je ne dois pas lâcher. La douleur devient vite insupportable. Ça ronge ma peau. La jeune femme ne bouge plus. Je la lâche. J'aimerai lécher mes blessures mais quelque chose me dit qu’il ne faut pas. Ça pique. Tirésie doit avoir quelque chose contre ça. Je boite jusqu’à son corps et lui donne un coup de museau. Elle me regarde. Je couine, lui désignant mon épaule. Elle se redresse vivement, ou du moins autant qu’elle le pouvait.

« Reprends ta forme humaine et surtout ne touche pas ! »

Je m'exécute. Elle fait signe de suivre et s'approche d'une des constructions de bois. Je la suis. Elle m'attrape et me hisse dessus. Il y un bac incrusté dedans. Elle me met dedans. Un pic de douleur. Je serre les dents. Elle attrape un tuyau, appuie sur une poignet et de l'eau commence à couler. Elle passe le jet sur mes blessures. Ça fait mal, mais ça brûle un peu moins. Je regarde ce que ça donne. Ma peau est toute rouge aux endroits où je n'ai reçu que des gouttes. En revanche, à l'épaule, c’est cloqué, rouge. Ça saigne un peu et ça commence à bleuir par endroit.

« Je suis désolée, c’est de ma faute.
- C’est pas grave.
- Tu risques d’être marqué à vie. Ça s'effacera peut-être un peu parce que tu es jeune et que tu vais grandir, mais tu vas probablement gardé des marques.
- Si ça ne fait plus mal, c’est pas grave. »

Elle m'arrose un moment qui me semble très long. À la fin, je n'ai plus la sensation qu’on me ronge, seulement mal. Ça brûle encore un peu, c’est supportable. Tirésie me repose au sol.

« Reste calme, d’accord ? »

Je hoche la tête. Elle se dirige vers la jeune femme.

« Elle est morte, constate-t-elle. »

Je l'ai tuée. Tirésie effectue un tour de poignet et le corps commence à léviter. C’est de la magie. Elle sort le corps de la maison.

« Je vais prévenir sa famille, je leur dirai que je l'ai retrouvée tuée par un animal sauvage. Je te confie la maison. »

________________________________________________________________________

Le soir, nous nous retrouvons tous les deux dans ce qu’elle appelle « la salle à manger ». Et effectivement, nous sommes en train de manger. C’est bon. Quel dommage que Tirésie m’oblige à utiliser des couverts, ce n’est pas très pratique.

« Quel âge as-tu ? »

Je hausse les épaules. Je ne m’en souviens pas. Je sais juste que mes frères et sœurs en ont quatre. Je pense que j'ai le même âge qu’eux, mais je ne suis pas sûr.

« Et donc tu vis dans une famille de chimère ? C’est assez surprenant, les chimères sont une espèce qui n’apprécie pas beaucoup la compagnie.
- Oui.
- Tu comptes vivre toute ta vie avec elles ?
- Oui.
- C’est un choix. Mais je ne sais pas si tu le sais, les jeunes chimères finissent par quitter leurs parents.
- Ce n’est pas grave, je partirai avec mes frères et sœurs.
- Je vois. Tu en reveux ? »

Elle me désigne le plat duquel elle m’a détaillé la composition. J'ai oublié la moitié des noms des ingrédients. Je secoue négativement la tête. Je n’ai plus faim. Tirésie se lève et débarrasse la table. Je regarde mon épaule. En rentrant, Tirésie l'a désinfectée et a posé un grand pansement dessus. Ça picote encore un peu.

« Ezer, j'ai quelque chose pour toi. »

Je me lève et la rejoins. Qu’est-ce que c’est ? Elle est en train d'ouvrir une boîte. Elle me fit signe d’approcher. Je m’approche. Elle en sort des tissus. Des vêtements ? Je suis curieux. Elle en déplie un.

« Lève les bras ! »

Je m'exécute. Elle me fait enfiler ce qu’elle appelle un « haut ». Il n'entrave pas mes mouvements, il est souple et la matière est agréable.

« Un peu grand, mais ça ira. »

Elle me fait ensuite mettre un caleçon. Ça colle un peu à la peau, mais je peux bouger comme je veux aussi. Elle enchaîne avec un pantacourt qui m'arrive un peu en dessus des genoux. Il est beige, les pattes sont larges en bas. Tirésie m'explique que je peux les resserrer en boutonnant la languette en bas. Je n'en vois pas beaucoup l’utilité, mais pourquoi pas. Elle me pose ensuite sur les épaules un grand tissu orangé avec des motifs bruns. Il est chaud, c’est agréable. Il pèse un peu sur mes épaules.

« Petit détail, lorsque tu te transformes en animal, tu dois considérer tes vêtements comme faisant partie de toi, ils seront transformés avec toi comme ça. Ça t'évitera de les perdre. »

Je hoche la tête. La magie obéit aux sentiments de son commanditaire.

« Tes vêtements te plaisent ? »

Je hoche la tête et sourit. Ils sont bien. C’est confortable. Je comprends pourquoi tout le monde en porte. On se sent protégé en plus.

________________________________________________________________________

Je sens une présence dans mon dos. Je reconnais cette odeur. Je me retourne et ouvre mes bras.

« Maman ! »

Elle apparait, place sa tête entre mes bras. Je la serre contre moi. Je suis content. Je vais rentrer à la maison. C’est fini. Tout va bien.

« Bonjour Hene. »

Maman lève la tête.

« Bonjour Tirésie. Comment vas-tu ?
- C’est dernier jour ont été agité, mais je vais bien.
- Pas à cause d'Ezer j’espère ?
- Non, il a été très gentil, ne t’inquiète pas. C’est un bon garçon que tu as.
- D’accord. J'ai ce que tu m'as demandée. »

Maman attrape une bourse qu’elle avait attaché à sa patte et la tend à Tirésie. Celle-ci prend le petit sac et jette un œil à l’intérieur. Elle sourit et remercie Maman d’un hochement de tête. Je me demande qu’elle a reçu.

« Je peux te parler ?
- Hm, bien sûr ! Ezer, tu peux aller faire un tour dehors s’il te plait ? Ne va pas trop loin.
- Oui Maman ! »

Comme c’est là, je ne dois pas entendre. Dommage, je suis curieux. Je sors à l’extérieur et m'étire. Ça fait du bien de prendre l'air après être resté enfermé autant de temps. Je regarde la rue devant et les maisons de pierre. Je me demande comment est la vie ici. Comment est-ce que les gens ici chassent ? Où trouvent-ils de l’eau ? Quelle relation entretiennent-ils ? Que mangent-ils ?

Deux enfants arrivent en courant au coin de l’allée. Ils semblent pressés et passent devant moi. J’ai envie de les suivre, voir où ils vont. Je prends l’apparence d'un muscat (ndla : une sorte de gros chat) et les suit. L’autre nuit, j'ai entendu un muscat alors je pense que c’est un animal commun ici et donc discret. Ils courent encore un petit moment et finissent par s’arrêter devant une maison. Ils frappent avec empressement, reprenant à peine leur souffle. Un autre enfant leur ouvre.

« J'y vais Mamie ! »

Et les trois se lancent dans les rues. Je les suis. Quelques minutes plus tard, ils arrivent dans une prairie dans laquelle broutent des hippalectryons, sous un arbre. C’est la deuxième fois que je vois ces animaux ailés. La première fois, l’un des leurs s’était perdu et été arrivé dans notre plateau, Maman lui avait alors indiqué son chemin.

Sous l'arbre, il y a des branches qui ont été posées là. Il y a aussi une échelle. Ils s'en servent pour grimper à l'arbre et hisser du bois. Je me demande ce qu’ils essaient de faire, ce n'est pourtant pas comme ça qu’on rajoute des branches à un arbre. Normalement, on l'arrose, on attend et ça pousse. Je sens une présence dans mon dos. C’est Maman.

« Ils ont l’air de vouloir faire une cabane dans cet arbre, dit-elle.
- On rentre ?
- Oui. »

Je prends l’apparence d'une corneille et décolle. Je mets un peu de temps à stabiliser mon vol, je ne fais pas ça tous les jours. Je n’ai pas encore beaucoup d'expérience. Nous disparaissons des yeux des habitants du village. Peu après, Maman redevient visible. Je m’approche et me pose sur son dos. Je reprends ma forme humaine et m'accroche à son pelage. Je ne suis pas capable de rentrer seul à la maison, c’est trop loin pour mes forces.

« Tirésie m'a dit que tu as tué quelqu’un.
- C’était elle ou moi.
- Évite de recommencer à l'avenir. Ce n’est pas un reproche, juste un conseil. Les humains prennent la mort très au sérieux, d’autant plus quand il s’agit d’un meurtre.
- Un meurtre ?
- C’est lorsque l'on tue quelqu’un. On appelle aussi ça un homicide ou un assassinat quand c’est planifié.
- Je ferai de mon mieux.
- Et ta brûlure ? Elle te fait toujours mal ?
- Ça va. Elle me fait parfois un peu chaud.
- Tirésie m'a conseillé un remède si elle te brûle. Je te ferai ça en rentrant.
- Merci.
- Et si tu sens que tu as besoin d'autre chose, n'hésite pas à demander.
- Je sais.
- Je te le rappelle, tu as tendance à être aussi silencieux que Koreh. La différence, c’est que tu es curieux alors tu poses des questions. Koreh attend de comprendre par lui-même.
- Maman ?
- Je t’écoute.
- Comment vivent les humains ?
- Il y a beaucoup de choses à dire à ce sujet. Sais-tu au moins ce qu’on appelle « humains » ?
- Les espèces bipèdes ?
- Les humains regroupent les fées, les pandis, les elfes, les garous, les nains, les selkies et les caprins.
- Il y a beaucoup que je ne connais pas.
- Il y a beaucoup à dire sur chacune de ces espèces. Si tu veux tout connaître d’eux, tu devrais aller à leur rencontre un jour.
- Tirésie m’a dit que nous n’allons pas rester toujours tous les cinq, que mes frères et sœurs vont partir.
- Elle a raison. Dès que Hegal, Helin et Koreh se sentiront près, ils prendront leur envol. Si tu veux mon avis, ils partiront au prochain printemps.
- Pourquoi ?
- Parce qu’ils sont grands.
- Ça ne te rend pas triste ?
- Pourquoi le serai-je ? Mes enfants seront devenus grands et forts. Ils seront indépendants, capables de se protéger et de protéger leur valeur. C’est le rêve de chaque mère.
- Et moi ? Quand est-ce que je partirai ?
- Quand tu te sentiras prêt à te lancer. Je ne te forcerai pas à partir ou à rester. Tu es libre, pourvu que tu puisses être heureux. »

Je me suis agrippé plus fort à son pelage et j’ai serré les dents. Je ne peux pas imaginer la suite sans eux quatre. Je veux que l’on reste tous ensemble. J'ai dit à Tirésie que je partirai avec mes frères et sœurs sans réfléchir, parce que ça me paraissait évident. Après tout, je suis une chimère aussi, j'ai grandi comme telle. Mais je crois que j’ai peur, peur de me retrouver seul, seul face à l’inconnu.

« Ezer, sois serein. Tu n'as pas à te préoccuper de ça maintenant. Un départ chez nous, ça ne se planifie pas, c’est l’instinct qui nous pousse dehors. C’est naturel. Hegal, Helin et Koreh partiront du jour au lendemain parce qu’ils sentiront que c’est le bon moment. Pourquoi ? Ça ne s’explique pas. C’est comme ça depuis le début, comme un tradition.
- Oui… mais moi, est-ce que j'ai cet instinct ? Je suis un garou, un humain…
- Les humains finissent eux aussi par quitter leurs parents. C’est un phénomène universel. Même si tu mets plus de temps, ce n’est pas très grave. Tu sais, quitter le cocon familial, ça ne veut pas dire couper les ponts. Nous nous reverrons tous les cinq.
- D’accord…
- Ça ne te ressemble pas de t’inquiéter pour ce genre de chose, toi qui est d’ordinaire spontané. C’est la première fois que je te vois te préoccuper du lendemain.
- Je sens que c’est important.
- Dans une vie, ça l'est. Mais cela ne constitue pas une raison de s'en ronger les doigts. Et puis, rassure-toi, je ne vous empêcherai jamais de revenir si vous en avez besoin.
- Tu es gentille.
- Je suis votre maman, c’est normal, non ?
- Oui.
- Tu sais, je serais très fière que vous brandissiez les valeurs que je vous ai apprises car je sais que ce sont les bonnes. Et puis, je rêve que Helin ou Hegal prennent un jour ma place de reine des chimères et qu’elles poursuivent mon combat.
- Ton combat ?
- Je ne veux pas que les chimères se sentent inférieures. Je ne veux pas qu’elles aient peur de ce qu’elles sont. Elles ont une histoire difficile, c’est vrai, mais cela ne doit pas les empêcher de vivre et d’être heureuses, Ezer. C’est mon souhait.
- J’aimerai le comprendre.
- Nous en avons déjà parlé.
- Vous ne faites que tourner autour du pot, toi et les autres.
- Parce que nous ne pouvons révéler le contenu du pot. C’est la règle.
- Qui a inventé cette règle ?
- Les chimères elles-mêmes. Chacune d'entre nous à conscience des conséquences si le secret venait à être ébruité.
- Hm.
- Je suis désolée Ezer. »

Ce n’est rien. Je ne comprends pas, mais ce n’est rien. J’imagine qu'un jour tout sera clair. À force que vous tourniez autour du pot, je finirai par comprendre toute la vérité.
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Messagepar New Mentali » 08 Juin 2020 23:36

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Qui es-tu ? Que veux-tu ? Tu te tiens devant moi, l’air arrogant. Je ne veux pas me battre, mais si tu me cherches, je n'hésiterai pas. Tu crois peut-être que j'ai peur ?

« Tu me cherches demi-portion ? »

Je le regarde noir, cela suffit à ce qu’il me saute dessus. Il attrape sans délicatesse mon haut au niveau des épaules. J'en fais de même, passant mes bras par l’intérieur. Nous commençons une lutte acharnée pour faire reculer, tomber, plier l’autre. Nos forces sont égales. Il finit par me lâcher et lance son poing en direction de mon visage. Je le lâche aussi mais c’est trop tard pour me défendre. Il écrase ma joue. Un peu sonné, mais bouillant de rancune, je me jette sur lui, l'attrape par la taille et le plaque au sol. Nous roulons dans la poussière quelques secondes avant qu'une voix ferme, grave, nous rappelle à l’ordre.

« Azken ! Teku ! »

Une poigne solide m'agrippe et me tire en arrière. Je me débats. Je m'en fous ! Je veux juste coller une bonne raclée à l’autre abruti. Ça ne donne rien, c’est notre professeur qui nous a séparé. Je lève un regard courroucé dans sa direction. De quoi je me mêle ?

Teku se relève sans pouvoir cacher l’animosité dans son regard. Il essuie la poussière sur son vêtement par des gestes brefs et secs, se recoiffe avec dédain. Il m'énerve avec ses manières.

« Je peux savoir ce qui vous a pris ?!
- Il m'a regardé de travers ! répond l'autre avec dédain.
- C’est lui qui a commencé à mal me regarder. Et c’est le premier à m’avoir frappé !
- Votre comportement est inadmissible ! C’est comme ça qu’on vous apprend à être à la maison ? Vous êtes les héritiers de famille respectable alors montrez-vous en dignes enfin ! »

Héritier de quoi ? De rien oui ! Je ne veux pas finir comme tous ces nobles moi ! La gestion de la fortune de la région, ça ne m’intéresse pas ! J'ai pas envie de faire comme tous ces fils à papa et de s'asseoir sur un siège confortable qu’on n’a même pas essayer de mériter !

« Maintenant filer aux toilettes vous lavez le visage ! On dirait deux mendiants qui se sont roulés dans la boue ! Vous passerez me voir ensuite ! Et dans le calme, c’est compris ? »

Silence.

« C’est compris ? »

Je marmonne un « oui » contrarié. Je lui aurais bien réglé son compte à l’autre. Sale gamin va ! Je leur tourne le dos et me dirige vers les toilettes. Je m’arrête devant les lavabos et me regarde dans la glace. J'ai la joue rouge, un peu enflée, c’est chaud, mais ça va. Je passe mes mains terreuses et rougies de quelques égratignires sous l'eau, puis j'asperge mon visage. Étrangement, ce contact avec le liquide frais m'apaise. Il est fluide, il coule entre mes doigts, il court partout, comme si rien ne pouvait l'atteindre. J'aimerai bien être comme ça parfois. Je ferme les yeux pour mieux le sentir sur ma peau. C’est agréable. Je respire. Calme. Paisible.
Je rouvre les yeux en sentant un peu d’agitation à l’extérieur. Ça doit être l’heure où les leçons reprennent. Je me sèche les mains sur le tissu destiné à cet effet, remarque que les égratignures sont parties miraculeusement et file en cours.

Le cours est long. Il ne m’intéresse pas. Je regarde mes mains. Je me demande pourquoi elles se sont soignées. Je n'ai pourtant pas utilisé de magie. Et je ne connais aucune magie de soin de toutes façons. Par ailleurs, l'eau ne peut pas être magiques, nous sommes juste à l’école. Il n’y a pas d’explications. Peu…

« Azken, peux-tu me dire comment tu poses cette multiplication ? »

Le professeur me désigne le tableau, ce qu’il peut être agaçant parfois. À la craie, il a écrit « 14 * 23 ». Il a été vache en plus.

« On écrit les deux nombres l'un en dessous de l'autre.
- Viens le faire ! »

Hmf. Je me lève et croise le regard de Teku. Il a l’air satisfait de mon sort. Tu vas voir… je ne compte pas me faire ridiculiser. J'attrape la craie et pose la multiplication. 3 * 4 ; 3 * 1 ; 2 * 4 ; 2 * 1 ; facile. Je me rends compte que j'ai oublié de décaler la deuxième ligne. Je me corrige. Je finis par additionner les valeurs que j'ai trouvé entre elles. Trois cent vingt-deux. Je l'écris et retourne silencieusement à ma place, sans oublier de lancer un regard fier à Teku.

________________________________________________________________________

Le soir, Père me convoque dans son bureau. Mon instinct me dit que je vais me faire passer un savon. Il sait que je me suis battu, le professeur lui a dit. Je pousse la porte à contrecœur. Est-ce que j'ai déjà poussé cette porte joyeusement ? Je ne m'en souviens pas.

« Bonsoir Père…
- Bonsoir Azken. J’imagine que tu sais pourquoi tu es là.
- Oui.
- Je ne veux pas que tu te battes ! Cela donne une mauvaise image de notre famille, et comme je te l'ai déjà dit, quand on fait du commerce et de la politique, c’est important d’être bien vu ! Tu reprendras toi aussi ce flambeau alors montres-en toi digne !
- Oui… »

Je ne veux pas le reprendre.

« Tu as de la chance que Teku ne viennent pas d'une famille plus prestigieuse que la nôtre, nous aurions pu avoir de gros problème ! J’espère que tu t'en rends compte ! »

Quel genre de problème ? Ce n'est pas comme si j'avais été le seul à frapper… j’espère qu’actuellement, Teku se fait passer un gros savon aussi.

« Maintenant, va te coucher et réfléchis bien à ce que je viens de te dire !
- Oui… »

Je sors de la pièce. Bonne nuit quand même, j’imagine. Je soupire, seul dans le grand couloir de la maison. Vivement que je parte d'ici. Il y a des fois où je rêve de partir à travers le continent comme ces grands chevaliers de légende, de découvrir des terres inconnues, d’aider les plus faibles et de faire connaissance avec de nouveaux peuples.
Je me dirige vers ma chambre, croise ma servante sans lui accorder un regard et pousse la porte sans douceur. Je m'assoie en tailleur sur mon lit et boude. Il fait encore jour, je ne vais sûrement pas dormir tout de suite. Et puis, c’est Teku qui a commencé ! Je n'allais quand même pas me laisser monter dessus ! On me l'aurait reprocher aussi ! Vivement le jour où je partirai d’ici, où je m'éloignerai de ce monde d’injustice ! Je regarde par la fenêtre, dans la rue en contrebas. Deux carrioles circulent, ce sont probablement celles de marchands. Il y a également quelques passants, sûrement des travailleurs tardifs qui rentrent. De chaque côté, de larges maisons s'élèvent, beige ou brune, faites de bois. Les fenêtres commencent à s'éclairer. Une brise agite le rideau de ma fenêtre et me l'envoie dans le visage. Je l'écarte sans quitter ma contemplation. Au-dessus de ça, le ciel commence doucement à prendre des couleurs saumons. C’est joli. Et plus loin, à l’horizon, au dessus des toits, la mer aux reflets du ciel.

On toque à la porte. Je tourne, mécontent d’avoir été interrompu.

« Entrez ! »

C’est Kaa, ma servante. Elle pousse timidement la porte.

« Je vous ai apporté une tisane…
- Merci. »

Elle sourit et entre silencieusement. Elle pose le verre sur ma table de chevet. Kaa est gentille et attentionnée, elle essaie de bien faire. Elle a vu que j’étais contrarié tout à l’heure…

« Votre mère demande si vous avez fait vos leçons.
- Oui. »

Je détache moins regard d'elle pour retourner à ma contemplation. Mère pourrait au moins venir demander d’elle-même… Kaa a déjà bien assez de chose à faire.

« Je me retire…
- Bonne nuit Kaa.
- Bonne nuit Monsieur. »

J'entends la porte se fermer avec douceur. Elle est partie. On ne parle pas beaucoup, mais j'ai l’impression que c’est elle ici qui me comprend le mieux. Peut-être parce que c’est elle qui passe le plus de temps pour moi. Après tout, elle connait ma chambre par cœur, elle lave mon linge, fait les courses, parfois la vaisselle, le ménage…

Je regarde la tisane. Elle fume un peu. Mieux vaut la boire pendant qu’elle est chaude. Je me demande ce qu’elle a mis dedans. Je lui demanderai demain.

________________________________________________________________________

Le lendemain, il n’y a pas d’école. J'ai l’après-midi de libre. J'ai demandé à Kaa de venir faire des courses avec moi. Père voulait que je m’achète un costume pour la cérémonie de début d’année qui a lieu dans un peu moins d'une semaine. Ça m'agace, j’ai déjà plein de costumes… mais aucun ne convient apparemment ! Quelle plaie.

Nous arrivons dans les rues marchandes. Il y a beaucoup de boutiques ici si bien que je ne sais jamais par quoi commencer. Kaa me désigne un magasin à la façade sombre, coincé entre deux géants lumineux, avec écrit en lettres rosâtres « Taka Tenue ». Je la regarde et hoche la tête. Je lui fais confiance.

La dame qui tient le magasin nous salue chaleureusement. Il n’y a pas l'air d’y avoir beaucoup de monde. Enfin, ça doit être tout de même assez prestigieux pour se retrouver dans la plus grande rue marchande de la ville. Je regarde les rayons, qui ont l'air plutôt fourni. Et tout cas, ils ont l'air très coloré. J'aimerai surtout quelque chose de discret moi, histoire de ne pas trop me faire remarquer. Kaa passe devant et me fit signe de la suivre. Elle a l’air sûre d'elle.

Kaa commence à fouiller dans les rayons, enthousiaste. Elle est belle. Sa robe claire ondule à chacun de ses pas. Sa chevelure blonde, attachée par un ruban aux couleurs pastels, laisse apparaître son visage doux et délicat. On dirait un ange.

Soudain, elle sort une tenue et me la montre. C’est un haut brun sombre avec des coutures bleu électrique. Le bas présente des couleurs semblables. En bas des pattes, il y a des tournesols dessinés avec du fil doré. J'admets que c’est plutôt joli, même si j'ai peur que ce soit un peu voyant. Après, c’est plutôt dans le thème des fleurs pour un fils d'herboristes. Plus qu'autre chose.

Kaa insiste pour que je l'essaie tout de suite. D’habitude, on en achète plusieurs et on les essaie à la maison… enfin, je suppose que je n'ai rien à perdre.

Dans le miroir, je suis assez surpris du résultat. Je crois qu’on ne va pas avoir besoin d'en acheter plusieurs. Kaa semble voir que ça me plait, son sourire s'élargit. C’est moins voyant que ce que je pensais, c’est même plutôt sobre. Au milieu des autres, ça devrait passer plutôt inaperçu.

La vendeuse passe par hasard à ce moment-là.

« Ça vous va bien ! complimente-t-elle. »

Elle s’arrête et s'approche avec une pile de boîte à chaussures. Elle les dépose avant d'en prendre une.

« Vous devriez essayer ça avec. »

Je jette un regard entendu à Kaa et enfile les chaussures. Ça va bien, elles sont un peu plus foncée que le costume et simple. Je regarde la vendeuse puis Kaa. Je crois qu'il n’y a pas besoin de débattre beaucoup plus.
Kaa replie les affaires. À la caisse, elle paie. La vendeuse engage alors une brève conversation.

« Comment tu vas ? Le travail n’est pas trop dur ?
- Ça va, c’est beaucoup plus tranquille qu'ici.
- Vraiment ? Tant mieux pour toi.
- Il n’y a pas à supporter les clients ! Et toi, les affaires marchent ?
- C’est calme mais c’est suffisant pour vivre. Il ne faut pas que les ventes deviennent plus calmes quoi.
- Tout va bien pour l’instant.
- Ouais. Bonne continuation !
- Toi aussi ! »

Je les regarde silencieusement. Elles se connaissent et s'entendent bien apparemment. Je vois mal Kaa s'entendre mal avec quelqu’un de toute façon, elle est si gentille.

