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Message par New Mentali » 09 Juin 2020 13:24

Chapitre 8



Le lendemain, Ezer s’installa à une table dans le hall pour prendre son petit déjeuner. Il s’était réveillé tard, alors sans personne pour discuter, il attrapa le journal du matin. Il commença une lecture des gros titres, les sens pas encore bien éveillés.

« Bonjour Ezer. »

Le garou leva la tête.

« Bonjour Zorigaitza.
- Bien dormi ?
- Oui.
- Je ne t’en ai pas parlé hier parce que tu étais fatigué, mais j’ai mis ça de côté. »

Il tendit un papier qui ressemblait à un article le journal. Ezer le prit et le lut de travers.

« Les parents d’Azken nous menacent ?
- Nous avons également reçu ça, de manière officieuse. »

Le garou fronça des sourcils. De manière officieuse ? Il regarda la lettre que lui tentait Zorigaitza. Il prit le temps de la relire deux fois, cherchant le détail qui pourrait changer la donne.

« Et là, ils nous proposent une grosse somme en échange de leur fils ?
- Comme tu peux le constater. Qu’est-ce que tu en penses ?
- Qu’ils nous proposent une grosse somme.
- C’est un constat, pas une réflexion.
- C’est vrai. Je pense que ce pourrait être un piège, comme ça pourrait ne pas en être un. Je ne doute pas une seule seconde qu’ils ont la somme et qu’ils veulent récupérer l’héritier de leur fortune. En revanche, ils peuvent aussi demander l’aide d’une caste pour nous tendre un piège. Ce qui est plus probable vu l’article de journal. Je veux dire, on les blâmerait de nous donner de l’argent, c’est un aveu de faiblesse… tu vois ce que je veux dire ?
- C’est ce que je pensais aussi. Dois-je en parler à Azken ? C’est le premier concerné. »

L’adolescent débarqua au même moment dans la pièce, venant de se réveiller.

« Demandons-lui ! suggéra Ezer. Azken !
- Bonjour, répondit celui-ci entre deux bâillement.
- Est-ce que Zorigaitza doit-en parler ?
- Hein ? De quoi tu parles ?
- De ce que Zorigaitza doit te parler !
- Mais de quoi il doit me parler ? fit Azken en levant un regard interrogateur vers le chef.
- Ben de ça, répondit Ezer en tendant les papiers qu’il venait de lire.
- C’est quoi ça ? »

Azken attrapa les papiers. Il lut le gros titre de l’article, puis leva les yeux vers les deux.

« Je peux aller chercher mon petit déjeuner avant ?
- Bien sûr ! sourit Ezer. »

Et l’elfe s’éclipsa dans la cuisine.

« Tu as peut-être été un peu direct non ?
- Non.
- En tout cas, tu aurais pu présenter ça autrement plutôt que de faire l’andouille…
- Mais j’étais sérieux ! S’il ne voulait pas en parler, il n’aurait pas pris les papiers.
- Il était forcé de les prendre de la manière dont tu t’y es pris.
- N’importe quoi !
- Allez, s’il veut en parler, dis-lui que je suis dans mon bureau.
- D’accord ! »

Et Zorigaitza laissa Ezer pour son travail. Le garou grimaça, il passait son temps dans son bureau… il devrait sortir de temps en temps.
Azken revint, son plateau en main. Il s’assit à côté d’Ezer et commença sa lecture. Ce dernier l’observait du coin de l’œil, guettant ses réactions. Il n’en décela pas beaucoup. Finalement, l’elfe releva la tête.

« Et qu’est-ce que l’Œil compte faire ?
- Rien. Et toi ?
- Que dois-je faire ?
- Je ne sais pas. Dire à tes parents à quel point tu es malheureux ? Je serai curieux de voir ce que valent leurs menaces. Ou alors exprimer ton souhait de rentrer chez toi ? Comme ça on récupère l’argent. Enfin, que ferais-tu si tu avais le choix ?
- Je n’ai pas le choix, je ne vois pas pourquoi je m’amuserai à m’inventer des utopies.
- Tu n’auras jamais le choix si tu ne tentes rien. Enfin, si tu veux en parler, Zorigaitza m’a dit que tu pouvais le trouver dans son bureau.
- J’y penserai à l’occasion… »

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Ezer sortit dehors. L’air était frais. Il marcha un peu et après s’être assuré qu’il était seul, appela sa sœur. Il n’eut aucune réponse alors il attendit un peu, pour être sûr, et repartit dans une autre direction. Il répéta plusieurs fois ses appels, sans succès. Où pouvait-elle être ? Il réfléchit un peu et se souvint d’un détail. Le Conseil s’était tenu hier. Leur mère, qui n’était nul autre que la reine des chimères, lui avait demandé de l’y accompagner. Hegal avait râlé tout ce qu’elle avait pu et avait finalement accepté. La connaissant, elle devait sûrement bouder dans un coin à présent. Pas la peine de la chercher. Il revint alors vers l’abri. Il passa par le terrain d’entraînement. À sa grande surprise, il y retrouva Azken qui observait Txiki et Sua s’opposer. Erortzen et Grimgrim étaient là aussi, s’entraînant à lancer des sorts.

Ezer s’arrêta pour observer ses camarades. Sua et Txiki étaient deux bons combattants au corps à corps, mais le caprin gardait un avantage certain pour les attaques à distance sur le garou, et c’était souvent ce qui faisait la différence. De son côté, Grimgrim était très douée en magie lui donnant un gros avantage en arrière-garde, mais sa vivacité lui offrait également une place en première ligne. Quant à Erortzen, difficile de bien cerner ses capacités. Son démon le rendait imprévisible, et donc polyvalent. Il conservait ses capacités de caprin, mais la nature de sa magie était variable. Et Azken ? Que valait-il ? Quel genre de magie possédait-il ? Les elfes ont des magies diversifiées.

Ezer s’avança vers Erortzen.

« Tu veux faire un petit combat contre moi ?
- Ne me pique pas mon partenaire d’entraînement ! râla Grimgrim.
- On peut faire un deux contre deux alors ?
- Mais on est trois, remarqua le caprin.
- Mais non ! Azken, tu viens t’entraîner avec nous ? appela Ezer. »

L’elfe leva la tête, surpris.

« S’entraîner à quoi ?
- À se battre.
- Je ne suis pas sûr que…
- Allez ! insista Ezer.
- Tu ne devrais pas le forcer, remarqua Erortzen.
- Bon, accepta le blond. »

Ezer sourit. Il savait bien qu’Azken n’était pas dans le coin par hasard. Il n’était cependant pas certain que leurs entraînements conviennent à l’ex-noble. Les équipes se firent naturellement.

« Bon, on y va tranquille, glissa Ezer à Azken, il ne faudrait leur faire du mal.
- Ben on se bat ou pas ?
- Ouais. Pas de règle sinon on ne tue pas, on évite de blesser, et on crie stop pour arrêter le combat. Tout le monde doit s’arrêter à ce signal. C’est facile, non ?
- Oui. Et… tu as une stratégie ?
- On gagne.
- D’accord, fit Azken en haussa un sourcil. »

L’elfe était peu convaincu par cette stratégie et ça ne le rassurait pas. Il avait pour partenaires des combattants redoutables et pour lui qui ne s’était jamais battu que dans la cour de l’école, sa position l’inquiétait. Il aurait préféré un minimum d’organisation pour une première fois, d’autant plus que s’affronter de cette manière ne lui était pas familier.

« Prêt à perdre ? provoqua Grimgrim.
- Quand tu veux, face de choux ! répliqua Ezer. »

Vexée, la phytopode engagea la bataille par une salve de projectiles magiques. Ezer s’élança alors vers elle, sans faire attention à la précédente attaque : les boules verdâtres s’évaporaient miraculeusement à son contact.

Erortzen lui barra la route, projetant une longue langue de flamme entre le garou et Grimgrim. Cette dernière profita de cette diversion pour foncer sur Ezer, bondissant au-dessus des flammes. Elle dégaina son poignard, prête à donner un coup féroce.

Ezer n’eut que le temps de dégainer son propre poignard pour bloquer la lame de la phytopode et recula presque immédiatement pour se donner le temps de réagir à la prochaine offensive. Cette dernière ne tarda pas. Erortzen avait enveloppé son poing dans une épaisse couche de magie et bondit sur le garou pour lui asséner un coup. Celui-ci prit son apparence de panthère et fut forcé de reculer encore pour ne pas se prendre un pain mémorable. Il risqua un regard en arrière, Azken les observait, semblant ne pas savoir quoi faire. Le félin grimaça, ce n’était quand même pas compliqué de balancer une attaque aléatoire…

Grimgrim profita des attaques d’Erortzen pour envoyer un projectile de magie sur l’elfe, histoire de voir comment il réagissait. Ce dernier réagit tard, puisqu’il regardait le caprins et le garou. Il se jeta sur le côté, roula dans la poussière. Il se redressa et lança un regard furieux à la lanceuse. Elle avait le culot de l’attaquer !? Elle ? La demi-vivante ? Une misérable phytopode !

Azken, d’un geste de la main vers Grimgrim, lui envoya une dizaine de boules d’eau. Elle les évita, un sourire sur les lèvres. Enfin le blond se décidait à se battre. Elle savait qu’elle l’énervait, qu’il considérait sa race comme soumise. Après tout, c’était un noble et tout le monde considérait les demi-vivants comme des êtres inférieurs, les réduisant à l’esclavage. Mais Grimgrim n’était pas de ceux-là. Elle refusait de servir qui que ce soit contre son gré. Et si Azken la méprisait aujourd’hui, elle trouverait le moyen de gagner son respect. Elle renvoya une salve de projectiles.
Ezer s’interposa, la magie disparut à son contact. Puis, il balança une décharge devant Erortzen pour le dissuader de continuer des attaques. La panthère, le pelage hérissé, le souffle bref, jeta un regard à l’elfe. Ils devaient se battre en équipe, sinon ils ne s’en sortiraient pas. Cet instant suffit au caprin pour changer de cible. En s’en rendant compte, la panthère bondit à sa poursuite. Elle savait qu’Azken ne pouvait pas rivaliser avec la force de frappe du démon.

Mais l’elfe en décida autrement. Il frappa du pied, éleva sa main vers le ciel ; du sol jaillit un torrent, il fondit vers Erortzen. Celui-ci ne s’arrêta pas pour autant et donna un coup dans l’eau qui gicla. Ezer fit un écart pour ne pas prendre une douche. Grimgrim en profita pour lui lancer un sort : des pousses jaillirent aux pattes du félin et le ligotèrent solidement au sol.
De son côté, Erortzen avançait malgré la force de l’eau. Azken serra les dents en s’en rendant compte. Ce tour lui coûtait beaucoup de magie… et à deux contre un, il n’allait pas faire long feu. Il devait trouver un moyen de libérer Ezer des plantes s’il voulait avoir une chance. Mais avant qu’il puisse réagir, de nouvelles pousses enserrèrent ses jambes. Surpris, il relâcha son emprise sur son propre sort. Il leva la tête. Le caprin était sur lui, le poing brandit. L’elfe plaça ses bras devant lui par reflex, les yeux fermés et aurait voulu reculer.

« Stop ! cria-t-il. »

Il n’osa rouvrir les yeux que quelques secondes après, constatant qu’il n’avait pas entendu le poing d’Erortzen atteindre une quelconque cible. Celui-ci s’était mué en main tendue, prête à aider l’elfe à se relever. De plus, les végétaux avaient relâché leur étreinte.

Azken accepta l’aide du caprin, maugréant un merci. Il constata que Grimgrim et Ezer s’était rejoint pour se serrer la main.

« Joli timing, complimenta le garou.
- Et toi, toujours aussi vif ! répliqua la phytopode. »

Erortzen esquissa un sourire timide à l’elfe.

« Tu t’es bien débrouillé pour une première.
- Merci… mais pas aussi bien que vous.
- Tu peux me tutoyer. »

Azken hocha la tête. Il voyait ce personnage comme un démon qui pouvait vite prendre le contrôle de ses gestes. Pourtant, toutes ses attaques avaient été parfaitement contrôlées, jusqu’à la dernière… et puis, il fallait avouer qu’il n’avait pas l’air méchant. Il n’était pas très bavard, un peu solitaire, mais toujours calme et poli. L’elfe revenait un peu sur ses préjugés, mais il restait méfiant.

Ezer posa sa main sur l’épaule du caprin et lui tendit l’autre.

« Des grosses frappes toute en finesse ! commenta joyeusement le garou.
- Merci, fit le possesseur de démon en lui serrant la main. »

Ezer tendit ensuite sa main vers Azken.

« Bien joué, partenaire !
- Toi aussi. »

Malgré le sourire du garou, l’elfe restait perplexe. Avait-il vraiment si bien joué ? Il avait un doute. Il serra cependant la main de son compagnon. La phytopode les rejoignit et échangea un regard complice et une poignée ferme avec son coéquipier. Un sourire éclairait son visage fleurie.
Avant qu’elle ne puisse tendre sa main vers Azken, ce dernier se tourna vers Sua et Txiki qui s’entrainaient toujours. La phytopode afficha une mimique résignée, Erortzen et Ezer lui lancèrent des regards désolés, comprenant où était le problème. Et sans perdre leur bonne humeur, le caprin et la jeune femme reprirent leur entraînement. La panthère-garou s’étira et reprit sa route vers l’abri. Il allait sûrement profiter qu’Azken soit dehors pour traîner à l’infirmerie.


Chapitre 9


La pluie frappait doucement le carreau. Azken s’assit devant Zorigaitza, un peu nerveux. Il avait l’impression de revenir chez lui, quand il rentrait dans le bureau de son père. Il se faisait souvent disputer, et il n’aimait pas l’ambiance de la pièce. Celui de Zorigaitza était plus sombre, moins spacieux, fait de bois. En revanche, le nombre de papier qui y était entassé était toujours aussi impressionnant.

« C’est à propos de la lettre et des articles…
- Je t’écoute.
- Qu’est-ce que vous comptez-vous ?
- Dans l’immédiat, rien. L’état actuel des choses ne me posent pas de problème. Je ne crois pas une seule seconde que tes parents aient les moyens de mettre leurs menaces à exécution au vue de leur lettre. Ils cherchent juste à conserver leur réputation.
- Mais votre réputation à vous…
- On nous accuse déjà de beaucoup de choses. Les elfes sont les plus hargneux de ce côté-là d’ailleurs.
- C’est possible, sourit Azken.
- Et toi, que comptes-tu faire ?
- Que puis-je faire ? Y a-t-il quelque chose que je peux faire pour aider l’Œil ?
- Eh bien, il y a deux cas de figure. Soit nous ne faisons rien, ce qui implique que tu es considéré comme un prisonnier aux yeux du monde. Cela signifie que si demain nous nous faisons attraper, tu as une grande chance de ne pas être jugé pour nos crimes. Si cela venait à arriver, j’espère même que tu témoigneras contre nous. Soit tu décides d’annoncer que tu appartiens désormais à l’Œil, et tu te mets dès à présent dans le même sac que nous. Si le monde l’apprend, ta famille en prendra sûrement un coup, et si on t’attrape… tu peux imaginer ce qui se produira.
- Je vois…
- Je peux te suggérer quelque chose ?
- Oui.
- Pense à ta famille. Ils n’ont probablement pas été toujours tendres, mais ils tiennent à toi. Au-delà du fait que tu sois l’héritier de leur richesse.
- J’y penserai.
- Je te laisse réfléchir ? Surtout, prends ton temps.
- Merci. »

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Azken était assis par terre. Il jouait avec un caillou. Que faire ? Où en était-il ? Avait-il aujourd’hui la conviction de dire à quelqu’un « je veux rester à l’Œil » ? Il se sentait moins prisonnier qu’au premier jour mais de là à déclarer qu’il était ici de son plein gré… enfin, Lur voulait qu’il obtienne le pardon de chacun. Il n’avait pas d’autre choix que de s’intégrer. Pour que le fantôme le lâche, il devait protéger l’Œil et remplir son rôle comme un membre. Car finalement, il n’avait pas la certitude qu’elle le lâcherait s’il fuyait. Il ne voulait pas mourir par manque de sommeil et vivre toutes les atrocités qu’elle lui montrait.

Il restait ici. C’était une certitude. Avec joie, pas forcément certes.
Maintenant, agir ou pas ? N’était-il pas mieux qu’il reste prisonnier ? Il avait la possibilité de clamer qu’on l’avait obligé à faire telle ou telle action. C’était plutôt avantageux, d’autant qu’il ne mettait ainsi pas l’honneur de sa famille en jeu. En revanche, il lui semblait légitime de prévenir ses parents qu’il ne rentrerait pas de suite… ils pourraient étouffer l’affaire pour ne pas être remis en question. S’ils gardaient ça pour eux, ils pourraient avoir une longueur d’avance…

« À quoi tu réfléchis ? »

Azken leva les yeux. Ezer.

« À la lettre de mes parents.
- Oh, tu en as parlé à Zorigaitza ?
- Oui. Il a évoqué deux options. Soit on ne fait rien. Soit j’annonce que je rejoins l’Œil.
- Et que vas-tu faire ?
- Zorigaitza a dit que je devrais penser à ma famille. Que même s’ils n’avaient pas toujours été gentils, ils m’aimaient.
- Il a dit ça ? rit Ezer.
- Qu’est-ce qu’il y a de drôle ?
- Ce devrait être la dernière personne en mesure de déclarer cela.
- Comment ça ?
- Tu n’es probablement pas sans savoir que l’Œil a été rasé une première fois, il y a une vingtaine d’années. Qui a ordonné cela ? Qui a ordonné la mort de tous ces traîtres au royaume et celle de Zorigaitza ?
- Le roi ?
- Bingo ! Son père lui-même. Il a provoqué la mort de la quasi-totalité des amis de Zorigaitza. C’est sans aucun doute la pire chose qui soit arrivé dans sa vie, et c’est son père qui le lui a infligé. Et je ne te parle pas du reste de la famille… son frère rêve de le voir six pieds sous terre depuis longtemps. Il ne cherche que le pouvoir.
- Je vois… il ne me l’a pas dit sans être en connaissance de cause…
- Ça tu l’a dit !
- Je pensais juste prévenir ma famille que j’allais rester ici un moment… un long moment.
- Ça me paraît juste. Comment tu vas t’y prendre ?
- Je vais leur envoyer une lettre, je pense.
- Hm… je te le déconseille vu le contenu. Tu ne sais pas entre quelle main elle peut tomber.
- Comment veux-tu que je m’y prenne alors ?
- Vas les voir.
- Quoi ?
- Dis leur de vive voix. Tu n’as pas peur d’eux quand même ?
- Je peux ?
- Ben oui. Tu demandes à Zorigaitza, il va t’envoyer là-bas avec Oun ou Arrano. Il ne faut pas croire, mais nous voyons tous nos familles. Enfin, quand on en a encore.
- Ah. Je ne savais pas.
- Regarde Sua, il prend toujours une quarantaine de jour dans l’année pour aller voir ses parents qui habitent à l’autre bout du continent. Ils ressemblent à des pierres dans le sol maintenant, mais il y va quand même !
- Ça ne se dit pas… t’es pas très respectueux.
- Jamais quand il est absent.
- Ça ne change rien.
- En attendant, ton départ ne va pas se planifier tout seul.
- Certes, mais je ne suis pas sûr d’avoir envie d’y aller.
- Pourquoi ?
- Parce que.
- C’est compréhensible, en effet.
- De quoi ?
- Ta raison.
- Arrête de te moquer.
- Comme tu voudras ! Allez, réfléchis bien ! À plus ! »

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Ezer appela une énième fois Hegal, commençant à s’inquiéter qu’elle ne se montre pas. Il savait que le Conseil l’avait probablement beaucoup contrariée, mais de là à faire disparaître ainsi tout signe de vie… cela faisait tout de même deux jours. Si demain elle n’était pas revenue, il irait la chercher.

Il avait confiance en sa sœur et sa prudence naturelle. Il ne pouvait rien lui être arrivé de grave. Ce n’était qu’un coup de tête, ou du moins il l’espérait. Peut-être aussi qu’elle avait voulu rester un peu avec leur mère. Qui sait ? Ezer se rassura comme il put, continuant ses appels.

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« Tu le laisses y aller seul ? demanda Ezer.
- Et toi ? répondit calmement Zorigaitza. »

Azken venait de partir sur le dos de Oun. Personne ne le suivait ou ne le surveillait. Enfin, le griffon le suivrait probablement bien qu’il n’en ait pas reçu l’ordre.

« Je pars demain à l’aube si Hegal ne rentre pas cette nuit.
- Entendu. »

Azken de son côté se cramponnait à sa monture. La route était longue et il n’y avait personne pour plonger le récupérer aujourd’hui. De plus, la nuit tombait. L’arrivée était prévu au matin. Ensuite, l’elfe aurait jusqu’au matin d’après pour faire ce qu’il avait à faire ; le retour était prévu dans deux jours. C’était le temps qu’on lui avait accordé. Zorigaitza avait accepté facilement à son grand étonnement. Il avait finalement plus de liberté qu’il ne l’aurait cru…

Le blond réfléchissait. On lui avait prêté un long manteau qui dont la capuche dissimulait aisément son visage. Avec son masque en plus, il pouvait se promener un peu dans la ville. On le regarderait peut-être de travers avec ça mais on ne le reconnaîtrait pas. Il avait reçu un peu d’argent « pour des vêtements ou ce qui te fera plaisir » de Zorigaitza. Où allait-il aller pour passer un minimum inaperçu ? Il ne comptait pas acheter grand-chose… ce serait encombrant pour le vol. Et puis, avoir reçu de l’argent de l’Œil le gênait un peu. S’il voulait quoique ce soit, il le prendrait chez lui et comptait récupérer des habits, car pour le moment, on lui en prêtait beaucoup.

« Oun, tu as un sort pour nous dissimuler ou pas ? »

Le griffon répondit d’un cri aigu et joyeux. Azken traduit cela par un « oui ». Ça le rassurait un peu que Oun soit avec lui, au cas où cela dégénérerait. Au fond, avait-il vraiment le courage d’annoncer son départ à sa famille ? Il s’était dit qu’il devait le faire, c’est pour ça qu’il était parti si rapidement : il ne voulait pas trop y réfléchir. Mais maintenant que cela approchait, il redoutait. Comment leur expliquer ? Y avait-il un moyen pour leur faire comprendre ? Mais leur faire comprendre quoi ? Il n’était même pas maître de cette décision. Il était prisonnier et il allait annoncer qu’il le restait ? Ça n’avait pas de sens.

Il imaginait déjà la réaction de ses parents. Ils allaient appeler du renfort avant même qu’ils ne l’écoutent. Ils voudraient le garder sous protection en pensant le protéger de l’Œil. Comment contrer ça ? Qu’est-ce qu’il allait se passer si cela arrivait ? Est-ce que ses nouveaux camarades viendraient le chercher ? Risqueraient-ils leur vie pour cela ? Il ne fallait pas. Il pouvait toujours se prétendre prisonnier… il avait là l’occasion parfaite de rentrer chez lui, de quitter l’Œil. La caste le protégerait contre des tentatives de leur part de le ramener de force.


Chapitre 10


En fin d’après-midi, Azken se décida à annoncer la nouvelle à ses parents. Il demanda à Oun de l’attendre dehors. Il préférait être seul. À présent, il se tenait debout devant le bureau de son père où ses parents avaient l’habitude de se retrouver pour faire les comptes et les papiers administratifs de la journée précédente. Il inspira profondément. Il devait rester calme. Ne pas s’énerver, les empêcher de prévenir tout le monde… pourvu qu’ils l’écoutent.

« Az… Azken ? C’est bien vous ? »

Le blond tourna vivement la tête. Un large sourire illumina son visage en reconnaissant sa servante, une jolie elfe dont les cheveux étaient noués par un ruban pastel.

« Kaa, lui répondit-il. »

Elle se jeta à son cou, tellement soulagée. Azken la réconforta. Puis, elle s’écarta, les yeux brillants d’une nouvelle joie.

« Comment êtes-vous arrivé ici ?
- C’est une longue histoire que je n’ai pas le temps de te raconter, Kaa. Mais… je ne peux pas rester. Je repars à la tombée de la nuit.
- Pourquoi ? fit-elle inquiète et déçue.
- Je dois retourner à l’Œil. Je suis toujours leur prisonnier. Ils m’ont accordé la possibilité de voir ma famille, rien de plus. Je ne dois pas les contrarier, tu comprends pourquoi.
- Je vois… dans ce cas, je vais vous préparer des affaires pendant que vous annoncez cette triste nouvelle à vos parents… bien que je pense qu’ils ne vous laisseront pas.
- Merci infiniment Kaa. »

La belle servante lui sourit, désolée. Elle aurait tellement aimé qu’il reste. Elle s’éloigna, le pas lent. Azken la regarda, se sentant coupable de lui faire tant de peine. Mais il ne pouvait plus reculer. Il toqua à la porte.

« Entrez ! lui répondit une voix grave. »

C’était son père. Azken inspira une dernière fois et poussa la porte. Il entra et prit soin de la refermer derrière lui avant de lever les yeux vers ses parents. Enfin, sa mère avait sauté à son cou avant qu’il ne puisse apercevoir son père.

« Je suis si heureuse, sanglota-t-elle contre l’épaule de son fils. Je me suis tant inquiétée…
- Je suis là, ça va, la réconforta-t-il un peu gêné par autant d’affection. »

Puis, elle se redressa et tâta un peu le visage de son enfant, comme pour vérifier que c’était bien lui. Elle se rassura en constatant qu’il n’avait pas maigri.

Son père avança vers lui, un doux sourire sur le visage.

« Bienvenue chez toi.
- Merci. »

À ce moment-là, il regrettait déjà ce qu’il allait leur dire. Ça allait leur briser le cœur…

« Mais je…
- Ne t’inquiète pas, le coupa son père, j’ai prévenu la caste de la ville. Il devrait bientôt arriver, personne ne pourra plus t’emmener de force.
- Je… je vois… »

Ils avaient encore agi avant de le consulter… il retint une grimace. Qu’allait-il se passer maintenant ? Oun attendait dehors, il pouvait s’enfuir. Lui, en revanche, allait devoir trouver quelque chose pour ne pas qu’on le soupçonne de trop… maintenant qu’il y pensait, aucun méchant ne laissait de permission à un prisonnier pour voir sa famille…

« Comment es-tu arrivé ici ?
- Eh bien… c’est une longue histoire. Je pense que je n’aurais pas le temps de la finir si les secours arrivent bientôt… mais en gros, je me suis échappé.
- Et comment tu vas ? Que t’ont-ils fait ?! s’enquit sa mère.
- Je… ça va. Je n’ai que des bleus, rien d’insurmontable. J’ai été coopératif, alors ils ne m’ont pas trop mal traités… j’avais du pain sec et de l’eau tout les jours, parfois les restes ! sourit Azken.
- Je suis tellement soulagée. Je te promets qu’il ne t’arrivera plus rien. »

Elle lui prit les mains, les yeux emplis d’espoir. Azken soutint son regard, cachant son malaise de mentir ainsi. Il fallait le reconnaître, il avait un lit chaud et il mangeait bien à l’Œil. On l’avait toujours traité comme un membre à part entière.

« Qu’est-ce qu’il t’ont forcé à faire ?
- Surtout des remèdes. Parfois les tâches ménagères — ce n’était pas de la rigolade — et le reste du temps, j’étais enfermé dans un sous-sol sombre et humide. Le soir, je sentais les rats grouiller à mes pieds. »

Le blond appuya sa déclaration par un frisson de dégoût.

Au même moment, la grande fenêtre du bureau vola en éclat. Les trois elfes se jetèrent à terre. Azken releva la tête presque immédiatement. Oun ! Le griffon se jeta sur lui et l’attrapa entre ses serres. De surprise, l’elfe n’eut pas le temps de réagir. C’était en regardant dehors qu’il comprit : la caste était là et ils étaient nombreux.

« Va-t-en ! hurla-t-il. Laisse-moi ! »

L’elfe se débattait. Il savait qu’Oun ne pourrait pas faire face à tant de guerriers. C’était impossible. Le griffon fut surpris par la réaction du blond. Un cri de protestation lui répondit, il était impossible de stabiliser efficacement son vol si Azken gigotait. Ce dernier n'en fit qu’à sa tête.
Oun tentait de s’enfuir malgré son vol irrégulier. Il fut rapidement repéré. Deux cavaliers, l’un sur un hippalectryons et l’autre sur une vouivre menèrent l’offensif, couverts par une dizaine de garous, des archers et des magiciens, se jetèrent sur le fuyards. Azken paniqua. Ils étaient trop nombreux, trop puissants… il envoya un faible projectile d’eau au visage du griffon.

« Dégage ! Laisse-moi ! lui hurla encore l’elfe. »

Surpris et pas moins paniqué, l’animal lâcha le blond et s’éloigna à tire d’aile, poursuivit par une horde de combattants. Azken quant à lui tomba sur le toit d’une maison, sur un coin d’une lucarne. Il roula dans son élan et dans un reflex désespéré s’accrocha au bord de la toiture en chaume pour ne pas tomber. À moitié sonné, une douleur à la côte, il lâcha bien vite. Un des membres de la caste, un garou, le rattrapa avant que ne percute le sol et le déposa délicatement au sol.

« Vous allez bien ? Vous m'entendez ? s'enquit-il en attrapant la main d’Azken. »

L’elfe était sonné par sa chute. Une violente douleur le lançait sur le côté gauche. Ses oreilles bourdonnaient sauvagement. Il se sentait partir, mais tenta tant bien que mal de résister, enfonçant férocement ses doigts dans la main de son sauveur. Pourvu que cela permette à Oun de s’enfuir…

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Azken entrouvrit les yeux, la bouche pâteuse. La tête lourde, il regarda autour de lui… une infirmerie. Il ne la reconnaissait pas. Où était-il ? Pourquoi ? Une brume épaisse dans son esprit l’empêchait de se souvenir clairement.

La porte de la pièce s’ouvrit. L’elfe tourna la tête. Un homme aux cheveux longs vêtu d’une longue blouse blanche s’approcha.

« Réveillé mon garçon ? »

Il attrapa une carafe et un verre disposés sur la table de chevet.

« Je te sers un verre ? »

Azken hocha doucement la tête. Le médecin lui fit boire son verre. C’était bon de sentir le liquide rafraîchir son gosier.

« Merci, articula le patient.
- Mais avec plaisir ! Comment tu te sens ?
- Où suis-je ?
- À l’infirmerie de la caste.
- Le griffon… vous l’avez eu ?
- Non. Ils a été blessé mais il a tout de même réussi à filer.
- Dommage…
- Ne t’inquiète pas, il ne reviendra pas de si tôt si tu veux mon avis ! Tu as mal quelque part ?
- Je me sens faible…
- Je me doute, tu réponds toujours à côté. Tu as besoin de quelque chose où je te laisse te reposer ?
- C’est bon.
- Parfait. »

Et Azken ne tarda pas à se rendormir.

________________________________________________________________________

« Oun ! Oun ! Réponds-moi ! Je t’en prie, tiens bon ! appela Zorigaitza en voyant l’animal s’effondrer devant l’abri. »

Il s’agenouilla près de la bête qui peinait à rester consciente et la caressa comme apaiser sa douleur.

« Azken nous a-t-il trahi ? »

Les yeux d’Oun se levèrent faiblement vers le chef. Lui-même n’en savait rien. L’elfe avait certes tenu à rester là-bas, mais son attaque n’avait pas pour objectif de blesser. Que s’était-il dit dans la pièce entre Azken et ses parents ? La réponse était sans aucun doute là.

« Oun… Azken est-il en danger ? »

Les yeux de l’animal se refermèrent avant qu’il put apporter une réponse. Osasun rejoint rapidement Zorigaitza et commença les soins de sa magie.

« Que s'est-il passé ? Où est Azken ? demanda-t-elle inquiète.
- Je ne sais pas. Je vais là-bas avec Zizare. Prends soin d’Oun ! »

Zorigaitza se redressa, le poing serré. Il n’était pas serein. Qu’était-il arrivé ? Il n’avait le temps d'attendre Oun si Azken était en danger. En plus, Ezer n’était pas là. Il ne voulait pas envoyé quelqu’un d’autres régler ça. Il se méfiait d’une trahison. Il rentra dans le bâtiment qui abritait l’organisation. Nomnos était en train de réparer un engin.

« Comment sont les nouvelles ?
- Peu réjouissantes. J’y vais, je te laisse le commandement ici.
- Attends… tout seul ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
- Zizare m’accompagne. Je ne le sais pas mais je n’ai qu’un homme sur deux qui revient et ça me préoccupe.
- Azken n’est pas revenu ? Et vous n’y allez qu’à deux alors que vous allez croiser sans aucun doute une caste ? C’est de la folie Zorigaitza.
- Avec qui veux-tu que j’y aille ? J’ai besoin que tu restes ici avec Osasun au minimum. Il ne reste que Kerme et Erortzen qui viennent tout juste de rentrer de mission ! Je préfère y aller seul qu’avec des troupes épuisées.
- Comme tu voudras. »
________________________________________________________________________

Ezer redressa la tête. Il avait entendu un cri strident. Il regarda Hegal.

« Tu as entendu ?
- Oui. On dirait Arrano. »

Le garou se transforma en panthère et bondit hors de la grotte où ils avaient élu domicile depuis hier. Il grimpa sur les roches, prenant suffisamment d’altitude pour surplomber la forêt de sapin qui dissimulait la cavité. Il prit une inspiration et rugit de toutes ses cordes.
Un nouveau cri lui répondit. Les deux s’appelèrent jusqu’à ce la panthère aperçoive l’oiseau. Ce dernier se posa et désigna sa patte à Ezer. Un papier y était attaché. Le garou reprit sa forme humaine et attrapa le message.

« Azken n’est pas rentré, Oun est revenu blessé. Zorigaitza est parti avec Zizare chez les elfes. Rejoins-le Ezer. — Nomnos. »

Le garou soupira. La belle jambe !

« Arrano, tu as ordre de rentrer ? »

L’oiseau hocha la tête.

« Dis à Nomnos de retenir tout le monde à la base tant que nous ne sommes pas rentrer. C’est trop dangereux de se déplacer là-bas en masse. »

Et l’aigle reprit son envol.

________________________________________________________________________

« C’est comme chercher une aiguille dans un botte de foin. Commençons par le bâtiment de la guilde, on trouvera bien un de nos camarades. »

La chimère hocha la tête.

« Tu penses qu’il nous a trahi ?
- C’est la grande inconnue de cette intervention. A-t-on au moins la certitude que Oun et Azken se soient séparés ici ? Qu’Azken y soit toujours ?
- Non, on a aucune certitude sinon que ça a dérapé quelque part. Sans savoir où, difficile d’intervenir.
- Que feras-tu s’il nous a trahi ?
- Je le tuerai.
- Si tu en es capable. Ça fait longtemps que tu aurais pu le faire de manière justifiée.
- Peut-être. »

Ils arrivèrent devant le bâtiment. Ezer soupira. Il fallait entrer. Il jeta un regard entendu à la chimère et les deux passèrent les gardes, invisibles grâce à Hegal. Ils pénétrèrent le bâtiment dès que quelqu’un passa la porte. Sans s’attarder sur la décoration, ils s’enfoncèrent dans les couloirs.

« Vous l’avez interrogé ? »

Ezer fit signe à Hegal de s’arrêter et apposa son oreille contre la porte d’où provenait la voix.

« Oui, le docteur Tamod nous y a autorisé.
- Comment il va ?
- Il dort beaucoup. Le docteur lui a trouvé une côte cassée à cause de la chute. Toutes ses autres blessures qui sont des hématomes sont antérieurs.
- Il a été frappé ?
- C’est ce qu’il a dit.
- Et a-t-il des informations concernant l’emplacement de la base de l’Œil ? Ou bien sur ses membres ?
- Il a expliqué que tous les trajets qu’il a effectué, il était ligoté les yeux bandés. En revanche, il a noté qu’il ne faisait pas très chaud là-bas.
- Il aurait été emmené vers le nord ?
- Peut-être. Concernant les membres, tous avaient des masques lorsqu’ils les voyaient. Il n’a rien noté que nous ne sachions pas déjà… d’après son récit, ils avaient pris leur précaution.
- Alors comment est-il revenu ici ?
- Il était enfermé dans un sous-sol. Il a creusé pendant plusieurs jours jusqu’à s’enfuir durant la nuit. Il est revenu à pied ici.
- Combien de temps a-t-il marché ?
- Cinq ou six jours.
- Pourquoi n’a-t-il pas demandé de l’aide sur la route ?
- Il ne voulait impliquer personne. Il savait qu’on le poursuivrait, comme le griffon.
- Je vois… il y a plusieurs éléments qui ne collent pas. »

Ezer grimaça. Il ne savait pas ce qu’il s’était passé mais il comprenait que quelque chose trouble ces agents… Azken se serait fait rattrapé sur ce lapse de temps. Il aurait perdu du poids. Les ronces auraient déchirés ses vêtements, il aurait sûrement plus que des hématomes. Et pourquoi Oun aurait attendu que la caste arrive pour attraper l’elfe ? C’était trop risqué ! À moins que le blond ait réglé ces détails, peu de chance qu’on lui accorde beaucoup de crédibilité. Et puis surtout, s’il était arrivé là à pied, il savait forcément par où il était passé et donc où était la base !
Il fallait rapidement le sortir de là avant qu’on lui pose de nouvelles questions et qu’il se tire tout seul une balle dans le pieds. Ezer tira Hegal en avant, signe qu’ils continuaient. Il ne restait plus qu’à trouver l’infirmerie.

Après quelques tours et détours, ils trouvèrent ce qu’ils cherchaient. Le problème était qu’ils allaient devoir faire toutes les chambres…

« On pourrait demander au médecin, murmura Ezer.
- Je te suis. »

Ezer patienta un peu jusqu’à ce qu’un homme en blouse blanche passe. Il rabattit sa capuche et sortit son poignard, le sort d’invisibilité opérait toujours. Il se glissa derrière l’homme et plaqua sa main sur sa bouche, lui passant sa lame sous la gorge.

« Conduisez-moi à Azken, lui susurra-t-il. Je vous laisserai peut-être la vie sauve. Vous ne souhaitez pas que quelqu’un meurt, n’est-ce-pas ? Surtout si vous avez le pouvoir de sauver sa vie… »

L’homme ne tenta pas de se libérer. Ezer le poussa pour le faire avancer. Le médecin le conduisit jusqu’à une porte. Ezer s’arrêta un instant pour écouter… pas de bruit suspect.

« Ouvrez calmement la porte et entrez. »

L’homme s’exécuta. Ezer referma la porte du pied derrière eux et regarda l’elfe qui dormait paisiblement dans le seul lit de la pièce.

« Qu’est-ce qu’il a ? »

Ezer découvrit légèrement la bouche du médecin qui semblait ne pas vouloir lui opposer trop de résistance.

« Une côte cassée.
- Racontez-moi ce qu’il s’est passé.
- Vous allez le tuer ?
- Racontez-moi ce qu’il s’est passé.
- Je n’ai que des échos de part mes collègues. Nous avons reçu un signal de ses parents, nous leur avions laissé un cristal un peu spécial qui émet des ondes magiques lorsqu’il est brisé. Une équipe a été dépêchée. Lorsqu’ils sont arrivés, un griffon blanc emmenait ce jeune homme. Celui-ci aurait attaqué la bête qui l’aurait alors lâché. Il est au lit à cause de la chute. Le griffon a malheureusement réussi à s’enfuir, nos hommes ne seraient parvenus qu’à le blesser.
- Je vois.
- Vous êtes un membre de l’Œil, n’est-ce-pas ?
- Et vous, vous êtes drôlement coopératif.
- Si je peux sauver tout le monde, alors cela vaut le coup d’essayer.
- C’est vrai. Hm… à vrai dire, je suis effectivement de l’Œil du Corbeau.
- Pourquoi l’Œil se risquerait à venir récupérer son prisonnier dans la gueule du loup ?
- Ah ! Parce que vous avez devant vous un balayeur né ! Et je ne vous parle même pas de ses talents pour la plonge ! rit Ezer. Sur ce, j’y vais ! »

Le garou rangea son poignard à sa taille et tendit sa main vers le médecin.

« Merci de vous occuper de lui. »

L’homme en blouse regarda la poignée que lui proposait l’intrus et leva les yeux vers Ezer.

« Nous restons ennemis, dépêchez-vous avant que l’envie d’appeler mes collègues me prennent.
- Avec plaisir docteur ! »

Le garou ouvrit la fenêtre en grand, jeta un dernier regard à Azken avant de s’envoler sous la forme d’un oiseau noir. Il devait retrouver Zorigaitza et Zizare à présent. Pour le moment, impossible de transporter l’elfe, la douleur pendant une demi-journée en vol serait intenable. Ils devaient attendre. Mais attendre quoi ? Que les mensonges du blond éclatent au grand jour ? Il avait la certitude qu’Azken aurait pu dire beaucoup de choses sur eux et les mettre dans un sérieux embarras, mais il ne l’avait pas fait. En revanche, il aurait attaqué Oun et si ses parents ont prévenu la caste, l’elfe aurait du le savoir sur le coup et aurait au moins prévenu le griffon… mais ce dernier était-il au courant de la situation de pseudo-prisonnier d’Azken ? Quelqu’un lui avait-il dit ? Il y avait trop d’inconnu pour espérer tirer une conclusion qui ne soit pas hâtive.

Le corbeau se posa sur le bord du toit d’une bâtisse.

« Que comptes-tu faire ? demanda Hegal.
- Tu veux bien que l’on se répartisse les rôles ?
- Je t’écoute.
- Peux-tu retrouver Zizare et Zorigaitza ? J’aimerai aller chercher des indices chez Azken.
- Entendu. »

Et les deux se séparèrent. Le corbeau se changea en moineau et partit à la recherche de l’herboristerie du coin. En planant dans les quartiers riches et en suivant les rares panneaux d’indication, Ezer parvint à repérer l’immense bâtiment, creusé dans la souche d’une arbre qui devait sûrement touché le ciel du temps où il était debout. Il en fit brièvement le tour et repéra une fenêtre ouverte. En quelques battements d’ailes, il se posa sur le rebord. Une petite fille aux cheveux longs et fins, d’un blond doré jouait au sol. Ses yeux grands comme l’océan se levèrent vers le nouveau venu. Un large sourire se dessina sur son visage comme pour accueillir l’être à plumes.

Ezer se demanda quoi faire. Les traits de son visage ne laissaient aucun doute : c’était la sœur d’Azken. Il remarqua alors que l’elfe parlait peu de sa famille en elle-même. Devait-il rester caché ? Probablement. Elle semblait naïve. Mais en même, il n’avait aucune idée de ce qu’il cherchait précisément.

La petite se leva et s’approcha du volatile. Ezer décida de la laisser faire. Autant gagner sa confiance, et de toute manière, que risquait-il ? Elle tendit sa main vers l’oiseau, et, étonnée qu’il ne s’enfuit pas, le prit dans ses mains. Le garou se laissa caresser sous la mimique ravie de la demoiselle. Il la trouvait mignonne, ses cheveux séparés en deux queues de cheval lui donnait un air enfantin.

« Bonjour monsieur l’oiseau. Je m’appelle Tara ! Et toi ? Tu t’es perdu ? »

Le volatile gazouilla en guise de réponse. Émerveillée d’une telle rencontre, les yeux de la petite demoiselle brillait de joie. Ezer s’en voulait presque de lui mentir sur son identité, mais c’était mieux comme ça.

« Il faut que je te montre à mon papa ! Si ça se trouve, il voudra même bien que je te garde. »

Et la jeune fille sortit de sa chambre toute excitée, son nouvel ami dans les mains. Ezer put constater l’immensité de la demeure, emplie de riches décorations. Ça faisait un peu bling-bling à son goût, mais après tout, ce n’était qu’un rustre, il ne pouvait probablement pas apprécier ce spectacle à sa juste valeur.

Elle se précipita jusqu’à une grande porte. Elle s’arrêta un instant pour vérifier l’état de ses habits, qu’elle était toujours bien coiffée, et toqua.

« Entrez ! »

Cette voix était grave, et elle parut austère au garou. Il se jetait probablement dans la gueule du loup mais c’était le prix à payer pour comprendre. Il pourrait juste attendre le rétablissement d’Azken ou d’Oun, mais avait-il le temps ? Pas sûr. Quoiqu’il en soit, il devait avant tout neutraliser le cristal qui permettait de prévenir la caste.

La blondinette poussa la grande porte et s’avança jusqu’à bureau. La pièce était immense. À son bout, une immense toile s’étirait, signe que la fenêtre brisée n’était pas encore remplacée.

« Papa ! Papa ! J’ai trouvé un joli oiseau, regarde comme il est mignon ! »

L’homme leva à peine un sourcil sur les mains tendues de sa fille. Il semblait très occupé à écrire, concentré sur sa plume. Son visage ferme lui donnait un air strict et sa position était parfaitement droite. Un vrai aristocrate… Ezer comprenait qu’Azken n’ait pas envie de marcher sur ses pas.

« Il est blessé ? demanda l’elfe.
- Je ne crois pas. »

Et Ezer se méfia. S’il pouvait berner une petite fille, avoir ce père qui venait de récupérer son fils non sans encombre était plus difficile. Il avait conscience qu’il n’avait pas le comportement d’un moineau commun. Il devait agir vite, mais comment ? Il ne voulait pas créer de problème ici, surtout devant la petite. Il ne savait pas non plus la nature de ce qu’il cherchait.

« Fais-moi le voir ! demanda l’homme. »

Et instinctivement, le garou se dit que c’était la brèche. Le père tendit sa main mais avant qu’il ne puisse saisir l’oiseau, celui-ci s’envola jusque derrière lui. Ezer reprit forme humaine en une fraction de seconde et plaqua un doigt dans le dos de l’elfe.

« Les mains sur la tête, fit-il en lui envoyant une légère décharge comme pour lui signifier qu’il pouvait l’électrocuter à tout moment. »

L’autre s’exécuta.

« Qui êtes-vous brigand ?
- Je suis désolé, c’est moi qui pose les questions. Où est le cristal qui permet de prévenir la caste ? »

Silence.

« Répondez ! insista Ezer d’une nouvelle décharge.
- Dans ma poche droite.
- Je me permets, fit le garou en récupérant la petite pierre.
- Qu’est-ce que vous voulez ? gronda l’homme.
- Des informations seulement. »

Ezer retira son doigt, n’ayant plus vraiment de raison de le menacer. Il n’avait qu’à s’assurer que personne ne sorte ou ne rentre. L’homme se retourna pour lui assener un coup. Le garou, plus vif, se baissa et recula sans contrattaquer. Ce n’est pourtant pas l’envie de lui faire un croche-pieds qui lui manquait, mais il n’était pas venu pour se battre.

« Qui a brisé cette vitre ?
- Ça ne vous regarde pas !
- Ne soyez pas dans une telle adversité, cela nous fait perdre du temps à tous les trois. J’aimerai bien rentrer chez moi aussi et avant ce soir, les tempêtes de nuit, c’est pas la chose que je préfère.
- Qui êtes-vous ?
- Je suis de l’Œil du Corbeau, si c’est ce que vous attendiez. Qui a brisé cette vitre ?
- L’un des vôtres, je me trompe ?
- Je ne le sais pas. Sinon je ne perdrai pas mon temps et le vôtre.
- C’est un griffon blanc.
- Pourquoi l’a-t-il brisée ?
- Vous devez bien le savoir. Vous êtes son complice !
- Je vous ai déjà dit que si je le savais je ne vous le demanderai pas, s’agaça le garou devant tant de résistance.
- Que voulez-vous à mon fils ?
- Actuellement, rien. Je ne peux pas en décider sans connaître la vérité. Pourquoi l’a-t-il brisée ?
- Pour emmener Azken.
- Et que s’est-il passé ensuite ?
- Azken s’est débattu. Le griffon l’a tout de même emmener dehors, où la caste arrivait. Au moins où elle les a pris en chasse, Azken a attaqué son ravisseur, cela a suffit pour ce celui-ci le lâche. Il s’est blessé dans sa chute et la caste l’a emmené pour le soigner et le protéger.
- Comment la caste a su que ce griffon était là ?
- J’ai brisé un cristal du même genre que celui que vous m’avez pris en voyant Azken entrer dans le bureau. Je ne savais pas que ce griffon était là.
- Azken vous a-t-il vu briser ce cristal ?
- Je ne crois pas.
- Hm… je peux regarder un peu ? En échange, je vous promets de vous rendre votre cristal à la fin. Vous aurez même le loisir d’avertir toutes les castes de l’empire. »

Ezer se dirigea vers la toile, cherchant des détails qui pourrait infirmer ou confirmer ce qu’il avait entendu jusque là.

« Je n’y manquerai pas ! s’indigna l’elfe.
- Vous n’êtes pas un rigolo vous… je comprends qu’Azken puisse se sentir oppressé ici. Il paraît que vous tenez absolument à ce qu’il reprenne votre commerce.
- Je ne vous permets pas.
- Je ne vous demande pas de me le permettre. Ce n’est qu’une remarque, une tentative succincte d’engager un dialogue. Vous savez, j’aurais pu vous tuer un centaine de fois, vous et votre fille, depuis le début.
- Je ne vous laisserai pas faire !
- Je ne compte pas le faire. Comme je vous l’ai dit, je ne suis venu chercher que des informations.
- Pourquoi ?
- Pour m’épargner la tâche d’éliminer votre fils. »

Ezer remarqua de petits morceaux de verre sous un meuble, des oubliés lors du ménage… la vitre avait bien été brisée de l’extérieur.

« Sortez d’ici ! s’insurgea le père.
- Deux secondes, je n’ai pas fini. D’ailleurs, Azken vous a dit pourquoi il venait vous rendre visite ?
- Je ne veux pas savoir ! Partez de cette maison ! »

Ezer leva le regard vers lui, il était rouge de colère, les poings serrés. Et le garou jugea plus sage de ne pas faire plus monter la tension, il rangea ses mains dans ses poches. De toute façon, le ménage avait été fait… difficile de trouver plus de preuve. Il aurait aimé trouver une plume ou les poils d’Oun, mais le sol était propre. Alors, il fit volte-face et se dirigea vers la porte.

« Un dernier conseil : profitez d'Azken pendant que vous le pouvez. »

Et Ezer lança le cristal à l’elfe avant de sortir sans se poser de question. Il savait que l’autre allait le briser quasi instantanément. Dans le couloir, il remarqua une servante… elle devait venir de passer devant la porte du bureau. Il passa devant sans y prendre garde. Il rejoignit la fenêtre la plus proche et prit son envol.

________________________________________________________________________

« Ezer ! appela Hegal. »

Le garou regarda autour de lui et remarqua sa sœur dans un recoin sombre d’une ruelle. Il la rejoignit. Les deux rejoignirent silencieusement Zorigaitza et Zizare un peu plus loin qui avaient élu domicile dans une impasse coincée entre de hautes maisons. Hegal les avait retrouvé après des heures de recherche.

« Salut ! sourit Ezer.
- C’est toi qui a provoqué toute cette agitation ?
- Cache ta joie de me retrouver… oui c’est moi. J’ai été à la pêche aux infos.
- Tu es venu seul avec Hegal ?
- Oui.
- Bien. Raconte-moi ce que tu as trouvé. »

Ezer lui raconta ses récentes aventures.

« Il va falloir avoir un bon timing…
- Il va surtout falloir que l’on trouve où ils vont planquer Azken avec le bordel que j’ai mis.
- D’autant plus que toute la ville va être agitée et patrouillée. Tu aurais du t’y prendre plus discrètement.
- Peut-être bien mais il fallait vite savoir s’il nous avait trahi ou non. Il aurait pu leur donner un million d’informations. Au lieu de ça, il a raconté des bobards qui ne tiennent pas la route. C’est pas très confortable pour nous mais c’est mieux que s’il ne l’avait pas fait.
- C’est sûr. »

Les deux laissèrent un silence où chacun sembla réfléchir. Quand agir ? Comment ? Pouvaient-ils déplacer Azken sans le blesser plus ? Pouvait-il tenir une journée de vol ?

« Doit-on agir ?
- Comment ça ? demanda Zorigaitza, étonné de la question.
- Azken n’est-il pas mieux ici avec sa famille ?
- Et s’il décidait de se retourner contre nous ? Et si on découvrait son mensonge ?
- Que risquons-nous ? Que détient-il de si vital comme information sur nous ? Je ne suis pas sûr qu’il sache revenir de lui-même à la base. Il n’a pas d’informations sur ceux qui nous fournissent. Sur nous et nos pouvoirs, les castes sont déjà plutôt bien informées depuis le temps. Et puis, nos identités peuvent sauter… qu’est-ce que cela changerait ?
- Cela rendrait les missions plus difficiles… et si l’Œil tombe, ceux qui ont réussi à conserver leur visage secret pourront se refaire une vie.
- Admettons. Supposons que demain nous enlevions Azken pour la deuxième fois en prenant beaucoup de risques. Qu’est-ce qu’il restera ? Les incohérences dans le récit d’un blessé et une tentative acharnée et désespérée pour récupérer un simple prisonnier ? Ne crois-tu qu’ils se méfieront ? Ils ne sont pas toujours très intelligents mais ils ne sont pas totalement stupides non plus.
- J’entends, mais est-ce plus prudent pour lui de rester ici ? Que se passera-t-il s’ils comprennent qu’il a menti pour nous aider ?
- Il n’a qu’à leur dire toute la vérité.
- Pardon ?
- Il n’a qu’à leur dire ce qu’il s’est vraiment passé. Que je l’ai kidnappé parce que je voulais qu’il devienne l’un des nôtres ! Qu’il n’a jamais eu son mot à dire alors il a toujours fait semblant ! Qu’il n’attendait qu’un moment pour s’enfuir ! Que nous l’avons envoyé dans une mission dangereuse dans lequel il a failli mourir dans une tempête ! Que finalement, il est heureux d’être là.
- Dis-moi si je me trompe, mais tu es en train de me dire que tu abandonnes ce pourquoi tu t’es battu depuis que l’a rencontré ?
- Tu sais, j’ai réfléchi. Azken est en train de souffrir parce que moi, je l’ai entraîné là-dedans. Et malgré tout, il s’obstine à mentir et à s’enfoncer. Il se met en danger alors qu’il n’a jamais rien demandé…
- C’est pour ça qu’on va le sauver, je me trompe ?
- Le sauver de quoi ? N’est-ce pas nous qui le mettons le plus en danger ?
- Et alors ? Pourquoi tu fais parti de l’Œil Ezer si tu ne veux pas prendre de risque ?
- Pour que tout le monde sur ces terres puisse vivre !
- Qui te dit qu’Azken n’a pas les mêmes aspirations ? Si tu l’as laissé partir seul avec Oun, c’est que tu lui faisais confiance.
- Je l’ai laissé partir parce que ça ne représentait pas de risques majeurs »

Zorigaitza fronça les sourcils. Ça ne lui plaisait pas qu'Ezer se dégonfle comme ça. Il réfléchit quelques secondes.

« Très bien. Si tu ne veux pas que nous allions le chercher, j’irai seul.
- C’est une bêtise.
- Peut-être mais c’est encore moi qui décide.
- Tu n’as pas une autre idée ?
- Laisse-moi réfléchir encore alors.
- Et si on laissait Azken choisir ? intervint Hegal.
- Et on lui demande comment ce qu’il veut ? Parce qu’actuellement c’est un peu complexe, répliqua Ezer.
- Laissez-lui le temps de se remettre. Cela prendra un peu de temps mais la décision reviendra au concerné. »
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Message par New Mentali » 09 Juin 2020 13:51

Chapitre 11


Un mois et demi passa. L’Œil avait repris ses activités sans Azken, seule Hegal était restée auprès de lui dans le cas où un danger imminent se déclarait. La tension dans la caste avait diminuée, les membres de l’organisation avait tous été vu sur d’autres terrains depuis. C’est ainsi que l’adolescent fut autorisé à retourner chez lui.

Kaa et son père vinrent le chercher. Un guerrier de la caste les raccompagna, par prudence.

« Comment tu te sens ? demanda l'adulte.
- Ça va, j’ai toujours mal mais tant que je ne force pas, ça reste supportable. Le docteur a dit que dans deux semaines, si je faisais attention, je ne sentirai presque plus rien.
- C’est une bonne nouvelle. Pendant que tu te rétablissais, j’ai préparé les papiers pour que tu reprennes l’herboristerie le plus tôt possible.
- Est-ce que ça peut attendre que je sois totalement remis ? J’aimerai regarder tout ça à tête posée et prendre le temps de bien tout prendre en main concernant ce commerce.
- Bien sûr, nous ne sommes pas à quelques mois près. Et il y a autre chose dont il faut que nous parlions, mais nous nous poserons dans mon bureau.
- Entendu. »

Azken était calme, encore fatigué de sa période de convalescence. Pour autant, il ne souhaitait pas reprendre le commerce de ses parents. Il comptait bien repousser l’échéance à son maximum.

À peine eut-il passer la porte de sa maison que Tara lui sauta dessus.

« Azken ! Tu es rentré ! Tu m’as manqué !
- Salut Tara, toi aussi tu m’as manquée. »

Le grand-frère caressa la douce chevelure paille de la cadette pour la réconforter. Et elle leva la tête, les larmes aux yeux.

« Pendant que tu était pas là, y’a un type avec un masque violet qui est venu ! Il s’est fait passer pour un oiseau et il a menacé Papa !
- Que voulait-il ? demanda Azken à son père.
- Des informations. Je t’en parlerai.
- Bien. »

Azken regarda sa sœur et lui sourit, rassurant.

« Ne t’inquiète pas, s’il revient, je te protégerai !
- C’est vrai ?
- Bien sûr ! Je le prendrai comme ça, et comme ça et paf ! »

Azken imita quelques prises de manière tout à fait grotesque, gêné par la douleur. La petite rit devant ce drôle de numéro. Au moins, elle avait retrouvé son sourire se félicita le blond, retenant des grimaces.

« Tara, laisse ton frère, il a des choses à faire.
- Ouiii Papa ! »

Azken lui adressa un regard désolé. Il aurait aimé jouer un peu avec elle pour fêter leurs retrouvailles mais il fallait croire qu’il fallait attendre encore. Et, suivi de Kaa, il gagna sa chambre. La servante referma soigneusement la porte derrière eux.

« Finalement, tu n’es pas reparti ? demanda-t-elle.
- Ça ne s’est pas du tout passé comme je l’avais prévu… merci de n’avoir rien dit. J’aurais vraiment eu du mal à m’en sortir. Ça n’a pas été une partie de plaisir de les berner…
- Et maintenant ?
- Maintenant ? Je ne sais pas.
- J’ai une question. Te bats-tu pour l’Œil du Corbeau de ton plein gré ? »

Azken s’assit avec mille précautions sur le lit et regarda ses mains. Très bonne question. Plusieurs choses l’étonnaient, notamment concernant la passivité de l’organisation quant à sa présence dans une caste. Il aurait pu leur donner un millier d'infos et il n’était pas sûr qu’on lui fasse confiance au point de le laisser comme ça dans le camp ennemi. L’avaient-ils abandonné ? Il n’y croyait pas mais cela ressemblait beaucoup à ça. Attendaient-ils son rétablissement ? Il le verrait dans les prochaines semaines.

Il avait une certitude, c’est qu’il trouverait des réponses dans les journaux. En consultant les dernières actualités, il découvrait sans aucun doute un indice laissé par l’Œil.

« Qui sait ? »

Kaa fit la moue. On ne répond pas à une question par une question ! Elle n’insista pas et se dirigea vers la porte.

« Je vous laisse vous reposer ? J’ai à faire en cuisine. Si vous avez besoin de quoique ce soit, appelez-moi.
- Merci Kaa. »

Elle s’éclipsa et Azken se retrouva seul. Que faire ? Que penser ? Que s’était-il passé ? Pourquoi ? Il était dans le vague absolu. Il s’allongea précautionneusement. L’Œil le considérait-il toujours comme l’un des leurs ? Il n’allait pas se plaindre s’ils l’abandonnaient là. Il n’aurait qu’à refaire une fugue et se faire une vie ailleurs. Il repartirait de zéro, tout simplement.

En revanche, il était intrigué par les dires de Tara. Un garou qui aurait l’audace de venir jusqu’ici pour des informations, il n’en connaissait pas beaucoup. Et avec un masque violet, encore moins. Ça voulait dire que l’Œil n’avait pas été aussi inactif que ce qu’on lui avait laissé croire. Personne ne lui avait donné la moindre information pendant sa convalescence. Il supposait que c’était volontaire. Finalement, il y avait peut-être plus de blanc que ce qu’il ne le pensait. Qui cachait quoi ? Quoi cachait qui ? C’était la toute la question. Enfin, son père semblait avoir des choses à lui dire. Il trouverait bien quelques trucs utiles, il le devait. Il verrait ça en fin d’après-midi, en attendant, il n’avait qu’une envie : dormir.

________________________________________________________________________

Azken rejoignit le bureau de son père. Sa mère était absente… un tête à tête donc.

« Bonsoir, salua l’adolescent.
- Bonsoir Azken. »

L’adulte se leva et s’approcha. Le blond le regarda, un peu surpris. D’habitude, il ne sortait pas de son fauteuil. Il se planta devant son fils et avant que ce dernier ne puisse ouvrir la bouche, lui mit une de ces mémorables claques qui changent un enfant. L’adolescent recula, sa main froide se posa sur sa joue rougie et la honte et la douleur firent perler des larmes au coin de ses yeux. Il leva un regard noir vers son paternel. S’il ne voulait le voir que pour lui mettre une tarte, il pouvait repartir tout de suite.

« Je peux savoir pourquoi tu t’es enfui de la maison ? fit sévèrement l’autre.
- Qu’est-ce qui m’en empêche ?
- Tu as pensé à notre famille !? À notre commerce ? Notre réputation ? Non, bien sûr que non ! Tu es bien trop égoïste pour cela. Heureusement, ton enlèvement a fait passé cette affaire sous le tapis.
- Oui, heureusement que de cruels psychopathes m’ont pris en otage et se sont servis de moi comme d'un paillasson, sourit ironiquement Azken.
- Ce n’est pas ce que j’ai dit.
- Peu importe. Je pense qu’on a mieux à faire que de se disputer.
- C’est ça, détourne le sujet. En attendant, j’ai pris mes dispositions pour éviter que cela ne se reproduise. Dans deux semaines, tu iras travailler à l’herboristerie et ce, jusqu’à ce que tu reprennes notre commerce ! J’ai demandé à ce qu’on ne te lâche pas du regard. Et puis, j’ai embauché de nouveaux gardiens pour surveiller la maison.
- Je ne t’en demandai pas tant…
- Maintenant, voilà les papiers. Tu lis et tu signes. »

Azken prit le dossier qu’on lui tendait. Un vrai roman… tout ça pour récupérer un fichu commerce dont il ne voulait pas. Il ne dit rien. Il ne devait pas se fâcher… il voulait des informations. Sa joue le brûlait, le désir de savoir le consumait. Il fallait être patient.