Nous sortons. La rue est calme pour un samedi, même si nous devons faire attention à ne bousculer personne. Soudain, j'entends mon prénom. Je lève la tête. Grossière erreur. C’est Teku avec quelques amis qui ne semblent pas être de bonne fréquentation… même hors de l’école, il faut que je le retrouve. Quelle plaie ! Je me serais bien passer de le voir. Il s'approche, provocateur. Okay, danger, demi-tour.

« Ben alors, on a peur ? Hoou, le trouillard ! crie-t-il dans la rue. »

Les gens se tournent un à un vers nous. Je m’arrête, un peu contraint. Je ne vais quand même pas me laisser marcher sur les pieds en public ! J'ai bien envie de lui casser quelques dents maintenant mais c’est pas comme si je venais de faire passer un savon. En pleine rue en plus… je crois que je vais essayer de me retenir. C’est bien mon petit Azken, tu as de la jugeote…

Teku s’approche dangereusement. Derrière lui, ses copains ricanent.

« Comment va la mauviette ? »

Je le suis du regard, il commence à me tourner autour. Kaa s’approche de moi, je la sens dans mon dos. Elle devrait s'écarter.

« C’est ta cireuse de chaussure cette trainée ? Quelle honte de se promener avec ! ricane-t-il. »

Je serre le poing. Attaque-toi à quelqu’un de ta taille, pauvre demeuré !

« Ben alors, tu as perdu ta langue ? Pauvre chaton…
- Et la tienne est trop pendue. »

J'écarquille les yeux et me retourne. C’est Kaa qui vient de prendre la parole. Sa voix est ferme, son visage clos. Je ne l'ai jamais vu comme ça…

« Qu’est-ce que tu dis la trainée ?
- Que tu es un sombre idiot.
- Sale garce… je vais te montrer moi ! »

Il s’approche. Réagis ! Ne te laisse pas surprendre ! Il va frapper. Je sens la main de Kaa se poser sur mon épaule. Quelque chose résonne en moi, quelque chose se soulève, quelque chose de puissant…

Teku s’arrête net. Un énorme dragon d'eau est apparu devant lui. Il recule effrayé. C’est moi qui ai fait ça ? Je sens quelque chose vibrer en moi. Teku tombe sur les fesses, ses amis se sont tus, de même que tous les gens autour. Le calme revient, le dragon disparaît comme par miracle.

« Partons, me souffle Kaa. »

Et nous partons.

________________________________________________________________________

Je m'assois sur mon lit. Je me sens fatigué. Est-ce que c’est à cause du dragon ? Est-ce que cela vient vraiment de moi ? C’est facile à savoir. Il faut voir si je peux recommencer. Je ferme les yeux et me concentre. J'essaie de retrouver ce quelque chose qui s'est soulevé et qui a vibré. Je cherche un moment, jusqu’à ce qu’on frappe à la porte. J'ouvre les yeux.

« Entrez ! »

C’est Kaa. Elle referme la porte derrière elle et s'incline.

« Je suis désolée pour tout à l’heure de vous avoir créer des ennuis.
- Non, ne t’inquiète pas, c’est bien que tu sois intervenue. Je lui aurais probablement mis une droite sinon…
- Je m'excuse aussi d’avoir utiliser votre magie.
- Comment ça ? Le dragon… c’était toi ?
- J'ai le pouvoir de manipuler la magie des autres en les touchant. J'ai donc invoqué ce dragon à vos dépens.
- Ah… »

C’est pour ça que je me sens un peu fatigué.

« Votre père veut nous voir. »

Je lève les yeux. Elle a l’air terriblement triste. Je crois comprendre. Je me lève et nous nous dirigeons vers le bureau de Père. Je toque et entre.

« Bonsoir Père.
- Bonsoir Azken. J’imagine que tu sais pourquoi tu es là.
- Vaguement.
- Cet après-midi, Kaa a répondu à un noble. Et tu ne l'en as pas empêchée ? Les domestiques n'ont pas le droit d'adresser la parole aux autres nobles que leurs maîtres, l'as-tu oublié ? Surtout si c’est pour les provoquer.
- Effectivement, je ne l'en ai pas empêchée.
- De ce fait, Kaa va en payer le prix. »

Je me tends. Qu’est-ce qu’il va me sortir ?

« Je la congédie définitivement de la maison et t'affilie un autre domestique.
- Je refuse. »

Se sent le regard de Kaa se poser sur moi. Je ne devrais pas, hein ? Père fronce les sourcils, mécontent.

« Kaa est ma domestique et je la garde. Elle a répondu cet après-midi à Teku pour me protéger, n’est-ce pas aussi le rôle de tous bons domestiques ? Et si vous tenez tant à punir quelqu’un, punissez-moi. Je n'ai pas su la tenir après tout ! »

J'ai peut-être été un peu sec.

« Très bien, tu passeras la serpillière cette semaine dans toute la maison à la place de Kaa. Maintenant sortez ! »

Que je passe la serpillière ? Je me dirige vers la sortie. Ça me va. Kaa aura un peu de répit. Je crois que Père l’a compris. Je souris. Quand il veut.

« Merci, bonne nuit.
- Bonne nuit Azken. »

Kaa sort derrière moi.

« Je suis désolée ! bafouille-t-elle.
- Mais non ! »

Je pose ma main sur sa tête pour la réconforter et lui souris.

« C’est très bien comme ça ! »
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Messagepar New Mentali » 09 Juin 2020 09:28

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Ce texte a été écrit avant « L'arrivée d'Ezer » et raconte le même passage. Certains éléments sont obsolètes, ne vous fiez pas trop à ce texte. Il ne colle plus à la chronologie et certains passages sont trop "surréalistes" à mon goût ou ne collent pas suffisamment aux personnages.



« Reste-là, je vais voir !
- Attends, il y a une barrière magique !
- Où ?
- À deux mètres devant toi. »

J'ai avancé de trois pas, Hegal a frémi. Je suis devant. J'ai avancé ma main devant moi, annulant tous les effets de la barrière. C’est ma magie à moi, désamorcer celle des autres. Je ne sais pas vraiment d’où ça me vient, mais ça s’est manifesté après que j'ai quitté la maison avec ma sœur. Je prends soin de dissimuler ma présence magique. C’est Hegal qui m’a montrer ce tour, bien utile.

Hegal a disparu de mon champ de vision. Elle a dû sentir une présence maintenant que j'ai fait un trou dans la barrière. Tant pis, moi j’avance ! Je suis curieux de voir ce qu’est vraiment l'immense bâtiment qui se dresse devant nous. Il est en bois, normal puisque nous sommes entourés d’une forêt de sapin montagneuse. En m'approchant, je remarque que la base est en pierre. Ça rend probablement le bâtiment plus solide. Je fais une ronde du regard, personne en vue. En revanche, du côté magie, il semble y avoir du monde dans le bâtiment. J'en distingue au moins trois différentes.

« Il y a un spécialiste du feu, une harpie, un garou, et deux autres que je ne reconnais pas. Je dirais un griffon pour l'un, et l'autre, peut-être un pandi… sans certitude. »

Je hoche la tête. Hegal a une analyse plus fine que la mienne. Ils sont donc cinq. Je serais curieux de savoir ce qu’ils font là.

« On y va ?
- Quoi ? Pourquoi faire ?
- Pour s'amuser un peu !
- S'amuser ? Tu as un plan peut-être ?
- On les espionne ! J'ai envie de savoir ce qu’ils font là.
- Ils ont le droit de vivre leur vie en paix…
- Allez, rends-moi invisible et on y va ! »

Je l'ai entendu soupirer. Je la convaincs comme je peux… il y a quelque chose qui m'attire ici. Je veux savoir ce que c’est. J'ai tendu ma main et j'ai senti le pelage de Hegal. Elle rend invisible les autres par contact, je suis donc tranquille pour trouver une entrée. Il doit sûrement y avoir une issue que l'on peut emprunter…

« Là-haut, souffle Hegal. »

Je lève la tête. Il y une large entrée sous le toit, si large qu'Hegal pourrait s'y poser les ailes déployées. Je me demande pourquoi laisser un tel trou.

« On y va. »

La chimère m'a aidé à monter sur son dos et elle s'est envolée. Elle a eu une hésitation en voyant un pelage clair couché dans de la paille là-haut avant de se rendre compte que l'animal dormait. Quelle chance ! Hegal s'est posée. Je lui ai pointé l'animal avec un regard interrogatif. Ça ressemble à un griffon, mais avec un pelage plus épais et blanc. Elle me pousse en avant, elle ne doit pas savoir. J'avance prudemment, gardant toujours une main sur le pelage de la chimère. Je ne dois surtout pas la lâcher.

La pièce qui donne sur l’extérieur est couverte de paille, et elle est fermée par un mur en bois, pourvu d’une porte. Dans un coin, je remarque un seau d'eau et ce qui semble être des baies. Je m’approche un peu, entraînant Hegal à ma suite. J'ai déjà vu ses fruits, ils poussent sur certains sapins de cette forêt. Je ne sais pas s’ils sont comestibles… mais à côté d'eau, dans ce qui semble être réservé aux animaux, j’imagine que ça l'ai. J’aurais bien goûté, mais Hegal m'en empêcherait, alors je passe mon chemin. La porte est ouverte je la pousse doucement, priant pour qu’elle ne grince pas.

Sur la droite, il y a une vaste pièce, presque autant que la précédente, contenant des cartons pleins, des vêtements, des livres, des objets de toutes sortes… je me demande si je serais capable d'en nommer la moitié. En tout cas, les étagères sont bien garnies !

Devant, il y a un escalier. Et aussi surprenant que cela puisse paraître, il est très large pour un escalier, bien assez large pour que moi et Hegal puissions passer côté à côté. En bas, nous débouchons sur un couloir. J’entends des voix sur la droite. Je tire Hegal dans cette direction, elle résiste. Je sais bien qu’il est encore temps de faire demi-tour, que l’on va probablement faire une bêtise, mais on s'en sortira ! On s'en est toujours sortis.

Elle finit par céder.

Nous arrivons dans une immense pièce remplie de tables circulaires et de chaises. Juste devant moi, il y a un comptoir avec des étagères derrière… ça ressemble à un bar. Un bar ? Au milieu de la montagne ? Avec une étable à l’étage ? Ça défiait la logique ! Les humains défient souvent la logique, mais enfin là, c’était assez surprenant.

Dans la salle, il y a quatre personnes, elles sont assises autour d’une table. Il y un homme avec les cheveux mi-longs, noirs, vêtu d'une chemise sombre et simple. Penché devant des cartes, il semblait expliquer au trois autres. Parmi eux, une harpie, elle parait jeune, elle est même plutôt belle, le plumage couleur feuille morte. Son visage est fin, mais il a toujours cette mimique agressive, classique chez cette espèce. Il y a également un autre homme, petit, un peu rond. Il a une barbe parfaitement taillée, les cheveux bruns et courts. Ce n’est pas un pandi, mais je ne sais pas dans quel panier le mettre. Peut-être un garou ? Il n’a pas de longues oreilles, pas de cornes, pas d'ailes…

Et puis, dos à moi, un caprin avec ses cornes pointues. C’est encore un enfant, il n’a pas l’air beaucoup plus vieux que moi. Il a les cheveux clairs, tressés et attachés ensemble. Il a la peau mate. Ça doit être lui celui qui manipule le feu, c’est un pouvoir répandu chez les caprins.

Je m'approche un peu. Je sens Hegal peu rassurée. Nous sommes invisibles et nous dissimulons chacun notre magie, ils n’y a pas de raison qu’ils nous repèrent si nous faisons attention.

« Si Oun vous dépose près de la capitale, vous pourrez vous y rendre et enquêter sur ce trafic. Pendant ce temps-là, moi et Zizare irons faire un tour du côté de la cité elfique.
- Dans quel but ? demanda le plus jeune.
- Le conseil elfique a lieu dans trois jours. C’est le moment d'obtenir des informations confidentielles concernant les nobles. Nous pourrons ensuite établir une liste de ceux à éliminer.
- Ne vaut-il pas mieux que tu restes dans le coin ? Ce n’est pas prudent d'agir ainsi, Zizare ne peut pas couvrir tes arrières si tu es découvert et en tant que combattant, tu serais plus utile à nos côtés, remarque le petit homme.
- Que proposes-tu alors ?
- Je propose que ce soit Oun qui se rende chez les elfes, que je reste ici pour surveiller la base et maintenir la barrière, et que tu ailles avec Sua et Zizare à la capitale. Zizare connait la capitale mieux que Oun. Oun connait de bons sorts de camouflage.
- Je le trouve jeune et je ne suis pas sûr qu’il comprenne tout et sache tout retranscrire. »

Je ne comprends pas bien le but de ce plan. Il y a du trafic à la capitale ? Et alors ? Pourquoi avoir besoin de combattants ? Il y a le conseil des elfes ? En quoi cela en fait une période propice à l’espionnage ? C’est truffé de gardes et de soldats. Peut-être que les informations sont plus grosses, mais le risque aussi. Pourquoi éliminer les nobles ? Les choisir avec quel critère ?

« Certes, mais on garantirait à la fois un succès à la capitale et à la fois la protection de la base. Des conseils, il y en aura d’autres. Je sais que tu veux éliminer ces ordures de nobles, mais soit patient. Ils payeront, tôt ou tard.
- La drogue qui circule à la capitale fait plus de ravage que les nobles selon toi ?
- Un problème après l’autre. Sauf que des trafiquants, c’est moins simple à attraper qu’un noble. Ça se faufile entre vos pattes, ça disparaît et ça repousse un peu plus loin. Les nobles, ça ne disparait comme ça, surtout chez les elfes où ils sont connus.
- Tu as peut-être raison… »

Oh, je crois que je commence à comprendre. Ils veulent aller casser les figures des vendeurs de drogues. À vrai dire, on a pris soin de ne pas traîner trop près de la capitale avec Hegal. Les beaux quartiers sont pour les bourgeois et les nobles. Le reste est en proie à une certaine pauvreté et à la violence d’après ce qu’on nous a raconté. J’imagine que c’est une bonne chose de vouloir arrêter le trafic de drogue, ça limitera probablement un peu les problèmes là-bas.

Pour les elfes, en fait, ils veulent éliminer ceux qui agissent mal. Mais le bien, le mal, c’est une notion un peu subjective quand on y pense. Et comme ils ne visent que les nobles, s’ils écoutent le conseil, ils pensent avoir des indices pour établir une liste de personnes à tuer. Maman m’a dit d'éviter de tuer des gens car les hommes prennent la mort très à cœur. Eux, ils ne semblent pas beaucoup hésiter. C’est plus simple de tuer lorsque l’on ne connait pas la personne.

J’ai soif. Ils n’ont pas d'eau ici ? J’ai regardé autour. J'ai remarqué une cheminée dans la pièce. C’est pas de l'eau… le comptoir est vide. Sur les étagères derrière, ils n’y a que des verres. Je remarque alors une porte derrière le bar. Où mène-t-elle ? Je tire Hegal pour que nous allions voir. Je sens son mécontentement. Ça va mal finir. Peut-être, mais ça m'amuse. Ces quatre-là sont amusants. Ils veulent aider le monde en éliminant. L’idée est assez ironique quand on sait que les héros sont là pour sauver des vies. Alors finalement, ce serait eux les antihéros ? Est-il possible que les héros et les antihéros aient le même but ? Hm… je serais curieux de connaître la suite de cette histoire.

Un verre se brise. Je sursaute. Cela suffit à ce que je perde le contrôle sur ma magie. Je le reprends immédiatement, la dissimulant de nouveau. C’est trop tard. Les regards sont tournés dans notre direction. Je sens Hegal se tendre. Elle va grogner… je caresse son pelage pour la calmer et la lâche.

« Qui es-tu ? fit l'homme aux cheveux noirs en se levant, imité des autres.
- Je me disais que ce n’était pas la meilleure idée d'espionner les elfes pendant le conseil. C’est le moment où il y a le plus de surveillance en ville. C’est difficile d’échapper aux gardes aisément. Surtout que pendant le conseil, ce sont des nobles qui sont rassembler. Ils ont tous des magies puissantes. En cas de pépin, difficile de leur échapper. Alors que leurs crimes, ils ne les font pas qu’en période de conseil. Ce serait aussi malin de les espionner quand il y a moins de danger.
- Qui es-tu ?
- Pour ce qui est de la capitale, vous pouvez tous y aller. Je n’y ai jamais été, mais ça n’a pas l’air tout rose. Mieux vaut être trop que pas assez. Pas la peine de garder quelqu’un ici pour la barrière, elle n'est pas très dure à traverser. Sinon vous avez de l'eau ? »

L’homme s'est approché pendant que je parlais. Son visage est fermé, je ne le sens pas trop. Je sors de derrière le comptoir, ne voulant pas me retrouver coincer. Il me laisse faire, je suis étonné. Il n'a pas l’air énervé, c’était mon but. Je n’aurais eu qu’à l'esquiver jusqu’à une des fenêtres à l'autre bout de la pièce. Je serais sorti par là. Mais il semble tenace… je vais avoir du mal à le contrarier celui-là. Changeons de stratégie.

« Qui es-tu ?
- Je m’appelle Ezer. Je voyage à droite à gauche et je suis tombé ici. J’étais curieux de savoir ce que c’était que ce bâtiment. Je ne pensais pas tomber sur une organisation de bienfaiteurs. »

J'ai haussé les épaules avec innocence. Il s’est encore approché, j'ai reculé. Tu es trop prêt, arrête-toi. Il ne s'est pas arrêté et a simplement contourné le comptoir. Il a attrapé un verre, a disparu dans la pièce d’à côté, on a entendu un robinet et il est revenu avec un verre d'eau. Il l'a posé sur le comptoir et s'est éloigné. Je me suis approché du verre, un peu méfiant. J'ai joué au malin, mais maintenant qu’il n’est pas rentré dans mon jeu, je me demande ce qu’il manigance.

« Et vous, qui êtes-vous ?
- Tu as déjà entendu parlé de l'Œil du Corbeau ?
- Bien sûr. C’est une organisation terroriste, qui a été décimée il y a quelques années, qui s’est tue, et finalement qui commence peu à peu à reprendre ses activités. Maintenant que vous en parlez, je remarque que le genre d’action que vous êtes en train de planifier pourrait tout à fait être leur genre.
- Tu as deviné. L'Œil du Corbeau, c’est nous.
- Des terroristes bienfaiteurs… hm… plutôt original. Et maintenant que j’ai découvert votre plan, qu’est-ce que vous allez faire ?
- De quelle manière veux-tu que nous réagissions ?
- Hm… je ne m’attendais pas à ce genre de question venant d'un terroriste.
- Tu n'as pas l’air d'avoir très peur. Tu n’as pas de raison de nous prendre pour des terroristes.
- Possible. Je me méfie quand même. Vous avez l’air très calme alors que j'ai joué la carte de la provocation dès le départ. J'en déduis que vous magouiller quelque chose.
- Pas vraiment. Ce sera le cas seulement si nous ne trouvons pas d’arrangement entre nous. Tu nous espionnes, tu connais nos plans, tu pourrais nous mettre des bâtons dans les roues.
- C’est vrai. »

J'ai fais mine de réfléchir. Je savais déjà quoi faire. La situation était plutôt claire. Ils ne me laisseraient jamais repartir comme ça malgré les apparences. Il n’y a pas trente-six solutions en vérité.

« Je ne vais pas dévoiler vos plans à d’autres personnes si je ne croise personne d’autres. Je propose donc de rester ici jusqu’à ce que vous ayez fini vos opérations. Pour me faire pardonner d'avoir mis mon nez là où je n’avais pas le mettre, je veux même bien vous filer un coup de main. »

Silence. L'homme aux cheveux noirs jette un regard vers ses camarades.

« Ça fait une bouche de plus à nourrir alors que nous avons déjà du mal à nous approvisionner, remarqua le petit.
- Je peux me débrouiller, pas d’inquiétude. Enfin, si vous répondez à la question suivante : est-ce que les baies qu’il y a dans le seau là-haut sont comestibles ?
- Elles le sont à petite dose. Seul certains animaux peuvent en manger sans danger. »
J’ai souris. Ça allait être facile alors. Il en a plein dans la montagne. Accompagné avec du gibier, ça va être facile. Quant à l’eau, je trouverai bien une rivière dans le coin.
« Ezer, ce n’est pas raisonnable, fit Hegal. »

Les chimères ne parlent pas, elles communiquent par télépathie, l'Œil ne l’entend donc pas. En revanche, je suis bien incapable de lui répondre sans être vu. C’est bien dommage.

« Soit, fit le caprin, mais si c’est pour qu’il nous ralentisse dans la mission, je ne vois pas l’intérêt.
- Qu’est-ce que tu entends par là ?
- Si on a à se battre et qu’on doit te protéger, on est pas rendu.
- Me protéger ? Comme c’est gentil, fis-je avec ironie. »

Comme si j'avais besoin de ça ! J'ai déjà mon ange gardien invisible. Si Hegal reste inexistante à leurs yeux, c’est bien. Ce serait ma carte majeure. Dans mes atouts, il me reste mon anti-magie, utile au cas où ils décideraient de se débarrasser de moi. Ils ont déjà probablement deviné que mon animal est la panthère, pas la peine de le cacher. Hm… je pense que je peux garder une longueur d’avance sur eux si je suis vigilant. À vrai dire, ce serait beaucoup plus simple pour eux de m'éliminer dès maintenant.

« On fait comme ça ?
- Très bien, reprit l’homme aux cheveux noirs, mais tu seras surveillé par Sua. Si tu t'éloignes de lui, je ne donne pas cher de ta peau.
- S’il arrive à me suivre, il n’y aura pas de problème. »

J'ai lancé un regard au caprin qui a serré les dents. Je l'ai vexé. Lui, il est facile à mener en bourrique apparemment. Je vais bien m'amuser. J'ai bu l'eau d’une traite, maintenant que l’on a conclu un accord, il y a moins de risque qu’ils m’empoisonnent. Je suis tout de même surpris de la facilité avec laquelle j’ai mené mon affaire. Ils sont très naïfs.

________________________________________________________________________

Je me suis allongé sur le tapis de mousse que j'avais rassemblé dans la journée. Zorigaitza, le chef aux cheveux noirs, m’avait proposé une chambre. J’ai refusé. J'ai toujours dormi à la belle étoile. Alors je me suis installé devant une fenêtre, histoire qu’ils m'aient bien en vue. Je leur avais promis de ne pas chercher à dissimuler ma magie et que je m'assurerai de toujours sentir au moins la magie de l'un d’entre eux. Enfin, ma parole ne doit pas valoir grand-chose à leurs yeux.

« Pourquoi as-tu fait ça ? »

Je sens le pelage de la chimère se coucher contre moi. Je pose ma main sur elle et commence à la caresser.

« Que voulais-tu que je fasse d’autres ? Je connais leur plan machiavélique pour dominer le monde. Je connais leur visage. Ils ne me laisseront pas partir. Soit je reste là et je me tiens tranquille, soit ils me tuent. Alors je te propose qu'on s'alterne ma garde. Moi le jour, toi la nuit. »

Les insectes chantent.

« C’est d’accord. »

Je ne pensais pas qu’elle accepterait si facilement.

« Il y a quelque chose qui m'attire ici, Hegal. Ils sont tous surprenants.
- Ce sont des terroristes. Ils croient faire bien mais ils ne rendent que des gens attristés par la mort de leur proche.
- Je ne sais pas. Je veux juger moi-même. Je veux les voir faire avant de déterminer si rentre dans ma notion de bien.
- Tu prends beaucoup de risque pour un simple jugement.
- C’est possible. À ton avis, quel est leur but ?
- Prendre le pouvoir en perturbant celui déjà en place.
- Je ne crois pas. Aucun d’eux n'a l'étoffe d'un leader.
- Comment peux-tu juger de ça ?
- J'ai grandi avec une reine et deux princesses !
- Si cela suffisait… sache que je ne compte pas reprendre le flambeau de Maman. Helin le fera si elle le souhaite, mais tu peux effacer l'image de princesse que tu te fais de moi.
- Dommage. Je pense que leur objectif est juste de rendre le monde meilleur. Leur méthode est juste un peu… mortelle. »

Hegal n'a rien répondu. Je crois qu’elle est fatiguée. Je crois que de parler de royauté et d’héritage l'a contrariée. Mieux vaut que je la laisse. Je me blottis contre elle.

« Bonne nuit Hegal, fais de beaux rêves.
- Bonne nuit Ezer. »

________________________________________________________________________

J'ai poussé doucement la porte, ne sachant pas si j'avais le droit de rentrer. La pièce principale avec les tables étaient vides. J'ai refermée silencieusement la porte derrière moi. Je suis seul aujourd’hui, Hegal dort. Je dois surveiller mes arrières. On m’a fait visiter le bâtiment hier, je me sens plutôt à l'aise. Mais je ne le connais pas assez pour pouvoir me défendre et me sauver si besoin est. Mais je n’ose pas trop me promener seul dedans. J'ai peur que ça les contrarie. Le jour est à peine levé en plus. J'ai eu le temps de manger avant de venir ici et de trouver de l'eau. Il y a un ruisseau qui descend la montagne.

Je remarque qu’il y a un journal qui a été laissé sur la table. Je m'assoie devant. Je ne sais pas lire. Il n’y a qu’une illustration, sur la première page. Je ne reconnais pas le lieu, c’est un village caprin. Il y a des habitants assis ou allongé dans une rue, il n’y a plus une herbe sur le sol. Ils ont l’air mal-en-point. Je crois avoir entendu que c’est la famine là-bas. La sécheresse n'a jamais été si rude pour eux, les récoltes sont mortes.

Je tourne la page. Que du texte. Je me concentre sur les caractères. Certains sont plus répétitifs que d’autres. Je reconnais quelques mots qui sont assez commun dans les villes : magasin, boutique, entrée, sortie, poussez, tirez, toilette…

« Tu lis le journal ? »

Je lève la tête. C’est Zorigaitza.

« Non. »

Il s'assoit autour de la table.

« Tu as besoin de quelque chose ? »

Il me regarde. Sa voix grave est douce. Je crois qu’il essaie d’être gentil avec moi.

« Non. »

Je le regarde. Je suis rentré pour trouver un peu de compagnie, pour en apprendre un peu plus sur eux.

« D’où viens-tu Ezer ? »

Oh je vois, lui aussi il veut en apprendre un peu plus sur moi.

« Des montagnes du Sud, plus à l'Ouest d'ici. J'ai un peu de famille là-bas, mais je suis parti.
- Tu es parti ?
- C’est naturel. Quand les enfants grandissent, ils quittent leurs parents.
- Mais tu es encore jeune.
- Je suis parti en même temps que mon frère et mes sœurs, nous avions le même âge.
- Tu as vous êtes une quadruplé ? Plus ?
- On peut dire ça. »

Il semble étonné. Je ne juge pas utile de préciser que l'on parle ici d’une famille de chimères. À mon tour d’être curieux.

« Et vous ? D’où venez-vous ?
- J’étais l’héritier du royaume, le premier prince. J'ai été écarté étant adolescent, on a jugé que ma santé était trop fragile pour gouverner. Mon petit frère est devenu l’héritier. Alors, je suis parti avec Nomnos pour faire de la route. Nous avons finalement eu le projet de fonder l'Œil.
- Vous êtes malade ?
- Ça va mieux, je n'attrape plus toutes les épidémies qui passent. Ça arrive de temps en temps.
- D’accord. »

Il n’a pas de chance. Même si c’est moins fréquent, j’imagine qu’il souffre assez souvent quand même. Enfin, c’est un battant, parce que des épidémies qui passent, ça fait souvent des morts. Après, il est de sang royal, il devait avoir bons médecins étant jeune.

« Ezer, n'as-tu pas peur de te mettre en danger en nous aidant ? Surtout si tu n'as jamais été à la capitale.
- Vous essayez de me dissuader ?
- Nous faisons ça dans le cadre d'un combat. Si tu ne comprends pas les tenants et les aboutissants de ce combat, c’est inutile de te mettre en danger. »

Un combat, hein ? Peut-être que j'ai parlé trop vite hier soir… je me demande jusqu’où il peut aller pour son combat.

« J'irai. Comme ça, vous pourrez me montrer les tenants et les aboutissants de votre combat. »

Je veux voir qui est l'Œil. Nos regards se sont croiser. Je veux voir si ton combat est juste, quelle est ta vision du bien ? Montre-moi, je suis curieux de savoir, de connaître toute l’étendue de ta détermination.

« Comme tu veux. »

J'ai souris. Il va dans mon sens, il n’est pas contrariant lui. Je crois que je vais commencer à bien l'aimer. Il est chef, mais il se repose beaucoup sur les autres, si bien qu’ils les écoutent peut-être un peu trop. Ça lui permet probablement d’être apprécié de ses compagnons et d’être justes avec eux. En revanche, niveau autorité et charisme, c’est pas ça. Il est toujours calme, je le vois mal monter le ton finalement…

« J’avais une question.
- Oui ?
- Hier, est-ce que vous avez fait tombé votre verre exprès ou pas ?
- J’avais un pressentiment, une impression de n’être pas seul avec Nomnos, Zizare et Sua.
- Je vois. »

Étrange quand même. Nos sorts ne devraient pas créer ce genre de situation. Soit il dit vrai et il a un sixième sens, soit il connait un sort capable de dévoiler notre présence. Auquel cas, Hegal n'est pas en sécurité. Peut-être qu’il vaudrait mieux que je leur dévoile sa présence ? Après tout, elle a entendu comme moi. Mais s’il possédait ce genre de sort, il aurait forcé Hegal à rester aussi. C’est trop risqué pour l'Œil qu’elle s’enfuit. Plus que moi-même. La réponse la plus logique est qu’il ne l’a pas remarqué, qu’il a simplement une intuition.

« Quand est-ce que vous irez chasser ces vendeurs de drogue ?
- Dans deux jours, lorsque les regards seront tournés vers le conseil elfique.
- Et vous espionnez ce conseil finalement ?
- Je ne sais pas encore. Oun n'est pas prêt à s’y rendre seul selon moi. »

Oun, c’est la bestiole blanche. Ce serait un griffon des neiges. Sua m'a expliqué que Nomnos l’avait sauvé dans la banquise et l'avait ramené ici récemment. Il n’aurait qu’un an. Il n’est pas prêt tout court. Trop jeune. C’est de la folie de l'envoyer là-bas.

« Ezer. Ton intrusion ici est-elle aussi désintéressée que tu le prétends ?
- C’est un peu tard pour me demander ça, non ? S’il y avait eu quelque chose qui m’intéressait, je l'aurais déjà pris. »

Je lui ai lancé un regard rusé, je l'aurais même déjà pris mille fois. Ce n’est pas les possibilités qui me manquent.

Il a légèrement froncé les sourcils. Mécontent ? Méfiant ? Je ne sais pas, mais il n’a pas apprécié ma pique. Continuons.

« En fait, vous n’êtes que quatre ? C’est peu pour une organisation criminelle non ?
- Effectivement, nous nous penchons peu à peu sur d’éventuels recrutements, mais tu comprendras que ce n’est pas si simple. Il faut que nous prenions nos précautions.
- C’est vrai. Mais d’être si peu limite grandement vos possibilités d'action. Je veux dire, difficile de planifier plusieurs actions en même temps. »

Il m'a regardé. Clairvoyant, non ? La vérité, c’est que ça saute aux yeux. L'Œil est connu pour s’être fait décimé, pas pour avoir un poids important. Ce serait même plutôt une des dernières préoccupations des castes.

« Peut-être mais c’est compliqué pour nous d’accueillir beaucoup plus de monde. Nous avons déjà du mal à nous procurer suffisamment de nourriture pour tous les cinq, notre eau dépend uniquement de la pluie, et le bâtiment est à peine fini. Lorsque nous aurons une situation plus confortable, je pense que nous pourrons nous concentrer pleinement sur le recrutement.
- Ça va devenir un hôtel. Pour la nourriture, je ne sais pas où vous vous la procurer, mais il devrait y avoir suffisamment de fermes sur le continent pour vous nourrir.
- Avec quel argent payons-nous les fermiers ?
- Vous les recrutez. Il y en aura bien un qui sera en adéquation avec vos projets.
- Ça se réfléchit…
- Et pour l'eau, il y a une rivière qui ne coule pas loin. Cumulé avec des récupérations d'eau, je pense que c’est jouable. Il faut juste se méfier de la sécheresse.
- Ça me parait trop simple pour que cela fonctionne, mais admettons.
- Il n’y a pas toujours besoin que ce soit compliqué. Il suffit de savoir quoi exploiter et comment. »

Les hommes me l’ont bien montré, ils sont présents sur l'ensemble du continent et ce par tous les temps, du désert à la banquise. Ces trois années de voyage m’ont appris à les observer et à les imiter.
J'ai levé les yeux vers le couloir en entendant des bruits de pas. Sua est apparu, encore endormi, les cheveux en pétard. La classe… j'ai étouffé un rire. Le réveil ne le réussit pas apparemment. Je vais éviter de le taquiner tout de suite.

« Je vais faire un tour dehors, Sua.
- Je m’en fiche…
- Comme tu me surveilles, je me disais pourtant que ça t’intéresserait…
- Ah oui, c’est vrai. Laisse-moi me préparer, je viens te surveiller. »

Et il a disparu dans un autre couloir. Je n’ai pu contenir un rire. Il a une drôle de façon de surveiller quelqu’un celui-là ! Je me suis levé et je me suis dirigé vers la porte.

« Merci pour le brin de causette !
- Avec plaisir, Ezer. »

Je suis sorti, il y a quelque chose que je veux voir. Ou plutôt quelqu’un. Je me suis arrêté au pied du trou où nous sommes entrés hier. Il manque littéralement un morceau du mur en fait, je ne sais pas si juste un trou suffit à qualifier cette ouverture.

Bilan. Je sens bien Zorigaitza. Même si ça me parait étonnant qu’il soit si empoté… je sais qu’il vient de la famille royale, il parait qu’ils ne sont pas bien au point là-bas niveau survie, mais enfin, il y a des bases à avoir. Je pense qu’il cache ses atouts. Un gars tel qu’il le laisse paraître ne peut pas être chef d'une bande de terroriste, c’est trop irréel. Même si son organisation s’est déjà faite écrasée une fois, ça peut expliquer des choses. Sa vraie force est forcément quelque part.

Bref, voyons le membre suivant ! J'ai pris l’apparence d'une corneille pour rejoindra le bord du trou. Oun est là, couché dans la paille. Il ne s’est donc pas levé depuis hier ? Je regarde les seaux. Ah si. Le niveau a baissé. Le griffon blanc ne me regarde pas. Je ne veux pas le surprendre. Je croasse. Il lève un œil dans ma direction. Je reprends forme humaine. Il ne semble pas étonné. Je m’approche de quelques pas. Il commence à grogner.

« Oun, je m'appelle Ezer. »

Je me suis encore approché. J’ai planté mon regard le sien. Il a de grands yeux sombres fendus de deux pupilles noires. Je ne lui veux pas de mal, je veux juste discuter. Il s'est redressé et a hérissé son pelage. Ses ailes se sont entrouvertes, le rendant plus impressionnant. J'ai tendu ma main dans sa direction. Je n'ai pas peur de toi. Je veux être ton ami. Je souhaite juste passer un peu de temps avec toi et te connaître.

Il a cessé de grogner et s'est approché avec méfiance. Nos regards ne se lâchent pas. Aies confiance. Je ne te veux que du bien. Tu pourrais me tuer ou me blesser si facilement, tu n'as qu’un an mais tu es plus massif que moi. Ton bec est plus aiguisé que mes griffes et tes ailes sont plus puissantes que mes crocs. Tu le sais. Tu n'as pas à me craindre. Je le sais. Je n'ai pas peur de toi.

Les minutes ont défilé. Oun a finalement placé son bec dans le creux de ma main, timidement. J'ai laissé ma main glisser sur son doux plumage immaculé. Tu vois, tu n'as rien à craindre. Je ne te veux pas de mal. J’enlève les brins de paille coincé dans les plumes et les poils du griffon au fur et à mesure que ma main se promène sur lui. Il est doux comme une peluche, c’est agréable. Il me fixe. Il est toujours méfiant.

« Je viens d'une famille de chimères, Oun. J'ai rencontré d’autres griffons avant toi, mais ils étaient tous bruns ou sable. Tu es le premier griffon des neiges que je vois. »

Je me suis rapproché de sa tête et j'ai gratté derrière ses oreilles. Il a émis un faible ronronnement avant de secouer la tête vigoureusement. Je me suis écarté.

« Je ne veux pas que tu aies peur de moi. Je risque de rester un peu, alors je préfère que nous soyons amis. »

Si dans deux jours nous partons à la capitale, dans combien de temps l'Œil va-t-il s'en prendre aux elfes ? On ne me laissera pas partir avant. Quoique vu la surveillance qu’on m'accorde, je pourrais partir de suite. Je pourrais sûrement leur échapper le temps qu’ils accomplissent leur mission. Mais… je crois que je ne veux pas leur causer de problème.

________________________________________________________________________

J'ai caressé une dernière fois le pelage d'Oun.

« Prends soin de la maison, lui ai-je soufflé. »

Il n’a rien répondu. Je suis descendu par l’ouverture du mur. J'ai sauté, parce qu’à descendre, ça va plus vite. C’est haut, mais pas insurmontable.
Zizare, Sua, Nomnos et Zorigaitza sont là. C’est le moment du départ. Je vais enfin découvrir la capitale. Pas que je sois impatient avec tout ce qu’on dit dessus, mais il me reste cette curiosité. J'ai hâte de savoir sur quoi on va tomber. Pourvu que ce soit amusant.

« Tout le monde est prêt ? Vous vous souvenez du plan ? »

Chacun a répondu affirmativement. Je connais ma part : suivre sagement Zorigaitza tandis que Nomnos et Sua feront équipe. Zizare se tient prête à nos évacuer en urgence si besoin. C’est tout ce que j'ai à savoir. Mais j'ai retenu un peu plus que ça, Hegal a écouté la suite du plan pour moi. Avec Zorigaitza, on passe par le Nord. Nomnos et Sua par le Sud. Apparemment, les vendeurs se cachent dans les égouts et les sous-sols. Il y aurait d’immenses galeries sous la capitale.

Nous décollons. Sua et Nomnos sont sur le dos de Zizare tandis que Zorigaitza et moi, les deux garous, avons pris une apparence d'oiseau. J’espère que mes ailes tiendront bon jusqu’à la capitale.

________________________________________________________________________

Je me suis arrêté devant l’entrée du sous-sol. C’est sombre, ça sent mauvais et ça à l’air étroit. Je ne suis pas à l'aise… j'ai voulu posé ma main sur le pelage d'Hegal, j'ai retenu mon geste. Hegal n'est pas censée être là.
Zorigaitza s’est tourné vers moi.

« Qu’est-ce que tu fais ? »

Je le rejoins. Tu es seul, Ezer. Surmonte ça par tes propres moyens ! Tu n'en seras que plus fort. J'ai serré le poing, m'enfonçant dans les ténèbres, pas question de reculer. Je suis seul et je vais m'en sortir.

Mes yeux s'habituent vite au noir. Je remarque que Zorigaitza a pris l’apparence d'un chat. Je devine que c’est pour voir où il met les pieds. L'air est lourd, c’est étouffant. Je n’aime pas ça. Mes mains sont moites. Je les essuie sur mes vêtements. Le chef miaule. Je le regarde, lui aussi. Il est calme. Détend-toi. Respire. N'aies pas peur.

Nous avançons un moment avant d'arriver à une sorte de salle éclairée par des lanternes de couleurs chaudes. Un marché s'étend devant nous, un marché souterrain. Je ne m’attendait pas à ça… c’est bruyant, assourdissant même. Les sons résonnent. Comment les gens parviennent à supporter ça ?

« Ça change du calme de la nature, remarque Zorigaitza. »

Hmf… fiche toi de moi en plus. Si tu crois que ça va m’arrêter !

Nous avançons entre les étals. Je fais attention à ne pas perdre Zorigaitza de vue, il avait repris sa forme humaine. Heureusement parce que suivre un chat dans cette foule, c’est peine perdue. Je ne croise pas le regard des gens. C’est une masse oppressante. Je me sens mal ici. Je ne regarde pas les stands, ils sont trop serrés, trop proches, oppressants aussi. Je ne regarde que le chef aux cheveux noirs. J'ai peur de paniquer si je le lâche, de ne jamais retrouver mon chemin.

Il s’arrête finalement devant une sorte de chapiteau de toile.

« À partir de là, reste sur tes gardes ! Et quoi qu’il arrive, ne mange pas, ne bois pas, ne respire bien ce qu’on te propose. Imite les autres jusqu’à ce qu’on arrive dans leur quartier général. C’est compris ?
- Oui. »

Je ne suis pas rassuré du tout. Je ne le sens pas du tout du tout. J'ai reculé un peu. J'ai croisé le regard de Zorigaitza. Il est calme. Comment peux-tu être calme ? Tout ce brouhaha, toute cette foule, et tu m’emmènes dans la gueule du loup ? Tu es calme. Moi, j'ai peur. Je suis mal. J'ai trop chaud. Je suis abasourdi par le bruit. Je ne sais plus quoi penser. J'ai juste peur. Je veux partir.

Tu m'as tendu ta main. J'ai planté mon regard dans le tien. Oun. Oun. J'ai fais pareil avec Oun. Je lui ai tendu la main aussi, et il a accepté. Il a accepté de surmonter sa peur. Oun l'a fait, il l’a fait pour moi. Alors pour toi, je vais le faire aussi. Si Oun a réussi, je réussirai aussi ! J'ai attrapé la main de Zorigaitza et nous avons avancé.

________________________________________________________________________

« Ezer ! Ezer ! Tout va bien ? »

J'ai l’esprit engourdi. Je tâte maladroitement le sol autour de moi. Je touche quelqu’un, qui est-ce ?

« C’est moi Ezer, tout va bien. Nous sommes dans le chariot qui nous mène à leur quartier général, murmure-t-il. »

Je me redresse doucement. J'ai envie de vomir. Et les secousses de la route n'arrangent pas ma situation. Les odeurs sont toujours aussi nauséabondes, l'air lourd. Je sens que je vais lâcher. Je distingue des corps allongés autour de moi. Ça pue.

Il me tire contre lui par mes vêtements et me pose contre son épaule. Il pose sa main sur mon front, elle est froide, ça fait du bien. Je laisse ma tête se reposer contre lui.

« Ton état m’inquiète. J’espère que tu n'as rien pris de leur saloperie et que ce n’est que l’air du pays qui te déplait. »

J'ai senti mon estomac remonter. J'ai attrapé en vitesse la barre de bois derrière nous et j'ai vomi par-dessus bord. Je suis resté haletant quelques secondes, la tête hors du chariot. Merde. Je suis vraiment mal. Mes doigts ont serré la planche qui refermait l’arrière du chariot. Je dois tenir bon. L’atmosphère est insupportable, mais je dois tenir. Ça m’étonne presque qu'Hegal ne soit pas encore intervenu vu mon état. Est-elle là au moins ? A-t-elle osé me suivre ?

Je me rassoie à l’intérieur et essuie ma bouche d'un revers de main.

« Ça va aller ?
- Oui. »

Je me suis remis contre lui, je n'ai pas la force de me tenir seul. J'ai mal aux épaules avec les heures de vol qu’on s'est mangé avant, j'ai mal au ventre, et il fait toujours aussi lourd… quel enfer ! Je me sens aussi lourd que l'air, comme si j'allais m'écrouler. Je sens la main de Zorigaitza se poser sur mon épaule. Ça va aller…

________________________________________________________________________

« Ezer, debout. On est arrivés. »

Il m’a secoué doucement. J'ai redressé la tête. Hmf… je me suis endormi. Je me frotte les yeux tandis que le chef se lève déjà. Il me tend sa main et m'aide à en faire de même. Contre toute attente, je remarque que le chariot n'est pas encore stoppé et Zorigaitza m'entraine vers le fond. Il s’y rassoit et m'invite à l'imiter.

« Je t’explique maintenant : on se laisse sortir. Dès que la voie est dégagée, on lance l'offensive. Le but est d'éliminer le plus de trafiquants possibles. Si jamais l'un de nous sent qu’il va flancher, il déclare le repli, c’est clair ?
- Je crois. »

Je ne comprends pas bien le « quand la voie est dégagée » mais je vais suivre le mouvement. Le chariot s’arrête. Des hommes masqués retirent la planche qui ferme l’arrière.

« Debout là-dedans ! crie l'un d’eux. »

Les corps qui jusqu’ici jonchaient mollement le sol s'ébranlèrent, se redressèrent lentement, comme des cadavres que l’on venait de déterrer et qui revenaient à la vie. Leur puanteur aussi revint à la vie par cette même occasion. Les hommes se sont impatientés. Ils ont attrapé le premier corps et l'ont jeté hors du chariot sans la moindre douceur. J'ai eu peur qu’il me fasse la même chose. Zorigaitza s'est levé, lentement, comme les autres corps. Il les imite terriblement bien… alors je fais de mon mieux pour en faire de même. Je me sens mal, j'ai peur. J'ai chaud, l'air m'étouffe. Je titube, bouscule un corps et le fait tomber sur le côté. Merde. Reste dans ton rôle. Ne te fais pas remarquer. Les hommes ne semblent pas trop y prêter attention, sortant un à un les corps. Quand vient mon tour, ils m'attrapent par les épaules et me jettent au sol. Je roule et redresse la tête, confus. Les silhouettes dansent quelques secondes autour de moi et tout redevient à peu près net. Les corps se relèvent. J'en fais de même. Les hommes nous mènent dans une autre salle. Ça commence à sortie la sueur, le sang, la peur, la mort. Je panique. Où va-t-on ? Pourquoi ? Que va-t-on nous faire ? J'ai peur. Je me suis planté, ne sachant que faire. Je ne veux plus continuer. L’atmosphère est insupportable. Je me sens lourd, j'ai du mal à respirer.

« Avance ! ordonne un homme en m'attrapant le bras. »

J'ai lâché. Une violente décharge est partie, l'homme est tombé au sol. La sortie. Je dois trouver la sortie. J'ai regardé, paniqué, autour de moi. Pas d’air pour me guider. Pas un faisceau de lumière. Un homme s'est rué sur moi. Je l'ai électrocuter aussi. J'ai peur. Je dois partir.

Un flash lumineux m’a fait tourné la tête. Zorigaitza vient de brûler trois hommes d'un coup. Cela fait, il m'attrape la main et me tire avec lui. Je ne résiste pas.

« C’était un peu tôt Ezer, il fallait rester calme. »

Il y a eu des cris derrière nous. J'ai peur. C’est de ma faute. J’ai laissé un larme couler, parce que c’est tout ce que je pouvais faire. Zorigaitza nous conduisait vers les odeurs macabres, morbides.

« Tu devrais fermer les yeux, ça ne va pas être beau à voir. »

Je l'ai écouté. Je l'ai laissé me guider. J'ai écouté les cris en arrière. Les pas du chef qui résonnent. J'ai senti la mort toute proche, le sang, la peur. J'ai peur. J'ai entendu un claquement suivi d'un long grincement. Une porte ? Le son s'est répété plusieurs fois, Zorigaitza s'activait. Ses pas étaient pressés. Il allait, venait dans un espace que les bruits et la résonnance ne me permettaient pas de délimiter. Les cris derrière nous se rapprochent dangereusement. Je crois qu’on nous poursuit. J'ai commencé à entendre des pas par-dessus des cris. C’est très près.

« Ezer ! Viens par là ! appelle Zorigaitza. »

Avec les cris, les sons, les échos, je m'arrive pas à déterminer d’où sa voix vient. Alors j'avance hasardeusement.

« Ezer ! Derrière toi ! »

L'urgence. J'ai ouvert les yeux, je me suis retourné. Les hommes sont là, juste là. J'ai paniqué. J'ai lâché tout le jus que j'avais, jusqu’à ce que je n'entende plus rien. Quand j'ai pris connaissance de la situation, tous les hommes étaient à terre, assommés ou morts, je ne sais pas. Mes doigts picotent. Je me sens faible. Le monde a commencé à prendre des formes étranges. J'ai tendu la main pour me raccrocher à quelque chose. Hegal. Zorigaitza m’a rattrapé.

« Joli coup. »

Il m'a hissé sur son dos et nous sommes partis. Il a pris un couloir sombre. L'air est lourd. Nous avançons lentement. Ou du moins, le couloir, circulaire, sans couleur, continue de s'étendre à l’infini. J'ai l’impression qu’il y en a des kilomètres et des kilomètres, mornes, toujours pareils. Je me demande si on ne tourne pas en rond.

Finalement, nous arrivons dans une nouvelle salle, vide cette fois. Je distingue deux silhouettes à l'autre bout. Nomnos. Sua. Ils se lèvent. Nomnos a fait signe de main. Zorigaitza lui a répondu. Nous nous sommes retrouvés au centre de la salle. À peine Nomnos a ouvert la bouche que j'entends une chaîne bouger. La seconde d’après, nous sommes sous une cage. On est piégés. Des hommes apparaissent. Le chef me dépose au sol, je le sens tendu.

« Les oiseaux sont en cages on dirait, ricane un homme.
- Il se sont faits plumer une fois, pourquoi pas deux ? lui répond un autre pas moins moqueur. »

J'ai senti Zorigaitza et Nomnos se crisper. Sujet sensible. Sua l'a senti aussi je crois, il a lancé un puissant jet de flammes en direction des hommes. Je crois que ça n’a pas marché, ils ont ricané de plus belle. Je me suis redressé tant bien que mal. J'ai la tête lourde, j'ai chaud.
Les hommes ont attaqué à leur tour. Des projectiles de divers éléments ont fusé vers nous. J'ai voulu me lever, les éviter, lever les mains pour utiliser mon anti magie. Rien à faire. Hegal. Hegal. Viens. Aide-moi. J'ai besoin d'aide. Hegal.

Zorigaitza s'est interposé pour me protéger. Les projectiles l'ont blessé. J'ai eu peur. C’est de ma faute. Zorigaitza saigne. Il tient debout, mais il est blessé. Depuis le début, il me protège…

J'ai fermé, je me suis concentré. Hegal peut nous sortir de là. Elle doit le faire. Je connais pas toutes les nuances du chant des chimères, mais à force de les écouter, j'ai compris le sens de certaines notes. Le son résonne. Si elle est dans le coin, elle devrait m'entendre. Et j'ai commencé à chanter, à imiter ce que les chimères ont toujours fait. J'ai chanté aussi fort que j'ai pu. Hegal. Je t'en prie. Viens. Sauve-nous.