« Je peux avoir les registres ? Je préfère reprendre la relève en sachant où j’atterris.
- Je n’ai ici que ceux des trois derniers mois.
- Ça ira. Je les prends. »

L’adulte fouilla dans ses tiroirs et sortit lesdits documents. Il les empila sur ceux que tenaient déjà Azken.

« Je suis content que t’être fait traiter comme un paillasson t’aie fait prendre conscience qu’il est temps que tu prennes tes responsabilités.
- Si je ne les prends pas, je finirai comme tous ces misérables clochards qui dorment sous les porches, n’est-ce-pas ?
- Exact.
- Ce n’est pas ce que je veux, alors… j’imagine qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire.
- C’est bien. »

L’adolescent n’avait plus de scrupule à mentir après la rouste qu’il venait de prendre. Et puis, au point où il en était… il avait menti à tout le monde depuis le soir de son retour. Aujourd’hui, lui-même avait du mal à entrevoir où était la réalité.

« D’ailleurs, pour ce que Tara m’a raconté… tu avais dit qu’on en reparlerait.
- Que veux-tu savoir ?
- Ce qu’il s’est passé. Je veux dire, tout ça, c’est un peu de ma faute… ils vous ont fait du mal ?
- Rien d’insurmontable. Ne t’inquiète pas, il ne reviendra pas, c’est fini maintenant.
- Je te crois… si tu n’as plus rien à me dire, moi non plus.
- Bonne soirée alors.
- À toi aussi. »

Et Azken repartit. Son père ne voulait pas lui parler de ce qu’il s’était passé, c’était évident. Qui savait à part lui et Tara ? Pourquoi tant de mystères ?

En rentrant dans sa chambre, il jeta les papiers sur son bureau, agacé. Il n’avait pas pensé à sa famille en partant mais avaient-ils déjà pensé à ce que lui voulait ?! Pas une fois. Il ne voulait pas s’enfermer dans un bureau toute la journée à faire les comptes et rechercher de nouveaux marchés ! Et puis les nouveaux gardiens ne l’empêcheraient pas de s’enfuir ! De travailler à l’herboristerie non plus !

Et dans son élan, il se dirigea vers la chambre sa petite sœur. Elle lui raconterait bien mieux que son père ce qu’il s’était passé. Il toqua à la porte. La blondinette lui répondit par un long oui. Il entra et la trouva seule en train de jouer avec ses peluches sur son lit.

« Salut Tara !
- Azken ! fit-elle toute ravie. »

Il s’assit près d’elle et elle vint se blottir contre lui. Il s’était toujours bien entendu avec cette sœur maligne et pleine de vie. Son grand sourire avait le don de réchauffer son cœur et de lui faire oublier ses problèmes.

« Comment tu vas ?
- Bien ! Je suis contente que tu sois rentré ! Papa voulait pas que je rate l’école pour venir te voir.
- Ah, ça ne m’étonne pas…
- Et toi, ton bobo ?
- Ça va, ça fait toujours un peu mal.
- Hm… pourquoi tu as la joue rouge ?
- J’ai la joue rouge ? demanda l’elfe, jouant l’innocent.
- Oui.
- Je ne sais pas alors.
- Menteur ! rit la petite.
- D’accord, tu as gagné, je me suis fait punir…
- Je le savais ! Papa n’était pas content du temps quand tu n’étais pas là. Et Maman, elle était inquiète. Parfois, elle était si blanche qu’elle passait la journée allongée.
- Je suis désolé. Et Dijé, comment il va ? Il ne m’a pas adressé un regard depuis que je suis rentré.
- Hm… il était toujours aussi désagréable.
- Je vois, sourit Azken en remarquant que son frère n’avait pas changé.
- Dis… tu vas la reprendre l’herboristerie ? fit la blonde d’une petite voix.
- Je ne sais pas. Tu sais, je n’en ai pas très envie.
- Dijé non plus. Il veut faire des études dans la magie et l’Ancien Monde. Papa et Maman ont dit qu’ils en reparleraient le moment venu.
- Ah, c’est pas juste. J’ai jamais eu le choix moi…
- Moi, j’aimerai bien reprendre l’herboristerie… mais juste pour vendre des plantes… pas pour remplir tous les papiers !
- Tu es encore jeune.
- Dis surtout que c’est parce que je suis une fille ! se fâcha l’enfant.
- Aussi, remarqua Azken surpris qu’elle monte le ton.
- Et pourquoi les filles auraient pas le droit de diriger les commerces et de siéger au Conseil ?!
- Eh bien… parce que vous êtes des filles. Je veux dire, vous êtes moins fortes physiquement et psychologiquement, vous ne pouvez plus trop bouger quand vous avez un bébé dans le ventre ou quand vous saignez — et ça arrive souvent ! — et puis c’est comme ça. Tout fonctionne très bien actuellement, il n’a pas de raison que ça change.
- Moi je veux pas de bébé et je saigne pas ! Et je suis aussi forte que toi ! La preuve, je me fais moins punir que toi ! Et puis c’est pas parce que ça fonctionne très bien que ça ne peut pas fonctionner mieux !
- Ça n’a rien n’a voir de se faire punir ou pas !
- Bien sûr que si ! Papa, il te regarde tout le temps, il surveille toujours que tu fais toujours tout très bien, et moi, il me dit jamais rien parce qu’il s’en fiche ! Parce que toi, t’es l’aîné et tu vas reprendre le commerce alors que moi, je suis une fille et je vais lui faire perdre plein d’argent pour mon éducation et encore plus pour mon mariage ! Mais Papa, ce qu’il sait pas, c’est que je vais pas me marier ! Je veux pas !
- Tu as encore le temps d’y réfléchir…
- Non ! J’ai dix ans ! Mes copines, leurs grandes sœurs elles commencent à se marier à treize ans et souvent avec des vieux pas beaux ! Et moi, je veux pas ! Je veux pas ça ! »

Elle se tourna, les bras croisés, la mine boudeuse. Azken la regarda, ne sachant pas quoi répondre. Il ne s’était jamais posé de questions sur la situation des femmes dans la société elfique… tout avait toujours été naturel. Il regarda un peu le sol, essayant de se mettre à la place de cette petite de dix ans. Et au fond, il comprenait que ce manque de liberté la dérangeait. Lui aussi, ne pas avoir le choix de sa place dans cette société l’avait dérangé au point d’en avoir fugué.

« Et si cela dérange les filles, pourquoi elles ne changent pas ça ?
- Parce que personne n’écoute les petites filles de dix ans ! Personne ne les prend au sérieux ! Même pas toi ! Et puis quand elles sont mariées, si elles ne sont pas sages, on les bat ! Alors elles se meublent dans le silence pour continuer de vivre !! éclata la petite en sanglot. »

Azken ne pouvait pas la contredire et au fond, il pouvait comprendre ses inquiétudes. Il la prit doucement contre lui et la réconforta.

« Ça va, d’accord ? Je te crois. Calme-toi, ça va aller…
- Tu mens. Papa et Maman vont me marier pour que j’arrête de leur coûter des sous, renifla-t-elle.
- Tu n’es pas qu’une bourse de pièces Tara, tu es leur petite fille.
- Peut-être, mais toi tu es leur fils héritier, et Dijé est leur petit prodige ! Moi, ils me marieront pour favoriser leur commerce.
- Peut-être bien, se résigna Azken. Mais que pouvons-nous faire ? »

La petite se redressa et planta de toute sa colère ses iris larmoyants dans ceux de son frère.

« Toi et moi, nous allons devenir des gens biens et changer les mentalités ! »

Des gens biens ?...

« Tu me le promets ?
- Je euh… oui.
- Vraiment ?
- Oui. »

Elle leva son petit doigt et il scella cette promesse, encore sonné que sa gentille petite sœur si souriante et insouciante puisse avoir des aspirations si grandes. C’est des décennies et des siècles d’histoire et de traditions qu’elle voulait remuer… un vrai édifice. Mais sa détermination touchait Azken et même s’il n’y croyait qu’à moitié, au fond de lui, la conviction que ce combat pouvait être mené naissait.

« Azken… merci beaucoup.
- De rien. Si tu as autres choses sur le cœur, n’hésite pas.
- Oui ! »

Un nouveau sourire illumina son visage tandis qu’elle essuyait ses larmes d’un revers de manche.

« Hm… au fait, tu pourrais me raconter ce qu’il s’est passé avec le type au masque violet ?
- Si tu le dis pas à Papa, d’accord ?
- D’accord. »

Et elle raconta tout en détail.

« Et à aucun moment tu ne t’es dit que c’était un garou ? se moqua gentiment l’elfe.
- Oh ça va, hein… un oiseau c’est un oiseau.
- La preuve que non ! Enfin, le principal c’est qu’il y ait eu plus de peur que de mal. Je suis rassuré.
- Dis-moi… tu aimes bien les gens de l’Œil du Corbeau ?
- Pas plus que ça, pourquoi ?
- Parce que tu ne te serais pas intéressé autant à cette histoire sinon. Il était visible pour toi qu’il ne s’était rien passé de grave : pas de traces de combat dans le bureau, personne n’était blessé. En fait, j’ai l’impression que tu as deux raisons de t’intéresser à cette histoire. La première, c’est que tu cherchais à savoir si tu pouvais pardonner cet individu d’être entrer ici et qui il était. La seconde, c’est que personne ne t’a informé de rien pendant six semaines alors tu as besoin de récolter des informations pour une raison qui m’échappe encore.
- Ah ah, si tu le dis, sourit Azken un peu gêné qu’elle y voit si clair.
- Tu sais, tu peux m’en parler… je sais tenir ma langue. Et puis, on est complice, non ? constata-t-elle avec un regard espiègle.
- Bien sûr, mais je préfère ne pas te dire de bêtises quand moi-même, je suis perdu. Tu sais, j’ai besoin de réfléchir à tout ça. Ça va me prendre du temps et je n’ai pas encore toutes les cartes en main.
- Les nouveaux gardiens sont quatre : un sous ton balcon, un à l’entrée de la maison, un devant le magasin, un sur le toit. Ils font des rondes toute la nuit. Ils ont des magies spécialisées dans la détection et la défense et possèdent tous une fusée de détresse en cas d’intrusion. C’est tout ce que je sais.
- Merci... Ça me fait bizarre d’entendre si sérieuse la petite fille avec qui je jouais aux peluches.
- On peut continuer à jouer quand même !
- Non, j’ai plein de choses à faire ! Toi aussi, travaille dur ! »

Azken s’éclipsa, un grand sourire au visage. Tara s’amusa de cela… il était heureux d’avoir tous ces problèmes à régler.


Chapitre 12


Penché sur une feuille noircie de caractères, Azken réfléchissait. Il sursauta en entendant toquer à la fenêtre. Il faisait nuit… qu’est-ce que cela pouvait être ? Un gardien ? Il se leva et constata qu’il n’y avait rien de l’autre côté de la vitre. C’est alors que de sa buée se forma sur le verre et une flèche fut maladroitement dessinée vers la poignée. Il cligna des yeux plusieurs fois, croyant rêver. Qui d’invisible pouvait faire ça ? Quelqu’un que les gardiens n’avaient pas vu… devait-il ouvrir ? Il reprit ses esprits et ouvrit en grand la fenêtre qui donnait sur le balcon. On ne pouvait pas savoir sans essayer. Le vent nocturne lui caressa le visage mais toujours personne. Avait-il rêvé ? Il sentit alors quelque chose de chaud et poilu se frotter à sa main.

« Merci d’avoir protéger les miens aux périls des tiens. Je te pardonne tes fautes et t’offre ma reconnaissance. »

Intrigué, Azken posa ses doigts sur le pelage de ce qui était visiblement un animal.

« Qui es-tu ? murmura-t-il. »

Pour seule réponse, l’animal lui remit une feuille avant de disparaître… enfin l’elfe le supposa. Sans fermer la fenêtre, il posa le papier sous la lumière de la lampe. C’était maladroit et irrégulier comme écriture, mais il parvient à déchiffrer.

« Azken, je suis Hegal la chimère, la sœur d’Ezer. Je ne peux pas rester longtemps où communiquer avec toi, les gardiens repèreraient ma magie et tu n’es pas sans savoir, que chimères comme dragons, nous communiquons par télépathie.
Cette présente lettre t’offre le choix. L’Œil est prêt à accepter ta liberté vis-à-vis de lui, mais également de t’avoir à son côté. Ce dernier mois a prouvé que tu ne dirais rien contre nous, mais tu n’étais pas très enthousiasme à l’idée de nous rejoindre. Alors aujourd’hui, nous souhaitons que tu choisisses en due et bonne forme ta destinée.
Je repasserai prendre ta réponse d’ici quelques jours. J’aimerai que nous nous rencontrions de jour. Une fois cette lettre lue, brûle-là. — Hegal.
»

Azken frissonna. Il avait le choix… un choix simple et pourtant si compliqué. À défaut d’avoir un briquet, il déchira la lettre en miette et la mouilla suffisamment que plus rien de soi lisible avant de la jeter dans la poubelle. Il était reconnaissant, reconnaissant qu’on lui offre la chance de choisir. Il avait maintenant toutes les cartes en main. Il allait devenir quelqu’un de grand et de bien.

Il attrapa une feuille et un crayon. Son objectif, c’était sa promesse, celle d’arriver à une société plus juste et égalitaire. Une société où les petites filles de dix ans n’auraient plus à pleurer, à redouter leur mariage ou à se taire pour vivre. Une société où même les jeunes sont écoutés, où on choisit son chemin. Il n’avait pas l’audace de sa sœur ou l’intelligence de son frère, mais c’était son but.

Il avait la rare chance de choisir et il allait saisir cette chance pour ceux qui ne l’ont pas. Il allait la saisir pour l’offrir à d’autres.

Comment procéder ? C’était là toute la question. On n’apprend pas à l’école comment devenir quelqu’un de bien. Il réfléchit un peu et se dit qu’il valait mieux qu’il écrive chacune des conséquences de ses choix et qu’il avise ensuite.

Et puis d’abord qu'est-ce que quelqu’un de bien ? Il se rendit compte qu’il n’avait pas de définition précise. C’est une personne que l’on admire pour sa justesse, pour sa bonté ? Il le supposait. Il demanderai à quelqu’un d’autres.

S’il choisit de reprendre le commerce de ses parents en supposant qu’il supporte toutes ces heures dans un bureau, alors il aurait de l’argent. Parce que finalement, comment changer les lois de ce monde sans en être au sommet ? C’est une course vers une place au Conseil des Elfes qui l’attendait, puisqu’il n’y a là-bas que les meilleurs des « gens biens ». Et de l’argent, il en faut pour être quelqu’un de bien ici. De plus, cela avait des chances de retarder le mariage de Tara, ne serait-ce que d’un peu. Ses parents n’auraient plus à s’arranger pour leur commerce, puisque ce ne sera plus le leur. Enfin, en supposant qu’il ait récupéré toutes les responsabilités d’ici là, car il savait pertinemment que les papiers devant lui ne lui accordait qu’un statut de copropriétaire. Cela permettait à ses parents de garder un œil sur ce qu’il fait dans un premier temps.
Cette solution impliquait également qu’il reste ici, à Atka. Il ne voyait de toutes façons pas d’autres moyens de rester chez les elfes. On finirait pas le jeter à la porte s’il ne reprenait pas le commerce et il n’avait nulle part où aller… ou du moins, pas dans l’immédiat. Il pouvait chercher en prévision mais à quoi bon rester s’il n’avait pas ce commerce ? Il avait des choses acquises alors à quoi bon repartir de zéro ? Autant en profiter.

Sa deuxième grande option était de retourner à l’Œil. Ce dernier avait finalement un objectif proche du sien même s’ils pouvaient agir de manière… extrême parfois. Là-bas, il y aura sans doute des choses qui lui déplairont dans la méthode, mais ils auraient des coéquipiers avec partager son combat. Alors que rester chez les elfes, où trouveraient-ils du soutien ? Personne ne l’écouterait, lui, le gamin qui se battait et qui n’en faisait qu’à sa tête. Cela prendrait du temps et beaucoup d’efforts pour qu’on l’accepte et qu’il se forge une nouvelle image. À l’Œil, personne ne lui avait jamais reproché qui il était et finalement, sa volonté avait été écoutée. Le seul frein, c’est qu’il avait tenté de les tuer. Bien que personne n’en ait plus jamais parlé, il savait bien qu’on ne lui pardonnerai pas comme ça. Il avait conscience que ce qu’il avait fait été grave, il assumerai ses actes.

Cependant, la fin justifie-t-elle les moyens ? Pouvait-il être quelqu’un de bien dans une organisation comme l’Œil ? Pouvait-il vraiment retourner là-bas comme ça ? Il ne savait même pas comment allait Oun.

Il posa son crayon et se leva. Finalement, il n’y avait que deux questions. Où réussirait-il le mieux son objectif ? Où est-on prêt à l’accepter et l’écouter ? Et les réponses étaient claires.

________________________________________________________________________

L’après-midi, il descendit en ville avec Kaa. Rien ne semblait avoir changé, les nobles se promenaient, parfois tranquilles, parfois pressés. Des étrangers se mêlaient à la foule, des caprins et des pandis, des touristes ou des marchands.

Azken n’était là que pour faire une courte promenade, pour s’aérer les idées. Le matin, il avait commencé la lecture des documents que son père lui avait fourni. S’il n’avait pas du tout envie de reprendre le commerce, il était curieux de savoir ce que stipulaient les contrats. Et puis, il devait au moins faire semblant pour ne pas éveiller les soupçons.

Sa douleur à la côte le rattrapa rapidement et il décida de s’arrêter dans un bar le temps de se reposer un peu. Il s’assit à une table à l’extérieur. Kaa se mit face à lui.

« Qu’est-ce que tu bois ?
- De l’eau, sourit la servante.
- Tu es sûre ?
- Oui. »

Et l’adolescent commanda un jus et un verre d’eau. Rapidement, il se sentit observé, comme si le monde était concentré sur lui. Il leva les yeux autour de lui. Des regards se détournaient, des conversations se taisaient dans le bar et dans la rue. Son verre arriva, il plongea ses pensées dedans. Que pensaient-ils ? Lui qui revenait de l’Œil, qu’en disaient-ils ? Pour en faire des ragots et des messes basses, sûrement rien de bon. Il se sentait seul, face à eux tous. Pour autant, il n’était pas oppressé, plutôt aliéné. Il avait grandi dans le coin, il connaissait les coutumes et les manières d’ici, et pourtant, il se sentait étranger. Ce peuple était-il vraiment le sien ? Il n’avait jamais été très intégré chez les elfes, mais aujourd’hui, il y avait comme un gouffre. Est-ce que son séjour ailleurs avait creusé cet écart ?
Il finit rapidement son verre et fit signe à Kaa qu’ils rentraient. Il alla payer et les deux filèrent. Azken évita les rues trop fréquentées, il n’était pas d’humeur à affronter la foule. Il regretta bien vite ce choix.

« Tiens Azken ! On est de retour ? appela une voix moqueuse. »

L’elfe se retrouva nez à nez avec un autre adolescent et ses complices qu’il connaissait bien. Trop bien.

« Fous-moi la paix, Teku. Je ne suis pas d’humeur.
- Pauvre chouchou, tu n’es pas d’humour ! fit ironiquement l’autre. »

Ceux de sa bande rirent. Azken lui lança un regard sombre et tenta de passer. Ils lui barrèrent le passage.

« Pas si vite, on est heureux de te revoir ! On pourrait passer un peu de temps ensemble pour fêter ça !
- Je suis pressé.
- Ah, ces nobles ! Toujours occupés ! Je vais te trouver du temps moi ! »

Teku s’avança, menaçant. Azken soupira et d’un mouvement de main, projeta une bulle d’eau de la taille d’un homme sur son adversaire. Et comme cela ne suffisait pas à le satisfaire, il fit apparaître une vague qui balaya d’un coup les racailles. Il se retint de faire plus que de les mouiller, et avança, Kaa sur ses pas.

Un projectile magique fondit de derrière. La servante posa sa main sur l’épaule du blond et se servit de sa magie pour construire un bouclier aquatique. Azken se tourna vers Teku qui venait se relever, le regard noir. Leurs yeux s’envoyèrent des éclairs durant de longues secondes, et finalement chacun repartit de son côté.

________________________________________________________________________

« Je vais partir.
- Comment ça ? demanda Tara. »

Azken leva les yeux vers elle. Ils étaient tous les deux assis sur le bord du lit du blond. La nuit allait bientôt tomber sur Atka.

« Je vois, finit par déclarer la jeune fille. Quand ?
- Je ne sais pas encore. Cela peut être dans une heure comme dans plusieurs semaines.
- D’accord… on se reverra ? Tu me le promets ?
- Oui, je te le promets.
- Je te fais confiance !
- Qu’est-ce que tu comptes faire ? Je veux dire, si tu veux changer les gens, tu dois avoir des idées…
- En temps normal, ceux qui veulent changer les lois graissent les pattes des représentants au conseil. Mais moi, je ne suis pas un homme, ça ne marchera pas. Alors, je vais chercher des soutiens ailleurs. Dans le peuple, par exemple. Et puis, les filles de l’école me suivront.
- Et une fois que tu auras tous ces soutiens ?
- Nous agirons. Je n’ai pas encore beaucoup d’idées là-dessus. Mais il faut que ça marque les esprits. On se bat pour nos droits, mais il ne faut pas que cela dégénère non plus… de toute façon, je ne pense pas obtenir beaucoup de soutien de la gente masculine. La situation actuelle est bien trop ancrée dans la société. Je suis sûre que même toi tu doutes qu’une femme puisse tenir le même rôle qu’un homme !
- Eh bien… c’est que je n’y avais jamais réfléchi avant, expliqua Azken un peu gêné.
- Tu vois ! s’amusa Tara. Mais peu importe, c’est l’avenir qui compte maintenant. Je vais te montrer demain que tu as tord de douter aujourd’hui.
- J’ai hâte de voir ça !
- Et toi ? C’est quoi ton plan ? Tu dois avoir une idée derrière la tête si tu y retournes.
- Je pense que leur combat est juste. Je reste moyennement convaincu de leur manière de s’y prendre mais c’est peut-être aussi l’occasion d’y apporter ma graine. Je serai sans doute plus écouté là-bas qu’ici. »
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Message par New Mentali » 09 Juin 2020 14:26

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Année : 83
Un nouvel essai de prologue. Non abouti.




Prologue


Ezer était assis sur une branche, se reposant de la longue trotte qu’il venait de parcourir. Il avait encore quelques jours de vol devant lui, ça ne servait à rien de se presser. Il sortit de sa poche un fruit et en fit son goûter.

La forêt était calme. Le chant des oiseaux égayaient les feuillages verts des arbres qui poussaient là. Certains avaient des milliers d’année et s'élevaient fièrement vers les cieux, tandis que d'autres, plus jeunes, aspiraient à leur succéder. Le vent soufflait dans leurs branches avec douceur.

Des bruits de pas s’ajoutèrent à cette mélodie. L’homme perché se redressa silencieusement, sur ses gardes. Il prit l’apparence d’un oiseau noir au bec épais, passant ainsi inaperçu. Qui pouvait bien passer dans un sentier si peu fréquenté ? Il s’écartait de la route usuellement utilisée par les marchands ambulants et il n’y avait aucun village dans le coin.

Un adolescent aux longs cheveux lisses, attachés en queue de cheval approchait. Il traînait des pieds, retournant l’humus sous ses bottes. Une longue cape sombre, effilée et usée était attachée à ses épaules. Il portait un sac à dos qui semblait plutôt bien rempli. L’oiseau put deviner la présence d’une sacoche en bandoulière sous le long tissu défraîchi. Les trous de ce dernier laissait apparaitre des vêtements aux couleurs plus vives, des couleurs de nobles.

Le soir précédent, l'animal à plume avait entendu parler de la disparition d’un certain Azken, l’héritier d’une riche famille d’herboriste. Il aurait été enlevé mais le gamin blond sous sa branche semblait parfaitement correspondre à la description fournie avec l’avis de recherche. Se pourrait-il que cela soit plus qu’une simple coïncidence ? Une curiosité dévorante lui arracha un sourire intérieur. L’oiseau commença à planer d’arbres en arbres, suivant ce drôle de voyageur.

________________________________________________________________________

La nuit commençait à tomber sur la forêt qui était désormais surplombée par une immense chaîne de montagne. Elle était connue comme la frontière du territoire elfique. Se pourrait-il que l’adolescent la traverse pour rejoindre un autre pays ? Courageux mais peu probable. Et surtout : pourquoi ne rentrait-il pas chez lui ? S’il avait été enlevé, cette décision aurait été plus sage. Il aurait pu prévenir une caste qui aurait pris la situation en main… alors pourquoi ? Que faisait-il ici avec un sac de voyage ?

L’elfe aux cheveux blonds s’arrêta au pied des montagnes. Le sol était plutôt rocailleux dans le coin. Seuls quelques sapins poussaient plus haut, la forêt s’arrêtait là. Ainsi, dans les dernières lueurs du jour, l’adolescent s’installa dans un creux de la roche, une sorte de cavité qui s’était formée sous les racines d’un sapin mort. La lisière n’était pas loin de sorte à ce que l’oiseau puisse le surveiller du haut d’une branche. Le voyageur y ramassa d’ailleurs du bois pour faire un feu. Il sortit de son sac un paquet d’allumettes et en craqua plusieurs avant que son feu ne démarre.

Il utilisa également les quelques vêtements présents dans son sac pour s’installer plus confortablement contre la roche. C’était loin de valoir un lit, mais c’était toujours mieux que rien. Il sortit également quelques biscuits secs et en fit son repas.

Finalement, le calme nocturne s’installa aux chants des insectes. Seule la lueur incandescente troublait le paysage. L’elfe s’endormit rapidement, épuisé de sa marche tandis que l’oiseau, perché, somnolait déjà.

________________________________________________________________________

Des murmures réveillèrent Ezer. En dessous, ce qui semblait être un groupe de truands, s’approchait de l’abri du jeune voyageur. Celui-ci dormait encore. L’oiseau se demanda s’il devait intervenir et comment. Il poussa un croassement incisif, les hommes se tournèrent d’un mouvement vers lui. Ils constatèrent le volatile sombre comme les ténèbres sans s’inquiéter. Ce n’est pas comme si c’était courant aux abords d’une forêt, mais c’était le cas.

Cependant, le bruit avait réveillé l’elfe et c’était précisément le but de l’animal. Le blond se dressa vivement sur ses jambes et, coincé entre le fond de son trou et les malfrats, il ne put que se mettre en position défensif. Les braises du feu éclairaient à peine la scène et ce n’était pas à l’avantage de l’adolescent.

« Qui êtes-vous ? fit-il, se voulant intimidant.
- Des gars du coin, ricana l’un des hommes. Je ne pensais qu’on tomberait sur un si gros lot, mais il y a une belle récompense si on te choppe ! Et puis, tu dois avoir quelques objets de valeur sur toi, n’est-ce-pas ?
- J’en en ai pas. Je n’ai pas non plus d’argent ! Partez ! »

L’homme s’approcha, menaçant.

« Je crois que tu n’as pas bien compris : c’est moi qui décide. Et j’ai décidé que tu allais venir avec nous.
- Jamais, gronda l’elfe entre ses dents.
- Je vais être plus convainquant alors… »

Il leva la main, toisant l’adolescent de toute sa hauteur. C’était le signal pour l’oiseau. Il déploya ses ailes et fondit entre les brigands. Il ne pouvait pas empêcher la paume de l’homme de rencontrer le visage du blond, mais il pouvait éviter que cela se reproduise. Avant que les gaillards ne remarque la présence de l’animal, celui-ci se transforma en une immense panthère. D’un puissant coup de patte, celle-ci en fit valser deux, envoya voler un troisième et se dressa devant les autres. Effrayés par ce monstre de muscles, ceux qui se tenaient encore debout envoyèrent des projectiles magiques, de simples boules d’énergie qui s’échouèrent vainement sur le pelage de la bête. Cette dernière rugit de toutes ses cordes vocales, dévoilant des crocs luisants au clair de lune. Le groupe s’enfuit, terrorisé. La panthère constata son œuvre dans un ronronnement satisfait.

Le félin noir tacheté se tourna vers l’elfe qui, blotti au fond de son trou, se tenait honteusement la joue. Il s’approcha doucement, ses muscles saillants roulaient à chacun de ses pas. L’autre le fixait avec méfiance.

« Je ne rentrerai pas à Atka ! clama-t-il. »

Ezer s’amusa de cette information et reprit sa forme humaine. Il s’accroupit devant l’elfe, le visage dissimulé sous un masque de carnaval violet aux motifs rouges. Ses lèvres étaient étirées par un sourire calme et yeux fendus trahissaient une certaine curiosité. Ses cheveux sombres étaient couverts par une capuche qui laissait passer deux oreilles arrondis sur le haut de son crâne. Il était vêtu d’une courte cape, d’un haut sombre, d’un pantalon brun, chaussait des bottes noires et une sacoche pendait à son côté. L’elfe remarqua également un poignard accroché à sa ceinture, ce qui le poussa à une plus grande méfiance encore.

« Tu vas bien ? demanda Ezer en désignant la joue du blond.
- J’imagine…
- Comment t’appelles-tu ? Pourquoi ces hommes en avaient après toi ? »

L’adolescent sembla hésiter, se sentant un peu oppressé par tant de questions. L’apparente bienveillance de son interlocuteur fit pencher la balance en faveur d’un dialogue.

« Azken. Je suis recherché… alors ils voulaient l’argent de la récompense. Et vous ? Qu’est-ce qu’un garou fait dans le coin ? Vous êtes marchands ?
- Loin de là, disons que je me promène… pourquoi es-tu recherché ? Si ce n’est pas trop indiscret… »

Nouvelle hésitation.

« Officiellement, j’ai été kidnappé. Officieusement, j’ai fugué de chez moi. Je ne veux pas rentrer.
- C’est ton choix ! fit l’homme en haussant des épaules. Mais qu’est-ce que tu comptes faire maintenant ? Je veux dire, tu risques de recroiser des gens malintentionnés, et si tu es recherché, j’imagine que les castes doivent aussi vouloir te rattraper ? Tu as un endroit où aller ?
- Je compte rejoindre Delda. Je voulais me faire recruter en tant que médecin dans les rangs de la caste.
- C’est un peu compromis, je crois…
- Oui. Je pensais aviser une fois là-bas.
- Je connais un endroit où ils cherchent un médecin si ça peut t’intéresser, et tu ne seras pas embêter là-bas.
- Vous n’espérez tout de même pas que je suive un inconnu ?
- C’est vrai que je ne me suis pas présenté. Je m’appelle Ezer, je fais partie de l’Œil du Corbeau. J’étais en train de rentrer chez moi quand je t’ai croisé. Ravi de te rencontrer. »

Il tendit sa main à l’adolescent, mais celui-ci le fixait, les sourcils froncés. L’Œil du Cobeau était tristement connu pour ses sabotages et ses assassinats. C’était une organisation criminelle qui perturbait l’ordre public et agissait dans l’ombre. Leur chef était l’ancien héritier au trône du royaume des garous connu pour avoir organiser les meurtres de dizaines de conseillers. Une sale histoire en somme.

En constatant son aversion, Ezer rangea sa main. Il s’attendait un peu à cette réaction.

« Et je déduis que tu habites Atka ? reprit-il.
- Hm.
- C’est bien, c’est une belle ville. Assez inégalitaire, mais le paysage est beau vu du haut de l’Arbre. Delda est une ville minière alors la beauté se trouve sous terre, ça va te changer. Enfin le lac aussi est sympa à voir. Comment tu comptes traverser les montagnes ? Il a un passage facile mais il est fréquenté et surveillé pour éviter de les pilleurs.
- L’escalader ?
- Je ne veux pas avoir l’air de te dissuader, mais les montagnes sont un milieu dangereux, une chute et tu te tues dix mètres plus bas. Et puis là-haut, il fait carrément froid et l’air manque.
- Tu as autre chose à proposer ?
- Hm… non, c’est ce que je fais d’habitude aussi.
- C’est que ça doit être faisable alors.
- Si tu le dis. Sur ce, je vais dormir moi, j’ai encore de la route demain. »

Il salua l’adolescent de la main et sortit du creux. À l’air libre, il se transforma en panthère et se coucha au-dessus de la brève cavité comme pour monter la garde. Il comptait bien grimper la montagne avec cet elfe qui ne semblait même pas imaginer ce qui l’attendait là-haut. Ce serait dommage de l’avoir sauvé cette nuit pour qu’il aille se tuer le lendemain.
Et puis, il cherchait un moyen de le ramener avec lui. L’Œil du Corbeau manquait cruellement d’un second médecin qui pourrait se déplacer sur le terrain avec eux. Combien de cicatrises et de jours de convalescence aurait pu être évités si les premiers soins avaient été appliqués correctement ?

________________________________________________________________________

La journée s’annonçait froide. Le soleil levant était caché par les hautes montagnes qui marquaient la limite du territoire elfique. Ezer se leva et s’étira de tout son long. Il retira la rosée de son pelage à grands coups de langue. Cela fait, il se risqua à glisser le museau dans le creux. Azken s’était recroquevillé sur lui-même et somnolait. Silencieusement, l’animal se glissa jusqu’à la forêt. Il allait en profiter pour chasser un peu. Il avait faim.

Ezer n’était pas inquiet de perdre la trace de l’elfe. Il n’aurait qu’à suivre son odeur. Lorsqu’il revint une heure plus tard, Azken était parti. Il leva les yeux vers la montagne, il devait se dépêcher avant que l’autre ne se fracasse un os sur une roche.

Il suivit les traces olfactives qu'Azken avait laissé derrière lui. Cela lui fit entamer son ascension. Il foulait sans problème les roches, utilisant ses puissantes griffes pour s'agripper et son agilité féline pour garder son équilibre. Ezer avait grandi dans la montagne, il était aussi à l’aise qu'un poisson dans l'eau. Il ne mit pas de temps à rattraper le fugueur. Ce dernier était en train d'escalader une paroi rocheuse d'une demi-douzaine de mètres particulièrement raide. L'exercice ne semblait pas simple, surtout avec le gros sac qu'il se trimballait et son manque d'expérience flagrant.

La panthère se posta silencieusement en dessous, l'elfe ne l'avait pas encore remarquée et elle ne tenait pas à le déconcentrer. Finalement, l'adolescent se hissa au-dessus de l'obstacle, victorieux mais essoufflé. Il n’était pas arrivé en haut… d'un bond, le félin se percha à son côté et le regarda, amusée de le voir déjà en sueur.

« Encore là ? remarqua l'elfe en se relevant. »

Le gros chat noir ignora sa mauvaise humeur et avança de quelques pas vers le sommet, comme pour motiver l'autre à le suivre. Il se tourna de nouveau vers le blond, pour vérifier qu’il suivait.

« Ne te sens pas obligé de m'attendre, je ne te suivrai nulle part ! »

Ezer reprit sa forme humaine et s'assit sur un rocher, détendu.

« Je ne voudrais pas que tu te brises les os juste après avoir échappé à une bande de truands ! Ce serait dommage, tu ne crois pas ?
- Je ne t'ai rien demandé…
- Moi non plus, je te rassure. Si je veux quelque chose de toi, je m'arrangerai pour l'avoir, ne t’inquiète pas !
- Justement. Pourquoi tu me suis ? Tu dois avoir un tas d’autres choses à faire ! Comme poser des bombes ou tuer des gens ?
- Je ne pose pas de bombe, à vrai dire je n’aime pas trop les explosions. Quant à tuer des gens, ce n’est pas spécialement mon passe-temps préféré et j'ai des cibles précises tu sais. Si tu as deux tueurs au début et que l'un tut l’autre, alors il y a moins de tueurs qu'au début. C’est facile, non ?
- Sans doute… ça ne répond pas à ma question.
- J’y ai déjà répondu. Mais si t'obstines, je peux me trouver d'autres raisons. Je pourrai par exemple t'emmener chez moi et te forcer à soigner mes camarades de l'Œil, qu'en penses-tu ?
- Ce n'est pas parce que je n'ai nulle part où aller que je vais me jeter dans la criminalité et le meurtre… »

L'elfe qui avait repris son souffre continua son ascension, suivit de près par Ezer.

« Hm… sais-tu pourquoi l'Œil est considéré comme une organisation criminelle à l'origine ?
- Pour tous ses crimes, attentats et meurtres ?
- Raté. Ces événements sont survenus après que l'Œil ne soient déclarés officiellement hors-la-loi. À l'origine, l'organisation n'avait pour objectif que d'aider la population dans le besoin. Tu sais, il y a des gens qui n'ont même pas de quoi se nourrir. Cependant, fondée par un criminel, dont à la base le seul tort est d'avoir un avis divergent, elle a reçu le même statut que son créateur. Tu dois connaître son nom.
- Zorigaitza, héritier déchu au trône d'empereur et de roi des garous.
- Exact. Et en bon héritier déchu, sa famille ne le porte pas trop dans son cœur ! Et sais-tu qui gère la censure, notamment dans les journaux ?
- Tous les journaux ne sont pas victimes de la censure.
- Je n’en connais aucun sinon « Le Pirate » qui n'est pas plus légal que les agissements de l'Œil. C’est l'empereur qui gère la censure. Il fait dire ce qu’il veut aux articles, et il a tendance à bien appuyer sur les défauts de l'Œil du Corbeau aux détriments d'actions moins… violentes ?
- Ah oui ? Comment quoi ?
- Hm… ils nous arrivent de distribuer des graines, de la nourriture ou des vêtements. Ça nous arrive aussi de détruire des réseaux de prostitution ou de trafics de drogues, ce qui est effectivement à l’origine de certaines de nos bombes. Peut-être que nous éliminons des dizaines de personnes, mais personne ne se demande jamais qui elles étaient. Personne ne se demande pourquoi on les prend pour cible. Pourquoi ? Parce que les informations sont superficielles et les gens ont autre chose à penser. Déjà que bien peu savent lire…
- Je ne suis pas convaincu.
- C’est normal, je suis en train de contredire tout ce que tu as appris depuis que tu es jeune alors que tu n'as aucune confiance en moi.
- Si tu sais que c’est vain, pourquoi tu me racontes tout ça ?
- Parce que c’est toujours moins vain que de parler à un sourd. Les nobles sont un peu plus éclairés que les gueux, je me trompe ? demanda Ezer non sans insolence. »

Azken lui lança un regard mauvais. Il n'aimait pas la compagnie de cet individu aux buts obscurs et sans aucun doute, malintentionnés. Déjà que c’était pénible de grimper les montagnes, surveiller ce criminel collé à ses bottes l'agaçait. Cependant, il n'avait aucun moyen de pression… l'autre était bien plus puissant que lui. Il se sentait un peu oppressé de sa présence.

Le chemin se fit plus abrupte, plus friables. Il n’y avait plus ni arbres ni racines pour maintenir les roches entre elles, seules quelques herbes folles poussaient çà et là. Ezer avait repris sa forme féline et ses larges pattes lui offrait des prises stables. Azken progressait plus lentement, trébuchait parfois, se rattrapant sur ses mains déjà éraflées par sa précédente séance d'escalade.

Le soleil apparut au-dessus de leur tête. Une chaleur agréable vint réchauffer l'ascension. Ezer esquissa une mine contrarié, il prenait du retard. Traverser les montagnes ne lui prenaient d'ordinaire guère plus d'une journée, mais à ce rythme, ils allaient en prendre trois… il ne voulait pas inquiéter ses camarades par un retour tardif, mais il ne tenait pas à laisser un adolescent sans défense seul dans un environnement aussi hostile.

Un cri perçant déchirait l'air. Les deux grimpeurs levèrent la tête vers le ciel. Un Rokh planait à des centaines de mètres au-dessus d'eux. Ce n’était pas un bon signe, ces énormes oiseaux étaient suffisamment puissants pour enlever un être humain. Si Ezer ne craignait que les serres du redoutable chasseur aérien, Azken pouvait redouter de lui servir de repas.
La panthère donna un coup de museau à l'elfe, lui signifiant de se dépêcher et commença à surveiller le prédateur qui ne semblait pas vouloir les lâcher, décrivant des trajectoires circulaires. Le félin savait ô combien cette créature était crainte. Elle vivait sur toute les montagnes l'ouest du Continent ainsi que dans celles de l’île de Capri. Son bec acéré et ses puissants serres faisaient trembler les voyageurs et les habitants des hauteurs.

Azken trébucha une nouvelle fois. Le Rokh profita de cet instant pour piquer vers cette proie. La panthère se dressa devant lui, les crocs luisants, les poils dressés. Il en fallait plus qu'un félin de trois mètres pour intimider le plus fier prédateur du coin. Serres en avant, il fondit sur l'animal sombre. Celui-ci bondit en avant lorsque l’oiseau fut aussi sa portée. Les deux se heurtèrent et roulèrent au sol dans un vigoureux échange de coups de crocs, de bec et de griffes. Ils finirent par se séparer, l'un de renvola tandis que l’autre retourna auprès de son protégé dans un feulement dissuasif. L'oiseau jugea plus sage de trouver un autre repas.
La panthère le regarda s’éloigner, les sens encore aux aguets, la respiration courte. Un liquide poisseux tâchait sa robe sombre et goûtait sur le sol. Lorsque la silhouette eut disparu, il entreprit de lécher ses plaies peu profondes. Il ne s’inquiétait pas, il en avait vu d’autres. Azken s’était arrêté pour l'observer. Il semblait hésiter sur quoi dire. Il ne s'attendait pas à ce que ce malfrat aille si loin pour le protéger.

« Merci… »

Le félin lui donna un nouveau coup de museau dans le dos, il fallait avancer. Les Rokh n’étaient pas les seuls dangers de la montagne, pas la peine d'en attendre un nouveau.

________________________________________________________________________

Ils grimpèrent de longues heures jusqu’à ce que l'elfe s'arrête, à bout de souffle. Le chemin était raide et se transformait souvent en piste d'escalade, le soleil commençait à taper et le sac de l'adolescent pesait sur ses épaules. La panthère, quelques mètres devant, se retourna. Elle retint un soupir contrarié, ils n’étaient pas rendus. Il rejoignit l’elfe d’un bond et lui donna un nouveau coup de museau pour le motiver.

« Je fais une pause ! râla le blond. Je n’ai pas des grandes pattes comme toi. »

La panthère leva les yeux au ciel et fit quelques bonds en avant. Elle scruta le paysage au-dessus d'eux. Ils leur restaient encore de la route. Trop de route à son goût… et puis, ce n’était pas le meilleur endroit pour faire une pause, ils étaient à découvert ici. Plus haut, il y avait des rochers entre lesquels ils pouvaient se cacher.

Azken s’était assis et contemplait ses mains ensanglantées. Ça le brûlait et chaque mouvement de doigts était douloureux. Il aurait dû prendre des gants… il sortit de sa sacoche des bandes de tissus qu’il noua autour de ses doigts. Ceux-ci se tâchèrent rapidement, mais ça n’avait pas d'importance, tant qu’ils pouvaient protéger, ne serait-ce qu'un peu, ce qui restait de ses mains…

Il termina les dernières gouttes de sa gourde… il ne tiendrait pas longtemps sans eau. Il fallait qu’il trouve une rivière. Il leva sur ses jambes courbaturées par les centaines de kilomètres qu’il avait parcouru ces derniers jours et l'ascension.

Le félin était devant lui, les oreilles tendues vers le sommet, parfaitement immobile. Il sentait guetter quelque chose. Azken se hissa à son côté.

« Qu'est-ce qu’il y a ? »

L'animal le regarda et avança. Il avait senti des effluves de griffons, mais elles semblaient lointaines. Le vent les avait probablement portées jusqu’ici, ce n’était pas alarmant. Ce sont des créatures communes dans le coin, et elles ne sont dangereuses que si l'on pénètre leur territoire. Il suffit d'en sentir la limite pour éviter de tomber dans ce piège.

________________________________________________________________________

Azken trébucha une fois de plus sur un caillou. Il resta sur les fesses, essoufflés et les genoux en sang. La panthère se retourna encore une fois. Il fallait presque pitié… Elle s’approcha et donna un coup de langue sur les blessures de l'elfe.

« Tu sais où on peut trouver de l'eau ? souffla l'adolescent. »

Ezer réfléchit. Il se souvenait s’arrêter en milieu de journée au pied d'un ruisseau lorsqu’il traversait seul. En revanche, il ne connaissait pas suffisamment bien le coin pour indiquer avec précision où trouver le précieux liquide. Ce qui était sûr, c’est qu’il fallait avancer. Il tira doucement le vêtement de l'adolescent et fit quelques bonds en avant. Il faut continuer.

Pensant qu’il le mènerait à de l'eau, Azken mettait péniblement un pied devant l'autre. Mais le soir arrivait et toujours pas la moindre goutte d’eau en vue. L'elfe dit une nouvelle pause, à bout de force. Il se laissa tomber au sol, les bras et les jambes en feu, la gorge sèche. La panthère le motiva d'un énième coup de museau.

« Laisse-moi, je suis crevée... »

Le félin émit un grognement contrarié et attrapa l’arrière du col du traînard. Il le souleva comme une plume et avança malgré ses protestations.

« Lâche-moi ! Je peux avancer tout seul ! Tu vas abîmer mes vêtements en plus ! »

Ezer l'ignora, lui et ses gesticulations, et avança jusqu’à ce que le ciel s’assombrisse. C'est un bruit fluide et constant qui le fit s’arrêter. Ils étaient à la rivière. Le félin déposa son paquet au pied de l'eau et se désaltéra. Ils étaient à la moitié… la panthère n'aimait pas ça. Pourvu que ses camarades ne s’inquiètent pas de son retard. Enfin, il savait qu’ils le feraient.

Il reprit sa forme humaine et s’assit près de l'elfe qui venait de boire tout son soûle.

« Si tu veux un conseil pour la nuit, évite de faire un feu.
- Pourquoi ?
- Je te le dis.
- Peut-être mais je n’ai pas envie de finir comme un glaçon.
- Toujours mieux que de se faire manger par les bêtes sauvages ! Enfin, je ne peux pas te retirer le choix de ta fin. »

Ezer étira ses muscles et bailla.

« Moi je vais dormir, je suis claqué ! Réveille-moi s’il se passe un truc intéressant ! »

Il reprit son apparence de panthère et se blottit contre un rocher quelques mètres plus loin. Il donna quelques coups de langue à ses blessures qui avaient séchées avant de se rouler en boule et se fermer les yeux.
L'elfe le regarda. Il faisait trop sombre pour faire autre chose et il était exténué. Il remplit sa gourde et s'installa lui aussi dans un coin. Malgré le froid et la roche dure, il ne mit pas de temps à s’endormir.

________________________________________________________________________

Azken se réveilla à l'aube, frigorifié. Il se redressa et se frotta les bras pour essayer de se réchauffer. Une douleur le ramena à l'ordre. Il était tout courbaturé de cette nuit d'inconfort et ses doigts lui piquaient. Il retira les morceaux de tissus qu’il avait mis sur ses doigts entre deux frissons. Ce n’était pas beau à voir… il sortit de sa sacoche une solution alcoolisée et prit le temps de désinfecter. Cela lui arracha quelques grimaces.

Ezer ouvrit les yeux un peu après. Il constata que l’elfe s’était recroquevillé, sac contre ventre. Des frissons l'agitaient, il avait froid. La panthère se redressa silencieusement et entreprit de nettoyer son pelage humide à grands coups de langue.

Ce brin de toilettes fait, il reprit sa forme humaine et s’étirant.

« Bien dormi ?
- Bof.
- Prêt à marcher ?
- Pas le choix…
- Je t’emmène ? On ira plus vite.
- Pour que tu… »

Ezer avait repris son apparence féline et s’était couché. Il fit signe à l'elfe, étonné, de grimper sur son dos. Celui-ci hésita, mais ses doigts finirent par le convaincre que ce n’était pas une si mauvaise idée. Il s'approcha timidement. La panthère détourna le regard pour fixer devant elle. Pourvu qu’il ne mette pas la journée à grimper…

L'adolescent posa sa main sur le pelage de la panthère, il était doux et chaud. Cela le mit un peu en confiance et il entreprit de s'agripper aux poils sombres de l’animal pour se hisser sur son dos. Il s'installa à la base de son cou et ajusta sa position. Il n'avait jamais chevauché aucune monture alors il appréhendait le moment où le félin allait se mettre en mouvement.

Ezer sentait la nervosité de l’elfe. Il se redressa sans mouvement brusque et avança d'un pas lent. L’autre semblait tenir, bien que raide et les doigts crispés sur les touffes noires de son pelage, alors il accéléra le pas.

________________________________________________________________________

Ils arrivèrent rapidement du côté descendant de la chaîne de montagnes. Ils ne pouvaient encore voir Delda, la ville était plus au Sud. Cependant le grand lac qui longeait la partie est de la frontière naturelle s'étendait sous leurs yeux. Au-delà, les collines de la plaine des vents bosselaient le paysage. Ezer s’arrêta un instant pou admirer la vue. Il aimait les hauteurs pour les panoramas qu’elles offraient. Azken, fermement cramponné au pelage noir de l’animal, leva lui aussi les yeux, émerveillé. Il n’était jamais sorti d'Atka avant sa fugue. Il avait à peine conscience de combien le monde était vaste.

Ezer continua sa route jusqu’à Delda. Il s’arrêta cependant avant l’entrée de la ville, profitant de quelques arbustes et buissons pour se cacher. Il reprit sa forme humaine et se tourna vers la ville.

« Voilà, tu es à Delda. Qu’est-ce que tu comptes faire maintenant ? Comment vas-tu t'y prendre pour ne pas te faire attraper ?
- J’imagine que je vais chercher un travail et changer de nom et d'apparence…
- Je peux te poser une question ?
- Oui.
- Pourquoi est-ce que tu es parti de chez toi ? Je veux dire, tu viens d'une famille noble, tu ne crains ni le froid ni la faim… c’est un choix plutôt étrange. »

La voix d'Ezer était tout à fait sérieuse. Il cherchait sincèrement à comprendre. Azken se dit qu’il lui devait au moins des explications… après tout, il lui devait la vie.

« Hm… je suis l’aîné donc le rôle de reprendre le commerce de mes familles m'incombent, mais je n'en ai pas envie. Je veux dire, passer des journées entières à tenir des comptes… ça ne m'inspire pas. Je n’ai cessé de répéter à mes parents que ça ne m’intéressait pas, mais ils n'en ont que faire. Cela a toujours créé des tensions dans la famille. Dernièrement, ils ont été particulièrement insistants avec ça, ils voulaient que je reprenne le flambeau rapidement… alors je suis parti.
- Tu aurais pu reprendre le flambeau dans un premier temps et faire ce que tu souhaites après ?
- J’aurais pu faire ça mais je ne suis pas sûr de vouloir gâcher quelques années pour quelque chose que je pourrais avoir maintenant.
- Tu ne sais même pas ce que tu vas avoir maintenant… Delda est une ville minière tu sais ? Si tu trouves du travail, ce sera sans doute à piocher sous terre.
- Je serai herboriste.
- Bonne chance, y'a pas beaucoup de verdures dans le coin. Et puis, c’est pas un travail courant, tu seras vite grillé.
- J’ai seize ans, je peux vivre sans mes parents… on me cherche seulement parce j'aurais été kidnappé. Si je leur explique que je ne veux rentrer, ils me laisseront.
- Je l’espère, ils sont très bêtes parfois. »

Ezer sourit et rabat sa capuche sur ses oreilles. Il allait faire un petit tour en ville lui aussi.
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Message par New Mentali » 09 Juin 2020 15:00

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Non complet, c'est la deuxième version de ce passage. Le premier est "Ma chère Kaosa".



Kaosa leva les yeux vers le ciel. Une nouvelle tempête se déclarait, le vent agitait sa chevelure avec fureur, les nuages sombres et menaçants obstruaient le ciel. La bergère venait tout juste de rentrer ses bêtes. Elle couru à sa maison, à savoir une armature en métal recouverte de peau de bête cousue entre elles. La jeune femme vérifia que le vent n'avait rien abîmé avant de refermer l'unique entrée de son abri. À peine cela fait, les premières gouttes d'une grosse averse commencèrent à s'abattre.

La bergère soupira, contente d'être rentrée à temps. Les vents violents étaient courants dans la région et elle vivait là depuis sa tendre enfance, pour autant elle bénissait toujours sa petite maison de cuir. Cela faisait des années qu'elle tenait face aux rafales et aux trombes. Parfois, il fallait la refixer au sol, remplacer les peaux ou les recoudre, mais ça ne tombait pas.

Elle se dirigea vers la deuxième pièce, séparée de la première par un rideau. Là, elle s'agenouilla au chevet d'un jeune homme. Il s'appelait Ezer. Son teint pâle contrastait avec ses cheveux sombres en désordre. Couvert de bandage, il dormait depuis dizaine de jours. Kaosa peinait à le soigner, elle craignait sans cesse qu'il meurt. Perdue au milieu des collines de la Vallée des Vents, elle avait à peine assez de quoi désinfecter. Mais elle ne se décourageait pas.

Elle changea les bandages et désinfecta les plus grosses blessures. Ces dernières allaient de simples égratignures à de longues plaies en passant par des brûlures. Parfois, son patient gémissait de douleur, fiévreux, ou vomissait le peu que Kaosa réussissait à lui faire avaler. Alors, avec patience, elle épongeait son visage et lui faisait ingurgiter, goutte à goutte, du jus de baies. Démunie, elle se démenait à garder son sang-froid et à espérer son rétablissement.

Lorsqu'elle eut finit sa tâche, elle alla se préparer un repas, laissant le blessé seul. Dehors, le vent hurlait sa rage et faisait trembler les peaux. Quel sale temps ! Elle avala un grand bol de soupe froide, dans l'impossibilité de faire du feu sans enfumer l'abri.

Il commençait à faire sombre alors sans demander son reste, la bergère, bien que nyctalope, alla s'allonger. Elle dormait dans la même salle que son patient, à défaut d'avoir une deuxième chambre. Elle se sentit alors observée. Deux yeux jaunes, fendus d'une pupille sombre, luisaient là où était couché le blessé. Un sourire étira ses lèvres... alors il s'était finalement réveillé. Elle s'approcha de lui et parla d'un voix claire et distincte.

« Comment te sens-tu, Ezer ? Je suis Kaosa, je suis bergère. »

Elle ne reçut aucune réponse alors avec délicatesse, elle attrapa la main du jeune homme.

« Sers-moi une fois la main si c'est oui, deux fois si c'est non. Est-ce que tu as soif ? »

Les doigts fins du blessé se refermèrent faiblement sur ceux de Kaosa. Ils étaient froids. Kaosa les prit doucement dans ses mains et les glissa sous la couverture.

« Je vais te chercher de l'eau, je reviens. »

Elle le fit boire, prenant garde à ce qu'il ne s'étouffe pas.

« Préviens... mes amis, souffla le blessé, avant que ses yeux ne se referment. »

Kaosa n'insista pas. Il était faible et il devait sans doute beaucoup souffrir. Elle alla donc s'allonger, guettant la respiration de son hôte. Elle aimerait bien prévenir les camarades de celui-ci, mais comment ? Elle n'en savait rien. Et puis, au fond, elle aimerait que cette victoire soit la sienne et uniquement la sienne.

________________________________________________________________________

La bergère remarqua une silhouette au loin tandis qu'elle sortait ses brebis. Celle-ci s'approcha et la jeune femme pu bientôt reconnaître un de ses complices. Ensemble, ils avaient tiré Ezer de la prison où on l'avait presque tué.

« Bonjour Kaosa ! salua l'homme.
– Salut Fyru ! Comment sont les nouvelles ?
– Mauvaises. Et toi, ton blessé se porte bien ?
– Son état ne s'améliore pas beaucoup... je m'inquiète.
– Je t'ai ramené des bandages supplémentaires et de quoi le soigner. Je me suis dis que ça pourrait t'être utile.
– Merci beaucoup ! J'en manquais.
– L’Œil a déchaîné sa colère sur la caste qui avait attrapé Ezer en voyant que menacer était inutile. Ils ont tout détruit les bougres... sauf qu'ils n'ont bien évidemment rien trouvé. Ils sont toujours en train de chercher, mais ils sont beaucoup à découvert. Ils prennent beaucoup de risques pour quelqu'un qu'ils ne retrouveront pas.
– Je vois... on n'a aucun moyen de les prévenir ?
– Nos supérieurs ont compris qu'Ezer s'est évadé malgré le silence de la royauté. Cette dernière doit soupçonner les Pirates, qui d'autre aurait pu agir sans laisser de traces ? Le problème, c'est que nos supérieurs vont penser la même chose et que nous mettons en péril l'organisation. En effet, le roi s'est toujours montré à peu près clément avec nous parce qu'à part diffuser un journal illégal, nos actions sont sans répercutions. Là, on va nous accuser d'avoir libérer un meurtrier et d'aider l’Œil.
– D'accord.
– Si nous joignons les compagnons de ton blessé, premièrement nous prenons le risque qu'ils nous attaquent en anticipant un piège. Deuxièmement, impossible de leur transmettre inaperçu, nos supérieurs le sauront... je crains déjà la punition pour notre mission clandestine.
– Désolée, c'est moi qui vous ai entraîné là-dedans. On ne peut pas agir indépendamment des Pirates ?
– Kaosa, s'ils retrouvent Ezer ici, que crois-tu qu'ils penseront ? Que c'est toi qui l'a enlevé et ils te prendront pour leur ennemi. D'autant plus qu'ils doivent être sur les nerfs ces derniers jours. Et même si tu leur disais que tu as été le sauver seule de la plus grande prison du continent, ils ne te croiront pas. Ils comprendront qu'il y a anguille sous roche.
– Je vais réfléchir à une solution.
– Ne tente rien d'absurde, d'accord ?
– Je vais faire de mon mieux ! Et tu sais si... on ne peut pas trouver un médecin ?
– Impossible sans se faire chopper. On est coincés... je vais quand même me renseigner pour communiquer avec l’Œil. Je repasserai pour te tenir au courant. »

________________________________________________________________________

Les jours passèrent. L'état d'Ezer s'améliorait lentement. Il restait incapable de se lever, ou même de se redresser sans qu'une profonde douleur ne le ramène à terre. Il ne restait jamais conscient longtemps, à peine de quoi échanger.

« Comment puis-je prévenir tes amis, Ezer ?
– Les chimères... elles reconnaîtront ma magie.
– Tu es trop faible pour utiliser ta magie...
– Je... il faut les prévenir.
– J'ai compris... je vais faire mon possible, mais je ne te promets rien. »

________________________________________________________________________

Le lendemain matin, Kaosa reçut de la visite. Fyru apportait des nouvelles fraîches et de quoi soigner le rescapé.

« J'ai eu l'honneur de rencontrer Odaku, la cheffe de notre organisation. Elle a eu écho de nos agissements.
– Ah ? demanda la jeune femme, tendue par cette déclaration.
– Elle nous donne carte blanche du moment que nous n'agissons pas sous la bannière des Pirates. Ça veut dire que je vais contacter l’Œil du Corbeau, toi tu restes tranquille avec ton blessé. Je ne te promets que ce sera rapide, je dois prendre des précautions. Ça fait plus de deux semaines qu'ils le cherchent, ils ne doivent même plus savoir s'il y a un espoir.
– Ezer me parlait de prévenir les chimères. Peut-être qu'elles seraient moins dangereuses à approcher ?
– C'est vrai. Je vais y réfléchir... »

________________________________________________________________________

Les jours passèrent. Kaosa priait pour que Fyru s'en sorte. Ezer, lui, semblait enfin en passe de se tirer d'affaires. S'il restait incapable de se déplacer, son teint était moins pâle, ses fièvres moins violentes et ses plaies semblaient enclines à se résorber. Mais c'était surtout grâce à Fyru qui avait rapportés tout ce qu'il avait trouvé pour soigner le rescapé.
Un soir, Kaosa s'assit près du blessé, éveillé, tricotant un vêtement. Elle n'avait pas encore eu de véritable discussion avec son patient. Ce dernier, trop faible, se rendormait vite et parlait peu. Mais, aujourd'hui, il semblait décidé à entamer la conversation.

« Kaosa, c'est ça ? demanda Ezer.
– Oui ?
– Comment est-ce que je suis arrivé ici ?
– Je t'ai sorti de la prison où tu étais enfermé avec quelques amis. Comme tu étais dans un sale état, je t'ai ramené ici.
– Pourquoi as-tu pris ces risques pour moi ? On ne se connaît pas, je suis un meurtrier...
– Si je te le disais, tu ne me croirais pas.
– Je vais quand même essayer.
– Tu es mon frère. Nous avons les mêmes parents. Ça fait des années que je souhaitais entrer en contact avec toi et j'ai sagement attendu mon heure. J'aurais préféré un scénario différent, mais peu importe maintenant.
– Effectivement, je ne peux pas te croire là comme ça... enfin, tu remercieras tes amis, qui qu'ils soient.
– L'un d'eux m'a dit qu'il préviendrait l’Œil de ta présence ici, tu n'as donc pas de soucis à te faire là-dessus. Je ne sais pas où il en est, mais j'ai confiance en lui. Il m'a beaucoup aidé à te soigner.
– Depuis combien de temps suis-je ici ?
– Bientôt trois semaines entières.
– Je vois... »

Ezer afficha une mine soucieuse. Il s'inquiétait de ce qu'avait fait ses compagnons pour le retrouver. Ils étaient capables de prendre tous les risques et surtout les plus inconsidérés.

Kaosa lui sourit et posa sa main sur la sienne.

« Tu devrais te soucier uniquement de ta guérison. »

Ezer fut incapable de lui sourire en retour.

________________________________________________________________________

Le lendemain soir, Kaosa se rassit auprès de lui, continuant son tricot.