C’est devenu trop dur. Je me suis laissé tomber au sol. Je n'ai plus de force. J'ai fermé les yeux. Je ne veux pas mourir…

________________________________________________________________________

Une voix calme et grave m'a réveillé. J'ai ouvert les yeux. Je distingue la silhouette d'Hegal, et face à elle, Zorigaitza. On est vivants. On est vivants… Hegal est venue. Elle nous a sauvés. Elle s'est tourné vers moi, le regard sévère. Elle est fâchée ? J'ai voulu tendre la main dans sa direction pour la toucher. Trop faible. Hegal a attrapé la couverture qui me recouvrait et l'a remonté. Je suis dans un lit...

________________________________________________________________________

« Tu vas mieux ?
- Oui, merci !
- Je suis rassuré. Entre les faiblesses que tu manifestais là-bas et ta chimère qui ne nous laissait pas t’approcher, je n’étais pas tranquille.
- Pardon de vous avoir inquiétés. Et aussi de ne pas avoir été à la hauteur…
- Ne dis pas ça. C’est moi qui ai mal jaugé tes capacités. J'aurais du te dissuader avec plus d'insistance.
- Vous n’auriez pas réussi à me dissuader. »

J’ai souri. J’étais décidé, rien ne m'aurait fait reculer. J’étais trop sûr de moi. Maintenant, s’il veut me dissuader d’y retourner, il n’y aura pas de mal. Le chef m’a rendu mon sourire. J’imagine que nous partageons les fautes.

« J’espère que Hegal n'a pas été trop brusque avec vous…
- Je crois que nous lui devons une fière chandelle. Mais je suis surpris qu’elle soit apparue devant nous, les chimères n’apprécient pas être vue.
- Ah ah… elle ferait n’importe quoi pour son frangin.
- La prochaine fois tu te débrouilleras, andouille ! »

Je me suis retourné. Elle était là, bien visible. Je suis surpris. En revanche, elle n'a pas l’air de très bonne humeur. Je me suis pourtant excusé… enfin, j'imagine qu’elle n'est plus vraiment fâchée, simplement elle me fait comprendre que les événements l'ont beaucoup contrariés.

« Je te revaudrais ça, ne t’inquiète pas !
- Ce n’est pas la question, sombre idiot. »

Finalement, elle est toujours fâchée… j’ai rabattu mon sourire et je me suis levé. On va régler nos comptes. Zorigaitza nous a observé en silence. Nous sommes sortis à l’extérieur et nous sommes placés face à face.

« Je me suis déjà excusé ! Je ne recommencerais plus à foncer tête baissée dans les embrouilles !
- Tu dis ça à chaque fois ! Ta curiosité te pousse toujours dans des situations compliquées ! Et tu as encore fini y laisser ta peau !
- Je le sais bien. Mais c’est plus fort que moi, j'ai besoin d'assouvir cette curiosité.
- Prends au moins le temps de me demander mon avis dans ce cas ! Je ne suis pas à ton service, j'ai autre vocation que d'assurer tes arrières !
- Pardon. Je te promets de faire des efforts.
- Tu as intérêt ! Crétin va ! J’étais inquiète moi ! Pense à ceux qui tiennent à toi, bon sang ! »

Et elle a disparu. Je me suis assis en tailleur et j'ai soupiré. C’est qu’elle n'a pas tord en plus. Je devrais faire plus attention à elle. Mais depuis le début, c’est elle qui me protège. Je n'aurais jamais pu faire autant de route sans elle… elle est bien plus forte que moi, bien plus solide. Jamais elle ne flanche, elle est toujours là au bon moment au bon endroit…
Je me suis levée. Changeons les règles.
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Messagepar New Mentali » 09 Juin 2020 09:39

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Année : 81
Le passage de déroule juste après "Let's change the rules" et je peux en dire la même chose.



Être seule, de temps en temps, ce n’est pas si mal non plus. Je me sens plus libre, plus sereine. Mais je ne peux pas m’empêcher de penser à Ezer et à l'Œil. J'ai le pressentiment que notre petit voyage est fini. Il va rester là, avec eux. Il les apprécie, et il n’a pas encore tout vu alors il va rester. Je crois qu’ils l’apprécient aussi. Ils le trouvent curieux, intelligent et dynamique. Je ne peux pas les contredire. Il a un sens de l’observation plus abouti que moi, une capacité a élaboré un plan plus importante. Il n’est pas mauvais lorsqu’il s’agit de bluffer non plus. Alors il nous a déjà sorti de beaucoup de situation compliquée. Des situations dans lesquelles il nous avait mis.

« Bonjour Hegal… »

Zorigaitza… il était tombé là à moitié par hasard et maintenant qu’il m'avait devant, il ne voulait pas me surprendre d’après sa voix. Il veut parler. Probablement d'Ezer.

« Bonjour Zorigaitza. Qu’est-ce qui t'amènes ? »

Il s'est approché, restant néanmoins à une bonne distance. Il ne sait pas jusqu’où il peut aller. Est-ce qu’il a quelque chose à demander pour rester ainsi en position d’infériorité ? Il n’est pas hésitant, mais il prend ses précautions…

« Je voulais parler avec toi, si tu le veux bien. »

Je l'ai regardé. Parle.

« Tu as beaucoup voyagé avec Ezer, non ? Je suis plutôt curieux de voir une chimère qui s’est laissée approcher par un humain.
- Je n'ai jamais laissé Ezer s’approcher, Zorigaitza. Il a toujours été à mes côtés. »

Il a marqué un silence. J'ai peut-être été un peu sèche, il n’a pas prévu ça dans son plan d’action. Alors c’est moi qui est repris, parce que je suis quand même curieuse de savoir où il veut m’amener.

« Ezer est orphelin. Notre mère, Hene, l'a recueilli un peu avant de nous mettre au monde. Il a grandi avec nous, comme si c’était n’importe quelle chimère. Nous ne l'avons jamais considérer comme un humain, ce n’en était pas un. C’était notre frère, tout simplement. »

Il est laissé une seconde.

« Et aujourd’hui, qu'en est-il ? »

C’était osé. Je sais qu’il veut en arriver à la dispute avec cette question.

« Laisse-moi deviner. Il m'attend avec un grand sourire ? Il est tellement persuadé que je vais rentrer qu’il m'attend. Je lui manque, non ?
- Vous vous connaissez bien. Il m'a dit qu’il savait que tu rentrerais, qu’il souriait parce que tu n'aimerais pas le voir triste. Je lui ai demandé combien de temps il attendrait : il passe ses journées à l’étage à scruter le ciel. Il m'a répondu longtemps parce que tu étais très contrariée. Mais il m'a aussi dit que le temps qu’il attendait n'avait pas d’importance, parce que vous pourrez en passer le double ensemble lorsque tu reviendras.
- Je ne suis pas étonnée. »

Silence. Il n'ose pas insister, il doit penser que ce serait contre productif. Il n'a pas vraiment tord, il réussirait probablement à m'agacer.

« Je ne sais pas si vous avez parlé – vous devriez – mais je pense qu'Ezer va rester à l'Œil un moment.
- Comment te places-tu vis-à-vis de ça ?
- Je ne me place pas encore. Je ne vois pas l'Œil comme une organisation capable de perturber le cours des choses, ou du moins, pas à l'heure actuelle.
- Et toi, qu’est-ce que tu me conseilles pour changer cela ?
- Rien, Zorigaitza. »

Je me suis approchée jusqu’à me planter devant lui.

« Sache en revanche que j’apprécie ce que tu fais pour Ezer. »

Et si tu restes juste avec lui, il te le rendra.
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Messagepar New Mentali » 09 Juin 2020 10:53

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Année : printemps 93
Nuit noire n'est pas le nom d'un passage mais le nom du document Word. Ce document contient un jet du début de l'histoire principale (à la base je devais continuer et l'écrire en entier). Ce texte est très important pour moi car il m'a permis de donner un sens à ce que j'écrivais, à donner un but à cette histoire et ses personnages. Un but concret, précis et concis.
Ce ne sera cependant pas le rendu final scénaristique parlant. J'ai trouvé plus intéressant pour le développement des personnages. D'autant plus que l'ancienne carte est toujours effective au moment où j'ai écris.



Prologue



Azken marchait, dissimulé par un vieux manteau peu élégant. Il n’aimait pas la matière de celui-ci et craignait que sa saleté se transmette à ses habits plus riches en dessous. C’était néanmoins nécessaire pour maximiser ses chances de fuir. Un sentiment de culpabilité l'habitait, celui d'abandonner sa famille et de prendre une décision injuste.

Soudain, un cri le sortit de ses pensées. Il leva la tête et découvrit un homme encapuchonné qui fonçait vers lui, poursuivi par de nombreuses personnes armées. Azken reconnaissait les tenues de la caste de la ville voisine. Il devait les fuir, il ne voulait pas qu’on le ramène chez lui de force ! Il s’apprêta à faire volte-face mais une main agripper à son vêtement le retient. Le poursuivi se glisse derrière Azken, fait tomber sa capuche, dévoilant le visage du jeune noble et lui place un poignard sous la gorge.

« Plus un geste ou je ne vous laisse que le corps !! »

Les poursuivants s’arrêtèrent net. Azken se tendit, ravalant sa salive. Il n’était pas dans une situation très confortable.

« Prépare-toi à courir, souffla l’homme encapuchonné à son prisonnier. »

D’un geste brusque, il poussa Azken dans la direction où il devait s’enfuir. Celui-ci ne se fit pas prier, ne cherchant même pas à comprendre. L’autre fit jaillir des éclairs de ses paumes et les projeta sur les assaillants. Il se fichait pas mal de les blesser ou même de les tuer, tant qu’il parvenait à s’en défaire. Profitant de la pagaille, il se transforma en une énorme panthère noire et fit volte-face, décidé à rattraper son collègue de fuite. Ce ne fut pas long, ses pas étaient amples et puissants. Il attrapa entre ses crocs le manteau du noble aux cheveux blonds et le jeta sur son dos. Celui-ci s’y accrocha dans un cri de surprise. Cela fait, l’impressionnant félin accéléra. Il slalomait les troncs avec une étonnante aisance et une agilité remarquable.

Le trajet dura de longues minutes. Finalement, l’animal se coucha dans un bosquet pour reprendre sa respiration et permettre à son cavalier de faire une pause. Il restait cependant aux aguets, conscient que le danger pouvait vite revenir.

« Qui êtes-vous ? demanda Azken. Je ne sais pas si je dois vous remercier ou non. »

La panthère se tourna vers l’elfe, le regard clair. Elle parut sourire avant de reprendre forme humaine. C’était un grand personnage fin, vêtu d’un long manteau brun. Un foulard violet dont les deux extrémités pendaient derrière lui était noué à sa taille. Il retira sa capuche, laissant apparaître deux oreilles de félins, des cheveux sombres, ondulés ainsi qu’un masque violet.

« Tu peux m’appeler Ezer, ravi de te rencontrer. »

Ce nom rappelait quelque chose à Azken. Il réfléchissait. Un masque, une magie de foudre, un garou… il y était ! Celui qu’il avait devant lui était recherché dans tout le pays. Un assassin de première catégorie agissant dans une organisation terroriste. Le noble blêmit, pas très rassuré.

« Tu vas bien ? Tu as l’air un peu pâle.
- Je… euh… vais vous laisser. Je… on m’attend et…
- Désolé, ça ne va pas être possible.
- Ah… vraiment ? Vous êtes sûr ? bafouilla le blond.
- Certain ! sourit l’autre.
- Et qu’est-ce que vous allez faire de moi ?
- Tu verras bien. Allez, en route avant qu’on nous rattrape ! »

Azken voulut le retenir, avoir une réponse, mais l’autre avait repris sa forme animale et attrapé le noble entre ses crocs. Il se remit en route, reprenant sa course.

Cela dura de longues heures si bien que le soir finit par tomber. Azken ne reconnaissait plus les paysages depuis un moment. Il avait vu les plaines vertes de la Vallée des Vents et c’était tout. La panthère finit par s’arrêter au pied d’une pente rocheuse, haletante de la course qu’elle venait d’effectuer. Il y avait de quoi. Elle gronda un peu, semblant appeler quelqu’un.

Une créature que le blond n’avait jamais eu la chance d’admirer apparu : une chimère. Son épaisse crinière brune se balançait au rythme de ses pas et encadrait une face blanche rayée. Ses pattes avant épaisses et robustes semblaient celles d’un félin, quant à son postérieur, c’était celui d’une grenouille en tout point. Son pelage rayé se terminait par un longue queue de serpent et était épaulé par deux larges ailes colorées. Une corne retroussée vers l’avant ornait son museau.

Ezer reprit forme humaine, la respiration saccadée. Il salua la bête d’un signe de main, affichant un joyeux sourire. L’autre lui répondit par un grognement mécontent.

« Ça va, se défendit l’autre, c’est exceptionnel. »

La chimère gronda une fois de plus, dévoilant ses crocs aiguisés. Elle se baissa cependant pour permettre à l’humain de monter son dos. Azken en profita pour tenter un évasion. Rapidement, la bête le plaqua violemment au sol, planta ses dents dans la veste sale et décolla, emportant le jeune noble avec elle.

Le vol fut plus bref que la course. L’animal ailé les déposa au pied d’un bâtiment fait de pierre et de bois, dissimulé dans une épaisse végétation, au milieu de pics rocheux.

« Merci Hegal, dit l’homme-panthère à la chimère.
- De rien. »

Son ton sec trahissait son mécontentement. Elle déposa cependant en douceur son passager clandestin au sol. Il se sera bien fait balloter aujourd’hui. Il se redressa, ravi de retrouver la terre ferme, quoiqu’il avait le pressentiment que ses aventures ne faisaient que commencer. Pourquoi on l’avait emmené ici ? L’imposante bâtisse qui se tenait devant lui était-il le refuge des assassins tel que Ezer ? Où était-il ? Allait-il s’en sortir vivant ? Il y avait tant de questions qui le préoccupait. Il se sentait en danger et n’avait aucune idée de comment se sortir de ce mauvais pas.

« Personne ne te veut de mal, rassura Ezer. Enfin, si tu acceptes de coopérer. J’aimerai… ne pas avoir à t’éliminer, si tu vois ce que je veux dire.
- J’en ai bien peur…
- Tu ne me croiras peut-être pas mais je suis de ton côté. Si tu es en détresse, je peux t’aider ici.
- J’aimerai retourner bien sagement chez moi.
- Ce serait dommage d’avoir fait autant de route pour repartir si vite ! Allez en avant. »

Ezer poussa Azken vers la porte du bâtiment. Le noble savait qu’il était inutile de se débattre : son élément magique était faible face à la foudre et se battre contre une panthère, c’était de la folie. La peur au ventre, l’esprit paniqué, il lança un regard suppliant à celui qui l’avait emmené ici.

« Je te promets que ça va bien se passer, respire. »

Facile de dire ça. Le garou poussa la porte après avoir toqué. Azken resta planté là quelques secondes. La salle devant lui était vaste, jalonnée de table ronde. À son extrémité, un bar auquel était sagement accoudée une dizaine de personnes se tenait. À droite, il y avait une cheminée dans laquelle brûlait un feu joyeux. Ezer finit par entraîner le blond vers les autres qui étaient tournés vers eux. Ils portaient tous des masques de différentes tailles et de différentes couleurs. L’atmosphère était chaleureusement, mais quelque chose de mystique flottait dans l’air.

« Bienvenue, commença un homme aux cheveux mi- longs, sombres. Tu dois être Azken, si je ne me trompe pas ?
- Oui, acquiesça timidement le concerné.
- Pourquoi Ezer t’a amené à nous ?
- Pour devenir notre second médecin si tu n’y vois pas d’inconvénient, répondit joyeusement le concerné.
- Tu aurais pu nous prévenir avant, râla un homme avec un masque rouge.
- On s’est croisé par hasard ! se défendit la panthère.
- Peu importe, les coupa celui aux cheveux sombres. Si Azken manifeste son accord, il deviendra membre de l’Œil du Corbeau.
- Je crois que je n’ai pas beaucoup le choix, marmonna l’elfe.
- Bien sûr que si. Ezer pourrait te ramener à tes parents, ils promettent une belle récompense pour celui qui leur ramène leur fils.
- Sans me tuer ?
- Après avoir récupérer l’argent, sourit la panthère.
- Je vais plutôt rester là alors… »

L’homme à la chevelure sombre se leva et s’approcha d’Azken, celui-ci recula, pas très rassuré. La personne qui se tenait à présent devant lui ôta son masque, laissant apparaître un visage sévère et un regard doux. Elle tendit une main osseuse vers l’adolescent. Ce dernier hésita une seconde avant de sa serrer. Ce contact n’était pas désagréable, les doigts froids de l’homme avait quelque chose de rassurant. Peut-être parce qu’il aidait Azken à humaniser ce personnage.

« Soit le bienvenu parmi nous aujourd’hui et pour l’éternité à venir, Azken.
- Merci. »

L’adolescent croisa les yeux de celui qui l’accueillait. Il y trouva une profonde gentillesse. Ses paroles étaient sincères. Faisait-il réellement partie de ces monstres qui rongeaient la stabilité du pays en semant une violente pagaille ? Le blond eut un doute du lieu sur lequel il était tombé.

« Je me présente, je suis Zorigaitza, le chef et fondateur de l’Œil du Corbeau. Si tu as la moindre question, je suis à ton écoute.
- Je me représente, je suis Ezer et je vis avec l’Œil depuis un moment déjà ! enchaîna la panthère-garou en retirant son masque ; un sourire franc et un œil amusé apparurent. Et je pense que nous devrions fêter ton arrivée !! »

Les camarades accoudés au comptoir acclamèrent la nouvelle.


Partie I

Chapitre 1

« J’imagine que tu connais la raison de ta présence ici, Ezer.
- Je crois la deviner. Au cas où, je ne l’ai pas dit, mais je me porte garant de lui le temps de son intégration.
- Pourquoi lui ?
- Hm… une intuition.
- C’est tout ?
- Va savoir !
- Ezer, tu agis sans prévenir personne, sans raison valable apparente, et contre le gré d’Azken. J’espère que tu as conscience des risques que tu prends.
- Est-ce que je me suis déjà trompé ?
- Rien ne dit que ça n’arrivera pas.
- Rien ne dit que ça arrivera !
- Je me trompe peut-être mais tu as déjà un peu d’affection pour lui. Veille à ne pas avoir besoin qu’on l’élimine.
- Cela va de soi !
- Bien. Ton pari est risqué. En revanche, je serai ravi que tu le remportes. Sur ce, tu peux filer.
- À plus ! »

Le jeune homme s’arrêta cependant devant la porte.

« Merci bien, chef ! »

Si le ton était comme à son habitude provocateur, les paroles étaient sincères. Ezer savait que des chefs comme Zorigaitza, il n’y en avait pas cinquante. Il était convaincu que l’homme aux traits sévères était un mauvais leader, mais il le respectait pour sa magnanimité. Des gens aussi attentionnés, compréhensifs et généreux, on n’en fait plus des comme ça.

L’homme aux oreilles de panthère rejoignit l’infirmerie et s’arrêta contre le mur, près de la porte ouverte, de sorte à écouter la conversation à l’intérieur sans être vu.

« Et là, tu as les bandages. Je crois qu’on a fait le tour.
- Et euh… il n’y a pas de stocks de remède ? Je veux dire, pour les maladies par exemple…
- À vrai dire, je n’y connais pas grand-chose… c’est ma magie qui fait tout le travail…
- Vous pouvez guérir les maladies avec votre magie ? C’est rarissime comme pouvoir.
- Oui… oh, et tu peux me tutoyer. »

Il était vrai qu’Osasun avait eu pas mal de problèmes avec son pouvoir très convoité étant petite. La question lui rappelait des souvenirs, et pas que des bons. C’est l’Œil du Corbeau qui l’avait finalement sortie de sa misère.

« Et… je suis herboriste pour ma part, alors euh… je prendrais peut-être un de place pour…
- Oui, oui, ne t’inquiète pas ! Je… fais comme chez toi, vraiment ! »

Osasun, timide, avait les joues rosie par la gêne, elle ne savait pas bien comment accueillir Azken, lui céder un peu de place et le mettre à l’aise. Celui-ci le sentait et ne savait pas trop comment la rassurer. Au final, ils étaient comme deux idiots. Cela fit sourire Ezer. C’était le moment de les aider. Il toqua à la porte, attirant les regards vers lui et s’avança.

« Salut, vous vous en sortez ?
- Salut Ezer, oui et toi ? Qu’est-ce que voulait Zorigaitza ?
- Oh, rien de spécial. On a fait un débat sur la dangerosité du danger.
- Ah. Ça a l’air de t’avoir plus.
- Plutôt oui, c’était stimulant. »

Ezer regarda Azken qui n’avait pas encore dit un mot, pourtant on lisait la contrariété sur son visage.

« Tout va bien ?
- J’imagine.
- Je vois. Tu aimes ici ?
- Je suppose que c’est plus agréable que la mort, répondit le blond d’un regard accusateur.
- Je n’en doute pas… oh et puisque j’y pense, on peut se battre si tu veux !
- Hein ?
- Je ne sais pas, tu as l’air de m’en vouloir. Ça me changera de Sua.
- J’y penserai. Maintenant, je ne sais pas si tu as remarqué, mais tu te trouves dans une infirmerie. Soit tu es blessé, soit tu sors. Il y a des pièces plus adaptées pour boire le thé.
- Ah ah oui, c’est possible, rit Ezer. Sur ce ! »

Son sourire n’était plus là que pour cacher une certaine gêne et il sortit de la pièce. À l’extérieur, il soupira. Quel sale caractère ! Il rangea ses mains dans ses poches et retrouva une expression plus détachée. Dans le couloir, il croisa Grimgrim qui nettoyait les meubles.

« Ezer, ça va ? D’habitude, tu traînes à l’infirmerie à cette heure…
- Ah, ah, je viens de me faire jeter.
- Par Osasun ?! fit la jeune femme aux corps couverts de végétaux, incrédule.
- Non, par le nouveau.
- Ah. Pas sympa.
- Tu as besoin d’aide ?
- J’ai presque fini. Tu veux qu’on aille faire un tour après ?
- Non merci.
- Tu devrais aller respirer de l’air frais, ça te ferait du bien pourtant.
- Tu parles, à peine j’aurais posé le pied dehors que Hegal me sautera dessus pour me reprocher mon inconscience ! rit la panthère.
- Ça non plus, ça ne te ferait pas de mal…
- Eh !
- Je plaisante ! Je ne pense pas que tu sois inconscient, juste un peu joueur…
- Ce n’est pas la même chose ?
- Mais non. Allez, ouste, va t’aérer l’esprit ! »

Ezer remercia Grimgrim d’un geste de main et passa son chemin. Pour autant, il préférait rester dans les parages. Il s’assit dans la salle centrale, devant un journal qui traînait là. Il l’ouvrit, c’était celui du matin. Comment faire en sorte qu’Azken ne se bute pas sur lui ? Il ne doutait pas une seule seconde qu’il avait des raisons de lui en vouloir, mais Ezer avait besoin de communiquer avec lui. Il avait terriblement conscience du danger que présentait l’herboriste pour ses camarades. Il suffisait d’un poison versé à un moment d’inattention et c’était fini. Aussi détendu pouvait-il paraître, il était loin d’être serein.

Azken était arrivé ici contre son gré alors soit il s’attachait à la vie ici, soit Ezer serait contraint de s’en débarrasser. De tout son cœur, il ne tenait pas à en arriver là. Le blond pouvait apporter beaucoup à l’Œil de part sa noblesse. Il était certes jeune, mais si cela pouvait faire réfléchir les autres nobles sur les objectifs de l’organisation. Et puis, avoir un médecin avec des méthodes différentes de celle d’Osasun était plus confortable : l’elfe aux cheveux rouges ne quittaient presque jamais l’abri en raison de sa faiblesse au combat. De ce fait, elle récupérerait toujours les membres en sale état lorsqu’ils se blessaient. Si Azken venait en mission avec eux, il pourrait leur procurer des soins sur place sans démunir le repère. Par ailleurs, sans le connaître, Ezer s’est déjà un peu attaché à ce blond qui fuit sa famille. Dans les journaux et les avis de recherche, Azken avait été kidnappé d’après ses parents, mais il l’avait retrouvé seul et sans envie de rentrer chez lui. La vérité, c’est que l’elfe avait fugué. Pour une raison qui échappait à Ezer certes, mais quand même, cela ressemblait à une fugue.
La panthère-garou sourit ironiquement. Elle n’avait plus qu’à se faire un peu oublier. Elle pourrait essayer de discuter avec Azken, mais elle avait peur que ce soit contre-productif. Ezer supposait qu’il verrait en sentant le bon moment.

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Le soir, les membres de l’Œil, ou du moins tout ceux qui le souhaitaient, se retrouvèrent pour manger. Ezer avait surveillé la préparation du repas avec beaucoup d’attention, il n’avait donc pas de doute sur l’absence de poison. Tout le monde avait remarqué ce manège, personne n’avait rien dit. C’était normal.

« Eh Ezer, ça te dit d’aller pêcher demain ? lança Sua.
- Je ne sais pas.
- Tu te dégonfles ?
- Je suppose. Je peux avoir le sel s’il te plaît ?
- Tiens. »

Sua tendit les grains gris à le panthère. Il était assez intrigué du comportement d’Ezer. Il ne réagissait jamais comme ça d’habitude. Alors, sans se laisser démoraliser par ce premier échec, il se tourna vers Erortzen, un autre caprin.

« Tu viens avec nous, Erortzen ?
- Si tu veux.
- Et toi Azken ? tenta Sua.
- Non merci…
- Tu sais pêcher ?
- Je n’ai jamais péché.
- Ce serait pourtant l’occasion !
- J’ai d’autres choses à m’occuper avant de me consacrer à ce genre de choses.
- Ce sera pour une prochaine fois alors.
- Oui. »

Zorigaitza leva les yeux vers Ezer. Celui-ci le remarqua et les deux se fixèrent un moment. Grimgrim les regarda avant de râler :

« Si vous avez des trucs à dire les gars, vous pouvez parler ! »

Azken leva les yeux vers Grimgrim. Celle-ci est une phytopode, une espèce généralement utilisée dans les familles moyennes et pauvres pour effectuer les tâches ménagères. Elle avait deux fleurs roses qui ornaient de chaque côté ses cheveux, de longues algues aux extrémités brunes. Son corps, de manière générale, était tacheté de pousse verte. Derrière elle, en guise de queue, deux longues tiges pendaient. C’est ainsi que l’elfe ne comprenait pas qu’elle prenne la parole au même titre que les autres. Il trouvait cela déjà assez déplacé qu’elle mange avec eux.

« Bien sûr, mais tu oublies nos talents de télépathes ! sourit Ezer.
- Parce que tu fais de la télépathie toi maintenant ? Tu es sorti faire un tour comme je te l’avais dit au moins ?
- Pourquoi tout le monde me met dehors ? fit ironiquement la panthère.
- Ne répond pas aux questions par d’autres questions !
- Non, pas la peine d’en faire un plat !
- Il aurait fallu le dire avant que tu l’aies devant toi. »

Ezer cligna plusieurs fois des yeux, posa son regard sur son assiette et comprit.

« C’était recherché. Un peu trop.
- Je ferai mieux la prochaine fois !
- Tu ne pourras pas faire pire ! »

Grimgrim tira la langue à la panthère. Ezer sourit, amusé. Le repas se termina dans la bonne humeur, comme d’habitude. C’était toujours animé lorsque tout le monde se rassemblait.

Le soir, Ezer sortit à l’extérieur pour respirer un peu. Il s’éloigna un peu du bâtiment, suffisamment pour que sa lumière ne lui parvienne plus. Il s’assit. Rapidement, il sentit le pelage chaud d’Hegal se blottir contre lui. Il passa sa main entre ses poils, pas mécontent qu’elle ne lui reproche rien. Enfin quelqu’un de silencieux et de reposant. Il se coucha contre elle, respirant l’air nocturne.

« Les étoiles sont belles ce soir.
- Oui. Que vas-tu faire ? La situation n’est pas confortable.
- Hm… demain, j’irai voir Nomnos. Je lui demanderai si on peut faire un meuble supplémentaire pour que Azken y mette ses affaires dans l’infirmerie. Elle est déjà bien pleine, ce sera mieux que de faire de la place.
- Ça ne suffira pas.
- Tu veux que je lui parle, n’est-ce-pas ? Je comptais le faire. Je ne sais pas comment, ni quand, mais je pense que cela sera nécessaire.
- Lui parler de quoi ?
- Je ne sais pas trop. De pourquoi je l’ai amené ici ? J’ai peur que ça envenime encore plus la situation.
- Tu n’avais pas de raison ?
- Pas que je puisse lui fournir et qu’il pourrait entendre. C’était un peu instinctif comme choix. Sur le coup, je ne me suis pas posé la question, c’était naturel.
- Effectivement. Demande ce qui le gène. À moins que tu le saches.
- Non. Nous n’avons pas beaucoup parlé au final. Demain, j’essaierai de créer une situation dans laquelle nous pourrions nous retrouver face à face.
- Je te sens tendu.
- Comment ne pas l’être ? Je risque tout ce que j’ai. Ou presque. Il pourrait tous nous empoisonner.
- Je comprends, mais tu n’es pas seul. »

Un bruit de pas en arrière attira l’attention d’Ezer. C’était Erortzen. L’homme aux pattes et aux oreilles de chèvre vint s’asseoir près du garou sans un mot. Les deux se sourirent et se tournèrent vers le ciel. Ce moment de sérénité ensemble balaya l’inquiétude de la panthère. Ça ira. Tout ira bien. Les étoiles brillaient par milliers ce soir. C’était bon signe. Le vent, doux et léger, agitait délicatement les épines des sapins aux alentours. Une belle nuit s’annonçait.

« Je crois qu’Azken à peur de moi. »

Ezer sourit, amusé. Ils avaient tous peur du démon Erortzen avant de le rencontrer.

« Laisse-lui le temps de trouver comment briser les normes qu’on lui a imposé. »

Le caprin ne répondit pas. Ezer se redressa vivement et se pencha vers celui-ci.

« Je crois qu’Azken me déteste. »

Erortzen regarda Ezer sans bouger.

« Vraiment ?
- Oui.
- Alors raison de plus pour vivre. »

Ezer se recoucha contre Hegal. Celle-ci observait le caprin, touchée. Elle, comme toutes les chimères, se détestait, détestait son histoire, l’histoire de son peuple né déchu. Effrayantes ou pitoyables, les siennes cachaient leur laideur, la discorde de leurs âmes. Elles se haïssaient encore plus que ceux qui leur avaient donné la vie.

« Tu as raison, répondit Ezer. »

Et il savait de quoi parlait Erortzen. Ce dernier avait dû fuir très jeune les hommes qui voulaient sa mort et celle de son démon. Un démon, ici bas, a une puissance suffisante pour raser le continent, alors ceux qui en possèdent un sont tuer à la naissance. Mais parfois, les parents aimaient leurs enfants au-delà des monstres qu’ils abritaient, et c’est ainsi que le caprin donna la mort aux siens à ses quatre ans, un caprice de son démon. Alors Erortzen savait ce que c’était que de se faire détester.

« Je crois que nous devrions parler plus à Azken.
- Hmf… il se cloître dans l’infirmerie en prétextant que seuls les blessés peuvent y venir. Plus simple à dire qu’à faire.
- Je sais, Grimgrim m’a dit que tu t’étais fait sortir. Ça m’étonne d’ailleurs que tu ne lui aies pas répondu lorsqu’il t’a dit de sortir.
- Je ne veux pas rendre la chose plus dure qu’elle ne l’est déjà.
- Tu devrais demander de l’aide à Txiki, puisqu’ils sont dans la même chambre maintenant.
- Ouais… d’ailleurs, il faudrait que j’aille voir Txiki, lui demander comment il prend la situation.
- Il n’a rien dit.
- Justement. Je veux savoir ce qu’il en dit.
- Tu as tout fait à l’arrache, sourit Erortzen.
- Pas exactement, mais ça y ressemble. »

La démarche était hasardeuse, mais réfléchie. Ezer savait où il voulait aller, ce qu’il voulait prouver, mais il n’avait qu’une vague idée de comment atteindre son but. C’était une aventure humaine, il ne pouvait pas tout prévoir même s’il le voulait.

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Dans son lit, Azken s’était replié sous sa couverture. Pourquoi personne ne l’écoutait ? Que ce soit chez lui ou ici, personne n’avait fait attention à ce qu’il désirait. Ezer l’avait emmené dans une organisation criminelle contre son gré. Il lui avait imposé le rôle de médecin sans lui demander son avis ! Ses parents lui imposaient de reprendre leur commerce ! Quand pourrait-il choisir sa voie ? Quand serait-il libre ?! Il avait fui dans ce but et le revoilà prisonnier ! Il en avait marre qu’on décide pour lui. Il s’enfuirait un fois de plus. Comment faire ? L’Œil le poursuivrait. Ils le tueraient.

Il pourrait les tuer avant… s’il parvenait à glisser un poison dans les plats ou dans l’eau, le tour était joué. De plus, on le considérerait comme un héros d’avoir réussi à se débarrasser de l’Œil du Corbeau, un des fléaux du continent. Peut-être qu’en récompense, on le laissera libre… il réfléchit un peu. Où trouver un poison suffisamment puissant pour tous les tuer ? Un poison discret et à effet rapide...


Chapitre 2

Hegal s’assit dubitative devant Ezer et Nomnos qui montaient une nouvelle étagère dans l’infirmerie. Osasun aidait aux travaux.

« Où est Azken ? finit par demander la chimère. Non pas que ça m’étonne qu’il se soit éloigné, mais je ne l’ai pas encore vu aujourd’hui.
- Il a dit qu’il allait chercher des plantes dans les environs.
- Je vois. »

La chimère, dont la présence était dissimulée par un sort d’invisibilité, sortit à l’extérieur. Elle n’était pas naïve, ou du moins pas suffisamment pour laisser Azken seul dans la montagne. Qui sait ce qu’il pouvait y faire ou qui il pouvait y croiser ? Elle se mit à la recherche de l’adolescent, les sens aux aguets.

Elle retrouva le blond un kilomètre plus loin en contrebas. Il cueillait des baies rouges. Hegal, invisible, l’observait. Personne ne mangeait de ces fruits, à quoi pouvaient-ils servir ? Sa méfiance la poussa à rester près d’Azken à la recherche d’indice.

Finalement, l’elfe remonta avec toutes sortes de plantes à l’infirmerie juste avant midi. Ezer et Nomnos avaient presque fini leur chantier.

Dans l’après-midi, Hegal ne lâcha pas du regard Azken. Il écrasa les baies, les fit cuire, les écrasa à nouveau, et finit par obtenir une sorte de poudre très fine. Lorsqu’Osasun lui demanda ce qu’il faisait, il répondit qu’il faisait un remède contre la fièvre et qu’ils pourraient le stocker pour plus tard.
Dès qu’il se crut seul, il fourra la poudre dans un sachet qu’il glissa dans sa poche. Et alors, Hegal eut un énorme doute sur l’utilisation qu’il allait en faire. Il était dans l’infirmerie, en toute logique, il aurait dû le ranger… pas le prendre avec lui.

Le soir arriva doucement. Chez l’Œil, le tour de cuisine tourne tous les repas. C’était à Sua de préparer le dîner. Hegal se glissa jusqu’à lui.

« Est-ce qu’Azken est passé dans la cuisine ? souffla-t-elle.
- Non pourquoi ?
- Tu me fais confiance ?
- Dis-moi tout.
- Fait les assiettes et laisse Azken faire le service.
- Bien Hegal. »

La chimère se dirigea à présent jusqu’à Zorigaitza, toujours invisible.

« Laisse faire ce soir, lui murmura-t-elle. »

L’autre hocha doucement la tête. Il faisait confiance en ses compagnons, d’autant plus qu’il savait qu’Hegal agissait toujours en connaissance de cause.

La bête ailée se dirigea ensuite vers Ezer.

« Empêche-les de manger. Azken va empoisonner le repas. Lorsque tu mettras la table, oublie volontairement quelque chose. Demande à Azken d’aller le chercher et échange son assiette. Pour la suite, tu es maître de tes choix. »

Ezer accorda une caresse à la chimère en guise de remerciements. Il priait cependant pour qu’elle se trompe. Et si elle avait raison ? Que devait-il faire ? Il ferma les yeux, la mine contrariée. Il ne connaissait pas le temps que le poison prendrait à faire effet, mais s’il échangeait l’assiette d’Azken, ce dernier en consommerait pensant que son assiette est saine ou alors, il ne mangerait pas du tout. Le deuxième cas était peu probable, à moins que l’elfe soit suffisamment stupide pour croire que personne ne trouverait cela suspect. Alors, il faudrait faire durer le repas jusqu’à ce qu'Azken se rende compte du problème… avait-il un antidote au moins ? Il serait stupide de ne pas en avoir confectionner un.

Le repas arriva. Sua croisa Azken en sortant de la cuisine et lui demanda de faire le service. Tout le monde était à table. L’elfe déposa son assiette, la dernière, à sa place et avant qu’il puisse s’asseoir, Ezer l’interpela.

« J’ai oublié de ramener le pain, tu peux aller le chercher pendant que tu es debout s’il te plaît ? »

Azken fit un effort de serviabilité. Ezer fit alors signe à Txiki d’inverser son assiette avec celui de l’elfe. Celui-ci fronça les sourcils et s’exécuta sans comprendre. Grimgrim s’apprêta à goûter au plat. En la voyant, la panthère-garou attrapa sa fourchette et la lança comme une fléchette. Elle vint taper le couvert que la phytopode tenait en main. Surprise, elle lâcha tout et jeta un regard furieux à Ezer. Il lui fit signe de ne pas manger. Celle-ci fit une grimace contrariée. Tout le monde autour de la table commençait à comprendre.

Lorsqu’Azken revint, le repas commença. Les fourchettes piquaient mais jamais ne finissaient dans les bouches de leurs propriétaires. Dès que l’elfe tournait le regard, la nourriture tombait sur le plancher. Seul le blond mangeait, ne se doutant pas que son assiette puisse avoir été échangée.

« Je glisse l’antidote dans ta poche, souffla Hegal à Ezer. »

Alors il y avait bel et bien un antidote… comment Ezer devait-il réagir ? Hegal avait déjà eu l’intelligence de faire avaler son propre poison à Azken, ça lui ferait déjà une belle leçon, surtout s’il ne retrouvait l’antidote. Pour le moment, il fallait faire un peu durer la bonne humeur du repas.

Au bout d’une petite heure, Azken se leva.

« Je suis désolé, je suis un peu fatigué, je vais aller me coucher. »

Il salua tout le monde d’un geste de main et disparut dans le couloir qui menait aux chambres et à l’infirmerie. Les regards se tournèrent vers Ezer.

« Félicitations pour votre jeu d’acteur, je suppose. Je ferai le ménage si vous me regardez avec tant d’insistance…
- Oh oui ! confirma Grimgrim. Pas question que je nettoie tes bêtises !
- Oh zut, j’avais un espoir ! fit ironiquement Ezer. »

Il se leva, une main sur le poignard qu’il portait toujours à la ceinture. Son expression s’était durcie, on pouvait reconnaître une certaine colère dans son regard.

« Ezer, commença Zorigaitza.
- Je suis calme, coupa Ezer. »

Il se dirigea vers le couloir où avait disparu Azken.

« Hegal, empêche-les de s’en mêler.
- Entendu. »

Il entendait du bruit dans l’infirmerie. La porte était entrouverte. Azken fouillait précipitamment. Il devait chercher le remède. Ezer poussa la porte silencieusement et se glissa dans le dos de l’elfe, concentré sur sa recherche.

« Merde ! Où je l’ai mis ?! s’énerva le blond.
- C’est ça que tu cherches ? »

Azken sursauta et regarda la petite fiole que tenait Ezer. Il n’osa pas répondre devant le ton cassant de la panthère, d’autant plus qu’il avait probablement compris, puisqu’il était là… ça sentait mauvais. L’elfe recula un peu.

« De quoi as-tu peur ? Que je te tue peut-être ? »

Et un de ces sourires déments se dessina sur le visage du garou, laissant à découvert des crocs luisants. Azken recula encore.

« Je… je suis désolé… pardon, balbutia l’elfe.
- Oh vraiment ? C’est mignon. »

Ezer avançait, menaçant. Azken fut rapidement acculé contre un mur, une grimace sur le visage. Il était taraudé entre la peur et la douleur dans son estomac. Il lui fallait l’antidote…

Ezer soupira, reprenant une expression plus calme. Il n’aimait pas jouer à ce genre de choses avec ses camarades. Le bluff, c’était pour les ennemis. Pour autant, sa colère n’était pas passée, il en voulait à Azken de s’en être pris à ses compagnons. Il avait pris pleinement conscience de ce qu’il venait d’éviter.

« Le poison met combien de temps à agir ?
- Quelques heures, pas plus.
- Très bien. Dans ce cas, je vais te dire un truc très important. Ne. Recommence. Jamais. Ça.
- Promis…
- Garde ta parole, elle n’a plus de valeur à mes yeux. Maintenant, ce qu’on va faire, c’est que tu vas aller te coucher puisque tu es fatigué. Demain matin, toi et moi, on va se retrouver derrière le bâtiment et on va régler nos comptes. C’est clair ?
- Oui.
- Attrape ! Et que je n’entende pas parler de toi d’ici là. »

Ezer jeta l’antidote à l’elfe avant de s’éloigner. Il s’arrêta devant la porte et regarda Azken. Il aurait préféré ne avoir à en arriver là…


Chapitre 3


« Que comptes-tu faire maintenant qu’il a manifesté son envie de nous éliminer ?
- Que devrais-je faire Zorigaitza ?
- Tu connais ma réponse.
- Si tu en donnes l’ordre, je le ferai. En attendant, je vais chercher un moyen de discuter avec lui.
- Tu forces le destin.
- Bien sûr. Et je continuerai à le faire temps qu’il ne me déplaira.
- Je me demande vraiment ce que tu lui trouves. »

Zorigaitza laissa seul Ezer. Ce dernier avait encore une chance, le chef se montrait clément. Mais c’était peut-être aussi une complication en plus. Quelque part, n’attendait-il pas de le leader donnait l’ordre d’éliminer Azken ? La décision mortelle ne devait pas venir de lui ou il se sentirait coupable d’un échec. Il souffla, non, il ne devait pas penser à ça. Ça ira. Tout ira bien. Comment se montrer juste avec l’adolescent ?

Assise sur une clôture en bois, la panthère-garou fixait le ciel. Que lui dire ? Il ne pouvait pas se contenter de déclarer : « C’est pas grave, tu ferais mieux la prochaine fois. ». Sa colère l’en empêcherait de toute façon. Il était frustré, si Hegal n’avait pas été là, Azken aurait bien décimé ses amis.
Il finit par entendre le blond s’approcher derrière lui. Il se retourna. L’autre avait clairement la tête dans le cul.

« Bah alors, on a mal dormi ? se moqua Ezer.
- Oh ça va hein ! gronda Azken.
- Baisse d’un ton, tu veux ?
- Tout ça c’est de ta faute d’abord ! Si tu ne m’avais emmené ici, il n’y aurait jamais eu de problème !!
- Parce que c’est moi qui ait empoisonné la nourriture peut-être ?
- En même temps, est-ce que tu t’es préoccupé une seule seconde de ce que moi je voulais !? Est-ce que tu m’as demandé une seule fois si j’avais envie d’être ici ?! Tu n’as pensé qu’à toi !
- Ah oui ? Et qu’est-ce que tu veux ?
- Je veux partir d’ici ! Ça ne fait pas partie de mes objectifs de faire partie d’une minable organisation de terroriste !! »

Ezer se leva et s’approcha jusqu’à se retrouva face à face à Azken. Il faisait des efforts considérables pour garder la tête froide.

« Pour aller où ?
- Qu’est-ce que ça peut te faire ? Tu n’en aurais rien à faire de toute façon ! Jamais personne ne m’écoute de toute façon. »

Azken fit volte-face et s’éloigna, agacé. Ezer serra les crocs. Qu’est-ce qui le retenait de lui mettre une droite, franchement ? Un caprice d’ado ne valait pas le coup de tuer autant de personnes. Est-ce que c’était une raison ? Et puis c’était frustrant, ils n’avaient réussi qu’à s’engueuler…

Hegal, qui avait observé la scène, suivit Azken. Elle avait décidé de remplir sa rôle de sentinelle jusqu’au bout. Elle n’avait pas confiance en l’elfe, pas d’un poil, et après les récents événements, ça n’arrangeait rien. En revanche, la chimère avait la certitude que c’était une bonne chose que les deux se soient balancés le peu qu’ils avaient à se dire. Si Ezer mettrait un peu de temps à prendre du recul, la bête avait compris une partie du problème. Elle comprenait le mal-être de l’elfe.

Azken s’était enfoncé dans la forêt de sapins environnante. Sûr d’être seul, il s’assit sur la souche d’un arbre. Il se recroquevilla sur lui-même, les yeux humides. Pourquoi personne ne comprenait ? Pourquoi ne le laissait-on pas tranquille ? Il pourrait juste vivre sa vie. Au fond, il ne demandait que cela. Il était fatigué. Sa nuit avait été ponctuée de cauchemars, il n’avait cessé de se tourner et retourner dans son lit. Il était fatigué mais il pouvait encore se battre. Tout espoir n’était pas perdu, tant qu’il était vivant, il pouvait retenter sa chance. Pas de les tuer, il avait compris que c’était un peu compromis, mais de s’enfuir. Un jour, ils partiraient en mission, ils l’emmèneraient probablement, et dès qu’ils auraient le dos tourné, il pourrait se cacher.

Ce plan semblait plus raisonnable, plus pacifique. Alors, Azken essuya ses yeux et se redressa. Au fond, il ne voulait pas créer de problème. Il voulait juste vivre en paix et libre. Il allait s’excuser… enfin, comment s’excuser à quelqu’un d’avoir tenter de le tuer ? C’était… bizarre. Ça ne pouvait pas être sincère. Surtout s’il comptait s’éclipser à la première occasion. Que faire ? Que dire ?

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Azken resta seul jusqu’en milieu d’après-midi. C’est en entendant crier son nom qu’il décida de remonter à la planque. Autant ne pas envenimer la situation. Rapidement, il reconnut la voix d’Osasun. Elle devait s’inquiéter… enfin peut-on s’inquiéter pour celui qui a essayé de vous tuer ? Il grimaça, contrarié de cette réflexion. Il n’avait plus à attendre quoi que ce soit à attendre d’eux, il ne le méritait plus. Alors, il ferma son cœur. Il fallait attendre la première brèche venue.

Osasun afficha un sourire timide en le voyant.

« Je suis contente, comme tu ne rentrais pas, je… je me demandais où tu étais. Tout va bien ?
- Oui.
- Nous t’avons laissé une part comme tu n’étais pas là à midi.
- Ah, c’est gentil. »

Osasun lui fit signe de la suivre et le conduit à la cuisine. Elle lui tendit une assiette de légumes ainsi que des couverts. Le menton dissimulé dans une écharpe rouge, l’elfe semblait de bonne humeur. Ses cheveux magenta, barrés de quelques mèches vertes cachaient son œil. À son côté pendait une sacoche qui semblait pleine. La jeune femme n’était pas très grande, plutôt fine, elle semblait fragile, peu sûre d’elle.

Puis les deux rejoignirent l’infirmerie. Azken s’assit devant la table centrale pour manger. Osasun, quant à elle, se percha sur le lit destiné à d’éventuel blessé. Un silence lourd s'installa entre eux. Que dire ? Que faire ? Ni l’un ni l’autre n’était particulièrement bavard.

« Je suis arrivée ici quand j’avais neuf dix ans, commença Osasun. Je n’étais pas très grande et très timide. Vu ma magie, mon rôle ici était évident. Je me suis installée ici, à l’infirmerie. Je devais ranger les choses qui trainaient parce que c’était vraiment le bordel du temps où il n’y avait de médecin dans cette pièce. J’ai grimpé aux étagères pour atteindre les plus hautes. L’armoire s’est renversée. Ezer était là, il m’a poussée à temps et s’est retrouvé sous l’armoire à ma place. Les autres sont venus, attirés par le bruit. Ils ont dégagé Ezer et je l’ai soigné. Le lendemain, j’avais l’escalier que tu vois là-bas. »

Les regards convergèrent vers les trois marches en bois qui servaient à atteindre les étagères hautes, aujourd’hui encore.

« Je pense que si j’avais demandé plutôt que de grimper, Ezer n’aurait pas été blessé. »

Azken leva les yeux vers Osasun. Elle se frottait les mains, rougie par la gêne. Quel message cherchait-elle à lui faire passer ? Quel rapport avec sa propre situation ? Et puis, n’importe quel enfant savait qu’il ne fallait pas monter aux étagères, les parents le répétaient bien assez souvent ! Osasun avait été sotte.

« Donc si… si tu rencontres des difficultés… tu… tu peux m’en parler, bafouilla l’elfe. Enfin, si tu veux… »

La jeune femme avait les joues empourprées, fixant honteusement le sol. Azken se leva, son assiette en main.

« Merci pour le repas.
- Ah ! De rien. »

Le blond sortit de la pièce et alla laver sa vaisselle. L’eau était froide, c’était désagréable. Il n’avait jamais fait la vaisselle auparavant et il ne souhaitait déjà plus recommencer. Il attrapa le premier tissu qui lui tomba sous la main et essuya ses couverts. Puis, il regarda les placards. Il n’avait plus qu’à fouiller pour savoir où tout cela se rangeait. Il commença à ouvrir hasardeusement les portes. Il trouva où mettre son assiette et reprit ses recherches.

« Essaie le tiroir tout à droite. »

Sans se retourner, Azken s’exécuta. Bingo ! Il rangea ses couverts.

« Merci, fit-il en découvrant que Zorigaitza s’était appuyé contre le mur derrière lui, il ne l’avait pas entendu arriver. »

L’elfe regarda le chef. Il semblait qu’il avait des choses à lui dire vu comment c’était là. Il s’était posé à distance égale des deux portes de la cuisine et observait le blond.