« Ezer ?
– Oui ?
– Comment t'es-tu fais capturer ?
– Je n'ai pas été assez prudent, c'est tout.
– Je vois. Ils ne t'ont pas raté en tout cas. Mais ils ne t'ont pas fait ça sur place, n'est-ce-pas ?
– Tu es bien renseignée.
– Ce ne sont que des déductions. Ils ont voulu te soutirer des informations. »

Ezer se tût, le visage crispé. Elle leva la tête de son tricot, s'intriguant de son silence. Elle se rendit compte qu'elle n'avait pas réfléchi avant de lancer le sujet. Ces moments où son patient avait été sans aucun doute torturé de la pire façon devaient être très durs à évoquer pour lui. Elle posa ses aiguilles sur le sol et se plaça sur ses genoux. Avec toute la douceur dont elle pouvait faire preuve, elle prit son frère dans ses bras.

« C'est du passé, maintenant. Ça ira. »

Il passa ses bras dans le dos de la bergère, la serra contre elle et enfouit son visage dans le creux de son épaule. Pris de frisson et de tremblement, il dissimula sa douleur dans la dense chevelure sombre de sa sauveuse.

________________________________________________________________________

Deux jours plus tard, Ezer se levait, s'accrochant à Kaosa et à tous les objets qui passaient à sa portée. La jeune femme était ravie de le voir aller mieux, le plus dur était passé. Mais cela voulait aussi dire que le moment où son frère disparaîtrait de sa vie approchait. Elle aurait voulu le connaître un peu plus... l'avoir aussi un peu pour elle. Elle n'avait plus de souvenir de sa famille biologique, simplement les histoires de celui qui s'était occupé d'elle petite.

« J'ai grandi ici, raconta la bergère. Ma mère m'a laissé ici à un voyageur qui s'installait pour passer des jours plus paisibles. Il était très gentil, son nom était Üle. Il me racontait beaucoup d'histoire. Il y avait une jument avec lui, elle s'appelait Jouna, ils étaient compagnons de route avant d'arriver ici. À leur mort, j'ai récupéré le terrain et je m'en occupe seule depuis. Je n'ai aucun souvenir de mes parents.
– Alors qu'est-ce qui te fait affirmer que je suis ton frère ?
– Avant de me laisser ici, elle aurait confié à Üle qu'elle nommerait le bébé qu'elle portait Ezer. Et puis, même un aveugle se rendrait compte que physiquement, on se ressemble.
– Et que t'a-t-il confié d'autre ?
– Notre père était un marchand ambulant, un gars malicieux et sournois selon Üle. Notre mère était une pauvre femme des bas quartiers, il l'aurait pris avec lui après être tombé amoureux. Sauf que deux ans après ma naissance, il l'aurait abandonné avec moi et toi dans son ventre. Incapable de s'occuper de deux bébés sans un sou, elle aurait fait le choix de nous laisser.
– Ah, c'est original de laisser un bébé humain chez des chimères...
– Peut-être qu'elle les connaissait. Elle connaissait Üle.
– Qui sait ?
– Tu n'as jamais demandé à ta mère adoptive ?
– Non, je ne me suis jamais posé la question. Les chimères ont toujours été ma famille et ce n'est pas près de changer ! Sans vouloir te contrarier.
– Non, je comprends. Je ne te demande pas de me croire non plus. Je suis juste contente d'avoir pu te connaître, ne serait-ce qu'un peu. »

Un grand sourire fendit les lèvres de Kaosa. Ezer fut étonné qu'elle le prenne si bien... elle avait pris des risques pour le sauver et le soigner pour lui annoncer la vérité, et au final, elle n'attendait rien. Elle semblait sincère en plus. À sa place, il aurait probablement été très frustré. D'autant que la solitude devait lui peser si elle vivait seule ici.

________________________________________________________________________

Le lendemain, tandis que Kaosa était au chevet d'Ezer, elle entendit les chiens aboyer furieusement. Intriguée, elle se leva et se munit du bâton magique qu'elle avait hérité d'Üle. Elle sortit avec prudence à l'extérieur. En contrebas, elle remarqua alors Fyru ainsi que trois personnes qui s'approchaient. Elle salua son ami d'un grand geste de main. Elle devinait que ceux qui le suivaient étaient des membres du Corbeau. Son complice lui répondit du même geste.

Ravie d'avoir de la visite, Kaosa descendit à leur rencontre, les accueillant de son grand sourire.

« Salut Fyru ? Quoi de neuf ?
– Question stupide, tu ne crois pas ?
– Bonjour, fit-elle en se tournant vers les trois autres. Je m'appelle Kaosa, je suis bergère.
– C'est elle qui s'est occupé de votre complice, ajouta le Pirate.
– Enchanté Kaosa, je suis Zorigaitza le chef de l'Oeil du Corbeau. Voici Azken et Erortzen. »

Il tendit sa main vers la jeune femme. Elle la serra sans la moindre hésitation, ce qui contraria un peu Fyru, bien plus méfiant. Puis elle salua Azken de la même manière. Finalement, elle s'arrêta devant le grand caprin et le fixa quelques secondes.

« On s'est déjà croisé, non ?
– C'est vieux, tu as bonne mémoire.
– Ton prénom me disait quelque chose, mais je me souviens maintenant. Je suis contente !
– Kaosa, on rentre ? s'impatienta Fyru.
– Ne sois pas si rabat-joie ! s'indigna la jeune femme en remontant la pente. »

De sa bonne humeur rayonnante, elle les invita à rentrer dans sa modeste demeure. Puis, elle se dirigea vers la chambre d'Ezer, ravie de pouvoir lui annoncer la bonne nouvelle. Lorsqu'elle ouvrit le rideau, elle resta figer un seconde : un animal aux ailes colorées et à la queue de serpent avait enlacé son blessé. Elle se rassura en constatant que c'était une chimère, sans aucun doute la famille d'Ezer et sourit.

« Ezer, il y en a d'autres visiteurs pour toi.
– Merci Kaosa ! »

Le visage de la bergère s'illumina et elle fit signe à ses invités qu'ils pouvaient aller voir. Les trois ne se firent pas prier.

« Ezer ! appela Azken, les yeux humides de soulagement.
– Salut ! répondit l'autre, pas moins joyeux de les retrouver. »

Azken s'assit près d'Ezer et commença à vider sa sacoche.

« Tu as mal quelque part ? Tu es blessé ? S'enquit-il.
- Tout va bien, range ça ! On s'est bien occupé de moi ! Sourit l'autre, gêné. »
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Message par New Mentali » 09 Juin 2020 16:00

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Ce passage est la suite de "Ma chère Kaosa".
Note : Le Continent se nomme Lurria dans ce passage.



Kaosa s’arrêta devant la vieille fée. Celle-ci dissimulait son visage sous un large masque aux motifs arrondis. La bergère s'inclina, retenant sa nervosité. Elle était ravie d’être là, de se tenir devant la mythique cheffe des Pirates, mais elle ne savait pas non à quoi s'attendre.

« Bienvenue Kaosa. Assieds-toi je te prie !
- Merci. »

La panthère-garou s'assit sur le tapis que lui désignait la femme ailée, juste en face d’elle. Elles n’étaient séparées que par une petite table sur laquelle était posé du thé. Odaku en proposa à sa subordonnée, ce qu’elle accepta poliment.

« Tu sais pourquoi tu es ici, n’est-ce-pas ?
- Plus ou moins.
- Tu t’es servi de ton réseau de connaissance au sein des Pirates pour délivrer ton frère Ezer, membre de l’Œil du Corbeau, sans ordre de mission et sans prévenir qui que ce soit. Ceux qui t’ont accompagné portent la même faute. Ce que vous avez fait est grave.
- Je vous présente mes excuses, mais il fallait que j’y aille… je suis prête à en assumer toutes les conséquences.
- Ce ne sera pas nécessaire. Tu es entrée en relation avec l’Œil, n’est-ce-pas ?
- Oui.
- Ton frère est rentré chez lui ?
- Oui. Depuis hier.
- Je vois. Tu les reverras ?
- Je l’espère. Ezer m’a promis qu’il reviendrait.
- Qui d’autre as-tu vu ?
- Erortzen, Azken leur médecin, Hegal la sœur adoptive d’Ezer et Zorigaitza. Ils m’ont proposée de les rejoindre.
- Est-ce que tu aimerais ?
- Hm… je ne sais pas trop. J’aimerai me rapprocher de mon frère, voir plus de monde, découvrir de nouvelles choses… mais ce n’est pas facile d’abandonner ma ferme. Et j’ai peur de les handicaper… je veux dire, Ezer et moi sommes frère et sœur. Et puis, je suis une Pirate, j’aime mes camarades. Je ne veux pas les abandonner.
- Je peux te proposer un compromis entre tout ça.
- Vraiment ?
- J’aimerai entrer en contact avec l’Œil du Corbeau. J’ai quelque chose à offrir à Zorigaitza, mais il faut qu’il vienne ici. C’est quelque chose de trop précieux pour que cela sorte des murs de ce lieu. Et puis, il est temps que les Pirates s’alignent et se battent pour pouvoir arrêter de se terrer. Aujourd’hui, l’Œil est le plus à même de renverser le pouvoir. Il est soutenu par les mouvements de rébellion chez les elfes et devient de plus en plus populaire. Tu sais Kaosa, cela fait un siècle que j’attends que quelqu’un change la donne. Mes vieux os me disent que si j’agis aujourd’hui, je pourrais mourir paisible.
- Vous avez encore quelques années devant vous, sourit Kaosa.
- Jeune fille, j’aimerai que tu t’occupes de la liaison entre l’Œil et les Pirates. Je t’indiquerai où se trouve leur base.
- Dois-je garder cela secret vis-à-vis de l’Œil ?
- Non. Dis-leur qui tu es, ce que tu as fait. Gagne leur confiance, nous en aurons tous besoin. Abandonne ta ferme et consacre-toi pleinement à cette tâche.
- Mais les brebis… !
- La vie de bergère esseulée ne te va pas, crois-moi. Üle te l’a probablement déjà raconté, mais lui aussi a quitté son foyer pour l’aventure. Ce que l’on trouve sur les routes, au contact des gens, est inestimable Kaosa.
- Bien… je vais sauter à pied joint alors. Je… merci de me laisser cette chance.
- Tu as créé toi-même cette chance en suivant avec bravoure ton cœur. Ce que vous avez fait avec tes coéquipiers, je ne demanderai pas à n’importe quel Pirate de le faire.
- Merci.
- Je te remets mon premier message ainsi qu’un cristal. Si j’ai besoin de toi, tu le verras changer de couleur. Si tu as besoin d’aide, brise ton cristal, je te ferai parvenir quelques personnes. »

La vieille elfe tendit une missive ainsi qu’un petit cristal transparent à sa subordonnée. Celle-ci les prit.

« Maintenant, va et vole de tes propres ailes !
- Prenez soin de vous ! salua la bergère. »

Et un sourire rayonnant sur les lèvres, ses membres se muèrent en ailes sombres. L’oiseau attrapa la lettre dans son bec et disparut dans les cieux, ivre de joie et de liberté. Le monde entier était devant lui, rien que pour lui.

________________________________________________________________________

L’après-midi se finissait paisiblement dans les montagnes qui longeaient les côtes sud. Ezer feuilletait le journal, pensif. Pigné était couché sur ses pieds et somnolait. Le garou bailla et s’étira, il avait tourné en rond une bonne partie de la journée. Azken avait tenu à ce qu’il se tienne tranquille pour son premier jour de retour à l’Œil. Il avait eu le temps de relire trois fois le journal en entier. C’était ennuyeux à force, mais au moins, il avait l’esprit occupé. Dès qu’il avait un temps de relâchement, ses effroyables souvenirs de prison remontaient, lui donnant des haut-le-cœur et des frissons.

Il se leva. Pigné protesta d’un gémissement aigu et se leva à son tour, l’esprit endormi. Ezer lui adressa une tape amicale sur le crâne.

« Y’a pas à dire, tu grandis vite. L’année prochaine, tu ne pourras plus passer les portes si ça continue !
- Pas vrai ! piailla le dragonnet par télépathie.
- On verra ça ! le provoqua le garou. »

Le dragonnet fit quelques sauts de biche, évacuant son énergie, avant de se placer face à Ezer, ses petits crocs découverts. L’adulte prit l’apparence d’une immense panthère et dévoila une dentition bien plus impressionnante. Pigné ne se laissa pas abattre et sauta sur le félin. Celui-ci le fit bascula sur le dos d’un coup de patte, sans lui faire mal. Les deux jouèrent un peu, jusqu’à ce que Zorigaitza débarque dans la pièce, un dossier en main.

Les deux se tournèrent lui, Ezer reprit sa forme humaine.

« Qu’est-ce que c’est ?
- Les nouvelles lois que le Conseil des Elfes a voté à sa dernière assemblée. Tu veux les lire ?
- Je veux bien. »

Zorigaitza lui confia les documents, les deux s’assirent autour d’une table. Pigné sauta sur un chaise, lorgnant les documents.

« Quoi c'est ? demanda-t-il à Zorigaitza.
- Ce sont des règles pour les elfes qui vivent sur le territoire des elfes. C’est un peu le même principe que les règles ici.
- Pas les mêmes règles pour tout le monde ?
- Non, loin de là. Les lois dépendent du peuple et du territoire en question. Par exemple, chez les elfes, tu dois avoir un permis, une autorisation, pour vendre à manger. Ce n’est pas le cas chez les harpies ou les pandis. Tu comprends ?
- Oui. Quelles être les règles pour dragons ?
- Je ne sais pas. Ils ne sont pas très transparents là-dessus. »

Soudain, Ezer leva la tête vers la porte, les oreilles tendues. Quelqu’un arrivait. Le dragon et l’autre garou l’imitèrent. Un oiseau au plumage noir passa par la porte qui était ouverte au vue du beau temps. Une lettre dans le bec, il se posa sur la table. Il déposa son colis devant Zorigaitza, le regard joyeux.

« Kaosa ? appela Ezer. »

L’oiseau se laissa glisser au sol et la bergère apparut devant eux, toute sourire.

« Salut ! »

Pigné grogna devant l’inconnue. Ezer et Zorigaitza se regardèrent puis la panthère-garou se leva.

« Ne le prend pas mal… mais comment es-tu arrivée ici ? Tu nous as suivi l’autre jour ?
- Je ne me serais pas permise ! On m’a dit où vous trouver, voilà tout ! Enfin, tout écrit dans la lettre. »

Zorigaitza prit la missive, non sans méfiance. Si une « simple »bergère comme Kaosa pouvait arriver ici, alors tout le monde le pouvait et ils étaient en danger.

« Tu viens de la part des Pirates ? demanda Ezer.
- Bien vu !
- Est-ce que mon sauvetage était une mission programmée par les Pirates ?
- Non.
- Zorigaitza, lis la lettre à haute voix, s’il te plaît. »

Ezer était sérieux. Lui aussi connaissait les enjeux de la visite de Kaosa ici. Les Pirates savaient où les trouver… et l’information pouvait fuiter.

« Zorigaitza,

Veuillez excuser l’intrusion de ma subordonnée, Kaosa. Elle a pour seule mission d’effectuer la liaison entre nos correspondances, si correspondance il y a.

J’aimerai vous accueillir pour discuter stratégie. En effet, je pense que nos organisations pourraient s’entendre dans leurs objectifs. Kaosa connaît le chemin. Je vous demanderai en revanche de venir seul.

Veuillez agréer mes sincères salutations,
Odaku, cheffe des Pirates.
»

Ezer leva les yeux vers Kaosa et esquissa un sourire amusé.

« Je me doutais que tu faisais partie des Pirates, mais pas que tu y occupais une position si importante. Tu caches bien ton jeu.
- À vrai dire, c’est plus compliqué que ça ! Je vous raconte ?
- S’il te plaît, répondit Zorigaitza en lui indiquant de prendre une chaise. »

Kaosa s’installa, elle semblait ravie d’être là. Ezer ne comprenait pas ce qui la rendait si joyeuse. Si l’Œil en venait à conclure une alliance avec les Pirates, leur puissance de frappe serait décuplée… c’est un atout non négligeable. Avec ça, il pouvait bouleverser la vie du continent. C’était très sérieux. Ils ne devaient pas rater ça.

« Comme vous le savez, je suis bergère. J’ai rejoint les Pirates il y a bientôt trois ans. J’ai été affiliée à une équipe d’espion à laquelle j’appartiens toujours aujourd’hui, enfin j’imagine… je ne sais pas si ma nouvelle fonction durera ou si elle me permettra de repartir en mission de suite avec eux. Cela me permet de connaître quelques informations en exclusivité. Comme ton transfert à la prison, Ezer. J’ai alors appelé mes camarades et leur ai fait part de ma volonté d’aller te chercher. Je leur ai bien sûr laisser le choix de venir : nous y allions sans ordre. Si nous nous faisions attraper, les Pirates trinquaient. Tout le monde a accepté de me suivre. Notre mission clandestine s’est soldée par un succès. Par la suite, un camarade venait régulièrement m’informer des nouvelles ainsi que me réapprovisionner en bandage. Les nouvelles étaient souvent mauvaises. Les Pirates avaient des soupçons. Le chef de notre unité a finalement été appelé et a énoncé les faits. Vous savez, chez les Pirates, il a une règle d’or qu’il ne faut jamais bafouer, celle de toujours dire la vérité. Il a tenu à assumer la responsabilité seul, mais la sentence n’a jamais été prononcée. Contre toute attente, nous avons eu carte blanche du moment que nous n’engagions pas l’organisation. Par la suite, Odaku m’a convoquée, peu après le départ d’Ezer. Je m’y suis rendue hier. C’était la première fois. Elle m’a confiée la mission décrite dans la lettre car elle savait que je vous avais déjà rencontrés. C’est également elle qui m’a indiquée l’emplacement de votre repère.
- Ça explique beaucoup de choses.
- J’ai une question, reprit Kaosa.
- J’en ai plein pour ma part, engage.
- Est-ce que votre proposition tient toujours ?
- Notre entente n’est pas encore fixée. Que feras-tu si elle ne se fait pas ?
- J’ai beaucoup réfléchi ces derniers jours, vous savez. Je vendrai ma ferme quoiqu’il arrive. Si cette alliance ne se fait pas, alors je souhaite n’avoir à trahir personne, peu importe où je me retrouve. J’ai de l’affection pour les deux côtés, alors je me tiendrai à la frontière autant que possible.
- Tu sais déjà beaucoup de choses à notre propos, suffisamment pour nous mettre en danger. Vue ta qualité de messagère des Pirates, il serait dangereux pour nous de te faire taire, sans compter que nous te sommes redevables. J’aimerai te faire pleinement confiance, mais les enjeux sont importants. Tu comprends ?
- Oui.
- Je vais donc te proposer de rester avec nous ce soir pour le dîner ainsi que pour cette nuit. Demain, je te remettrai ma réponse pour Odaku et tu pourras reprendre ton envol. Je ne retire pas ma proposition, mais je ne la maintiens pas non plus.
- Merci beaucoup ! »

Azken, Txiki, Sua et Erortzen passèrent la porte d’entrée, revenant de la pêche. Ils se stoppèrent nets en voyant l’invitée.

« Kaosa ? demanda Erortzen. Que fais-tu ici ?
- Tu la connais ? fit Sua.
- C’est elle qui a sauvé Ezer, l’informa Azken.
- Bonjour ! répondit l’intéressée. Je ne suis que de passage. Ravie de vous rencontrer pour ceux que je ne connais pas !
- Kaosa vient au nom des Pirates, compléta Ezer.
- Attends, tu t’es fait sauvé par les Pirates ? demanda Sua, un peu perdu.
- Pas exactement. Je me suis fait sauvé par des Pirates mais pas au nom des Pirates.
- C’est possible ça ?
- Oui ! affirma Kaosa. Ce n’est pas sans risque puisque c’est contre nos règles, mais ça se fait. Enfin, n’en parlons plus. Je suis là parce que j’ai une mission avant tout.
- Laquelle ?
- Transmette des messages.
- Je suis convié à un tête à tête, fit Zorigaitza en désignant la lettre.
- Un tête à tête ? Quand ? Où ? Pourquoi ?
- Chez les Pirates, pour éventuellement conclure une alliance. »

________________________________________________________________________

Ezer s’allongea dans son lit, fixant le plafond. Comment devait-il prendre toutes ces nouvelles ? Les Pirates souhaitaient conclure une alliance. Cela pouvait être une très bonne chose pour eux, les Pirates sont une vieille organisation, très présente et influente. Ils agissent peu, ils s’informent beaucoup. Cela fait des décennies qu’ils publient un journal et jamais leurs articles n’ont menti. Toutes leurs informations s’avèrent vraies à un moment ou un autre. Ils ont pour but de mettre en avant la vérité et de dénoncer les mensonges de la royauté. Ils poussent les gens à se renseigner et à réfléchir. Le seul bémol est que ce journal est illégal puisque non validé par la censure.

Avoir les Pirates de son côté, c’est comme avoir toutes les informations, les bonnes, avec soi.

Mais il y avait autre chose qui le travaillait. Kaosa souhaitait rejoindre l’Œil. Il imaginait aisément pourquoi : elle voulait se rapprocher de lui, son frère retrouvé. Il n’avait rien contre ça. Cependant, il craignait que cette nouvelle soit mal accueillie. Kaosa devait rejoindre l’Œil pour qui elle est, non pas parce qu’elle est sa sœur. Et puis, il savait que dans toute sa sagesse, Hegal pouvait être jalouse face à cette nouvelle concurrente. Il ne voulait pas de tension. Il était déjà suffisamment épuisé comme ça.

Il peinait à se lever le matin, manque de motivation. Il doutait que tout cela soit utile. Il se demandait si une vie calme n’était pas plus agréable. Il avait vu toute la cruauté de l’humanité, comment changer un monstre ? C’était impossible ! C’était une folie de s’y opposer !

Sua entra dans la pièce.

« Ça va ?
- Oui. »

Le caprin s’allongea dans son propre lit. Les deux se retrouvèrent seuls dans le noir.

« Kaosa a l’air sympa, commença Sua.
- Oui, elle est gentille.
- Elle est bergère c’est ça ? Je me demande ce qui l’a poussée à rejoindre les Pirates.
- Elle l’était. Elle va vendre sa ferme.
- Vraiment ? Pourquoi ?
- Pour avoir du temps pour sa mission. Je pense qu’elle ne gardera que sa maison, à moins qu’elle ne trouve un endroit où dormir plus pratique.
- Je vois, elle a décidé de s’engager.
- Il faut croire.
- Et toi, qu’est-ce que tu en penses ?
- Rien. J’attends de voir la réunion que va avoir Zorigaitza. Les enjeux sont importants.
- Ça c’est sûr ! Mais si j’ai bien compris, Zorigaitza doit y aller seul. N’est-ce pas se jeter dans la gueule du loup ?
- J’irai avec lui.
- Vraiment ?
- Oui, je les suivrai en cachette. Zorigaitza le sait. Je ne pense pas que Kaosa ait menti concernant les intentions des Pirates. En revanche, ses supérieurs auraient pu lui mentir, auquel cas il y a effectivement un piège de tendu.
- Pourquoi les Pirates auraient une dent contre nous ? Nos organisations se sont toujours évitées… on achète tous leurs journaux en plus !
- Je ne le sais pas. En fait, il y a très peu de chances que ce soit un piège. Je veux dire, ils savent où nous nous cachons, ils n’auraient qu’à nous cueillir. Ils sont bien plus nombreux que nous, et ils ont probablement de puissants membres. S’il nous voulait du mal, il n’aurait pas pris la peine d’envoyer un messager.
- Tu n’as pas tord mais on est jamais trop prudent.
- Jamais.
- Sinon, tu vas bien ? Je te sens patraque.
- Ne t’inquiète pas pour moi, ça ira ! Je suis solide ! Encore un peu de repos et je serai totalement opérationnel.
- Si tu le dis, je te crois. Je suis content que tu sois rentré, c’était triste sans toi.
- Je suis content d’être rentré aussi. J'ai pensé que je ne reviendrais jamais…
- Mais tu es un solide !
- Oui, sourit tristement Ezer. »

Si son ton se voulait clair, de grosses larmes roulaient sur ses joues. Toute cette douleur débordait de son cœur, incapable de l’évacuer autrement. Silencieusement, il cacha son visage sous sa couverture. Les coups, les rires inhumains, les sourires cruels le hantaient et dansaient dans son esprit. Une injure de plus, une blessure de plus, il avait arrêté de compter. Il se sentait misérable, comme un vieux déchets qu’on abandonne, seul face à ses monstres. Il voulait disparaître, arrêter de vivre ce moment encore et encore. Incapable de se raccrocher à quelque chose de positif ou de se donner la mort, il souffrait.

« Tu sais, si tu veux parler, je suis prêt à t’écouter. Je ne me moquerai pas, fit Sua très sérieusement.
- Je le sais, je t’assure que ça ira.
- Je te fais confiance. »

________________________________________________________________________

Kaosa fixait le ciel sombre, sans lune, assise sur un rocher. Elle sortit de sa poche une flûte de paon et entama un doux morceau. Elle était nostalgique. Vendre sa ferme était une rupture. Elle laissait l’héritage d’Üle derrière elle… elle ne comptait garder que la maison de peau, pour avoir un chez soi au cas où les affaires tourneraient mal. Jamais elle n’avait tourner la page sur son enfance à courir dans les plaines avec les chiens et à garder les brebis, et maintenant que les événements y étaient propices, elle doutait encore. Bien sûr, l’idée de voyager, de croiser plein de gens lui plaisaient. Ce sera mille fois plus passionnant que de s’occuper seule perdue au milieu de nulle part des ovins. Pourtant, le futur ne semblait pas si certain, elle appréhendait.

Elle laissa s’envoler encore quelques notes avant de remarquer qu’une silhouette s’approchait. Elle reconnut les cornes d’Erortzen et sourit, pas mécontente d’avoir un peu de compagnie.

« C’est joli, engagea Erortzen.
- Merci ! C’est Üle qui m’a apprise à jouer.
- Je suis content que tu sois là.
- Moi aussi… j’aimerai vraiment que les Pirates et l’Œil du Corbeau feront une alliance ! Comme ça, je pourrais rester un peu avec vous et un peu avec mes camarades là-bas.
- Ce serait bien, mais cela te mettra en danger. Si cela venait à se savoir, tu seras poursuivie et tu risques de dévoiler l’emplacement de nos bases respectives. Prends garde sur la route !
- Je le sais. Je te promets d’y faire très attention ! D’ailleurs, comment est perçue ma venue ? Je n’ai pas fait trop mauvaise impression ?...
- On se méfie, c’est normal. Ta présence ici signifie que nous ne sommes plus en sécurité et qu’il faudra sérieusement penser à une base de repli.
- Oui. Et depuis que Azmin a pris le pouvoir, il nous traque beaucoup. Il a mis toutes les castes à notre poursuite, nous, organisations clandestines. C’est un problème récurent en ce moment !
- C’est vrai… le fait qu’Ezer se soit fait attrapé en est un exemple. Je suis certain qu’ils lui ont tendu un piège.
- Je ne sais pas. Il ne m’a pas parlé des détails.
- Moi non plus. À personne, si tu veux mon avis… je le sens très fatigué. J’aimerai lui remonter un peu le moral, je pensais qu’il sortirait prendre l’air ce soir, mais il a été se coucher vite. Je l’attraperai un autre soir.
- Oui, je suis sûre qu’il s’en remettra vite.
- Je l’espère ! »

________________________________________________________________________

Kaosa se posa au milieu des plaines et reprit son apparence humaine, imité par Zorigaitza. Elle vérifia qu’il n’y avait personne aux alentours et avança sa main devant elle. Une grande cabane à la forme semblable à celle d’une citrouille apparut. Des plantes folles grimpaient au mur de bois, lui donnait un air négligée. Kaosa avançait avec assurance, elle se sentait bien ici. C’était la maison d’Odaku, ce qui en faisait le quartier général des Pirates.

Kaosa toqua à la porte d’entrée. Une voix lui répondit, la bergère reconnaissait sa vieille fée. Elle ouvrit, invitant Zorigaitza à la suivre. Celui-ci observait autour de lui, sur ses gardes. Il savait qu'Ezer n’était pas loin pour le couvrir en cas d’urgence, mais il préférait assurer.

« Bon retour Kaosa. Bienvenue dans mon humble demeure, Zorigaitza. »

La pièce était spacieuse, emplie de plantes grimpantes fleuries. L’air était emprunt du parfum des végétaux, l’atmosphère clair. La lumière entrait par deux larges fenêtres de chaque côté. Au sol, le plancher était couvert par de grands tapis colorés. Odaku se tenait en face de ses visiteurs, assise sur un coussin, à même le sol. Devant elle, une table basse se tenait, entourée d’autres coussins.

« Bonjour ! salua Kaosa gaiement.
- Bonjour. Merci de m’accueillir, lui répondit le chef de l’Œil. »

La vielle fée sourit sous son masque. Elle fit signe à son invité de s’installer en face d’elle.

« Peux-tu préparer un thé, Kaosa ? La cuisine se trouve derrière cette porte. »

Odaku désigna une porte discrète dans un coin de la pièce, puis elle se tourna vers Zorigaitza.

« Je suis honorée que vous aillez fait la route jusqu’ici. J’espère que Kaosa ne vous a pas poser de problème.
- Aucun, elle nous est très agréable.
- Vous m’en voyez rassurée. Passons donc au vif du sujet, si vous le voulez. En ma qualité de cheffe des Pirates, je souhaite que mon organisation s’épanouisse. Aujourd’hui, mon objectif est de légaliser nos actions et notamment notre journal. Cela permettrait à mes chers compagnons de travailler dans de meilleures conditions, sans risquer leur vie. Comme vous le savez, Sa Majesté a changé de nom et elle est beaucoup moins flexible qu’auparavant. Plusieurs de nos équipes ont eu des problèmes avec les castes… il est certain que dans le contexte actuel, aucune négociation n’est possible avec la royauté. Il devient donc vital pour nous de trouver des alliés de taille avec qui lutter dans notre quête vers la lumière.
- Avant toute négociation, j’aimerai vous poser une question qui me préoccupe beaucoup.
- Bien sûr.
- Comment avez-vous appris l’emplacement de notre base ? Qui d’autres le sait ?
- Je le sais depuis la construction de ce bâtiment. Une de mes équipes m’en avaient informé à l’époque. Les membres de cette équipe ne sont plus actifs aujourd’hui, seul un est toujours en vie et je ne sais pas ce qu’il est devenu. Je pourrais me renseigner. Cette information est également consignée dans un de mes carnets de bord, qui doit être enfoui sous une pile d’autres à présent. Et, à part à Kaosa, je n’ai transmis cela à personne d’autre.
- Je veux bien que vous vous renseigniez. Cette base est notre seule maison, je refuse de la perdre après toutes les années de travail qu’elle constitue.
- C’est compréhensible. J’aimerai en revanche que les décisions qui se prennent aujourd’hui soient franches. Vous vous doutez probablement que ce n’est pas la seule information que je possède à votre propos. Je n’ai aucune intention de les diffuser, qu’un accord commun soit conclu ou non. L’Œil du Corbeau n’est pas une menace pour les Pirates, et s’il le devenait, je commencerai par négocier. J’ai vécu suffisamment longtemps pour connaître de nombreuses guerres… et je peux vous assurer qu’il n’y a pas grand-chose de bon là-dedans.
- Je vous crois. »

Kaosa servit le thé.