« Oui ?
- Hm… je voulais te dire que pour hier soir, tout bon chef devrait prendre des mesures… définitives. J’ai d’ailleurs pensé qu’Ezer prendrait lui-même cette décision au début, mais je crois qu’il n’a pas pu s’y résoudre. Je crois qu’il attend que je lui dise.
- Pourquoi vous ne le lui dites pas ?
- Parce qu’il a fait un pari risqué en te ramenant ici et cela m’amuserait qu’il le gagne. Et également parce que ce serait trop facile pour lui. Je veux dire, il a fait un choix, à lui de l’assumer jusqu’au bout.
- Je vois… sans intention de vous blesser, vous êtes un chef curieux. Je veux dire, normalement, ça aurait été à vous de choisir…
- Possible. Au fond, peut-être que je me voile la face en me cherchant des raisons. »

Et Zorigaitza haussa des épaules : à chacun d’en juger. Peut-être qu’il était un mauvais leader, mais en attendant, il restait leader.

« Enfin, sache que tu n’es pas le premier, et tu ne seras le dernier, à souhaiter notre mort. »

Azken baissa les yeux. Ce n’était pas là son premier souhait, mais comment le contredire ? Après ce qu’il avait fait, c’était inutile. Il n’y avait rien à faire pour se racheter. Il le savait. Ils le haïssaient sans aucun doute.

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Ezer, Sua, Txiki et Erortzen étaient dehors, dans un endroit dégagé pas très loin de la base. Ils s’entraînaient tous les quatre. Ils avaient l’habitude de le faire, parfois rejoint par Zorigaitza, et plus rarement par Grimgrim. Ils formaient la plus grosse force de frappe de l’Œil.

Sua et Erortzen s’affrontaient en duel tandis que Ezer et Txiki les observaient avec attention.

« Txiki ?
- Hm ?
- Comment est-ce que tu vis tout ça ?
- Ta question est vaste. Le moral n’y est pas, mais je ne pense pas qu’Azken soit quelqu’un de méchant. Enfin, je n’ai pas encore reconsidéré cela depuis hier soir. Je ne te cache pas que je ne m’attendais pas à ce qu’il aille si loin. On a beaucoup parlé le soir de son arrivée…
- Ah oui ?
- Mais je n’ai pas mal dormi pour autant. Je crois que je n’ai pas bien conscience de ce qu’il s’est passé. Tu sais, je ne suis pas très lucide en ce moment…
- Je me doute. Je te demandais pour être sûr que rien ne te gêne, rien de plus. Je sais que ce n’est pas facile en ce moment…
- C’est gentil, Ezer. »

Soudain, une onde de magie agita les chevelures des observateurs. Quelque chose de malsain et d’effrayant émanait d’Erortzen. Encore fois, son démon s’était réveillé. Ezer se redressa et posa sa main sur l’épaule de Txiki.

« Tu es quelqu’un de bien alors ménage-toi ! »

Cela dit, il bondit sur le champ de bataille. En le voyant, Sua cessa ses attaques enflammées et recula. Ezer fut en quelques secondes au pied d’Erortzen qui lutait pour ne pas perdre le contrôle de sa magie et de son corps. La panthère-garou lui attrapa le poignet et activa son pouvoir de dispersion de la magie. Doucement, les ondes maléfiques s’atténuèrent. Le caprin fit signe à son camarade que ça allait, haletant. Ezer le lâcha.

« Ça va ?
- Oui. Désolé.
- Fais une pause, je vais finir ton œuvre. »

La panthère leva un regard provocateur à Sua. Ce dernier répondit par un sourire combatif.

« Tu tiens tant que ça à perdre ?
- Ne parle pas trop vite face de bouc ! »

Erortzen s’écarta. Sua bondit immédiatement sur Ezer. Les deux s’échangèrent de vigoureux coups de poings et coups de pied avant de passer à la vitesse supérieure. Ils bondirent en arrière et engagèrent un échange d’éclairs et de boules de feu. Rapidement les alentours furent envahis de fumée noire. L’un comme l’autre se servirent de cet écran sombre pour se dissimuler.

Txiki baissa les yeux vers Erortzen, assis près de lui.

« Le problème quand ils se battent, c’est qu’on voit que dalle.
- Ça rend le résultat surprenant ?
- J’imagine. »

Les deux ne perçurent que quelques éclats de magie jusqu’à ce que la fumée se disperse. Le sol était jonché de fléchettes cramées. Les deux guerriers se faisaient face, haletants. Ni l’un ni l’autre ne comptait plier. Enfin, c’est ce que croyait Txiki et Erortzen. Mais les deux finirent par quitter leurs positions de combat et se rejoignirent pour se serrer la main.

« Merci bien, Sua !
- Merci à toi de t’être livré à ce charmant défouloir !
- C’est avec tout le plaisir du monde !
- Vous allez bien ? demanda Txiki, dubitatif.
- Bien sûr !
- Ça ne vous ressemble pas de vous échanger des politesses au milieu d’un combat.
- Ah, mais on a fini !
- Ah bon ? Vous allez jusqu’au bout d’habitude… même que Ezer se fait rétamer à chaque fois.
- Je ne te permets pas ! râla faussement le concerné. »

Les quatre camarades se sourirent. Aujourd’hui, ils n’avaient pas envie, voilà tout. Ils avaient failli tous périr hier soir, alors la volonté de se battre les uns contre les autres n’y étaient pas, même si ce n’était que pour s’entraîner.

« Ezer, qu’est-ce que nous avons fait de travers pour Azken ? demanda Sua.
- Rien, c’est de ma faute. J’aurais du être plus attentif.
- Quand bien même, c’était son propre choix. Nous aurions pu trouver une solution tous ensemble sans qu’on en arrive là.
- Il y a des choses qui ne sont pas si simples à dire, je suppose. J’ai trop joué avec le feu et je me suis brûlé, ça arrive.
- Et que comptes-tu faire ?
- Hm… est-ce que vous lui pardonneriez ?
- Je pardonne mais je n’oublie pas, déclara Sua.
- Je ne lui en veux que de nous avoir priver d’un repas, personnellement, annonça Txiki.
- Quant à moi, si je devais haïr tout ceux qui veulent ma mort, conclut Erortzen.
- Je vais probablement lui parler de nouveau alors. Je doute que ce soit productif, mais après tout, je ne perds rien à essayer. »


Chapitre 4


« Tu as vraiment une sale tête, tu dors le soir ?
- J’essaie.
- Tu n’y arrives pas ?
- Non.
- Pourquoi ? »

Ezer regarda Azken. Il avait les yeux noircis de fatigue et il n’avait vraiment pas l’air dans son assiette. Il faisait presque pitié.

« Pourquoi ? répéta calmement Ezer. Dis le moi, je ne moquerai pas.
- Dès que je ferme un œil, je fais des cauchemars.
- Des cauchemars ? Quel genre de cauchemars ?
- La nuit dernière, je me suis retrouvé au bord d’une falaise, encerclé par des monstres. Je ne pouvais rien faire, paralysé. Et le sol s’est effondré et… et je me suis réveillé. Je me sentais nauséeux et puis, j’avais l’impression qu’il y avait quelqu’un qui m’observait… mais pas Txiki… quelque chose d’autres. »

Azken frissonna en y repensant, fixant honteusement ses chaussures. Ezer réfléchissait. Ce ne pouvait pas être Hegal, elle ne surveillait pas le blond la nuit. Hm… la scène contée par ce rêve sonnait familière à Ezer, comme quelque chose qu’on lui avait déjà raconté.

« Il y a autre chose dont tu te souviens ?
- Quand j’étais plus jeune, je me suis battu à l’école avec un camarade. J’ai revécu cette scène, mais ce n’était pas ce même camarade. C’était une jeune fille, blonde. À l’époque, le professeur nous avait séparés. Là, elle… elle m’étrangle… et autour… il y a des enfants… »

Et l’elfe craque, incapable de placer un mot de plus. Ezer passe sa main dans son dos pour le réconforter.

« Respire, ça va aller, d’accord ? Ça va aller, répète-t-il avec calme et douceur, on va trouver une solution. Allez mon grand, ça va bien se passer. »

Azken renifla et inspira profondément. Il ne fallait pas qu’il se laisse aller.

« … les enfants, ils rient… et… et ils…
- Ça va, tu n’es pas obligé si…
- Ils ont vos visages ! s’étouffa Azken entre deux sanglots. »

Ezer frotta sa main dans le dos de l’adolescent qui était repartit dans une crise de pleurs. Il réfléchissait, il croyait comprendre, mais ce n’était qu’une hypothèse. Peut-être qu’au fond, il s’imaginait des choses, que ça n’était même pas possible.

« Azken, la fille que tu as vu, elle a une natte ? »

Il secoua fébrilement la tête.

« Et est-ce que tu as essayé de dormir autre part ? »

Hochement de tête latéral. Ezer se leva. Il avait des doutes, des gros doutes et si le problème était celui qu’il pensait, il ne savait comment le résoudre.

« Tu m’écoutes ? Il fait beau aujourd’hui alors on va te trouver un coin tranquille et tu vas essayer de faire une sieste, d’accord ? Parce que là, tu fais pitié et ça te fera du bien de dormir un peu. Allez, debout ! »

Ezer attrapa le bras d’Azken et le tira vers le haut. Sans le lâcher, il l’entraina entre les sapins et les roches. Il repéra un creux dans la pierre et lâcha le blond pour y fourrer des épines mortes. Il fit signe à l’elfe de se reposer et s’apprêta à revenir sur ses pas.

« Ezer…
- Quoi ?
- La fille… elle a dit… « Je te tuerai avant que tu ne les tues »…
- Bien sûr. Maintenant dors, sinon je viens te border. »

Et Ezer remonta à l’abri.

« Zorigaitza ?! appela Ezer à peine il eut poussé la porte.
- Dans son bureau, râla Nomnos, dérangé dans sa lecture.
- Merci. »

Ezer alla frapper à la porte de Zorigaitza.

« Entre ! »

La panthère entra et alla s’asseoir directement en face du chef.

« Tu ne t’assoies pas sur le bureau aujourd’hui ? Tu es malade ?
- J’ai une théorie, je veux que tu l’infirmes ou non.
- Je t’écoute.
- Je pense que Lur revient hanter Azken dans son sommeil. »

Zorigaitza resta silencieux alors Ezer reprit la parole.

« Est-ce que c’est possible ?
- Je ne sais pas.
- Azken vient de me raconter la manière dont elle est morte.
- Quelqu’un le lui a peut-être raconter ?
- Qui ? »

Silence. Le sujet de la mort de Lur est tabou à l’Œil.

« Il a vu Lur dans ses cauchemars et elle a essayé de l’étrangler.
- Je comprends qu’il passe de mauvaises nuits. Mais pourquoi Lur reviendrait pour hanter Azken ?
- Azken a très bien dormi la nuit de son arrivée. C’est à partir de la deuxième que cela s’est corsé. J’imagine que tu te souviens bien ce qu’il s’est passé juste avant cette nuit ?
- C’est une vengeance ?
- On dirait. Après tout, il a voulu tuer ceux pour qui elle s’était toujours battu. Ça a dû la retourner dans sa tombe.
- Et que devons-nous faire ?
- Si je le savais… Azken est dehors, je l’ai couché. Je vais voir s’il arrive à dormir. Auquel cas, il faudrait le changer de place. Sinon, trouver un charlatan ?
- Tu sais comme moi que c’est bidon ces choses-là.
- C’était une boutade. Bon allez, je vais aller voir si la princesse dort bien. Merci de ton temps. Tu as fait une faute ici. »

Ezer pointa un mot sur le papier qu’écrivait Zorigaitza avant son arrivée.

« Merci. »

L’homme-panthère s’éclipsa. Il se dirigea vers la chambre de Txiki et Azken. Il toqua. Personne. Il poussa doucement la porte et entra silencieusement la pièce. Son regard se posa sur l’ancien lit de Lur, celui de l’elfe aujourd’hui.

« Je ne sais pas si tu m’écoutes, Lur, mais auquel cas j’espère que tu vas bien. Azken m’a raconté ce que tu lui faisais voir. J’apprécie sincèrement que tu cherches à nous protéger. C’est admirable alors que… tu… enfin bref. Même s’il a merdé, et il a beaucoup merdé je te l’accorde, trouve un terrain d'entente avec lui, s’il te plait. Je… on a besoin de lui et de ses compétences ici. Mon instinct me dit qu’il y a toujours une place pour lui avec nous. C’est pour ça que j’ai fait l’effort de parler avec lui jusqu’ici. Aujourd’hui, je suis heureux qu’il m’est parlé de toi. Ce couillon aurait pu attendre de mourir de fatigue, bête comme il est ! Enfin, tu comprends la situation. S’il te plait… sois clémente. Sur ce, passe une bonne journée ! »

Ezer ne s’attarda pas plus. Il se sentait bizarre d’avoir fait un monologue. Heureusement que personne n’était passé dans le coin. Comment expliquer qu’il parlait aux esprits ? On le prendrait pour un énergumène, même si c’était déjà pas mal le cas.

Il rejoignit l’endroit où il avait laissé Azken. Celui-ci dormait à poings fermés. Ezer sourit, pas mécontent qu’il existe au moins une solution.

« J’ai une question, fit la voix d’Hegal sortie de nulle part.
- Je t’écoute.
- Pourquoi est-ce-que tu l’aides alors qu’il a voulu tuer tes amis ?
- Tu sais, j’ai beaucoup réfléchi ces derniers jours. Ce que j’ai entendu aujourd’hui confirme ce que je pensais. Il n’a jamais voulu nous tuer par véritable haine. Je ne crois pas qu’il nous déteste. Si c’est le cas, il m’aurait craché à la figure que nous nous moquions de sa mort tout à l’heure. Ce n’était qu’un rêve, il était épuisé, mais je pense que c’était véritablement dur pour lui à dire.
- Il avait besoin d’aide, il n’allait pas lancer un nouveau conflit.
- Peut-être bien. Mais il aurait pu aussi abandonner. Il lui restait la force de se dire « ce n’est qu’un rêve » et il avait le courage de venir me voir.
- Surtout toi…
- Ce qu’il a fait est admirable. Hm… tu veux que je le veille ? Tu pourrais profiter de ton après-midi. Depuis le temps que tu le suis, tu le mérites largement.
- C’est toi qui l’a dit. »

Alors Ezer se percha en haut du rocher au creux duquel dormait Azken. Il sortit de ses poches du bois et commença à tailler de nouvelles fléchettes pour remplacer celles que Sua avait brûlées. Il en était arrivé à cette solution en constatant ses lacunes en attaque à distance et mi-distance.

________________________________________________________________________

Le soir, Ezer réveilla Azken. Celui-ci grogna, le réveil était difficile.

« Bien dormi princesse ?
- Oui. Tu aurais pu me laisser là toute la nuit.
- Avec les bêtes ? Sans façon et puis, c’est bientôt l’heure de manger. Mais avant, il faut que je te raconte un truc.
- Ah ?
- Avant que tu arrives, il y avait une jeune fille de ton âge à l’Œil. Elle s’appelait Lur. Elle était très gentille, très souriante, pleine de vie, une personne brillante en somme. Elle s’entendait d’ailleurs très bien avec Txiki, mais évite de lui en parler, c’est encore difficile pour lui. Elle nous considérait comme une famille, ses précieux camarades. Elle est morte lors d’une mission il y a deux semaines.
- Ah.
- Voilà ! Maintenant, rentrons. »

Ezer fit signe à Azken de bouger. Les deux remontèrent à l’abri sans un mot. L’elfe avait encore l’esprit trouble, n’ayant pas assez dormi.

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Azken mangea peu et alla se coucher plus tôt. Cela fit froncer les sourcils de Zorigaitza et il regarda Ezer. Celui-ci lui fit de laisser, que ça allait. Il était bien surveillé et trop fatigué pour avoir glisser un quelconque poison dans la nourriture.

L’elfe se glissa sous sa couverture, et ferma instantanément les yeux. De nouvelles images l’assaillirent, il se retrouva non loin de l’abri de l’Œil. C’était le printemps, des fleurs tachetaient le sol de mille couleurs. Devant lui, une adolescente ramassait les efflorescences avec soin et les rassemblait en un délicat bouquet. Azken s’approcha un peu et blêmit : c’était celle qui l’avait étranglé la nuit passée. Elle leva la tête vers lui, il recula. Un sourire charmant s’afficha sur son visage et se déforma en quelque chose de terriblement malsain. Elle se leva et s’avança dangereusement, un poignard à la main.

« Attends… on… on peut discuter avant de, balbutia Azken. »

Elle lui sauta dessus comme un fauve affamé.

« Lur ! Non ! »

Stoppée net dans son élan meurtrier, elle regarda Azken, interloquée.

« Tu es Lur, hein ? Je me demandai pourquoi Ezer me parlait de toi, mais je comprends mieux… »

Si sa voix était maîtrisée, il n’en restait pas moins effrayé. Il ne voulait pas faire encore une de ces horribles nuits, mais accepterait-elle le dialogue ? Il ne savait même pas pourquoi elle faisait ça ! Il ne savait pas comment non plus.

« Tu faisais partie de l’Œil du Corbeau, c’est bien ça ? »

La jeune esquissa une grimace agressive et fit un pas menaçant en avant. Azken agita fébrilement ses mains devant lui :

« Du calme, ça va, d’accord ? Tout va bien… »

Il cherchait plus à se convaincre lui-même que la demoiselle, reculant de quelques pas.

« Je… je ne sais pas pourquoi tu me fais vivre toutes ces horreurs, je ne comprends pas tes motivations… mais on peut peut-être trouver un arrangement, non ?
- Mes motivations sont pourtant évidentes ! cria presque la demoiselle. »

Emprunte d’une nouvelle colère, elle bondit de nouveau comme un fou de sa boîte.

« Explique-moi ! »

Mais elle l’avait déjà plaqué à terre et son poignard n’eut aucune hésitation.

Azken se redressa, haletant, couvert de sueur. Il porta sa main à son visage, le regard trouble. Il avait envie de vomir toutes ses tripes, pris d’un violent malaise. Comment faire ? Comment faire pour arrêter tout ça ? Il ne comprenait pas ! Qu’avait-il pu faire à quelqu’un qu’il n’avait jamais rencontré ?! Un profond désespoir qu’il était incapable de retenir s’ajouta à sa douleur et dégoulina sur ses joues. Il enfouie sa tête entre ses genoux. Que faire ? Que dire ?

Il se rallongea, épuisé. Cela faisait longtemps qu’il n’était plus en état de veiller. Il redoutait le moment où il fermerait les yeux, mais ses paupières furent rapidement trop lourdes.

Lur lui passa de nombreuses scènes morbides où il se réveillait en sueur et en pleurs. Il n’en pouvait plus. Plusieurs fois, il avait demandé des explications, mais jamais l’adolescente n’avait répondu à son appel. Et il replongea une fois de plus dans le monde imaginaire, incapable de se tenir éveillé. À bout, il s’agenouilla à terre, front contre sol.

« Ezer m’a menti ! Tu n’es ni gentille ni brillante ! cria-t-il. »

Lur se tint face à lui, le regard méprisant. L’envie ne lui manquait pas de l’envoyer à nouveau dans l’autre monde.

« Tu as voulu détruire ce que j’ai cherché à protéger de ma vie, déclara-t-elle froidement. L’Œil est ma famille, je me battrai pour eux, morte ou pas, et tu es un danger. »

Sans la regarder, Azken sentait sa détermination dégoulinante de colère. Elle était morte sans avoir achevé son rôle.

« Je suis désolé. Pardon. Je ne le referai plus, je te le promets. Je…
- Je me passerai de tes excuses bidonnes !!
- Alors qu’est-ce que je peux faire ? »

Silence. Pour autant, l’elfe sentait la rage de la défunte bouillonner, si bien que lorsqu’elle reprit la parole, sa voix tremblait.

« Et toi pauvre imbécile, dis-moi ce que tu peux faire !
- Je… qu’est-ce qui te permettrait de trouver le repos ?
- Ah. Le repos ? Ça me ferait plaisir de savoir que mon remplaçant remplisse bien son rôle. Enfin, faudrait-il déjà que chacun le pardonne de ses fautes ! »

Et elle disparut. Azken se réveilla brusquement. Les premiers rayons du soleil perçaient par la fenêtre. Pour autant, l’elfe n’avait pas la force de se lever. Il se rendormit.
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Messagepar New Mentali » 09 Juin 2020 12:36

Chapitre 5



« Pour cette mission, les membres que je désigne son Ezer, Oun, Txiki, Grimgrim et Azken. Est-ce que cela vous irait ?
- Aucune objection ! sourit la phytopode.
- Pareil, confirma Txiki. »

Oun hocha la tête, ravi de sortir en mission.

« Ça me va, continua Azken nerveusement.
- Quant à moi, tu connais déjà ma réponse, s’amusa Ezer. »

Ezer trouvait qu’il était trop tôt pour envoyer Azken en mission, il était encore fatigué de ses dernières nuits. De plus, la mission pouvait rapidement déraper, envoyer un bleu là-dedans, c’était un risque supplémentaire. Mais il avait déjà dit tout ça à Zorigaitza qui lui avait répondu qu’Oun le ramènerai ici aux moindres problèmes. Sauf que le griffon mettrait deux jours avant de revenir, ça les mettait en difficulté s’ils avaient besoin de filer en vitesse. Enfin, du risque en plus, c’était stimulant !

« Vous partirez ce soir alors. »

Et la petite réunion se clôtura là-dessus. Les membres qui partaient en mission restèrent cependant autour de la table. Azken, étonné que personne ne parte faire ses affaires, fixait ses collègues. Il était nerveux. La mission était dangereuse, mais excitante. Ils allaient mettre une dérouillée à groupe de pirates. Lui qui avait toujours rêvé de naviguer, c’était assez inespérée. Mais c’est aussi sa première sortie avec l’Œil et il n’aurait pas le droit à l’erreur.

« Grimgrim, cheffe de groupe ? proposa Ezer.
- J’approuve, sourit Txiki. »

Oun piailla affirmativement. Ezer se tourna vers Azken. Celui-ci hocha la tête, même si le fait qu’une vulgaire phytopode puisse lui donner des ordres le dégoûtait d’avance. Il ne comprenait pas qu’on puisse la traiter comme n’importe quel autre humain… ce n’était qu’une demi-vivante après tout !

« Dans ce cas, je m’attellerai à la tâche, conclut Grimgrim. Txiki et Ezer en première ligne, Ezer guide. Oun, tu te tiendra prêt à évacuer tout le monde. Azken, tu surveilleras nos arrières. Des commentaires ? »

Silence général. Grimgrim se redressa, ravie que son plan d’action soit accepté.

« On se retrouve lorsque le soleil touche l’horizon alors ! »

Chacun se leva. Ezer était ravi de ne pas avoir été désigné chef de groupe, car ça aurait pu être le cas. Il n’aurait pas pu gérer le groupe et surveiller Azken en même temps. Et même si Grimgrim n’était pas très tactique, elle restait vive avec la tête sur les épaules.

Azken regarda Ezer sortir dehors, il aurait bien besoin de conseil… ça voulait dire quoi exactement « surveiller les arrières » ? Il ne voyait pas très bien ce que donnait son rôle en pratique. Enfin, il était ici en tant que médecin… il rejoignit l’infirmerie.

________________________________________________________________________

Le ciel étoilé au-dessus de leur tête, le groupe survolait le continent vers leur destination : le port d’une ville elfique tout à l’Ouest des terres. Azken était sur le dos d’Oun, derrière Grimgrim. Les algues qui lui servaient de cheveux lui fouettaient le visage et savoir une phytopode si près de lui profiter du moment l’agaçait au plus haut point. Txiki et Ezer, en bon garous, avait prit l’apparence de deux oiseaux. L’arrivée était prévu le lendemain matin à l’aube.

Soudain, l’elfe se sentit glisser. Il s’était assoupi, fatigué et n’était pas habitué à de si long vol. Il voulut se rattraper ; ses doigts se refermèrent dans le vide.

« Azken ! appela Grimgrim. »

Elle aussi, ses doigts se refermèrent dans le vide. Ezer qui volait en tête, se retourna et en apercevant le corps du blond chuter dans le vide. Son sang ne fit qu’un tour, il piqua vers l’elfe. Ce n’était pas un grand pilote de chasse, alors il priait pour arriver à temps. Prenant toujours un peu plus de vitesse, il rattrapait doucement Azken, mais le sol aussi s’approchait de plus en plus vite. Lorsque la panthère-garou fut sûre de pouvoir refermer ses serres sur l’adolescent, il se métamorphosa en griffon. Il referma son bec sur le haut du blond. Ce poids supplémentaire soudain désorganisa ses battements d’aile, l’attira dangereusement vers le sol. Il refoula la panique qui s’apprêtait à envahir ses membres et s’appliqua à stabiliser sa position, ralentir sa chute. Ses efforts ne furent pas suffisants et en voyant le sol juste sous ses serres, il jeta Azken entre ses pattes et replia ses ailes autour. Les deux corps roulèrent dans l’herbe froide.

Ezer se retrouva allongé dans l’herbe, les oreilles bourdonnantes. Il écarta ses ailes, laissant apparaître le corps de l’elfe.

« Ezer ! Azken ! »

Grimgrim, Oun et Txiki furent vite auprès de leurs compagnons. Azken se redressa sur ses poignets pour les rassurer, la respiration saccadée, bruyante. Il avait eut peur, si peur. Il avait cru y passer. Des vertiges l’empêchait de se lever.

« Azken, ça va aller ? fit Txiki en posant sa main sur l’épaule de l’elfe. »

Celui-ci répondit par un hochement de tête. Il fallait juste qu’il se calme. Il était vivant.