« Merci Kaosa. Peux-tu nous laisser seuls ?
- Entendu ! sourit la jeune femme. »

Elle s’éclipsa à l’extérieur.

« L’Œil du Corbeau a pour mission d’établir un monde plus juste, de garantir à chacun les mêmes chances de survie, indépendamment de son espèce ou de son milieu social. Pour cela, je projette de mettre en place un texte de lois qui offrirait des avantages aux plus faibles de manière à réduire les inégalités. De plus, nous menerons des opérations sur le terrain pour aider les gens dans le besoin.
- Ce projet de loi… comment comptez-vous le faire adopter ?
- C’est là tout le problème. Je ne peux pas demander à Hene de l’introduire au Conseil, elle est vue comme notre alliée et nous avons une bien mauvaise réputation là-bas. Et depuis qu’Azmin est au pouvoir, cela serait mettre toutes les chimères en danger. Par ailleurs, nos contacts avec les dragons ne sont pas assez étroits pour entamer une quelconque négociation sur ce sujet. Quant aux autres espèces… nos contacts sont mauvais ou inexistants. Par ailleurs, ni moi, ni mes hommes ne pouvons nous déplacer là-bas. On ne nous écouterait pas quoiqu’il arrive. Il n’y a actuellement aucune brèche à exploiter. C’est pour cela que nous continuons les missions sur le terrain : essayer de gagner la confiance des gens et de diffuser ses idées ouvrira à un moment une faille. Les gens finiront par se rendre compte qu’ils valent mieux que ce qu’on leur offre et réfléchiront à ce qui est mieux.
- Faire un coup d’état n’est-il pas une solution ?
- Ce n’est pas si simple à exécuter. Il faut des alliés nombreux et puissants.
- Les dragons sont les créatures les plus puissantes du royaume. Les chimères en savent un rayon sur la magie. Nous, les Pirates, nous avons des informations fiables et un réseau large. C’est un très bon début, vous ne croyez pas ?
- Je ne peux pas le nier.
- Je peux comprendre que votre position n’est pas la plus confortable vis-à-vis de votre famille.
- Je ne devrais pas dire ça mais… peu importe ce qu’il adviendra de ma famille. Nos enfants méritent de vivre heureux, dans un monde paisible.
- J’admire votre détermination. À l’issue de nos négociations, j’aimerai vous montrer certains documents qu’il m’a été permis de récupérer. »

Un plan s’échafauda lentement, à force d’échange et de paroles. Comment exécuter ce coup d’état ? Où trouver de nouveaux alliés ? Quel rôle donner à chacun ? Des heures de discussion s’enchainèrent. Si bien que Koasa finit par s’inquiéter et toqua à la porte d’entrée.

« Entre Kaosa ! autorisa Odaku. »

La jeune femme poussa timidement la porte.

« Je venais vérifier que tout allait bien… la nuit va tomber.
- C’est aimable à toi, tout va bien. Je pense que nous allons arrêter ici, il est tard. Vous dormez ici ? demanda-t-elle à Zorigaitza.
- Mes compagnons vont s’inquiéter s’ils ne me voient pas rentrer…
- Kaosa peut leur déposer un message.
- Cela ne te dérange pas ? demanda-t-il à la demoiselle.
- Aucun problème !
- Je peux emprunter un papier et un crayon ? »

Zorigaitza rédigea une lettre brève mais concise. Kaosa partit avec.

« Vous vivez seule ? demanda Zorigaitza.
- Tutoyons-nous, si cela ne te gêne pas ?
- Non.
- Je vis seule, parfois j’héberge ceux qui passent. On ne dirait pas, mais je reçois beaucoup. Les personnes qui connaissent l’existence de ce lieu sont nombreuses. Grâce à ma magie, je peux dissimuler ce bâtiment aux yeux du commun des mortels, cela est très pratique pour limiter les mauvaises visites.
- Je vois. »

Odaku prépara une soupe essentiellement à base de plantes. Si cela restait simple, les quelques épices qu’elle y mit embaumèrent la maison. Zorigaitza mit la table.

Tapi dans l’ombre, deux yeux jaunes les fixaient et s’amusaient de ce spectacle. On dirait un vieux couple : ils ne se parlaient pas et pourtant ils s’organisaient comme s’ils avaient toujours vécu ensemble.

À la fin du repas, Odaku prit une troisième assiette et la remplit. Elle la déposa sur la table une fois celle-ci lavée.

« Que fais-tu ? demanda Zorigaitza.
- Je ne pense pas me tromper en disant que nous sommes trois dans cette maison. Lui aussi, il a le droit de manger. »

La fée sourit sous son masque, le regard amusé. Zorigaitza savait de quoi elle parlait… Ezer l’avait accompagné en cachette. Il mima un sourire gêné.

« Dé…
- Je vais te montrer ta chambre, le coupa son hôte. »

Elle ne lui en voulait pas, elle le savait depuis l’instant où l’intrus avait posé la patte dans cette maison.

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Odaku se dirigea dans la cuisine suivi par Zorigaitza. Elle tira sur une trappe au sol et se glissa dans le passage qu’elle venait d’ouvrir. Là, il y avait une porte avec une encoche. Elle retira son masque et l’y plaça, enclenchant un mécanisme. La porte s’ouvrit et débouchait sur une salle emplie de livres et de poussières.

« Tu nous éclaires très cher ? »

Zorigaitza s’éxécuta, créant une flamme dans le creux de sa main, juste derrière la fée. Il était incrédule devant ce qu’il venait de voir. Sous la cabane mangée par les plantes, il y avait une bibliothèque, et plutôt grande en plus !

« Bienvenue dans ma grotte secrète. J’y entasse mes écrits et mes trésors. Ainsi, j’ai eu la chance de récupérer un livre qui pourrait fort t’intéresser. Il a été écrit par un de tes ancêtres. Le nom de Frigiza te dit quelque chose ?
- Le premier roi de la dynastie…
- Oui, du continent même. Je n’ai pas eu la chance de le connaître malgré mon âge ! Mais si cela pique ta curiosité, peut-être que les anciens d’autres espèces telles que les dragons pourraient t’en parler.
- Où avez-vous trouvé ce livre ? Il n’y a plus d'écrits de Frigiza au château…
- Bien sûr, tu comprendras pourquoi en lisant. Celui-ci, je l’ai volé au château il y a des décennies de cela. La première chose que ton père a fait en arrivant au pouvoir, c’est brûler tous les exemplaires de ses écrits… il fallait bien sauver sa parole.
- Ça explique beaucoup de choses.
- N’est-ce pas ? Frigiza était quelqu’un d’incroyable. Ses idées ont changé le continent tout entier, et sa volonté vit encore aujourd’hui. Enfin, je ne vais pas te raconter ! Tu vas lire tout ça par toi-même ! »

Elle lui tendit l’ouvrage et désigna une étagère.

« Tu as également ici des livres d’histoire de la même époque, cela t’aidera à mieux comprendre certains passages.
- Merci beaucoup. »

La vielle fée lui sourit. Il était reconnaissant. Il savait à quel point ces écrits étaient inestimables. Il ne connaissait que de cet ancêtre des rumeurs et certaines se contredisaient. Il allait connaître la vérité sur son arrière-grand-père.

Odaku le laissa à sa lecture et remonta. Elle referma la trappe au cas où des visiteurs arriveraient et retourna s’asseoir à sa place habituelle.

« Maintenant Ezer, peut-être pourrais-tu sortir ? Nous pourrions nous tenir compagnie. »

Le rat qui n’avait bougé de sa cachette sursauta en entendant son nom… alors il était vraiment repéré. Il reprit sa forme humaine et s’assit devant la fée.

« Quel âge as-tu mon garçon ?
- Je ne sais pas… vingt-et-un ? Vingt-deux peut-être ?
- Tu as encore toute la vie devant toi alors. Effrayant n’est-ce-pas ?
- J’imagine ? fit-il, ne comprenant pas très bien le sens de cette discussion.
- Mais le plus effrayant, c’est de savoir que le temps nous manque et que nous mourrons sans avoir réaliser ce pourquoi nous nous battons.
- Probablement.
- Ezer, dis-moi, à quoi bon se battre alors que l’on finit inévitablement par mourir ? Qu’est-ce qui pousse ta génération à se lever et agir ?
- Je ne sais pas moi… je veux dire, si on ne fait rien, alors à quoi bon vivre ?
- On peut vivre pour le plaisir. Et pourtant, nous continuons de bouleverser ce monde, de se battre pour nos idéaux. Pourquoi ?
- Hm… parce que nous n’acceptons pas le monde tel qu’il est et cela nous révolte ?
- Je te le demande. Pourquoi ce monde te révolte ? Qu’est-ce qui est inacceptable ?
- Eh bien… je… »

Il bloqua. Il se sentait oppressé par toutes ces questions à laquelle il peinait à répondre. Il perdait ses mots face au regard avide de la fée. Elle attendait une réponse.

« Inspire et réfléchis ! Mais pas trop, si tu es ici aujourd’hui, c’est que ton cœur connaît la réponse.
- Si vous le dites…
- Ezer. Qu’as-tu vu ? Qu’as-tu entendu ? Qu’as-tu vécu au point de t’en salir les mains ?
- Je… j’ai vu… des gens qui mourraient de faim… alors que d’autres vivaient dans l’opulence. J’ai vu des gens mourir trop tôt parce qu’il tenait à leur idée. J’ai entendu des cris de terreur. J’ai entendu des râles de douleur. J’ai vécu avec des gens qui voulaient changer ça, malgré la peur de se faire tuer. J’ai vécu la pire… la pire… »

Ses mots se perdirent dans ses sanglots. La sourde douleur des coups, des injures qu’il avait reçu remontait. Encore une fois, l’horreur dansa devant ses yeux. Un profond désespoir faisait trembler ses muscles. Odaku se leva et alla lui chercher un verre d’eau. Elle s’agenouilla près de lui, déposa sa main sur son épaule.

« Ezer, n’essaie pas d’oublier ce que tu as vécu. Apprends à vivre avec et tu trouveras la force d’avancer. C’est long et douloureux, mais la lumière que l’on trouve à la fin est la plus belle des récompenses. »

Elle lui déposa le verre dans les mains et retourna s’asseoir sur son coussin. Ezer dissimula son visage sous sa veste, sans pouvoir se calmer.

« N’essaie pas de retenir tes larmes… il faut laisser la douleur s’échapper avant de prendre du recul. »

Odaku écouta le jeune pleurer. Pour elle qui avait vécu plus d’un siècle, c’était un enfant. C’était la génération qui allait entrée dans l’arène pour gérer le continent et toutes ses crises. Lorsqu’il sembla retrouver un semblant de calme, elle reprit la parole.

« Je te présente mes excuses pour tout ce qu’il t’est arrivé. Aucun enfant ne devrait souffrir. Si cela arrive, c’est que les générations précédentes n’en ont pas fait assez, qu’elles n’ont pas fait les bons choix.
- Ce n’est pas votre faute, murmura Ezer.
- Ezer, un jour tu seras papa, tu côtoieras vos enfants et votre vœu le plus cher sera de les protéger.
- Eh… ça n’arrivera pas… mais je vous crois.
- Peut-être qu’ils ne seront pas ta chair et ton sang, mais c’est eux qui porteront ton héritage, comme vous portez celui de Zorigaitza à l’Œil.
- Hm… je vois l’idée.
- Tu m’en vois rassurée, ce n’est pas quelque chose de facile à expliquer. J’aimerai que tu me promettes que tu prendras soin de ton chef. Ce que nous nous apprêtons à faire va nous coûter à tous beaucoup d’énergie et il sera en première ligne.
- C’est promis.
- Fais-lui confiance sans le laisser tomber dans un plan trop ambitieux. Je te crois suffisamment malin pour ça.
- Pas de soucis.
- Merci Ezer.
- De rien. »

Odaku sourit. Elle était rassurée de voir que la nouvelle génération reconnaissait le combat de leurs aînés. Il n’y avait rien de plus gratifiant pour elle qui avait mené cette guerre toute sa vie durant.

« Madame…
- Appelle-moi Odaku, tout simplement !
- Odaku… vous savez beaucoup de choses… connaissez-vous mes parents ?
- Hm… il y a une chose que j’aime bien faire lorsque de nouveaux membres nous rejoigne. C’est rechercher des informations sur eux. Ainsi, j’ai mené ma petite enquête pour Kaosa. Son père était un marchand ambulant, un garou répondant au nom de Zerif Iot. Les rumeurs racontent que c’était un sacré filou qui aimait bien l’alcool. Mais je ne peux pas te dire ce qu’il en était vraiment. Il a rencontré sa mère à Atka, dans les bas quartiers. Elle était une pauvre fille qui devait se prostituer pour survivre. Il en est tombé amoureux et l’a sorti de ce taudis. Ensemble, ils ont eu Kaosa. Cela aurait créé beaucoup de problème dans leur couple, Zerif aurait eu du mal à l’accepter. Si bien que lorsque sa mère fut enceinte pour la deuxième fois, il l’abandonna à son sort.
- Comment s’appelait-elle ?
- Emia Iluna. C’était une panthère-garou. Les rumeurs racontent que les sorts ne l’affectaient pas, mais je n’ai jamais pu trouver une preuve à ce phénomène. Seule, elle se rendit bien vite compte qu’elle ne pouvait élever un enfant, alors deux ça allait être encore pire. Connais-tu Üle ?
- J’ai déjà entendu ce nom.
- C’est le tuteur de Koasa. Il est mort depuis quelques années déjà. Garde ça pour toi, mais il entretenait des liens étroits avec les Pirates. La mère de Kaosa est venue le voir pour lui confier sa fille. Je ne sais pas quel lien les unissait tous les deux, mais elle semblait lui accorder une grande confiance. Peut-être penses-tu qu’elle est cruelle d’avoir abandonné ses enfants ? Ça lui a déchiré le cœur, mais elle savait qu’elle ne pourrait jamais subvenir à leurs besoins. Elle aurait confié le nom de son futur enfant à Üle et aurait repris sa route.
- Vers la terre des harpies ?
- Oui. Je ne sais pas comment cela s’est déroulé exactement, mais on l’aurait vu grimper dans la montagne. Personne ne l’aurait revue.
- Est-ce que ce bébé, c’était moi ?
- C’est possible. C’est la seule hypothèse que j’ai à te soumettre. Ta ressemble avec Kaosa est frappante, les dates correspondent, les lieux aussi. En as-tu déjà parlé à ta mère adoptive ?
- Jamais.
- Tu devrais. Avec un peu de chance, elle pourrait t’éclairer.
- Je le ferai. »

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Zorigaitza et Ezer ne rentrèrent que plusieurs jours après leur arrivée. Les deux leaders avaient défini très clairement leurs objectifs et le rôle de chacun dans cette coopération. Ils avaient couché leur stratégie sur le papier, et ils n’avaient plus qu’à agir.

« Kaosa, tu souhaites toujours nous rejoindre ? demanda Zorigaitza.
- Bien sûr !
- Alors soit la bienvenue, pour aujourd’hui et pour les moments à venir.
- Vraiment ? Merci beaucoup ! se réjouit l’ancienne bergère.
- Félicitations, lui souffla Erortzen, assis près d’elle.
- Bienvenue ! enchainèrent les autres membres. »

Autour de la table de réunion, des sourires se dessinèrent. Leur force de frappe augmentait ! Même si chacun savait que le rôle de la petite nouvelle, c’était de transmettre des messages et non pas de foncer dans le tas.

« Bien, reprit Zorigaitza. Notre objectif final, c’est ce coup d’état. Nous allons prendre le château de Lurra. Mais pour cela et assurer la gouvernance derrière, il nous faut des alliés. C’est donc la première étape de ce plan. Ainsi, nous allons nous répartir les tâches. Ce sera un travail long, probablement plus long que toutes les missions que nous avons pu mener jusqu’ici. La première est de nous rapprocher des dragons. Avec eux à nos côtés, nos déclarations auront tout de suite plus de poids. La deuxième, c’est de soutenir les mouvements sociaux qui sont en train d’avoir lieu chez les elfes, à savoir les manifestations pour les droits des femmes et des travailleurs à l’Ouest et l’indépendance des fées à l’Est. La troisième, c’est de trouver des alliés nouveaux, et nous pensions aux harpies puisqu’après tout, nous squattons leur territoire.
- J’ai une question.
- Oui, Azken ?
- Je n’ai rien contre ce plan, mais le coup d’état fait… qui dirigera ? On ne peut pas se permettre de laisser le continent à l’anarchie.
- Nous avons encore du temps pour y réfléchir, et il faudra y réfléchir avec les chefs des territoires en détail avant de passer à l’attaque. Ce n’est pas si simple de marier différente gouvernance ensemble.
- Cette réponse ne me satisfait pas. Je pense qu’il faut proposer quelque chose d’un peu plus précis que ça. On connaît nos objectifs et nos contraintes, et même si cela doit évoluer, il faut montrer qu’on ne va laisser tout Lurria au désordre. Aujourd’hui, la plupart des gens nous considère comme des fauteurs de trouble. Si on veut trouver des soutiens, il est important de montrer qu’on a quelque en tête et qu’on est pas juste pour le plaisir.
- Je rejoins l’avis d’Azken, déclara Hegal. Vous engagez des peuples entiers dans votre quête, vous ne pouvez pas vous permettre de leur dire « ben on verra après » ou « tiens, j’y avais pas pensé ». C’est difficile de prévoir sur le long terme, mais l’organisation doit être nickel du début à la fin, avant et surtout après. C’est bien de vouloir prendre le pouvoir, mais il faut être sûr de ce que l’on veut en faire.
- Je comprends ce que vous voulez dire. J’y remédierai au plus vite.
- Zorigaitza, reprit Hegal, dis-moi si je me trompe, mais si ce plan fonctionne, c’est toi qui dirigera toutes les opérations ?
- Je pense que ce sera un passage obligé au moins le temps de la mise en place d’un nouveau système. Je n’ai pas du tout l’intention de devenir roi ou n’importe quoi du genre.
- Raison de plus pour bien fixer les nouvelles lois et institutions. Certains ne connaissent que la royauté, il faudra leur expliquer et les convaincre. C’est le cas des harpies. Et les connaissant, ce ne sera pas simple, elles ont la tête dure.
- C’est entendu. Puis-je quand même assigner à chacun son rôle ? Ça sera fait, et nous pourrons commencer doucement, ne serait-ce que pour tâter le terrain.
- C’est toi le chef.
- Je le suis que parce que vous êtes là.
- Certes mais la décision te revient. Nous avons parlé et tu as entendu.
- Dans ce cas je continue. Je pense être capable de régler le problème que vous pointez assez rapidement. Je vous propose des équipes, chacun validera ou pas pour lui. »

Zorigaitza proposa Pigné, Ezer, Hegal et Erortzen pour se rendre chez les dragons. Azken, Kerme, Txiki et Arrano furent appelés pour soutenir le mouvement social chez les elfes. Il nomma Osasun, Oun, Grimgrim et Sua pour soutenir l’indépendance des fées. Et pour finir, Zizare et Nomnos pour s’occuper des harpies.

« Y a-t-il des remarques ? Des objections ?
- Moi, j’ai une objection ! déclara Azken. Je ne veux pas soutenir le mouvement social qui se déroule actuellement chez les elfes.
- Je peux te demander pourquoi ?
- C’est assez personnel. Je préférerai aller autre part.
- Hm. Osasun, ça te dérangerait d’échanger ta place avec Azken ?
- Pas de problème !
- Azken ira donc avec le groupe qui s’occupe de l’indépendance des fées et Osasun avec celui qui se charge de soutenir les mouvements sociaux. Autre chose ? »

Silence dans l’assemblée.

« Bien, Kaosa, ton rôle sera de joindre les différents groupes et de transmettre les informations. Ainsi, chaque groupe aura une balise qu’il devra conserver pour que tu puisses les retrouver rapidement.
- J’ai une question… comment dire ? Comme vous le savez, je vais aussi naviguer entre l’Œil et les Pirates. Que stipule l’alliance que vous avez conclu au niveau de l’échange d’informations ?
- Je t’en reparlerai en détail.
- D’accord.
- J’ai une question aussi pour le coup, fit Sua. On a conclu une alliance, okay, mais où viennent se greffer les Pirates ?
- Les Pirates vont eux aussi envoyer une ou plusieurs unités sur ces différents terrains. Nous nous présenterons les uns aux autres sur place, avant de passer à l’action. »

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« Salut Maman ! »

Ezer pénétra dans l’obscurité de la grotte dans laquelle vivait la vieille chimère. Il sentit une fourrure se presser contre lui avant que l’animal apparaisse.

« Bonjour Ezer ! Je suis heureuse de voir que tu vas mieux. Hegal m’a raconté tes récentes aventures, je suis désolée de ne pas être venue te voir… mes ailes fatiguent.
- Ne t’inquiète pas ! Je suis un grand garçon maintenant, je préfère que tu prennes soin de toi.
- Pour être honnête, je pensais déléguer mon rôle de reine bientôt.
- Vraiment ? C’est vrai que ça doit devenir de plus en plus difficile…
- Oui. Je commence à m’éteindre doucement. Mais je me retire le cœur léger. Helin prendra ma place, j’en suis certaine. Notre peuple sera entre de bonnes pattes…
- Ne dis pas des choses si tristes ! Tu as encore quelques années devant toi ! Et Helin aura encore besoin de ton aide au début.
- C’est possible. Mais dis-moi, qu’est-ce qui t’amène ? Tu viens rarement seul.
- Je voulais te poser quelques questions…
- Je suis prête.
- Bien… qui était ma mère biologique ?
- Je ne connais pas son nom. Je me promenais dans la montagne lorsque j’ai entendu des pleurs. Je me suis approchée. Une femme aux cheveux noirs se tenait devant la falaise, face à la mer. Dans ses bras, il y avait un nouveau né. Elle pleurait son nom. Elle a avancé… je me suis dite qu’elle s’arrêterait au bord. Mais elle a sauté avec son enfant. Je n’ai pas eu le temps de la rattraper. En revanche, j’ai pu attraper le petit avant qu’elle ne percute le sol. Elle en est morte. Tu étais ce bébé, alors je t’ai gardé avec moi.
- Oh, je vois… triste histoire.
- Tu peux le dire. Mais dis-moi, pourquoi ce sujet t’intéresse tout d’un coup ?
- Eh bien… tu sais la bergère qui m’a sauvé ?
- Oui.
- Je crois que c’est ma sœur. En fait, après ce que tu viens de me dire, j’en suis plutôt sûr.
- Je serai ravie de rencontrer cette demoiselle. Elle est beaucoup plus vieille que toi ?
- Je ne crois pas. Peut-être un an ou deux si tu veux mon avis.
- Et elle est gentille ?
- Oui, c’est quelqu’un de très souriant. Elle a beaucoup d’énergie, je ne l’ai jamais vue fatiguée… et pourtant elle a du me veiller plus d’une nuit.
- Je suis contente que tu t’entendes bien avec elle.
- À vrai dire, elle appartient aux Pirates et depuis quelques jours, elle fait aussi partie de l’Œil du Corbeau.
- Les deux en même temps ? C’est possible ?
- Apparemment. Tu sais, les ambitions de Zorigaitza et d’Odaku se sont croisées… ils ne voient plus les choses à moitié. Ils sont en train de planifier un coup d’état.
- Ah, je crois que je vais vivre quelques années de plus pour observer ça ! Les choses deviennent sérieuses. Vous avez mon soutien. Puisse Helin vous offrir celui des chimères !
- Je ne préfère pas. Ou du moins, pas comme tu l’entends.
- Qu’as-tu derrière la tête ?
- Maman, nous faisons alliance avec les Pirates. Je ne leur fais pas totalement confiance. Les chimères sont éparpillées sur le continent. J’aimerai qu’elles vérifient les informations. Ce rôle les mettra moins en danger qu’une alliance ouverte et délibérée, et sera surtout plus utile. Tu comprends ?
- Je comprends. Je ferai passer le message à notre future reine.
- Merci. Je demanderai à Hegal de vous transmettre les consignes. J’aimerai également avoir le soutien de Koreh, mais je ne sais pas où le trouver.
- Je ne peux pas te le dire. Il passe rarement ici. Et puis, il faut que tu le battes si tu veux espérer quelque chose de sa part.
- Je le sais. »

Les deux restèrent pensifs quelques secondes. Puis Ezer reprit la parole, un peu gêné.

« J’avais autre chose à te demander…
- Je t’écoute.
- Hm… c’est pas facile…
- Prends ton temps, tu peux tout me dire.
- Les chimères ne font pas de reproduction sexuée, n’est-ce-pas ?
- Non.
- Vous utilisez un sort ?
- En quelque sorte, oui.
- Est-ce ce tu crois… que moi aussi je pourrais faire ça ?
- Je ne demanderai pas tes raisons. Aussi justifiées soient-elles, je n’y suis pas favorable.
- Je peux te demander pourquoi ?...
- Parce que cette magie que nous utilisons ne devrait pas exister. Nous l’utilisons car c’est notre seule chance de maintenir notre espèce. Elle est dangereuse pour les utilisateurs et pour le ou les petits.
- Explique-moi. »

La vieille chimère regarda son fils adoptif, hésitante. Ezer savait ce que cela voulait dire : il entrait dans les secrets profonds de la plus vieille espèce du continent. Pourtant, il soutint le regard de sa mère. Il voulait savoir.

« Cette magie se lance entre deux individus, difficilement plus. Elle consiste à mixer l’énergie des parents pour former une nouvelle vie. Sauf que cela échoue souvent. Trop souvent. Il faut un contrôle parfait de la magie car il faut donner une forme au corps du nouveau né. C’est exercice difficile et sans entraînement : on ne joue pas avec la vie. Tout ce qui peut vivre doit vivre, c’est la règle qui opère chez nous. Et quand c’est raté, on abrège les souffrances. C’est très dur de prendre la vie de son sang et de sa chair, surtout après tant d'effort.
- Je peux poser une question ? Elle n’est pas très saine…
- Nous ne parlons de quelque chose de sain.
- S’il peut y avoir plus de deux parents, pourquoi pas un seul ?
- C’est interdit. Je te défends de tenter quoique ce soit.
- Je n’y comptais pas. Il y a des dangers physiques pour les utilisateurs ?
- Oui, il arrive que le sort dérape et qu’il absorbe toute la magie environnante, y compris celle de ceux qui ont lancé le sort. Et dans ce cas, si ce n’est pas la mort, c’est des blessures graves.
- Pourquoi cela fait ça ?
- Je ne le sais pas. C’est un constat. Probablement la Nature qui se venge.
- Si un jour tu trouves ta belle, réfléchis bien avant de l’engager là-dedans. Des enfants, il en nait des centaines tous les jours, et tous ne sont pas heureux, tous n’ont pas de parents. C’est différent, je te l’accorde, mais l’adoption pourrait peut-être vous rendre plus heureux et faire un orphelin de moins. Néanmoins, si tu persistes à vouloir utiliser ce sort, promet-moi que tu le feras sous le regard d’une chimère.
- Je te le promets.
- Et n’en parle à personne d’autre.
- Entendu. Je vais réfléchir à tout ça. Mais ne t’inquiète pas, je ne ferai rien d’inconsidéré. Je n’ai même pas encore trouver ma belle ! Je ne sais pas non plus si je trouverais un jour le temps, le lieu, la personne pour fonder une famille.
- Je te le souhaite. »

Ezer lui sourit et l’enlaça. Peu importe qui ou quoi il rencontrerait, peu importe les choix qu’il ferait, Hene sera toujours sa maman.

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« Je crois que nous sommes arrivés, constata Ezer. »

Devant eux se tenaient des monts dont les pics se perdaient dans les nuages. Il ne faisait pas très beau, même plutôt froid, ça aidait.

« On rentre comme ça ? demanda Erortzen.
- Je ne vois pas de porte à laquelle toquer, donc oui. Je passe devant ! »

Ezer prit la tête du groupe, suivi de Pigné qui était resté silencieux depuis le début et d’Erortzen. Hegal devait également être dans les parages, veillant sur eux. Tous étaient nerveux, chacun savait qu’on n’entrait pas comme ça sur le territoire des dragons. Ils commencèrent leur ascension prudemment. Entre le risque d’un éboulement et la peur de se faire attaquer par un reptile grincheux, ils avançaient lentement.

Soudain, un grondement sourd fit trembler le sol. Les trois se rassemblèrent, aux aguets. Rapidement, une forme immense déchira les nuages au-dessus d’eux. Un dragon aux écailles vertes apparut. Il fondit vers les intrus et rasa leurs chevelures. Déséquilibré, Erortzen bascula en arrière et parvint à amortir sa chute. Quant à Ezer, le choc fut plus rude. Les rocs déchirent ses vêtements au niveau de son omoplate droite, côté sur lequel il était tombé. Une douleur lui traversa l’épaule mais à ce moment, il y avait plus important à penser. Il se redressa, les cheveux ébouriffés, les pupilles acérées, les crocs serrés.

La dragon s’était posé devant eux, les toisant de toute sa hauteur. Ses yeux jaunes luisaient de méfiance. Ezer s’apprêta à prendre la parole mais Pigné bondit en avant et soutint le regard du reptile. Les deux créatures à écaille se fixèrent un moment, le garou et le garou en vinrent à se demander s’ils n’étaient pas en train de communiquer entre eux. Les cristaux de leur petit compagnon changeaient légèrement de couleurs, entre bleus et verts.

Finalement l’immense animal déploya ses ailes, cachant les intrus dans son ombre, et s’envola. Pigné se tourna vers ses camarades et sourit :

« On le suit ! »

Et ils reprirent leur ascension sous le regard de leur hôte qui tournoyait au-dessus de leur tête. Ils passèrent dans les nuages, et après de longues heures, arrivèrent de l’autre côté. Ils se stoppèrent un instant pour reprendre leur souffle et contempler la vue qui s’offrait à eux. Une longue vallée fendue par un court d’eau s’étendait là. Parfois, des pics rocheux s’élevaient. Au loin, on pouvait apercevoir la mer s’agiter. Ce paysage était ponctué de grands reptiles ailés qui chassaient, se reposaient, volaient, jouaient. Tout semblait paisible, en parfaite harmonie.

« Ezer, appela Pigné, tu crois que je pourrais trouver mes parents ?
- Je ne pense pas. »

Si le petit s’était retrouvé loin de son peuple, c’était bien parce que ses parents n'avaient pas voulu de cet œuf qui ne contenait qu'un être faible. Ezer le savait.

« Et tu crois que je pourrais me faire des copains ? reprit l’enfant les yeux brillants.
- Je te le souhaite. »

Là encore, le garou se doutait que la tâche serait ardue. Tous les dragons ont des ailes, ils sont les rois des cieux. Pigné était né sans suite à une malformation. Il craignait que ce handicap empêche l’intégration du dragonnet. De toute façon, il ne comptait pas le lâcher des yeux le temps qu’ils resteront ici.

________________________________________________________________________

Un dragon carmin s’approcha et se posa en face des nouveaux venus.

« Soyez les bienvenus, je suis Dagondan, je m’occupe des affaires entre les dragons et l’extérieur. Vous venez de la part de l’Œil du Corbeau, n’est-ce-pas ? Je suis déçu que Zorigaitza ne soit pas venu lui-même, j’aurais beaucoup aimé le revoir. Sa prestation au Conseil était admirable. »

Les trois furent un peu pris au dépourvu par un accueil si long et si… accueillant ? Dagondan semblait amical, le ton doux et la voix calme. Ezer fut le premier à réagir.