Ezer reprit son apparence humaine, les membres douloureux. Le choc avait été rude. Heureusement que les griffons sont solides. Oun se pencha vers lui, inquiet. Le garou lui accorda une caresse amicale avant de s’agripper à son pelage. Il se redressa, s’accrochant au griffon blanc. Un vertige le prit et il appuya son poids contre l’animal qui couina.

« Ça va aller, t’inquiète. C’est le temps que ça passe.
- Tu es sûr ? demanda Grimgrim. On peut rester là un peu pour que vous vous reposiez.
- Non. On va rater le bateau. Partez devant, on va vous rattraper.
- N’importe quoi ! Tu n’es pas en état de voler.
- C’est le temps que ça passe, je te dis.
- Et puis tu es le guide, on a besoin de toi. Txiki peut te prendre avec lui et je récupère Azken avec Oun.
- Je ne suis pas sûr que ce soit raisonnable… mais c’est toi qui décide. »

Grimgrim parut hésiter devant l’avertissement d’Ezer. Elle savait qu’il ne se trompait que rarement sur ce genre de décision. Moins souvent qu’elle en tout cas.

« Très bien, tu as gagné. Tu as intérêt à rattraper vite !
- Ne t’inquiète pas pour ça. Filez ! »

Et Oun, Grimgrim et Txiki se renvolèrent. Ezer se laissa tomber au sol et regarda Azken qui avait quelque peu retrouver son calme.

« Ils sont vachement collants, tu ne trouves pas ? sourit Ezer.
- Je suppose ?
- Tu saurais me faire une attèle ? fit-il en levant sa main droite.
- C’est moi ou tu leur as dit que tu pouvais voler avec un poignet en moins ?
- Je n’ai jamais dit ça.
- Et comment on va faire pour les rattraper ?
- Ne t’inquiète pas. »

Azken haussa d’un sourcil, sortant de sa sacoche de quoi immobiliser le poignet du garou.

« En tout cas, merci…
- J’ai envie de te dire que tu peux refaire une chute quand tu veux, mais évite quand même.
- Excuse-moi.
- Ça va. Fais plus attention la prochaine fois, je ne pourrais pas toujours arriver à temps. D’autant plus que la mission est assez périlleuse, on peut se faire chopper n’importe quand. Et se faire attraper au beau milieu de la mer sur un bateau, c’est assez peu confortable. Surtout pour toi qui ne pas voler.
- Oui…
- Mais ne flippe pas pour autant, ça va bien se passer ! Je suis sûre que tu vas bien t’en sortir !
- C’est gentil… »

Azken fit un dernier nœud sur l’attelle et se redressa. Ezer le remercia d’un sourire et se leva. Il retira son manteau et le tendit à l’elfe.

« Enfile ça et ne dit rien. »

Le blond s’exécuta sans comprendre. Ezer plaça ses mains en porte-voix et commença un chant composé de vocalises. Azken le fixait, surpris. La musique lui paraissait étrangère, comme venue d’un autre monde. Et puis, à quoi servait-elle ? Pourquoi chanter dans un moment pareil ?

Une autre mélodie venue de plus loin répondit à celle d’Ezer. Azken regarda autour d’eux, incapable d’en déterminer la provenance. Le garou surenchérit. Au bout de plusieurs échanges ponctués d’étranges notes, Azken remarqua une masse s’approcher.

« Koreh ! appela Ezer, un grand sourire au visage. »

L’elfe reconnut alors une chimère au pelage sombre, rayé. Une crinière claire cachait son cou et tombait jusqu’à deux postérieurs de grenouille. Ses antérieurs étaient d’immenses serres. Un queue de plumes colorés ornait son arrière train mais aucune paire d’ailes en vue.

Comme la chimère n’osait pas s’approcher, Ezer avança.

« Ne t’inquiète pas c’est un ami. Il n’est pas méchant. »

Le garou passa sa main dans la crinière de l’animal difforme. Il le caresse un peu avant de faire signe à Azken de s’approcher. La chimère gronda.

« Ça va, lui souffla Ezer, ça va. Il ne te fera rien. C’est juste pour un trajet. »

La chimère regarda le garou et lui désigna le poignet dont il ne se servait pas. Ezer l’approcha de la truffe de Koreh.

« C’est une mauvaise chute, mais ça va. »

Azken n’était désormais qu’à quelques pas de la bête. Il était prudent, voire même pas très rassuré. Hegal aussi avait manifesté de l’hostilité à son encontre et elle l’avait emmené par la peau des fesses. Il ne tenait pas à refaire l’expérience.

« Azken, tend ta main. Pas de mouvements brusques. »

L’elfe s’exécuta. Koreh s’agita, mécontent. Ezer le calma de la paume de sa main et de paroles douces.

« Ça va d’accord ? Je ne t’ai jamais fait défaut, pas vrai ? Alors fait confiance, ça va bien se passer… »

La main d’Azken s’arrêta à quelques centimètres de la truffe de la chimère. Celle-ci regarda le petit elfe. Il sentait les plantes, mais aussi la nervosité. Avait-il peur ? Enfin, si Ezer lui faisait confiance… il effleura les doigts du blond. Ezer sourit.

« Allez, en route ! »

Et Ezer enfourcha leur nouvelle monture. Il tendit sa main à Azken pour l’aider à monter devant lui.

« Accroche-toi, ça va secouer, conseilla-t-il à l’elfe. »

Ça ne manqua pas ! Azken faillit basculer par-dessus bord au premier pas de Koreh. Ayant des membres dépareillés, la chimère n’était pas un modèle de stabilité en tant que monture. Elle prit rapidement de la vitesse. Ezer s’accrochait à l’elfe, incapable d’atteindre la crinière de l’animal de ses deux mains.

Soudain, une membrane magique se forma autour de la chimère. Celle-ci se mua en deux larges ailes. Le trio décolla bientôt du sol à une vitesse folle. Si Koreh n’était pas un as en manœuvre, au niveau vitesse, il était inégalable. Et pourtant, il n’était pas une créature aérienne à la base, il était le seul de la portée à être né sans aile. C’est ce manque qui l’avait poussé à trouver un autre moyen de prendre son envol : sa magie.

« Ezer ? appela Azken.
- Oui ?
- Je… qu’est-ce que je dois faire concrètement pour cette mission ?
- C’est difficile à dire de manière précise, on ne sait jamais ce qui peut arriver. En revanche, comme Grimgrim t’a désigné à l’arrière, tu restes à la fin du groupe pour t’assurer qu’aucun danger ne vient de derrière. Techniquement, tu n’auras pas à combattre, puisque c’est la première ligne qui s’en charge, soit moi et Txiki. Après dans la pratique, il suffit qu’on soit dispersés pour que nos rôles diffèrent. Je n’ai que deux conseils à te donner. Fais ce qui te paraît le mieux. Privilégie toujours la survie de chacun des membres à la réussite de la mission.
- Mais si on échoue…
- Peu importe le résultat. Je refuse de rentrer si nous ne sommes pas au complet !
- Bien, je ferai de mon mieux.
- Une dernière chose. C’est ta première, tu n’es pas habitué alors ne force pas. Si tu sens que c’est risqué, demande de l’aide. »

________________________________________________________________________

Koreh déposa le duo avant le lever du jour à bon port, sur une falaise, à l’abri des regards. L’air marin arracha un sourire à Azken. Son regard se posa sur la mer sombre, sans pouvoir s’en détacher. Il allait embarquer… pas dans les conditions dont il avait rêvé, mais tout de même. Il allait retrouver l’univers de tous ces grands marins qui découvrent milles merveilles. Fini les récits, aujourd’hui, c’était la réalité ! Il allait faire un pas vers les aventuriers qui avaient illuminé son enfance de par leurs mystères et leurs histoires !

Ezer avait pris l’apparence d’une panthère. Koreh avait insisté pour qu’ils s’affrontent, sûrement poussé par sa fierté d’être le mâle de la portée. Le garou savait que la chimère craignait de perdre son statut de dominant. Pour autant, il n’avait jamais cherché à contrarier son frère adoptif là-dessus. Tant qu’ils s’entendaient tous bien, il s’en fichait.

Ce duel était simple : pas d’usage de magie, juste la force des griffes et des crocs. Le gagnant semblait tout désigné : la panthère, plus massive, plus élancée, faisait deux fois la hauteur de la chimère. Cette dernière, plus trapue, plus robuste, ne semblait en démordre pour autant : son regard fendu luisait de détermination.

Les deux frères se jetèrent l’un contre l’autre. Ils n’avaient pas l’intention de se blesser, mais ils sortirent griffes et crocs. Koreh faisait preuve d’une remarquable vivacité pour compenser la différence de taille entre les deux bêtes. De plus, sa capacité à encaisser pour mieux contrattaquer le rendait redoutable. Finalement, le résultat était moins certain qu’il n’y paraissait.

En les entendant, Azken se retourna vers eux. Il paniqua en les voyant s’affronter. Que faire ? Ezer allait se blesser ! Il avait déjà un poignet en moins. C’était de la folie ! Mais il ne pouvait pas s’interposer entre ces deux monstres… il remarqua alors qu’Ezer jonglait sur ses pattes pour poser le moins possible celle blessée et que Koreh n’attaquait pas de ce côté. Aucun des deux ne visait les points sensibles…

Rapidement, Koreh donna un puissant coup d’épaule dans la panthère, qui sur trois pattes perdit l’équilibre. La chimère en profita pour la plaquer au sol et ainsi affirmer sa supériorité. Cela fait, il se redressa fièrement. Ezer reprit sa forme humaine, souriant. Il aurait laissé gagner son frère de toute façon, mais ça, il ne le dirait jamais. Koreh le lui reprocherait. Il félicita son frangin d’une tape affectueuse. Et comme l’horizon rougissait, ils se dirent au revoir.

Ezer revint vers Azken.

« Ça va ? s’enquit celui-ci, inquiet.
- Oui, ne t’inquiète pas. Il a été gentil avec moi, il aurait pu me jeter à terre bien plus vite. »

Ezer s’assit face à la mer, non loin du bord de la falaise. Azken l’imita, à moitié convaincu. Le garou se tenait distraitement le poignet, cachant sa douleur sous un sourire. L’elfe lui tendit son manteau qu’il avait gardé le long du vol.

« Tu ne devrais pas appuyer sur ton poignet du tout, reprocha l’elfe.
- Ça va, je t’assure. Et puis, Koreh a accepté de nous emmener, je ne pouvais pas lui refuser ça. Cela faisait longtemps que l’on ne s’était pas battus, j’aurais aimé que lui comme moi soyons en meilleure forme. En fait, Koreh est mon frère, expliqua Ezer en enfilant son manteau.
- Ton frère ?
- Oui, c’est notre frère à Hegal et moi. On a grandi ensemble avec Helin, mon autre sœur et ma maman.
- Tu as grandi avec des chimères ?
- Tu as tout compris. Et comme Koreh est le seul mâle de la portée, il n’a que moi comme rival.
- Ah. Ça explique votre combat. En revanche, ça n’explique pas pourquoi tu demandes tant d’effort à un poignet cassé. Je n’ose même pas imaginé à quel point tu viens de le mettre en vrac.
- Ça va aller, ne sois pas si désagréable, sourit Ezer.
- Mon œil, ça se voit que tu as mal.
- Ça va passer.
- Tu en as pour une demi-saison quoi.
- J’y peux rien si y’en a un qui s’est endormi sur son griffon.
- Je me suis excusé !
- Allez, c’est l’heure de descendre au port. »

Les deux suivirent la falaise qui descendait jusqu’à la ville. Azken avait reçu un masque de la part de Zorigaitza le matin précédent, au même titre que tous les membres de l’Œil. Il le portait donc, la tête dissimulé sous la capuche d’un ciré jaune que lui avait prêté Txiki avant de partir. Ezer avait simplement rabattu sa capuche et dissimulé sa queue de félin et son foulard sous son manteau.

« Tu ne mets pas ton masque ?
- C’est inutile. La mission n’a pas commencé et personne ne connaît mon visage. Tant que personne ne m’appelle, je ne risque rien. »

Ils rejoignirent le port. Le soleil se pointait, sa lumière dansait sur les vagues.

« Je n’aime pas la mer, confia Ezer. Surtout en bateau.
- Pourquoi ?
- C’est joli d’ici, mais on ne sait jamais quel monstre va en sortir pour vous bouffer. Et je pense que là-dedans, il y a ce qu’il faut pour bouffer des milliers de navires.
- C’est pas la mer que tu n’aimes pas alors, c’est le danger.
- C’est pas la même chose ?
- Si tu le dis. Je n’ai jamais pris le bateau, mais ça me fait envie depuis longtemps.
- Ah. Il faut bien des fous dans ce monde de toute façon, sinon on ne fait plus rien.
- C’est moi que tu traites de fous ?
- Va savoir ! On embarque tous dans la même galère aujourd’hui.
- Tu as déjà pris le bateau ?
- Oui et j’en garde pas que des bons souvenirs.
- Vraiment ?
- J’ai eu le mal de mer pendant toute la première journée en plus de passer des nuits inconfortables dans le fond d’une cale humide. Sua s’est foutu de moi pendant longtemps… surtout qu’on y a été pour rien, on a foiré la mission. Enfin, ça fait toujours une anecdote à raconter.
- On va dire ça, s’amusa Azken. »

Ezer se stoppa brusquement. L’elfe le regarda, interrogateur.

« Tu vois le bateau devant ? C’est celui-là qu’on suit. Il transporte des explosifs et de la poudre. Ça part directement chez les caprins. Ils s’en servent dans les mines. Sauf que ces derniers temps, les pirates détournent tout ça et crois-moi, les seuls trous qu’ils creusent, c’est dans les coques des navires. Et tu te souviens de notre objectif ?
- Mettre les pirates hors d’état de nuire ?
- Et tu sais ce que ça veut dire, concrètement ?
- Qu’on va les tuer lorsqu’ils poseront un orteil sur le bateau ?
- On pourrait.
- C’est pas ce qu’on va faire ?
- On pourrait aussi essayer de comprendre qui ils sont et pourquoi ils volent. Ainsi, on pourrait leur procurer une autre solution que le vol.
- Ne le prend pas mal… mais on s’embête là ?
- Peut-être bien. Mais réfléchis. Si on élimine les pirates, qui sera le bénéficiaire ?
- Les elfes et les caprins.
- Si on aide les pirates à faire autre chose ?
- Pareil.
- Faux. Les elfes, les caprins et les pirates. En ouvrant un dialogue avec eux, on peut les rallier à la cause de l’Œil du Corbeau. Ils sont peu mais les avoir dans la poche est utile : ils connaissent bien la mer. Les elfes et les caprins ont déjà une dent contre nous, il sera difficile de gagner leur soutien avec si peu. Le roi les persuade que nous sommes les méchants, mais que tu me crois ou non, ce royaume et son système ont fait plus de victimes que l’Œil n’en fera jamais.
- Et concrètement, quel est le but final de l’Œil ?
- Réécrire les lois de ce monde pour offrir à chacun une chance de vivre. Ça a toujours été cet objectif que poursuivait l’organisation, même lorsqu’elle appartenait à l’armée.
- Dis-moi si je me trompe, mais cela fait longtemps qu’elle est indépendante ?
- Une bonne vingtaine d’année. C’était pendant la Guerre des Vents. Allez, ils ont fini le chargement, on y va.
- Et les autres ?
- Ils vont suivre, ne t’inquiète pas. »

Les deux marchèrent jusqu’au bateau, comme deux passants. Azken était nerveux. Comment Ezer comptait-il s’y prendre ? Les marins s’apprêtaient à lever l’ancre. La passerelle qui menait au bateau allait être retirée d’un moment à l’autre. Au moment où ils passèrent au plus près, le garou fouilla dans sa poche et jeta une sorte de boule sombre par-dessus le bord de l’embarcation. Il attrapa ensuite l’elfe par la manche et l’entraina à suite, tandis qu’une explosion retentit. Une épaisse fumée grise se propage tout autour du bateau. Le duo profita de la confusion pour se glisser à l’intérieur. Ezer les conduit dans la cale où était entassé les caisses d’explosif. Ils se cachèrent dans la cargaison.
« Qu’est-ce que tu as balancé ?
- Un fumigène. C’est Sua qui les fabrique. Je n’aime pas trop ceux-là parce qu’ils explosent avec un choc, c’est des coups à ce qu’ils te claquent dans les poches.
- Mais c’est tout sauf discret…
- Peut-être, mais en attendant, on a pu monter et si nos camarades avaient encore un doute sur le bateau, ils n’en ont plus.
- Parce qu’ils ne savaient pas quel bateau suivre ?
- Il n’y avait que moi. C’est moi qui était chargé d’enquêter sur les pirates, je savais donc que ce bateau était cible pour les explosifs. Sauf qu’il y a que l’apparence qui permet de distinguer les bateaux, pas facile d’indiquer avec précision à ses camarades lequel est le bon sans le désigner.
- C’est vrai que donner des noms au bateau, ça aiderait…
- Ils manquent peut-être d’inspiration. En attendant, on risque de rester là quelques jours… et il y a deux problèmes. Le premier, c’est qu’on est près de la poudre, je ne pourrai donc pas utiliser pleinement ma magie : je risquerai de tout faire péter. Le deuxième, c’est que si les pirates attaquent et qu’ils envoient un boulet jusque là, ça pourrait péter aussi. S’ils sont malins, ils ne le feront puisqu’ils récupèrent les explosifs, mais on est jamais l’abri d’une bleusaille. Donc s’il y a de l’agitation, il vaut mieux sortir et se faire voir que de se faire exploser ici.
- J’ai une question. Si on doit évacuer le bateau, on fait quoi ?
- On saute à l’eau en priant pour que Oun soit dans le coin et qu’il n’y ait pas de monstres marins.
- C’est rassurant.
- N’est-ce-pas ? Navré de ne pas avoir de solution plus classe.
- Deuxième question. On mange et on boit comment ?
- On leur vole. En priant pour qu’ils aient pris autre chose que de la picole.
- Ça va dérégler la gestion des vivres du navire.
- Peu importe, ils n’iront pas jusque chez les caprins quoiqu’il arrive.
- Pourquoi tu dis ça ?
- Les pirates vont les amocher dans tous les cas. Ils rentreront chez eux s’ils le peuvent encore.
- Parce qu’on ne va pas les aider ?
- À faire quoi ? À se protéger des pirates ? Ça m’étonnerait ! Il vaut mieux s’infiltrer chez eux et voir où est leur repaire si tu veux mon avis. Comme ça on coupe le problème à sa racine. En plus, si on en vient à être expéditif, on pourrait récupérer leurs richesses.
- Ce serait nous les pirates…
- Et alors ? C’est mieux que de laisser tout ça moisir là-bas. Mais tu sais, ce ne sont que des hypothèses. On ne sait pas ce qui nous attend exactement. Peut-être même qu’on ne fera pas tout au cours de cette mission. Peut-être qu’il y a plus de pirates que ce qui était envisagé.
- Je vois… »

Azken s’assit contre une caisse.

« Tu devrais dormir, la journée va être longue, conseilla Ezer. »

De toute façon, l’elfe était épuisé par le trajet, il aurait fini par tomber de fatigue.



Chapitre 6


Lorsque l’elfe se réveilla, il retrouva Ezer assis sagement en tailleur, les yeux baissés sur son poignet. Il se redressa, tout courbaturé. Le sol n’était pas très confortable, et l’humidité n’arrangeait rien.

« Tu as toujours mal ?
- C’est supportable, ne t’inquiète pas.
- Je peux te mettre de la pommade sinon…
- Je ne préfère pas. Ça me tient éveillé. Je vais aller chercher à manger. La nuit est tombée, je ne devrais pas croiser grand monde en cuisine.
- Tu veux que je t’accompagne ?
- Ça ira. Ça ne sert à rien d’être plusieurs. »

Ezer se leva. Il parut alors très pâle à Azken. Celui-ci n’osa pas le retenir… de toute façon, il lui aurait répété de ne pas s’inquiéter. Le garou se glissa jusqu’à la porte qui fermait la cale. Comme il n’entendit rien de suspect, il se risqua à ouvrir, enfilant son masque. Il jeta un œil à l’extérieur. Personne. Et c’est ainsi qu’il disparut du champ de vision de l’elfe. Ce dernier regretta presque de l’avoir laissé seul dans son état…

Le garou rejoignit le pont. Là, il y avait un trio de marins qui surveillait les vagues, accoudé à la rambarde. Ezer se glissa prudemment derrière eux et rejoignit la trappe qui descendait aux cuisines. Il la souleva doucement. Elle grinçait. Ezer regarda autour de lui, une grimace contrariée sur les lèvres… le bruit de la mer et du vent l’avait couvert. Alors, avec beaucoup de patience, il ouvrit la trappe de sorte à ce que le volume n’alerte pas les marins sur le pont.

Il n’y avait personne dans la cuisine, il y faisait sombre. Heureusement, Ezer était nyctalope. Il chercha les réserves de la pièce, en priant qu’elles soient suffisantes, sinon il devrait s’enfoncer plus loin dans le navire.

Il trouva quelques fruits, pas très beaux, mais des fruits quand même. Il les fourra dans ses poches. Mais ce qu’il voulait, c’était surtout de l’eau. Sinon, la journée de demain allait être compromise. Il fouilla un peu dans les placards et trouva des bouteilles de gnôle. Il grimaça. C’est pas avec ça qu’ils allaient tenir. Il en prit tout même une qu’il attacha à sa taille, c’était mieux que rien… il trouva quelques quignons de pain. Il fallait toujours de l’eau. Alors, il sortit de la cuisine par une autre porte. Il fallait trouver la réserve. Silencieux, il se glissa jusqu’à la pièce suivante et il accola son oreille : des ronflements. Ce devait être le dortoir. Il continua alors sa route.

Il arriva devant une nouvelle pièce. Il n’y entendit rien alors il se risqua à pousser la porte. Une odeur de viande séchée lui parvint. Il avait peut-être trouvé. Il pénétra dans la salle. Bingo ! C’était la réserve. Il avait de la chance de s’en tirer si bien. Il jeta un saucisson dans sa poche ainsi que de nouveaux morceaux de pain. Il attrapa une cruche, fermée d’un couvercle solidement fixé. Elle n’avait cependant pas d’odeur particulière, alors Ezer avait la quasi certitude qu’il s’agissait d’eau. Cela fait, il jugea qu’il avait ce qu’il fallait dans un premier temps. Il fit alors chemin inverse, avec la même prudence qu’à l’allée.

Il rejoignit Azken qui semblait content de le retrouver. Probablement la joie de ne plus être seul dans la cale avec le danger qui courrait. Ezer déposa la cruche au sol, dénoua son foulard et le plia de sorte à vider ses poches dessus. Il déposa l’alcool à côté.

« Sers-toi. Je vais essayer d’ouvrir ce truc-là, fit-il en désignant l’eau. »

Ezer prit son poignard de sa main valide, retenant le récipient entre ses genoux. Avec de la patience, il se servit de sa lame comme levier et parvint à retirer le couvercle. Sans plus attendre, il pencha doucement la cruche et but le liquide frais. Cela faisait du bien. Puis il tendit l’eau à son collègue.

« Merci. »

L’adolescent but à son tour. Il se sentait revivre ! Cela faisait vingt-quatre qu’il n’avait rien avalé, et il était temps qu’il mange ! Il attrapa un morceau de pain et croqua dedans à pleine dent. Il n’était pas fameux, mais à ce moment-là, Azken aurait pu avaler n’importe quoi. Puis, il leva les yeux vers Ezer, remarqua qu’il ne prenait rien.

« Tu ne manges pas ?
- Je vais tout vomir, ça ne sert à rien.
- Tu es malade ?
- Mal de mer.
- Et tu t’es promené tout seul sur le bateau ? reprocha Azken. Tu aurais fait quoi si tu avais fait un malaise ?
- Je n’en ai pas fait.
- Une chance ! Mais si tu ne manges pas, ça va arriver. Et au pire, tu te planques derrière une caisse, c’est pas grave. Allez, attrape ! fit l’elfe en lui lançant un morceau de pain. »

Ezer rattrapa la nourriture et la regarda. Il avait faim, mais en même temps, il savait que c’était du gâchis s’il la recrachait l’heure d’après. De plus, l’odeur les gênerait et alerterait le prochain marin qui passerait. Vraiment, ce n’était pas une bonne idée.

« Si tu le manges, je te donne de quoi passer la nuit tranquille, négocia Azken. »

Ezer leva les yeux vers l’elfe, cherchant à savoir si c’était vrai ou si c’était du chantage… devant la méfiance du garou, le blond soupira et sortit de sa sacoche un petit pot en verre dans lequel reposait une sorte de crème verdâtre.

« C’est pour faire dormir. Intéressé ?
- Il faut admettre que c’est tentant… je me réveillerai ? »

Azken comprenait ce qui était sous-entendu. Il laissa un silence, un peu agacé, mais il ne pouvait rien dire. Il comprenait et c’était sa faute. Il comprenait ce que voulait dire Lur lorsqu’il devait se faire pardonner de tout le monde. Si on n’en parlait pas, personne n’avait oublié.

« Quel intérêt j’aurais à faire ça ? Je veux dire, on est coincé là, le combat c’est pas trop mon truc, et Grimgrim, Oun et Txiki ne sont pas loin, si ? J’ai toutes les chances de me faire tuer tout seul, soit par les pirates, soit par l’Œil. Et si par miracle je m’en sortais, je serai soit prisonnier des pirates, soit renvoyé chez moi.
- C’est juste. Hm… je ne t’ai jamais demandé, mais pourquoi tu es parti de chez toi ?
- Ne détourne pas le sujet et mange !
- C’est toi qui vient de changer de sujet, fit Ezer en croquant dans son pain.
- Je suis parti parce que je ne voulais pas reprendre le commerce de mes parents. Ils n’ont jamais voulu l’entendre alors l’ambiance n’était pas géniale. Ils savent que j’ai fugué, que ce n’est pas un enlèvement comme il le laisse croire à tout le monde. Ils font ça pour préserver l’honneur de la famille. Tu sais, on est pas noble depuis très longtemps chez moi, alors la réputation, c’est important. Un peu trop même.
- Hm… sincèrement, je ne saisis pas tout. Pourquoi ils t’obligeraient à reprendre leur commerce ? Je veux dire, il y a plein d’autres activités où tu peux très bien gagner ta vie, surtout si tu nais noble.
- Je ne leur ai jamais demandé. Je pense qu’ils ont peur que leurs richesses soient perdues, que leur combat pour s’élever socialement soit rendu inutile.
- Hm…
- Tu sais, je pense que du début jusqu’à la fin, je ne suis définitivement pas leur enfant rêvé.
- Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
- Je ne me suis jamais plié à leur vision des choses. Je n’ai jamais cherché à faire bonne impression, j’ai toujours agi avec impulsivité. Ils auraient voulu que je réfléchisse à comment me mettre ces gens dans la poche, à dorer le plus possible l’image de la famille. Il paraît que c’est important dans le commerce. Je me suis souvent battu à l’école et répondu aux professeurs. On ne peut pas dire que j’étais l’enfant modèle qu’ils attendaient. Et aujourd’hui, j’ai fugué et je me retrouve dans une organisation terroriste. La cerise sur le gâteau ! Si ça se sait, il est certain qu’ils quitteront les sphères de la noblesse.
- Tu peux prétendre qu’on t’a enlevé – ce qui n’est pas si éloigné de la réalité.
- Je sais.
- Je peux avoir ton truc vert ? J’ai fini le pain.
- Juste un bout de doigt, je tiens pas à ce que tu pionces pendant deux jours, fit l’elfe en envoyant la boîte au garou.
- Merci. »

Cinq minutes plus tard, Ezer était couché. Azken s’approcha pour vérifier qu’il dormait. Le contraire aurait été étonnant vu la puissance du médicament. Il s’assit près du garou, apparemment c’était à lui de monter la garde.

________________________________________________________________________

Ezer se réveilla dans la matinée, l’esprit embrumé. Il se redressa, des douleurs dans tout le corps. Le sol était vraiment inconfortable dans ce rafiot. Azken somnolait contre une caisse d’explosifs.

« Ben ça marche drôlement bien ton truc, conclut Ezer.
- Je suis quand même surpris que tu te sois réveillé si tôt.
- Faut dire que c’est pas facile de dormir dans ces conditions.
- Ça doit être ça mais attendant, je peux t’assurer que t’as dormi comme un bébé.
- Je n’ai aucun doute là-dessus ! Et toi, la nuit s’est bien passée ?
- Rien à signaler. C’était quand même vachement long…
- C’est sûr que pour l’instant, y’a pas eu beaucoup d’action. Mais si tu veux mon avis, profite du calme avant la tempête.
- Je me doute bien que quand ça va péter, ça va être une autre histoire. Sinon, ça va mieux ?
- Un peu oui. Je me sens moins barbouillé. »

Azken sourit, c’était une bonne nouvelle. Puis, Ezer attrapa un morceau de pain et découpa le saucisson au poignard. L’elfe se servit aussi et ils déjeunèrent ensemble.

« C’est Zorigaitza qui a fait les masques de tout le monde ? demanda Azken.
- Non, il les commande et les offre. Tu sais, il n’est pas très doué pour les travaux manuels, se moqua le garou, comme tous ceux qui viennent de la famille royale !
- Qui les réalise ?
- Un artisan harpie. Il est assez renommé par chez lui, mais je ne me souviens plus de son nom. C’est pas faute d’avoir déjà visité son atelier pourtant.
- Il travaille bien, fit Azken en regardant son masque.
- Et c’est du solide ! Le mien a plus d’une douzaine d’années et il est toujours comme neuf !
- Tu l’entretiens ?
- Bien sûr ! Après tout, c’est grâce à lui que je peux me promener tranquille sans que l’on me reconnaisse aujourd’hui. Et puis, c’est le seul cadeau que m’a offert Zorigaitza, alors j’y tiens !
- Je comprends.
- Tu sais, ces masques sont magiques.
- Ils sont ensorcelé ?
- Pas exactement. Mais si un jour tu te retrouves dans une situation difficile, regarde le masque et il t’aidera.
- Ah ? Je n’y crois qu’à moitié dit comme ça, mais pourquoi pas.
- Tu verras, sourit malicieusement Ezer. »

Azken fronça des sourcils, pensant que le garou se moquait de lui. Pour autant, il ne tenait pas à clore la discussion, il s’ennuyait tellement ici.

« Et comment est-ce que tu es arrivé à l’Œil ?
- J’étais jeune et avec Hegal, on parcourait le continent pour passer le temps. Par hasard, on est tombé sur le bâtiment de l’Œil, qui était entouré d’une barrière magique. J’étais un grand curieux alors je suis rentré alors qu’Hegal me disait de faire demi-tour. J’ai surpris les membres à l’époque en train d’échafauder leurs plans, sauf que je me suis fait choppé. Du coup, on a passé un marché : je leur file un coup de main pour les missions dont j’avais connaissance et en échange, ils me laissent la vie sauve. Et finalement, je suis resté avec eux.
- Pourquoi tu es resté ?
- Parce que je me sentais bien là-bas. J’imagine que c’est parce que j’ai grandi dans la nature mais il a beaucoup de choses qui sont instinctives chez moi.
- Je vois… il n’y a donc aucun intérêt politique dans ta participation aux missions de l’Œil ?
- Non. Ou du moins, pas à l’origine. Tu sais, j’étais gamin quand je suis arrivé à l’Œil, je sortais du monde de la nature, alors les histoires des humains, ça ne me faisait ni chaud ni froid. Je n’y comprenais même pas grand-chose. Aujourd’hui, avec du recul et un peu d’expérience, je n’adhère pas à la gouvernance actuelle. Si à l’origine le système se veut égalitaire, il ne l’est pas. Finalement, il n’a rempli que son objectif de rassembler et de créer du dialogue entre les différentes espèces.
- Je pense qu’il existe tout de même une certaine égalité entre les espèces qui sont au Conseil. Tout le monde peut prendre la parole et faire avancer les choses, notamment pour les droits de tout le monde.
- C’est ce qu’on vous apprend à l’école ?
- Plus ou moins, pourquoi ?
- Le Conseil se tient tous les mois, le lendemain de la demi-lune. Son but premier est de rassembler les peuples autour d’une même table, présidé par le roi qui est d’ailleurs plus un empereur, et ainsi parler des problèmes et trouver des solutions justes et équitables. La règle est alors la suivante : les nations qui s’engagent à participer au Conseil doivent appliquer les lois votées par celui-ci. Celles-ci priment d’ailleurs sur les lois d’origine des espèces.
- Jusque là, je n’ai rien à redire.
- Si dans le principe, tout paraît propre, dans l’exécution, il y a quelques bémols. Premièrement, les Conseils en eux-mêmes ne donnent pas à tout le monde une chance de s’exprimer. La table est rectangulaire et les chefs sont classés par puissance. Les plus forts sont près du roi, les autres à l’autre bout de la table. Et puis, cela ne sert à rien de s’exprimer si personne ne nous écoute. Et en l’occurrence, les paroles de certains ont plus de poids que d’autres. Je peux te donner un exemple. Comme tu le sais probablement, les dragons sont les maîtres de l’absentéisme aux Conseils. Il y a quelques années, une loi leur a déplu, ils se sont pointés et la loi est passée aux oubliettes. C’était la loi sur le libre passage aux frontières.
- Mais aujourd’hui, on passe les frontières librement ?
- Bien sûr, à cause d’une autre loi que les dragons n’appliquent pas. On en arrive à notre second problème. Comment punir ceux qui ne tiennent pas leurs engagements ? Après tout, qui oserait s’en prendre aux puissants et terribles dragons ? Personne. Ils peuvent donc agir en toute impunité. On perd alors l’égalité des peuples représentés aux Conseils, parce que les autres peuples, n’en parlons même pas.
- Les dragons sont à part, ça ne compte pas.
- C’est là que tu te trompes. Les dragons ne devraient pas avoir plus de droits que les autres. C’est ce que stipule ce système, ni plus ni moins. Maintenant, si on punit les dragons, que feront-ils ? Ils quitteront le Conseil et auront le choix de détruire quelques nations en guise de représailles. Alors que si tu punis les chimères, que feront-elles ? Rien, parce qu’elles ne peuvent rien y faire. La morale de cette histoire ? Les peuples ne peuvent et ne pourront jamais être égaux.
- Et que propose l’Œil contre ça ?
- Rien. C’est un fait immuable. L’Œil ne promet pas l’égalité des peuples, il cherche à donner à chacun les mêmes chances de survie.
- La différence est floue… c’est pas la même chose ?
- Non. Donner à chacun les mêmes chances de survie, c’est offrir des soins, garantir un accès à la nourriture et à l’eau, fournir un abri à tout le monde, sans distinction de richesse ou d’espèces. Et on ne peut pas parler d’égalité car chacun à des besoins différents.
- Hm… je crois que je comprends.
- Et contrairement à ce que certains croient, l’Œil du Corbeau n’a pas pour but de prendre le pouvoir. »


Chapitre 7

Le bateau tanguait depuis un moment déjà et le vent grondait au dehors. Ezer était couché sur le sol, bras et jambes écartés, fixant le plafond en silence. Azken l’observait sans commentaire, se demandant ce qu’il faisait. La vérité, c’est que le balancement irrégulier et incessant du navire avait réveillé le mal de mer de la panthère-garou. Soudain, un grondement déchira l’espace. Ezer soupira et se redressa.

« Je te promets que lorsque nous retrouverons la terre, je ne retournerai pas sur un rafiot de si tôt.
- Il n’y a pas de tempête tous les jours.
- Mais il y a la mer tous les jours ! En plus, ça fait trois jours qu’on est coincés là-dedans, j’ai besoin de me dépenser moi ! Et puis, l’odeur d’iode, j’en peux plus !
- Courage. On n’en a pas fait la moitié.
- Te moque pas le bleu.
- C’est un simple constat. On se rassure comme on… »

La porte de la cale s’ouvrit. Les deux se plaquèrent contre une caisse précipitamment.

« Faites attention à ce que rien ne se renverse ! Et surveillez les fuites… »

Au même moment, le bateau se cabra, renversant une partie des caisses d’explosifs. L’un d’elles manqua d’assommer Azken.

« On ne peut pas rester là… on va se faire écraser. Et puis, si on peut filer avant que le bateau coule, murmura Ezer à l’elfe.
- Et les pirates ? Si le bateau coule, on ne les verra pas.
- Tant pis. Pour une prochaine fois. »

Ezer jeta un coup d’œil par-dessus la caisse derrière laquelle ils étaient cachés. Les mousses étaient occupés à maintenir les boîtes de l’autre côté, c’était le moment. Il attrapa la manche d’Azken et les entraîna sans hésiter sur le pont. Là-haut, c’était la pagaille, les marins courraient partout, rangeaient les voiles, tiraient les cordes de tout leur saoul, mais le plus impressionnant, c’était la noirceur du ciel. On croirait qu’il faisait nuit. Le sol était glissant, couvert d’eau de mer.

« Qu’est-ce qu’on fait ? hurla Azken pour ne pas que le vent couvre sa voix.
- Recule un peu ! »

Ezer leva une main vers le ciel et projeta un éclair. Pourvu que Oun et les autres soient dans le coin. Et comme le bateau penchait dangereusement, le garou regarda Azken.

« On les aide à tenir le bateau ! »

C’était leur seule chance de survie. Impossible de prendre Azken en vol avec lui avec un poignet cassé et la tempête. La nage, même pas la peine d’y penser…

Cependant, un nouvel éclair déchiqueta le ciel apocalyptique, illuminant une vague monstrueuse juste au-dessus du navire. Le sang du garou ne fit qu’un tour, il plaqua Azken au sol et s’accrocha au premier truc qui lui passa sous la main. Il eut l’impression que le bateau avait fait trois tonneau lorsqu’il se releva, trempé de la tête au pied. Paniqué, il regarda autour de lui, cherchant une solution. Il ne voulait pas mourir. Il ne voulait pas disparaître. Et la peur le paralysait. Si bien qu’il ne remarqua pas l’absence d’Azken à ses pieds. Celui-ci avait bondi et fonçait à la barre. Il glissa, se releva, et finit par atteindre la roue en bois qui tournait librement. Le capitaine s’était fait emporté par la précédente vague. Il l’attrapa, n’ayant pour atout que les livres d’aventures qu’il avait lu et son instinct.
Il refusait que le premier bateau sur lequel il montait coule. C’était sa volonté, peut-être sa dernière, et il allait la porter jusqu’au bout. De toute sa conviction, il s’accrocha, domptant les fougues du navire tant bien que mal. Rapidement, il ne sentit plus ses doigts, mais il continua. Parfois, une rafale ou une vague lui faisait un croche pieds, il se relevait. Il perdait la notion du temps, de l’espace, mais il tenait. Au fond de lui, il aimait ce combat. Jamais il ne s’était senti si vivant, jamais il n’avait autant vibré. Cette joie folle dessinait un sourire pas moins fou sur le visage crispé de l’elfe.

De longues heures plus tard, les cieux se calmèrent. Ezer se redressa, puant de sel, collant d’iode, et se jeta sur le rebord. Il vomit toute la saleté qu’il avait gobé durant la tempête et se laissa de nouveau tomber au sol. Il était lessivé. À cet instant, il aurait pu donner n’importe quoi pour des vêtements propres et un bon feu. Il était seul au milieu de la mer, sur un bateau miraculé. Il ne savait pas où il allait, ni comment y aller, mais il y allait. Il soupira. Il allait mourir, hein ? Il était trop épuisé pour s’en inquiéter. Il venait de se battre contre une mer déchaînée qui l’avait balloté dans tous les sens. Rien que d’y penser, il avait envie de gerber.

Il se redressa cependant et se décida à faire l’état des lieux. Il était certain de ne pas retrouver grand monde. Il avait vite perdu Azken de vue… mais son esprit était encore trop embrumé pour en réaliser toutes les conséquences. Il descendit voir les boîtes d’explosifs. Elles étaient en désordre, certaines s’étaient ouvertes. En balayant les lieux du regard, il découvrit les corps des deux mousses, morts assommés. Ce n’était pas très beau à voir, alors Ezer passa son chemin. Il se glissa ensuite dans la cuisine, les dortoirs, le garde manger… tout était vide. Pas un chat, plus rien à se mettre sous la dent. Tout avait pris l’eau ou s’était brisé. Ezer continua sa route et grimpa en direction de la barre : autant comprendre le plus vite possible comment diriger ce truc. Il n’avait qu’à suivre le soleil pour retrouver la terre ferme. Enfin, il créverait sûrement avant.

En découvrant un corps accroché à la roue, il se figea, incrédule. Ce haut jaune et pas discret pour un sou… il s’approcha pour en avoir le cœur net.

« Azken ? Tu m’entends ? »

Avec toutes précautions du monde, il secoua l’elfe inconscient. Aucune réponse. Seuls ses doigts étaient restés crispés sur la barre, symbole de son inébranlable volonté. Ezer les décrocha et roula l’adolescent sur le côté. Il respirait… il n’était pas seul. Le garou s’assit, soulagé. Il n’avait aucune raison de l’être, ils allaient probablement mourir ensemble. Soudain, il se dressa et courut jusqu’à la rambarde. Il vomit tout ce que lui restait dans la panse et se laissa tomber au sol. Que faire ? Il leva une paume vers le ciel et un puissant éclair jaillit vers le ciel. On ne sait jamais, s’il y a quelqu’un dans le coin…

Ezer rejoignit le corps d’Azken. Il lui jeta son manteau sur les épaules, comptant profiter du nouveau soleil pour sécher un peu.

Les heures passaient, Ezer fixait le ciel. Des fois que la cavalerie se décide à arriver… et finalement, un grognement fit tourner la tête du garou.

« Bien dormi princesse ?
- Je veux devenir marin, fit Azken la voix rauque.
- Dis pas de conneries princesse ou je te balance à la flotte, râla Ezer. »

Et l’elfe toussa, recracha de l’eau, vomit ses tripes et se rendormit. Le garou haussa un sourcil. Il ne se réveillait que pour dire qu’il était heureux de mourir… quel *** ! Vexé, il reprit sa contemplation des cieux. Parfois, il lançait un arc électrique en l’air, signalant sa position.

________________________________________________________________________

Le lendemain matin, Azken se releva, pas encore bien remis. Il regarda Ezer qui dormait non loin. Alors ils s’en étaient sortis tous les deux. Il sourit, joyeux. Il avait réussi ! Il avait dompté la tempête ! Probablement plus par chance que par réelle compétence, mais c’était le résultat qui comptait. Il regarda autour d’eux. La mer à perte de vue… impossible de savoir où ils étaient exactement et la tempête avait pu les envoyer n’importe où. Il regarda alors le bateau et un détail le fit grimacer : le mât était parti. Impossible d’avancer dans ces conditions. Il n’y avait donc plus qu’à prier pour que quelqu’un les récupère… et vite. Il ne tiendrait pas longtemps comme ça… il avait faim et soif, et il ne sentait pas bien. Il se pencha sur Ezer et lui rendit son manteau. Il constata que l’attèle à son poignet était partie et qu’un hématome ornait son visage. Sûrement un choc…

Les heures défilèrent encore, longues et incessantes. Finalement, des silhouettes se découpèrent dans le ciel. Azken se jeta sur Ezer et le secoua de toute sa joie.

« Ezer ! Là-bas ! »

Le garou répondit d’un grognement grognon. L’elfe n’y fit pas attention et commença à faire de grands signes et à crier pour attirer l’attention. Cela finit de réveiller Ezer qui leva enfin les yeux. Un espoir fou l’envahit en découvrant ces deux points qui virevoltaient dans le ciel clair. Il envoya une énième décharge vers le haut, signalant sa position.

Quelques minutes plus tard, Oun, Grimgrim et Txiki étaient posés sur l’épave flottante.

« Comment allez-vous ? s’enquit immédiatement la phytopode, inquiète.
- Aussi bien que tu peux le constater, sourit Ezer. Si tu savais comme tu tombes à pic !
- Je me doute… vous revenez de loin vu vos tronches…
- On rentre ? Dis-moi qu’on rentre.
- Bien sûr… il n’y à plus rien à faire à part couler la marchandise ici.
- Je ne t’ai jamais autant apprécié Grimgrim, tu sais ça ?
- Je me doute. Au final, ce qui me désole le plus, c’est de t’avoir laisser tout seul avec Azken. Le pauvre, franchement… »

Azken fit la moue. C’est surtout Grimgrim qu’il n’aurait pas supportée.

« Bon allez, Txiki, tu prends Azken avec toi. Je vais m’occuper d’Ezer avec Oun. On se retrouve à la maison. »

________________________________________________________________________

Le soir, le quintet était rentré. Ils furent accueillis par Zorigaitza, Sua et Osasun.

Oun étira ses robustes ailes, pas fâché d’être enfin rentré. Ses épaules tiraient de ses longues heures de vol et il alla se coucher avant qu’on ne puisse le retenir.

« Bon retour, les accueillit le chef.
- Bonsoir ! Est-ce que c’est possible de prendre un bain avant de raconter nos péripéties ? demanda Ezer.
- Oui. »

Zorigaitza n’avait pas hésité une seconde devant les sales têtes d’Ezer et d’Azken. Les deux ne se firent pas prier et laissèrent les autres, trop heureux de pouvoir enfin faire un brin de toilettes.

« Alors ? s’enquit Zorigaitza.
- Une tempête a détruit le bateau d’explosifs. Nous n’avons donc pas vu l’ombre d’un pirate… il faudra relancer une mission avec un nouveau bateau à suivre.
- Je vois… et pourquoi ils sont dans cet état les deux ?
- Ils étaient sur le bateau, nous en vol au-dessus. Ils ont donc essuyé la tempête, d’autant plus qu’on à mis un peu de temps avant de les retrouver.
- Donc le bateau a survécu à la tempête ?
- Il flottait mais impossible de naviguer avec. Le mât était hors service. Donc pas de voiles. On a donc fini de le couler. Ces deux-là étaient les seuls survivants…
- Ils ont de la chance alors.
- Possible.
- Bon, on discutera de ça plus en détail à table. Vous devez être épuisés aussi. »

Grimgrim et Txiki acquiescèrent d’un même mouvement de tête.

________________________________________________________________________

Ezer constata qu’il manquait du monde autour de la table. Il regarda Zorigaitza.

« Les autres sont partis en mission ?
- Oui. Kerme, Nomnos, Zizare et Arrano sont en mission. Nous avons été contacté par les harpies du Nord. Elles veulent une entrevue et n’en ont pas indiqué le sujet…
- Je parie que c’est à propos du voyage nuptial.
- Et pourquoi aurait-elle besoin de nous ?
- Eh bien leur problème, c’est qu’elles survolent des territoires qui ne leur appartiennent pas, et notamment celui des pandis. À chaque fois, elles se font accuser de voler de la nourriture et se font attaquer. Cela fait longtemps que le sujet est d’actualité.
- Ça n’explique pas en quoi on peut leur être utile.
- Je ne sais pas exactement. Mais je parie quand même ! »

Zorigaitza sourit, ça ne lui coûtait rien. Lui était plus préoccupé par l’éventualité que ce soit un piège. Mais, il y avait un sujet qui l’intéressait à ce moment précis :

« Et si vous nous racontiez votre aventure ? »

________________________________________________________________________

Le soir, Ezer et Azken se retrouvèrent tous les deux dans l’infirmerie. L’elfe avait quelque peu contraint le garou, désireux de s’occuper de ses blessures une bonne fois pour toute. Alors, à la lumière d’une lampe, il refit patiemment une attèle au poignet du garou.

« Tu sais qu'Osasun peut guérir ça en une demi-douzaine de secondes ?
- Si tu avais envie qu’elle le fasse, tu le lui aurais déjà demandé.
- Possible. »

Puis Azken s’occupa des hématomes qui parsemaient le corps de son compagnon avec une sorte de crème à base de plantes. La tempête ne les avait pas épargnés…

« C’est un miracle qu’on s’en soit sorti, remarqua Azken.
- Peut-être bien. En tout cas, je peux te dire que tu t’es sacrément accroché pour en arriver là. Quand je t’ai retrouvé après la tempête, tu avais les doigts encore crispés sur la barre.
- Ah oui ? sourit Azken. Tu sais, j’ai toujours rêvé de naviguer. Je ne voulais pas que le premier bateau sur lequel je monte coule…
- Il faut être givré pour vouloir être marin.
- Si tu le dis. »

Ezer désigna la crème verte.

« Je m’occupe de toi ? proposa-t-il.
- Si tu veux. »

Et les rôles s’inversèrent. Ezer constata que l’elfe n’avait pas été épargné non plus. Il avait des bleus partout et ses mains étaient brûlées.

« Ezer, je peux te poser une question ?
- Je t’écoute.
- Pourquoi m’as-tu cru pour mes cauchemars ? Je veux dire, n’importe qui d’autre aurait bien rit… surtout que tu avais toutes les raisons de ne pas m’aider.
- Je n’avais aucune raison de ne pas te croire.
- Quand même…
- Je t’ai aidé parce que tu me l’as demandé. Ni plus, ni moins. »

Azken resta silencieux. Il était reconnaissant qu’Ezer lui ait donné les clefs pour mettre fin à ce problème. D’autant plus qu’il n’avait pas vraiment mérité cette aide… il avait bien failli tuer tout le monde après tout. Et malgré tout, le garou l’avait écouté.

Ezer posa la crème au sol et s’étira. Il avait fini. Azken le remercia du regard. Les deux se levèrent. L’elfe rangea la pommade à sa place.

« Il manquait les biscuits, mais merci pour cette réunion du soir, sourit le garou.
- J’y penserai la prochaine fois.
- Allez, bonne nuit !
- Merci toi aussi. »

Ezer ne perdit pas une seconde pour aller se vautrer dans son lit.

« T’en as mis du temps, remarqua Sua qui attendait le retour d’Ezer pour dormir.
- Qu’est-ce que tu veux ? Les réunions de blessés de guerre, ça traîne ! Et y’avait même pas de petits gâteaux…
- Ça va comme tu veux ?
- Beaucoup mieux depuis que je suis rentré. Je supporte pas le bateau.
- Tu supportes pas grand-chose à part la campagne…
- C’est possible.
- Comment s’en sort Azken ?
- Vivant. Qu’est-ce que tu veux entendre ?
- Hm… « Il est un bon compagnon. » ou « Il s’en sort bien en mission. ». Enfin, tu vois le genre.
- Il est un bon compagnon. Il s’en sort bien en mission.
- Je t’ai connu plus loquace.
- Je suis crevé, j’ai pas envie de réfléchir. On en reparle demain si tu veux.
- Faisons ça. Bonne nuit !
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