« Merci de votre accueil, nous en sommes honorés. Je suis Ezer, voici Erortzen et Pigné.
- Et je suis Hegal, compléta la chimère en apparaissant auprès de ses camarades. Hene m’a beaucoup parlée de sa prestation, elle l’a trouvé également très convainquant. Excusez son absence aujourd’hui, il a été demandé ailleurs.
- Tu es l’aînée de Hene, c’est bien ça ? Et c’est ta sœur que j’ai rencontrée au Conseil ?
- Oui, Helin a pris ma place au Conseil et c’est bien mieux comme ça.
- Je vois. Je comprends pour Zorigaitza. Ses activités l’occupent beaucoup, c’est normal. Je reste très content que vous soyez là ! Vous devez être fatigués ? Allons nous poser quelque part ! »

Le dragon les conduit jusqu’à une cavité peu profonde. Le sol était tapissé d’herbes séchées et de plumes.

« Mettez-vous à l’aise, invita le dragon en s’installant.
- Merci. »

Les quatre invités s’assirent, pas mécontents de se poser. L’épaule d’Ezer le brûlait toujours. La fin du trajet n’avait rien arrangé. Hegal s’installa dans son dos et s’appliqua à lécher sa blessure.
L’hôte regarda Pigné, un sourire doux aux lèvres.

« Pigné, c’est ça ?
- Oui, répondit timidement le dragon.
- Tu n’es jamais venu ici, n’est-ce-pas ? Quelles sont tes premières impressions ?
- Je… ça à l’air paisible. Tout le monde a l’air heureux.
- Il est vrai qu’aujourd’hui, c’est calme. Tu sais, tu repartiras probablement avec tes compagnons aujourd’hui, mais si demain tu veux revenir, nous serons ravis de t’accueillir parmi nous.
- Merci, bafouilla l’intéressé. Je… j’espère que je me ferai plein de copains ici.
- Je te le souhaite ! sourit sincèrement l’autre. Nos jeunes ont la tête dure mais si tu les impressionnes, ils sont laisseront séduire !
- Je ferai de mon mieux ! déclara Pigné de toute sa conviction. »

Ezer sourit. Pigné était nerveux mais il ne se laissait pas marcher sur les pieds non plus. Sa volonté demeurait claire.

« Bien… et si nous passions aux choses sérieuses ? Je m’impatiente de connaître la raison de votre venue.
- Je ne vais passer par quatre chemin, commença Ezer. L’Œil du Corbeau projette de prendre le pouvoir avec le soutien des Pirates. Nous rassemblons nos alliés et aiguisons nos atouts en ce moment-même. Nous avons à cœur de bâtir une société plus égalitaire, plus libre où chacun pourrait s’épanouir. Il est donc important que nous rassemblions autour de nous pour être représentatifs de tous. Nous projetons…
- Je t’arrête, coupa le grand dragon. Je suis désolé, ce n’est pas très poli. Sachez que je n’ai pas le pouvoir d’engager ainsi mon peuple. Tous les deux ans, nous tenons un tournoi. Le dragon le plus fort devient le gardien du territoire, c’est le dragon qui vous a accueilli. C’est un rôle très prestigieux chez nous, il a notamment les fonctions de gérer les problèmes et surveiller les frontières. À l’opposé, le dragon le plus faible devient le messager entre les dragons et l’extérieur. J’occupe ce rôle qui est plutôt mal vu. Les dragons ne s’intéressent pas trop à ce qui se passe dehors. Enfin, les deux vainqueurs coopèrent pour assurer la paix. En revanche, ni l’un ni l’autre n’a le droit d’engager son peuple. Aucun dragon n’a ce droit. Chacun agit à sa propre convenance pour son propre compte. La seule loi ici est celle du regard de l’autre. Celui qui commet une erreur est mis à l’écart, humilié, parfois tué. Et si cela convient à tous alors il en est ainsi.
- Vous ne prenez jamais de décision collective ? s’étonna Pigné.
- Seul le peuple peut engager le peuple. Si une décision est prise à l’unanimité, alors elle est appliquée. C’est tout.
- C’est à la fois simple et difficile, remarqua Ezer. Je veux dire, la règle est simple et il est très difficile de mettre tout le monde d’accord. On a tous un avis différent…
- Notre manière de gouverner est particulière, je te l’accorde. Elle fonctionne uniquement car nous sommes peu et nous avons un profond respect pour la paix qu’ont acquise nos aïeuls. Nos avis sont rarement très opposés, nous avons la même mentalité.
- Bien, dans ce cas, je vais continuer en prenant ces informations en compte, déclara Ezer. »

Il inspira, rassemblant ses idées.
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Message par New Mentali » 09 Juin 2020 16:55

« Si nous arrivons à nos fins, nous instaurerons une constitution, des lois visant à assurer à chacun une chance de vivre, à assurer à chacun une place dans la vie du continent. Et ce, peu importe son espèce ou sa classe sociale. Est-il envisageable que les dragons y adhérent ?
- Je ne peux pas te le dire sans avoir lu ce texte.
- Je l’ai. Il n’est pas définitif puisque seuls les peuples eux-mêmes peuvent nous dire ce qui leur convient le mieux. Nous interrogeons tous nos soutiens, et lorsque nous aurons le pouvoir, nous le demanderons aux autres.
- Comment envisagez-vous cette prise de pouvoir ?
- Dans un premier temps, il n’est pas envisagé de bousculer les instances : il nous faudra rassurer les chefs qui ne nous ont pas soutenus et leur demander leur avis sur nos projets. Lorsque tout sera valide alors nous mettrons en place de nouvelles instances. Mais il y a un vrai travail collectif à fournir ! À terme, nous souhaitons voir ce monde tourner sans nous et nous effacer.
- La conclusion est très ambitieuse mais cela me paraît convenable. À défaut de seulement pouvoir vous soutenir moralement avant, je serais ravi de participer aux décisions collectives lorsque vous aurez le contrôle.
- C’est déjà beaucoup pour nous ! Chaque voix est importante.
- Je suis curieux… mais les chimères soutiennent-elles votre projet ?
- Les chimères devraient changer de reine d’ici peu, déclara Ezer, nous irons les voir cela fait.
- Vraiment ? Qui serait la prochaine reine ?
- Probablement Helin. Les chimères choisissent la plus forte d’entre elles pour gouverner si elle est volontaire.
- Je lui souhaite beaucoup de courage alors. Les temps vont changer.
- Vous semblez très convaincu.
- Crois-en mon expérience, le vent tourne. La jeune génération a plus que jamais envie de briser les codes instaurés par leurs prédécesseurs. Si ce n’est pas vous, ce serait quelqu’un d’autre. Il y a cent-cinquante ans, nos ancêtres ont découverts qu’il y avait mieux que la guerre et qu’on pouvait avancer ensemble. Ce mouvement a été mené par Frigiza. Zorigaitza mène votre mouvement, aujourd’hui. Si ce n’est pas vous, ce sera vos enfants. Mais avec certitude, dans trente ans maximum, cet empire sera tombé.
- Puissiez-vous avoir raison !
- Il y a autre chose que je voudrais vous dire. Cela concerne peut-être plus Zorigaitza alors vous lui transmettrez. Si vous prenez le pouvoir, peu importe qui vous suivra ou non, les décisions vous appartiendront. Personne ne pourra les prendre à votre place. Et si vous tenez vraiment à prendre ce pouvoir, commencez par vous occuper des armées et des castes. Ce seront vos meilleurs alliés.
- Merci du conseil !
- Avec plaisir ! Y a-t-il autre chose que vous vous vouliez aborder ?
- Je ne crois pas…
- Bien. Restez donc un peu avec nous pour le moment ! Vous ne devez pas manquer de travail, mais cela me ferait plaisir de vous faire visiter.
- Pourquoi pas ? On pourra peut-être essayer de convaincre quelques dragons.
- Je vous souhaite du courage, mais vous n’y perdrez rien.
- Oh ! Pendant que j’y pense ! fit Ezer. Nous avons une messagère qui pourrait nous chercher. Elle s’appelle Kaosa. Si vous ne la laissez pas passer, pourrions-nous être prévenus ? Nous la rejoindrons dans la montagne.
- Entendu ! Je préviendrais notre sentinelle. »

Le dragon se leva et regarda ses invités.

« Je suis désolé, mais je vais devoir vous abandonner quelques heures. J’ai un entretien avec le Messager du Nord aujourd’hui. Surtout faites comme chez vous en attendant ! »

Et le reptile prit son envol. Les amis se tournèrent les uns vers les autres.

« Je ne m’attendais pas à ce qu’il soit si bavard, confia Erortzen.
- Si tous les dragons sont comme lui, ça va être plus simple qu’espéré. Mais je n’y crois pas de trop, il a l’air de dire que ses compatriotes vont nous ignorer ou nous envoyer balader.
- Tu crois qu’il est de notre côté, lui ?
- Je n’y mettrai pas ma main au feu, mais oui. Pour autant, je ne suis pas sûr qu’il ne puisse faire plus que nous supporter dans l’ombre vu son rôle ici.
- Oui, c’est possible.
- On fait quoi ? Je propose qu’on se promène un peu.
- On va bien dormir cette nuit, remarqua Erortzen.
- Bah ! C’est à ça que sert la nuit !
- J’imagine. »

Les deux humains se levèrent.

« Évite de faire trop le fou avec ton épaule, avertit la chimère.
- Oui Hegal ! »

Pigné se redressa et fit tomber l’herbe sèche resté accroché à ses écailles. Il se dirigea vers l’extérieur. Dagondan avait été gentil avec lui, il était reconnaissant d’un si bon accueil. Il avait hâte de découvrir qui étaient ses congénères, et cela le rendait nerveux.

« Je pars devant ! annonça le dragonnet. »

Sans attendre de réponse, il bondit à l’extérieur. La vallée était entourée des montagnes qui séparaient les reptiles ailés du reste du continent. Il les longea, pour ainsi garder une vue d’ensemble de ce qu’il se passait en-dessous.

Soudain, il repéra un groupe de trois jeunes. Ils semblaient tous un peu plus âgés que lui, mais restaient petits par rapport aux autres. Ils jouaient à s’attraper, tantôt dans l’herbe, tantôt dans les airs. Pigné s’approcha timidement. Allaient-ils l’accepter ? Cette question faisait battre son cœur à toute allure.

Soudain, un des trois atterrit violemment après s’être fait bousculé tout près de Pigné.

« Bonjour ! fit le dragonnet blanc de tout son courage. Je m’appelle Pigné. Est-ce que je peux jouer avec vous ? »

Le trio se regarda puis celui qui était au sol se redressa brusquement et toucha le nouveau venu avant de déguerpir en criant « C’est toi le loup ! ». Un grand sourire illumina le visage du plus jeune et il bondit à la poursuite de celui qui venait de fuir. Cependant, les trois dragons s’envolèrent rapidement. Cloué au sol, Pigné perdit son sourire. Ils commencèrent à se moquer de lui.

« Ben alors ? On vient pas ?
- Le minus ne sait pas voler !
- Arrêtez ! Vous allez le faire pleurer le bébé !
- Je suis né sans aile, répondit le dragonnet le plus calmement possible.
- Oh pauvre petit !
- Tu t’es cru dans la cours des grands alors que t’es même pas un dragon !
- T’as rien à faire là ! »

Les trois commencèrent à l’attaquer, envoyant leurs souffles magiques à tout va. Pigné les évitait, souvent de justesse, dans l’espoir de prendre la fuite. Ses émotions lui montaient un peu plus aux yeux à chaque explosion. Il avait été rejeté… ils ne le voyaient même pas comme un dragon. Ils ne voulaient pas lui.

Il trébucha, la patte prise dans une motte. Les attaques fondirent sur lui. Il ferma les yeux, incapable de les éviter. Une nouvelle explosion brouilla ses sens. Puis, silencieuses, quelques secondes passèrent. Pigné rouvrit doucement les yeux, les joues humides. Au-dessus de lui, une grande panthère noire se tenait, le poil hérissé. Ezer. Sa respiration était courte. Il l’avait protégé. Un soulagement profond s’abattit sur le dragonnet. Il était sauvé certes, mais surtout il y avait quelqu’un là pour lui, quelqu’un qui l’acceptait même sans ailes. Il étouffa un sanglot, larmes légères et lourdes à la fois.

Ezer fixait les trois qui semblaient refuser de partie. Il serra les dents. Leurs attaques étaient puissantes, pas sûr qu’ils y survivent une deuxième fois.

« Le petit pleurnichard se fait protéger par un minou, ricana l’un de dragons.
- Pitoyable !
- Quelle honte. »

Ezer se contrefichait pas mal de leur avis. Il savait qu’il avait raison de se tenir là. Il avait lui-même couvé l’œuf de Pigné et il s’était toujours battu pour que le petit vive. Et malgré sa malformation, Pigné restait un dragon adorable, intelligent et curieux. Ce n’est pas trois andouilles qui ne savaient même pas la couleur de l’herbe de l’autre côté de leurs montagnes qui allaient changer ça.

Le trio, voyant que leur provocation était sans retour, préparèrent une nouvelle offensive. Ezer se crispa. Ils ne pourraient pas fuir. Sa blessure à l’épaule s’était rouverte, et il était fatigué. Il craignait également de ne pas pouvoir dissiper une telle dose de magie. Son seul espoir était une intervention d’Erortzen qu’il avait laissé en plan quelques minutes plus tôt pour voler à la rescousse de son protéger.

« Arrêtez ! ordonna une voix féminine. »

Les trois dragons se tournèrent vers la nouvelle venue. Ils grognèrent, la toisèrent et puis s’éloignèrent. Ezer la regarda, non sans étonnement : c’était une humaine. Enfin, elle en avait l’air. Sa magie était sans aucun doute possible celle d’un dragon. De petites écailles parsemaient sa peau par endroit. À quelle espèce pouvait-elle bien appartenir ? Ou alors était-ce un dragon qui avait pris une apparence humaine ? Elle s’approcha d’une démarche élégante, presque féline. Ezer, déstabilisé par cette drôle de créature, recula un peu.

« N’aies pas peur ! sourit l’autre laissant découvrir des crocs aiguisés. Je m’appelle Adga et toi ? »

Ses lèvres se mouvaient, ce n’était pas de la télépathie. Elle parlait… elle s’arrêta à plusieurs mètres de lui. Il reprit forme humaine.

« Ezer. Et le petit est Pigné. »

Il se tenait devant son protéger, comme s’il craignait une attaque.

« Il est rigolo ton petit. Il n’a pas d’ailes, sa magie ne ressemble pas à celle d’un dragon et pourtant, c’en est un.
- Et toi, tu as la magie d’un dragon, tu as même des écailles et pourtant tu es humaine.
- C’est normal ! Les dragons m’ont recueillie à la naissance et m’ont offert leur magie. »

Ezer resta silencieux, étonné que des dragons puissent recueillir un humain. Il sentit une pression sur sa jambe et baissa les yeux. Pigné. Il s’agenouilla et enlaça le petit dragon.

« Tout va bien, je suis là. Je le serai toujours peu importe ce qu’ils diront tous… alors ne pleure plus, d’accord ? murmura Ezer. »

Pigné leva la tête et sourit. Ses cristaux reprirent une teinte jaune. Ezer lui adressa une caresse affectueuse et essuya les joues de son compagnon. Tout irait bien à présent.

« Tu sais, moi aussi ils m’ont mise à l’écart au début ! »

Ezer tourna la tête en entendant la voix de l’autre. Elle s’était rapprochée sans qu’il ne l’entende venir…

« Ils se moquaient parce que j’étais petite et faible. Alors je me suis beaucoup entraînée à la magie ! Et j’ai fini par les égaler ! Ils faisaient moins les malins après ! fit Adga pleine de fierté. »

Pigné sourit, amusé de la manière dont elle bombait le torse et de l’assurance exagérée qu’elle montrait. C’était presque caricatural. Pour autant, il la croyait, elle avait fait fuir trois dragons après tout.

« C’est comme ça que je suis devenue un dragon ! ajouta-t-elle. Toi aussi, si tu veux une place ici, il faudra montrer que tu en es digne ! »

Pigné hocha doucement la tête. Il ne voulait pas se battre mais il voulait devenir plus fort. Pas pour se faire accepter des dragons, mais plutôt protéger ses camarades. Mais si cela pouvait lui permettre de s’approcher un peu de son peuple, alors il voulait bien s’entraîner un peu… ne serait-ce que pour avoir le droit de revenir. Peut-être même que s’il s’entraînait assez, il pourrait jouer avec ces trois dragons…

Ezer lança un regard oblique à Adga. Il n’aimait pas la manière dont elle parlait à Pigné. Pour autant, si elle n’avait pas été là, ils se seraient sûrement fait pulvériser.

« Merci pour ton aide.
- De rien ! sourit-elle ravie. Je recommence quand tu veux !
- J’espère que tu n’auras pas à recommencer, marmonna Ezer. »
Et d’un bond, elle se retrouva agenouillée à côté de lui, en face de Pigné. Ses yeux brillaient d’enthousiasme et de curiosité. Elle ressemblait à une enfant. Elle tendit sa main vers le petit dragon, toute sourire.
« Tape dans ma main ! »

Pigné frappa dans la main de Adga de la patte. Au contact de sa peau, il sentit quelque chose de froid grossir entre ses coussinets et la paume de l’humaine. Il retira vivement son membre et constata qu’un cristal était tombé au sol. L’autre semblait aussi intriguée que lui.

Ezer fronça les sourcils, méfiant. Elle semblait surprise, mais Pigné n’avait jamais fait ça avant. Cela venait forcément d’elle. Puis, elle se tournait vers lui et tendit la paume de sa main. Il fit une moue contrariée mais elle insista du regard. Il leva les yeux au ciel et frappa dans sa main. Des étincelles jaillirent de ce contact.

« De la foudre ! s’émerveilla-t-elle.
- Pourquoi ça fait ça ?
- Je peux révéler la magie des personnes que je touche. C’est pas très utile, mais c’est cool, non ?
- Si tu le dis… »

Elle ramassa le cristal créé par Pigné et le scruta sous tous les angles. Son sourire grandit encore et elle tendit le cristal au dragon.

« Cadeau ! Ça pourra te servir !
- Merci, répondit le reptile, peu convaincu. »

Elle se redressa, commençant à avoir des fourmis dans les pieds. Elle ne tenait pas en place.

« D’où est-ce que vous venez ? C’est rare de voir des humains ici.
- Du Sud. Sur la chaîne de montagne dans le territoire des harpies, répondit Pigné.
- C’est super loin ! s'exclama la jeune femme.
- On venait pour discuter avec Dagondan et il nous a invité à rester un peu.
- Ce serait dommage de faire autant de route juste pour une discussion, en effet…
- On cherche des soutiens pour faire un coup d’état.
- Moi je vous soutiens ! fit-elle pleine d’entrain. Mais… c’est quoi un coup d’état ? »

Ezer leva les yeux au ciel. Quelle cruche ! Heureusement que tous les dragons n’étaient pas comme elle.

« Euh… c’est quand le pouvoir en place est pas bien. On le renverse et on prend sa place.
- Hm… tu veux dire que vous voulez renverser l’empereur ? Ensuite vous prendrez ses fonctions et vous dirigerez le pays ?
- Oui.
- Et… comment dire ? Qu’est-ce que ça change que ce soit vous ou l’empereur qui dirige ?
- Ça change qu’on ne laissera plus personne crever de faim ! cria Ezer en se levant. Plus personne ne dormira dehors ou crèvera dans la misère alors que d’autres se gavent dans l’opulence ! Plus personne ne sera obligé de se vendre pour vivre ! Mais les dragons ne peuvent pas comprendre ça ! Ils vivent confortablement dans leur coin, se roulent dans la paix et se foutent bien de ce qui se passent au-delà de leurs montagnes ! »

Dans sa colère, il fit volte-face et s’éloigna. Comment pouvait-on être aussi ignorant des problèmes qui se déroulaient sur le continent ?! Ils vivaient pourtant tous sur la même terre ! Mais pas de le même monde apparemment… il était si frustré qu’une telle différence existe. Comment pouvait-on se rouler et se prélasser dans son confort lorsque d’autres sont là, à votre porte, en train de crever ? Alors qu’il suffit au dragon de tendre la patte ! Ils sont si puissants !

Restés bouche bée, Pigné et Adga se regardèrent.

« J’ai dit quelque chose de mal ? demanda-t-elle.
- Excuse-le, il n’est pas dans son assiette…
- Assiette ? C’est le truc dans lequel les humains mangent ?
- Oui.
- En tout cas, il a l’air d’y tenir à son coup d’état.
- Oui. Mais c’est la première fois que je le vois s’énerver comme ça…
- Peut-être qu’il a faim ? Viens, on va chercher à manger !
- Euh… d’accord. »

________________________________________________________________________

Ezer retourna dans la cavité où ils avaient rencontré Dagondan un peu avant. Il rassembla un peu d’herbe séchée et se laissa tomber dessus. Il se sentait terriblement fatigué. Il regrettait d’être parti comme ça… un peu. Il sentit le pelage chaud d’Hegal s’étendre contre lui.

« Qu’est-ce qui ne va pas ?
- Ça va. »

Elle n’insista pas. Le nez enfoui dans l’herbe, il essayait de retrouver un peu de lucidité. D’accord, il était fatigué, mais il ne pouvait se permettre de faire des conneries pour autant. Dans les faits, Adga les avait aidé et à aucun moment elle n’avait été désagréable. C’est lui qui s’était vexé tout seul.

« Pigné s’est fait attaqué par des dragons. Je suis intervenu et finalement c’est une fille qui est arrivé pour les faire fuir. Elle a dit que les dragons l’avait recueillie petite. Et puis, elle s’est tapée la discussion. Elle n’a rien dit de méchant… et je me suis énervé et je suis parti.
- Tu t'es énervé ? Il va neiger demain. À quel sujet ?
- On a parlé du coup d’état. Elle a demandé la différence entre le fait que ce soit nous ou l’empereur actuel qui dirige. Il est pourtant évident qu’il y a un problème aujourd’hui… je lui ai dit que les dragons ne pouvaient pas comprendre ça parce que ça ne les intéresse tant qu’ils peuvent se rouler dans leur misérable paix.
- Ce n’est pas entièrement faux mais ce n’est pas dit de manière diplomatique.
- Hegal… comment peut-on vivre comme ça ? C’est si simple pour eux de changer les choses. Ils sont trembler le continent. Il leur suffit d’un battement d’aile. Mais non, ils vivent dans leur coin, les yeux fermés. Je ne comprends pas. Ils doivent pourtant savoir.
- J’aimerai te répondre avec sagesse. En vérité, je ne suis pas sûre qu’ils savent. Je veux dire, les dragons sont très désintéressés depuis longtemps. Ils vivent dans leur coin justement parce qu’ils savent que leur puissance est suffisante pour bouleverser le cour des choses. Ezer, s’ils n’agissent que lorsqu’une décision est unanime, c’est justement pour ne jamais prendre parti, pour que leur force ne soit jamais utilisée à mal.
- À quoi leur sert cette puissance alors ? Je veux dire, s’ils ne s’en servent pas pour se battre et rendre tout le monde heureux, alors à quoi bon ?
- À maintenir la paix dans leur royaume. À dissuader. Je ne pense pas que l’on puisse blâmer un peuple pour ses choix de vie.
- Tu as peut-être raison… mais ce qui est certain, c’est que je n’aurais pas du m’énerver contre elle. En plus, j’ai laissé Pigné avec elle. J’espère que ça ira.
- Si tu l’as laissé, c’est que ça doit aller.
- J’imagine. Je vais essayer de dormir un peu. Réveille-moi s’il y a du nouveau !
- Bonne nuit. »

________________________________________________________________________

Lorsque Pigné revint à la cavité, Erortzen somnolait contre la paroi et Ezer était couché contre Hegal. Il était accompagné d’Adga. Celle-ci tenait une sorte de petit cerf au pelage blanc et brun. Elle le déposa à terre avant de remarquer la chimère qui donnait des coups de museau à son frère. Ses yeux s'émerveillèrent et elle s'approcha. Hegal grogna, lui signifiant qu’elle savait mordre.

« Tu es une chimère ?! Tu es la première que je vois ! »

Et Hegal disparut, contrariée d’être ainsi observée. Adga fit une moue déçue et regarda Ezer qui la fixait, toujours allongé, venant de se réveiller. Il se redressa sans la lâcher du regard. Il la trouvait belle. Ses longs cheveux claires coulaient sur ses épaules. Ses deux yeux bleus fendus vivaient de mille éclats. Elle avait un air de déesse avec sa peau lisse, ses deux ailes de dragons et sa grâce naturelle.

« Je suis désolé pour ce que j’ai dit tout à l’heure.
- C’est tout oublié ! sourit-elle. »

Et en plus, elle offrait volontiers son pardon, quelle magnanimité pour une déesse ! Ezer sourit à son tour.

« En fait, je pensais que c’est parce que tu avais faim, du coup avec Pigné, on a été cherché à manger ! »

Ezer cligna plusieurs fois des yeux, cherchant une explication à ce raisonnement. Il finit par renoncer, il suffisait de profiter du repas.

« Merci beaucoup.
- De rien ! »

Elle fit volte-face et se tourna vers le dernier de la bande : Erortzen. Celui-ci venait d’observer la scène, le regard pointu. Il n’était pas méfiant mais ce nouveau personnage l’intriguait. Qui était-elle ? D’où venait-elle ?

« Bonjour, je m’appelle Adga ! Et toi ?
- Erortzen.
- Tu es un caprin, non ?
- Oui… et toi, tu es ?
- Un dragon ! fit-elle toute enthousiaste.
- Vraiment ? Pourquoi un dragon se promènerait avec une apparence humaine ?
- Je suis humaine à la base mais je suis devenue un dragon !
- D’accord, admit Erortzen sans demander plus d’explication. »

La nature pouvait faire des choses bizarres.

Adga tendit alors ses deux paumes à Erortzen.

« Tape m’en deux ! »

Le caprin s’exécuta sans comprendre. D’une de ses mains jaillit des flammèches. De l’autre, une aura sombre s'en échappa. Adga recula surprise de cette magie malsaine. Erortzen, pas moins surpris, attrapa de sa première main son poignet, tentant de contrôler son pouvoir.
Ezer se leva brusquement. En deux enjambées il fut devant Erortzen et apposa ses doigts sur ceux de son ami. La magie maléfique se dissipa petit à petit. Le garou leva les yeux vers le caprin.

« Ça va ?
- Ça va. C’était bizarre… je ne l’ai pas senti venir et il n’a pas chercher à prendre le contrôle… »

Ezer se redressa, pensif. Peut-être que Adga n’avait pas fait surgir le démon mais seulement sa magie maléfique ? C’était l’explication la plus probable.

« C’est de la magie démoniaque ? demanda Adga.
- Oui, lui répondit Ezer.
- Je vois… je ne savais pas que ça existait vraiment ! Ça file les chocottes, c’est trop cool ! s’exclama-t-elle. »

Erortzen esquissa un sourire désolé. Il savait que cela faisait peur, et il en était navré. Cela l’attristait de voir la terreur dans les yeux des gens par sa faute. Pour autant, il était rassuré de constater que la jeune femme n’avait pas perdu son entrain. Elle ne semblait même pas intimidée…

La panthère-garou retint un soupir. Quelle ignorante ! Surtout pour sortir d’aussi grosse connerie. Posséder cette magie, ce n’était pas cool. Cela rimait avec solitude et souffrance. Mais encore une fois, quelqu’un de béni par la magie comme elle ne pouvait pas comprendre ça.

« Bon préparons le repas ! déclara-t-elle. »

Elle retourna auprès du gibier.

________________________________________________________________________

Le lendemain matin, Dagondan rejoignit ses invités et sembla à peine surpris de voir Adga avec eux.

« J’espère que vous avez bien dormi. Je suis désolé d’avoir mis tant de temps, s’excusa le dragon.
- Aucun problème, répondit Ezer.
- J’espère aussi que Adga ne vous a pas posé de problème. Elle est toujours un peu agitée…
- Eh ! râla l’interessée. Je suis plus une enfant ! Je sais me comporter !
- Elle est née comme ça ? Ça n’a pas dû être facile pour vous !
- Quoi ?! s’indigna la jeune femme.
- Ça va, je plaisante ! la rassura Ezer. Excuse-moi si j’ai été un peu méchant.
- Mouais c’est ça, grogna-t-elle boudeuse. »

Dagondan esquissa une mine mi gênée mi amusée. Il se dit que les jeunes étaient taquins entre eux…

________________________________________________________________________

À l’autre bout du continent, Osasun, Txiki, Kerme et Arrano venaient d’atteindre leur destination. Ils se posèrent dans les branches d’un des immenses arbres qui faisaient la réputation du territoire elfique. De là-haut, ils surplombaient la capitale Atka.

« On a rendez-vous dans combien de temps ? demanda Txiki.
- Au zénith dans la rue de Akan Toska. C’est dans les bas quartiers, au nord de la ville. On a encore un peu de temps donc, répondit Kerme.
- Je me demande comment on va les reconnaître…
- Nous verrons. Pour le moment, on devrait surtout prévoir un plan de repli au cas où ce serait un piège.
- Ça me paraît assez peu probable, mais on est jamais trop prudent.
- Je pense qu’il faut qu’Arrano reste caché pour le moment. Les aigles ne vivent pas dans le coin, sa présence est louche. Par conséquent, nous nous rendrons au rendez-vous sans lui. Si nous ne montrons pas de signe de vie avant la tombée de la nuit, il préviendra les autres. Arrano, tu es d’accord ? »

L’oiseau hocha la tête.

« Du coup, tu prendrais le cristal. Kaosa ne devrait pas venir aujourd’hui, mais au cas où. »

L’aigle attrapa le cristal que lui tendait Kerme et le rangea dans la sacoche accrochée à son cou, à côté du kit de secours.

« De plus, il faudrait que l’un d’entre nous observe la scène de loin. S’il y a un pépin, il pourra intervenir et prévenir les autres des faits. Les deux autres iront au rendez-vous.
- Je peux surveiller, proposa Txiki.
- Pas d’objection ? »

Chacun approuva cette décision.

« Nous ferons comme ça alors. »

________________________________________________________________________

À l’heure dite, Kerme et Osasun arpentaient la rue Akan Tosca, leur visage dissimulé sous leur capuche. Ils ne savaient pas du tout sur qui ils allaient tomber. Ils n’avaient que le nom de code de l’unité qui allait coopérer avec eux : Missive.

Plusieurs personnes marchaient dans la rue, leurs habits laissaient penser à des ouvriers peu aisés. Les habitations, principalement en bois sombre, étaient serrée, parfois tordue ou rafistolée. La crasse collait au pied et prenait au nez. Il n’y avait pas d’évacuation dans ce genre d’endroit. Les gens s’y entassaient dans l’espoir de trouver un travail bien payé dans les usines.

Il y a une dizaine d’années, les productions ont été centralisé dans de grandes infrastructures. Les vêtements, la quincaillerie, les armes, le papier… tout y est passé. Seul le domaine alimentaire y avait échappé. Mais pour faire tourner ce petit monde, il fallait des ouvriers, beaucoup d’ouvriers. Ainsi, les elfes ont mis en avant leurs productions aux populations rurales. Celles-ci sont arrivées sans un sou, dans l’espoir de s’enrichir. La désillusion les a trouvé : un salaire de misère pour un travail long et dur. Les plus chanceux prennent un peu de grade, les autres tuent leur désespoir dans l’alcool. C’était ainsi que les bas quartier se sont largement épanouis cette dernière décennie. Des rues vite et mal construites ont vu le jour. La misère s’est installée.

Ce phénomène n’a pas seulement touché Atka, mais aussi Lurra, la capitale du continent, ainsi que plusieurs grandes villes qui ont tenté l’industrialisation.

Osasun remarqua alors un homme qui arrêtait les passants non loin. Il semblait très… clownesque. Ses mouvements étaient exagérés et sa démarche étrange. Impossible de le rater. Et inévitablement, il s’approcha du duo.

Son visage était pâle et ses cheveux ternes plaqués en arrière. Son regard rieur brillait de vivacité, contrastant avec ses habits déchirés et recousus qui imitait vaguement ceux des riches.

« Excusez-moi, auriez-vous vu une missive ? Ce matin je me promenais paisiblement avec le message que je devais livrer. Soudain, le vent s’est levé, puisant et majestueux ! Et fiou… ma missive s’est envolée et j’ai couru, couru, couru pour la rattraper et paf ! Je l’ai perdu de vue ! Je suis si embarrassé de l’avoir perdue… l’auriez-vous vu ? »

Il avait mimé chacune de ses phrases avec de si grands gestes que les deux camarades s’étaient perdus dans son histoire. Pour autant, Kerme avait fait le lien. Il suffisait de se faire reconnaître maintenant. Il n’avait aucune idée de ce que les Pirates savaient sur eux mais il fallait tenter.

« À vrai, nous aussi nous cherchons une missive.
- Vraiment ? Quelle coïncidence ! Le plus incroyable serait que nous cherchions la même missive !
- Effectivement, ce serait surprenant. Peut-être devrions-nous chercher ensemble ?
- Vous voudriez ? Ce serait avec plaisir d’avoir un peu de compagnie dans ce moment de détresse ! Suivez-moi ! Je vous montrer où j’ai perdu ma missive ! »

Kerme le trouvait insupportable avec ses grands gestes et son ton exagéré. S’ils devaient faire équipe, pourvu qu’il ne soit pas toujours comme ça…

L’inconnu les conduisit jusqu’à une maison qui faisait l’angle avec une rue adjacente. Il les invita à entrer non sans faire une large révérence. Les deux se laissèrent conduire. À peine l’homme eût-il clos la porte qu’il passa vigoureusement ses mains dans ses cheveux pour leur redonner du volume et passa un coup d’eau sur son visage, laissant apparaître un teint plus vif.

« Comment vous avez trouvé mon personnage ? fit l’homme sans faire de grand geste.
- Je suis rassuré que vous ne soyez pas comme ça au quotidien, répondit Kerme.
- Je suis un ancien comédien, il serait dommage que je perde ce savoir-faire. C’est bien utile pour ce genre de situation.
- Je veux bien vous croire. »

L’homme sourit et leur fit signe de s’asseoir autour de la grande table au centre de l’unique pièce.

« Mes camarades devraient arriver d’une minute à l’autre. Je vous sers un thé en attendant ?
- S’il vous plaît.
- Moi aussi, s’il vous plaît.
- Vous n’êtes que deux ?
- Pour le moment, oui.
- Vous avez pris vos précautions, c’est pour ça ? demanda l’homme avec un sourire amusé.
- Effectivement…
- C’est bien. Quand on a un boulot aussi dangereux que les nôtres, c’est important. J’espère qu’à l’issue de notre collaboration, nous nous connaîtrons tous.
- Vous avez aussi pris vos précautions ?
- Bien sûr ! Mais pas vis-à-vis de vous. On a surtout vérifier qu’aucun soldat ne passait pas là, qu’il n’y avait personne susceptible de nous écouter. Les murs ne sont pas bien insonorisés ici, mais faute de mieux, on fait avec.
- Je vois.
- En fait, ne le prenez pas mal surtout, mais nous n’avons pas peur de vous. Vous avez une double réputation : vous tuez ceux qui vous gênent sans hésitation mais vos objectifs sont louables et vous avez aidé de nombreuses personnes. Nous sommes partis du principe que nous allions coopérer alors ça ne nous a pas inquiétés. Après tout, nous partageons les mêmes buts.
- Je pense également que vous devez avoir plus d’informations sur nous que nous sur vous ?
- Je ne sais pas. Nous avons été prévenu il y a une semaine que nous allions coopérer avec vous. On nous a dit que vous seriez quatre. Niveau organisation, c’est difficile d’être rapide et discret, mais c’est notre boulot après tout.
- Je vois… »

On toqua à la porte. L’homme alla ouvrir.

« Salut Ron ! On a trouvé ce gamin qui écoutait à ton mur, tu le connais ? »

Kerme et Osasun se retournèrent. C’était Txiki.

« Excusez-le, il est avec nous ! informa le pandi. »

L’hôte fit rentrer ses camarades, au nombre de trois, et Txiki qui s’installa avec ses deux compagnons, leur adressant un sourire désolé. Kerme lui sourit, indiquant que ça n’avait plus d’importance.

« Bien, commençons les présentations. Je suis Ron, ancien comédien et caméléon-garou. Cela fait dix ans que je me consacre à vous savez quoi.
- Je suis Laki, je suis ouvrier et également chef de cette unité. Je suis père de deux enfants, je me suis installé ici il y a neuf ans.
- Je m’appelle Toykaki, j’ai dix-huit ans. Je suis le petit dernier du groupe avec trois ans d’activité. Je suis ramoneur.
- Kanta, je suis corneille-garou. Sans emploi, mère d’une petite fille. »

Osasun était impressionnée qu’ils se présentent tous en civil. Ils avaient tous une vie normale, ou presque. Des vrais agents infiltrés…

« Je m’appelle Kerme. Ancien soldat, j’ai rejoint mes camarades il y a quelques années après m’être reconnu dans leurs ambitions.
- Je m’appelle Txiki, je viens des montagnes au sud-ouest. J’ai dix-sept ans et j’aime la pêche.
- Je suis Osasun, je m’occupe surtout des soins.
- Notre dernier camarade est un aigle répondant au nom d’Arrano. Par soucis de discrétion, il est resté caché. »

Toykaki leva les yeux vers Laki.

« Tu crois qu’on pourrait le planquer avec les aigles des Katinta à l’occasion ? En plus, on pourrait détourner des messages.
- On va plutôt parler pratique avant de parler stratégie, tu veux ? »

Laki se tourna vers les trois.

« J’imagine que vous n’avez pas d’endroit où dormir.
- Dehors. On a l’habitude de faire du camping.
- On va changer vos habitudes alors. Je ne sais pas si vous savez à quoi ressembler les jours de manifestation mais je vous déconseille de traîner dehors. Les soldats retournent la ville et tous ses environs. Et pour l’instant, on a l’effet de surprise et l’anonymat avec nous.
- Qu’est-ce que vous proposer ?
- C’est impossible pour nous de vous hébergez tous les quatre ensemble. En revanche, on peut tous prendre une personne. Je sais que vous allez vous inquiéter d’être séparés que l’idée ne vous plaît pas, mais je pense que c’est la meilleure option. C’est plus discret et plus prudent.
- Hm… ça me paraît envisageable, répondit Kerme. »

Il regarda Txiki et Osasun, ils ne bronchèrent pas. Après tout, les Pirates étaient mieux renseignés qu’eux, ils connaissaient le terrain.

« Faisons tout de suite les binômes alors. Nous ne nous connaissons pas beaucoup alors allons-y instinctivement. Qui a une envie particulière ?
- Txiki avec moi ? proposa Toykaki.
- Ça me va, conclut l’intéressé.
- Kanta, tu te mets avec Osasun ? demanda Laki.
- Si elle est d’accord, pas d’objection.
- Je suis d’accord.
- Et je peux me mettre avec toi, Laki, proposa Kerme.
- Marche comme ça ! Ron, tu t’occuperas de l’aigle ?
- S’il le faut, bien sûr. Je pense que pour le coup, il vaut mieux qu’il reste dans les arbres. Ce serait louche s’il atterrissait ici.
- Je suis d’accord. »

Cela planifié, ils choisirent des noms d’emprunts ainsi que des noms de code à la demande des Pirates. Ron insista également pour qu’ils fassent un petit relooking à la fin de la réunion : des personnes encapuchonnées tout le temps, c’était louche.

Les bases posées, ils se concentrèrent sur leur plan d’attaque. Leur objectif était de soutenir de les manifestations pour que les droits en jeu soient acceptés, et à terme obtenir un soutien de la part des ouvriers et des femmes. La première chose à faire était de participer aux manifestations, ce que faisait déjà les quatre Pirates. Seconde chose, il fallait contacter les leaders du mouvement, leur demander comment ils pouvaient les aider, ce dont ils avaient le plus besoin.

« Je pense qu’il faudrait trouver Tara Eaz en premier. Je sais où elle habite, fit Toykaki. Et puis, son frère, le gars qui s’était fait kidnappé et qui au final s’est plu chez vous, il est de votre côté non ? Ça aidera sûrement aux négociations.
- Tu parles d’Azken ? Est-ce qu’elle le sait qu’il est avec nous de son plein gré ? interrogea Kerme.
- Il ne parle quasiment jamais de sa famille, remarqua Txiki.
- On ne perd rien à essayer. Même sans ça, je pense que c’est la meilleure piste. C’est la plus jeune, donc potentiellement la plus naïve. Et puis, c’est une figure forte des manifestations. C’est elle qui a lancé le mouvement après tout.
- Qui s’occupe des négociations ?
- Txiki et moi, on peut s’en charger, proposa Toykaki. »

Et comme personne ne protesta, l’idée fut acceptée. La prochaine réunion fut planifiée dans deux jours pour établir leur plan d’action.

Et ils passèrent au déguisement. Ron prêta des vêtements d’ouvrier aux deux hommes, pas très élégants mais larges. Il s’attela aux coiffures tandis que Kanta choisissait une robe pour Osasun dans l’armoire de tenues de son collègue. Celle-ci comportait des dizaines et des dizaines de vêtements, du plus au moins extravagants, que l’ancien comédien avait entassé de ses spectacles. Kanta, les cheveux sombres et lisses, l’expression dure et les cernes noires, lui tendit une robe bleu comme le ciel.

« Celle-là te plairait ?
- Euh… je ne sais pas, rougit Osasun, gênée. »

L’elfe retourna le regard. Kanta haussa un sourcil et observa quelques secondes la demoiselle : bien couverte, pantalon et haut larges.

« Laisse-moi deviner… tu ne mets jamais de robe ?
- Euh… oui. Je ne suis pas… comment dire ?...
- Très à l’aise avec, dis-le franchement. »

Kanta reposa la robe. Osasun baissa les yeux devant le ton sec de sa nouvelle collègue. L’elfe aux cheveux sombres revint à l’assaut avec un pull en laine un peu grand de couleur sombre. Avec cela, un pantalon large et brun, abîmé en bas des jambes, des mitaines brunes, des chaussures de sécurité trouées et un bandeau kaki.

« Tu n’as pas trop de poitrine alors je peux te faire passer pour un mec. Ça te va ?
- Oui, merci.
- Allez ! À l’essayage alors ! »

Kanta tendit un grand tissu pour que l’elfe puisse se changer. Ses mouvements étaient toujours secs, mais jamais agacés. Sa voix était posée, mais dure. On n’avait pas envie de la contrarier.

Pendant ce temps-là, Ron avait fait une teinture à Txiki et lui avait sérieusement raccourci les longueurs. L’adolescent regardait ses cheveux au sol, sa queue de cheval allait lui manquer…
Kerme avait eu le droit à un traitement de faveur : Ron n’avait changé que sa coupe. Pour compenser, il avait le droit à un béret à carreau et un peu de maquillage.

Lorsqu’Osasun fut changée, on aurait effectivement pu la confondre avec un homme. Ses vêtements cachaient parfaitement ses formes féminines et son apparence fragile. Kanta ajusta son bandeau sur sa tête, prit un peu de recul et contemplant son œuvre.

« Les cheveux, ça passe pas. Je te les raccourcie et te met une teinture ?
- Est-ce qu’on peut garder mon œil caché ? demanda-t-elle d’une petite voix. »

Kanta s’approcha de nouveau, trifouilla un peu les cheveux de l’elfe et reprit du recul.

« Je peux faire ça… mais avec le bandeau j’ai peur que ça soit ridicule. Ron, tu as des bonnets ?
- Regarde dans les caisses en bas !
- Merci. Tu peux t’occuper des cheveux d’Atea en attendant que je trouve mon bonheur ?
- Entendu. »

Atea était le nom de code d’Osasun. Ron était déjà un nom de code, bien que l’homme en avait plusieurs selon les contextes. L’avantage du théâtre, c’était que l’on pouvait jouer tous les personnages que l’on voulait et prendre leur nom.

Ron fit signe à l’elfe de s’installer sur une chaise en face d’un miroir.

« Tu gardes son œil caché, précisa Kanta en train de vider des bacs entiers d’accessoires.
- Les filles sont exigentes de nos jours, sourit Toykaki.
- Ta gue*le Kaki ! répliqua sèchement l’elfe. »

Le jeune homme détourna le regard, amusé. Kaki était son surnom de Pirates.

Kanta dégotta un bonnet noir encore en bon état, ainsi qu’un vieux sac à dos. Cela finit de compléter la transformation d’Osasun.

« Plus qu’à prendre une voix virile et on y croirait, déclara l’elfe aux cheveux sombres.
- Nos copains ne nous reconnaîtrons même plus lorsqu’on rentrera ! s’amusa Txiki.
- C’est sûr, confirma Kerme en ajustant son béret. »

Osasun sourit en s’imaginait leurs têtes s’ils les voyaient. Finalement, les trois étaient plutôt satisfaits de ce petit jeu de rôle.

« Essayez de changer de vos personnalités de d’habitude, conseilla Ron. Et évitez d’utiliser vos magies devant tout le monde, ce sont des choses que l’on ne peut pas maquiller.
- Compris ! »

C’est ainsi que chacun repartit avec son binôme. Kerme fut charger de prévenir Arrano que tout s’était bien passé.

________________________________________________________________________

Txiki arriva sous le toit de Toykaki. C’était un grenier un peu arrangé, au-dessus d’une maison bourgeoise.

« Je vis tout seul ici. Je paie mon loyer en petit service aux bourgeois à qui ça appartient. Je suis ramoneur, mais il m’arrive de faire des livraisons ou un peu de ménage. C’est pas très grand mais on devrait s’en sortir.
- Je peux peut-être t’aider à payer ! Au moins pour mon repas.
- Ne t’inquiète pas, nos supérieurs nous ont offert une prime pour vous accueillir. Ils savent qu’on roule pas sur l’or. J’ai donc largement assez de ronds pour nous deux.
- Tu es sûr ? Surtout que si on va manifester, tu ne gagneras rien certain jour…
- Je suis sûr. Après, libre à toi de trouver un travail, ça te regarde, mais je te réclame rien. »

Toykaki termina sèchement sa phrase. Son message était clair : « je suis indépendant, je ne veux pas de ton argent ».

« Bon, je te fais confiance.
- Je ne te décevrai pas. Je te laisse t’installer, je crois que je n’ai pas besoin de te faire visiter. Ce soir, on mangera assez tôt, et on ira directement voir la miss Eaz. De nuit, on sera sûrs qu’elle sera libre. Enfin, j’imagine.
- Entendu ! Mais elle n’a peut-être pas trop envie de négocier la nuit ?
- On pourra juste planifier une rencontre pour le lendemain.
- Je vois. Et on lui dit quoi au juste ? On se présente, toi en tant que Pirates et moi en tant que Corbeau. On lui explique que nos deux organisations sont prêtes à s’allier pour l’aider dans son combat et on lui demande comment on peut l’aider ?
- En gros oui. »

________________________________________________________________________

Le soir, Toykaki conduit Txiki jusqu’à une petite maison bourgeoise.

« Je croyais qu’elle venait d’une famille riche, fit le garou.
- Ouais mais ses parents l’ont menacée de la mettre à la porte si elle continuait ses manifestations. Alors elle a pris les devants. J’ai entendu dire que la maison appartient à une autre famille noble. L’ainé prendrait aussi part aux mouvements sociaux.
- Je vois.
- Prêt ?
- Oui ! »

Txiki était un peu nerveux. Il savait au combien cette soirée allait bouleverser la suite de leurs actions. La réussite de toute une mission se décidait là. Toykaki le rassura d’un sourire sûr. Il n’y avait pas à hésiter. Il toqua trois coups secs et décidés sur la porte de bois.

Ils entendirent des pas se rapprocher après quelques secondes de latence. Un adolescent aux cheveux blonds ouvrit la porte. Toykaki ne se laissa pas démonté un seul instant et prit l’initiative.

« Bonsoir, excusez-nous de vous déranger si tard ! Je m’appelle Toyka et voici Suni, un camarade. Nous sommes venus voir mademoiselle Eaz, est-elle présente ?
- Bonsoir, que lui voulez-vous ? fit l’autre avec méfiance.
- Nous avons quelques propositions pour appuyer les deux mouvements sociaux qui se déroulent en ce moment, assura l’elfe aux cheveux roux. Mais si elle n’est pas là, nous pouvons peut-être vous les soumettre, monsieur Liote ? »

L'autre fronça les sourcils, sur ses gardes. Le rouquin en savait déjà trop, il n’aimait pas ça.

« Bien, entrez… on va en discuter autour d’un thé… »

Toyka le remercia d’une révérence et les deux garçons entrèrent. L’intérieur était lumineux mais simple. Le jeune noble les conduit jusqu’à une table qui trônait au milieu d’une pièce aux murs jaunâtres.

« Je reviens, ne bougez pas. »

Le blond sortit de la salle. Txiki, que l’on appellera Suni désormais, leva son pouce à l’attention de Toyka : bon boulot.

« C’est pas fini, souffla le roux. Ils vont se méfier. Prépare-toi à prouver que tu fais parti de l’Œil. »

Le blond reparut avec deux thés, suivi d’une jeune fille avec deux autres tasses.

« Bonsoir, salua-t-elle. Je suis celle que vous cherchez. Et vous ?
- Je m’appelle Toyka. Je viens de la part des Pirates, et pas pour faire un simple article.
- Ah oui ? s’amusa la blonde.
- Je pense que nous pouvons noircir des pages d’histoire, sourit malicieusement le jeune homme.
- C’est ambitieux, j’aime l’idée. C’est quoi ton super plan ?
- De vous filer un coup de main. Vous devez le savoir mais les Pirates ont le nez un peu partout et surtout là où il ne faut pas. Dites-moi si je me trompe, mais vous ne ferez pas valoir vos droits avec de simples manifestations ? Je veux dire les travailleurs finiront par abandonner sans argent pour nourrir leur famille, et les femmes ne seront jamais écoutées par le Conseil des Elfes.
- En effet, notre manège ne va durer longtemps à ce rythme. Nous avons des ambitions plus grandes…
- Je m’en doutais. Et pour cela, vous aurez besoin de renseignements, je me trompe ? À défaut de pouvoir vous soutenir ouvertement, nous pouvons agir dans votre ombre.
- Quel intérêt les Pirates auraient-ils à cela ? intervint le noble.
- Hm… comment dire ? Il est temps que ce monde ignoble soit révolu. Et ce que vous êtes en train d’accomplir aujourd’hui est un des rouages de cette révolution, déclara Toyka avec un ton excité, le regard avide. »

Les deux nobles se regardèrent. Ils savaient cela. Cette révolution, il comptait la faire. Pas seulement pour les femmes, les travailleurs, pour tout le monde. Ils projetaient de prendre le Conseil des elfes. Ils allaient offrir un monde meilleur au futur. Lorsqu’ils seraient là-haut, ils réécriraient les lois de cette nation.

Puis, la blonde se tourna vers le deuxième.

« Et toi ? Tu es un Pirate aussi ? Tu ne t’es pas présenté.
- Je suis Suni, je suis membre de l’Œil du Corbeau. Nous sommes également prêts à vous aider.
- Est-ce que ça veut dire que l’Œil et les Pirates ont conclu une alliance ? remarqua le noble.
- Nous collaborons, confirma Toyka.
- Je vois…
- Tu connais Azken ? fit la blonde à Suni.
- Bien sûr. En fait, il devait venir ici mais il a demandé à échanger sa place.
- Il a eu raison. Il va bien ?
- Il n’a jamais le temps de s’ennuyer mais il va bien. Il passe beaucoup de temps avec Zorigaitza… il m’a dit qu’ils écrivaient des lois et des essais. Mais ça va changer un peu, il partait en mission en même temps que nous.
- Je vois… bref. Et j’imagine que les intérêts de l’Œil sont également idéologiques ?
- Oui.
- Mais pas que ? Je ne crois pas une seule seconde que l’Œil du Corbeau se limite à agir dans l’ombre. Je ne vous connais pas personnellement, mais avec un chef qui s’est fait écarté du pouvoir impérial, et le frangin de Tara qui écrit des essais, je n’y crois pas. En plus, vous cherchez à faire des alliances, alors je suis en droit me poser des questions, déclara le blond. »

Suni lança un regard à Toyka. Celui-ci lui donna son accord d’un hochement de tête. Il pouvait en parler.

« L’Œil, avec le soutien des Pirates, projette un coup d’état. »

Les deux nobles se regardèrent de nouveau. Ils semblaient calculer leur position.

« L’Œil prendrait le pouvoir ? Pour mettre en place quel genre de gouvernance ? demanda le blond.
- Nous souhaitons maintenir un Conseil, sans empereur et qui a pour mission d’exécuter les lois. Ces lois seraient proposées par des élus de chaque espèce au cours d’une assemblée. Et une deuxième assemblée, validera et relira les lois. Grosso modo, vous voyez l’idée. Je pourrais prendre plus de temps pour vous expliquer, mais je pense que ce qu’il faut retenir, c’est que nous comptons établir un équilibre entre toutes les espèces représentées au Conseil, tout en donnant au peuple le droit de s’exprimer de part le vote.
- Vous ne projetez pas de prendre le pouvoir alors ?
- Peut-être les premières années, le temps de mettre tout ça en place. Une fois que tout marchera, nous aurons accompli notre mission.
- Je vois. Il commence à se faire tard. Nous allons réfléchir à vos propositions et nous vous retiendrons au courant. Je vous propose de repasser dans deux soirs.
- Parfait ! Nous serons au rendez-vous ! conclut Toyka. »

Le roux se leva, imité par Suni. Leurs deux hôtes les conduirent à la sortie. Le ramoneur tendit sa main au blond.

« Merci monsieur !
- Appelle-moi Kentan ! fit l’autre en lui serrant la pince. »

Chacun se salua, même si de loin cela ressemblait plus à la conclusion d’un accord plutôt qu’à un au revoir.

Les deux amis s’éloignèrent de la maison et à peine furent-ils hors de vue que Toyka lâcha un petit cri de joie et tendit sa paume à son collègue.

« Bon boulot ! C’est dans la poche !
- Ils n’ont pas encore dit oui, remarqua Suni en claquant sa main.
- Quand un noble autorise un gueux à l’appeler par son prénom, c’est qu’il va dire oui ! se réjouit le rouquin.
- Je te fais confiance ! »

Les deux garçons repartirent tout joyeux se coucher.
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Message par New Mentali » 09 Juin 2020 17:24

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Ce texte visait à mieux fixer les personnages du Second Œil mais ce texte a été rapidement abandonné. J'ai encore besoin de réflexion pour eux.




Nous sommes en danger. Il faut partir. J'allume ma fusée de détresse et la dirige vers l'Est, direction dans laquelle nous fuirons. Je sors une deuxième fusée, une fusée rouge, et l'envoie derrière la première : opération annulée. Je file vers le soleil levant. Le jour vient de renaître.

« Chaju ! Que se passe-t-il ? »

Lysis apparait à ma droite. Elle court jusqu’à se placer à mon niveau.

« Les Pirates ont eu la même idée que nous. Sauf que leur plan consiste à poser des bombes dans le périmètre. On doit partir avant d’être pris dans les explosions.
- Mais pourquoi feraient-ils cela ? Il n'y a rien qui pourrait les intéresser dans ce manoir !
- Nous n'en savons rien ! Nous enquêterons quand le calme sera revenu.
- Bien ! »

Rapidement, nous sommes rejoints par Krime qui a revêtu son apparence d'écureuil. Les flammes au-dessus de chacune de ses oreilles ont pris une teinte bleu marine. Il s'accroche à ma tenue, essoufflé de sa course et se dissimule dans une de mes poches. Il éteint ses flammes, bien entendu.

Puis, Ferfed fait son apparition, le petit être nous double rapidement et s’arrête brusquement, nous faisant une queue de poisson. Lysis et moi stoppons net.

« Eh ! Ça ne va pas ou quoi ? se fâche Lysis. »

Ferfed nous désigne le ciel et hausse les épaules. Je lève la tête. Que veut-il dire ? Je ne remarque rien d’anormal… Vouivre ! Où est-il ? Je regarde le farfadet, inquiet. Ce dernier semble détendu alors ça me rassure un peu. Mais quand même. Quelques secondes plus tard, une bourrasque balaie mes doutes. Le reptile se pose près de nous. Ferfed avait voulu l'attendre. Après tout, il ne manquait plus que lui.

« Les Pirates ont posé des bombes autour et sous le manoir. On ne sait pas ce qu’ils veulent alors il est plus prudent de ne pas intervenir. Rejoignons un village et tenons-nous informés de la suite ! »

Personne ne proteste, nous nous mettons en route.

Krime s'est perché sur mon épaule, ses flammes se sont allumées. Elles sont turquoises à présent. Il est alerte. Lysis aussi semble attentive aux environs, comme si elle sentait que quelque chose allait nous tomber dessus. Ferfed quand à lui était en tête, les mains derrière la tête, détendu. Vouivre ferme la marche, maladroit sur terre.
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Message par New Mentali » 09 Juin 2020 17:58

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Année : 94
Présence de violence ! Honnêtement, ça ne me choque pas dans le sens où j'ai écris ce passage du coup je ne sais pas trop à quel point ça peut heurter... si c'est trop je l'enlèverais.


Spoiler: show
Quelque chose ne va pas. Ça sent mauvais. Très mauvais. Je ne vois rien. Ça ne va pas. Il fait sombre. Où suis-je ? Que se passe-t-il ? D’où vient le danger ? Je le sens. C’est grave. Il faut que je parte. Je dois m'enfuir. Mes membres refusent. Ils sont bloqués. Une corde. Je suis attaché. Merde. C’est pas bon. Calme-toi ! Réfléchis. Il n'y a rien. Je ne sais pas. Je suis perdu. Je ne comprends pas. Pas de réflexion possible. Il fait sombre. Des pas, de plus en plus proche, tape le sol. Froid et dur. J'essaie de me libérer. La corde ronge mes poignets. Rien à faire.

Je panique. J'ai peur. Je ne comprends pas. Que se passe-t-il ? Les pas s’approchent, cinglants, menaçants. Je ne vois rien. Je m'agite. Mes poignets me brûlent. Un ultime bruit. Il est près de moi. Il est là. Qui est-ce ? Que veut-il ? J'ai peur. La corde ne cède pas. Rien à faire.

Une énorme main noueuse se resserre sur ma nuque. J'ai mal. Elle me soulève. Une odeur de sang. J'ai peur. Je me débats.

« Misérable asticot, grogne une voix tonitruantes, monstrueuses. »

Je tremble. Sur quelle créature suis-je tombé ? Que va-t-elle me faire ? J'ai peur. Mes muscles se tendent. J'ai mal. Qu'ai-je fais ? Pourquoi suis-je ici ? Une deuxième main arrache d'un coup sec le foulard qui me couvrait les yeux. Une barbe noire, immense, mêlée. Un visage épais avec des traits profonds, barré de balafres. De petits yeux durs, froids, qui vous transpercent. Un crâne lisse comme un œuf de dragon. Qui est-ce ? Il est effrayant. Impossible de faire sortir un son. Ma gorge est nouée, sèche. Rien à faire.

Son poing se lève, un boulet de canon. Je ferme les yeux, me crispe. La douleur ne se fait pas attendre, lourde et vive. Il me laisse tomber au sol. Je me replie sous la douleur. Mon épaule répond à peine, douloureuse. Je serre les dents pour ne pas gémir. Ses doigts se resserrent sur mon col tandis qu’il appuie son genou sur mon épaule. Je lâche un cri, les larmes aux yeux. Je peine à respirer. Je vais mourir. Je suis en train de mourir.

« J'en attendais un peu plus du plus grand assassin du continent, mais t'es qu’un lombric. Maintenant que tu sais ce qui t'attend, tu vais répondre à mes questions. »

Il appuie un peu plus sur mon épaule. J'entends un craquement. Je meurs. Je meurs. Va-t'en ! Pars ! Je meurs. J'ai mal ! Mes ongles s'enfoncent dans le sol dur, froid. Je ne peux plus l'endurer. Je vais mourir.

« Quel est ton nom ? D’où viens-tu ?
- E… Ezer, gémis-je.
- Où t'es né ?
- Je sais pas.
- Comment ça tu sais pas ?! Te moque pas de moi ! »

Je sens le poids sur mon épaule augmenter. Je hurle, serrer les dents ne suffit plus. Mes ongles griffent le sol dans un bruit horrible. Je tente désespérément de me dégager. Il va me tuer. Je veux partir. Je veux mourir tout de suite. La douleur est intenable. J'ai peur de mourir.

« Arrête de chialer et réponds ! Où se trouve votre repère ? Qui sont tes complices ? Comment les vaincre ? »

Je sanglote. Je souffre. Je veux partir. Je veux retrouver ma maison. Je veux mourir maintenant. Je veux revoir mes amis, ma famille. Où sont-ils ? Je veux leur dire à quel point je les aime. J'ai peur. J'ai peur de ne jamais les revoir. J'ai peur de mourir. J'ai mal. Je ne peux plus endurer cette souffrance, vive, lancinante. Profond désespoir. Je ne veux pas cesser de me battre. Mais je ne peux plus. Plus maintenant, j'ai mal. J'ai peur, je tremble.

________________________________________________________________________

J'ouvre difficilement les yeux. Je me sens dans le vague, embrouillé. Il fait sombre, je ne reconnais pas ce lieu. Il sent la mort, le sang, la peur… la mienne je suppose. Un calme étrange règne pourtant. Il n’y a personne. Paisible. Mais, je dois rentrer à la maison. Je dois sortir de se trou à rat. Je tente de me lever, une vive douleur me jette à terre. Oh c’est vrai… mon épaule est hors service. Alors, je prends le temps de me redresser, doucement. Autour de moi, il n’y a que des murs de pierre, humides et froids, où pourrie la moisissure. L'odeur est infâme.

Où sont Azken, Sua, Hegal, Erortzen et les autres ? Est-ce qu’ils me cherchent ? Je le pense. J'ai eu le temps de lancer une fusée de détresse… comment pourrais-je les joindre ? Leur signaler ma position. Je regarde mes mains qui ont été détachées. Vu les murs, ils résisteront sans peine à ma magie. Pas la peine d'indiquer à mes bourreaux que je suis debout. Je ne suis pas sûr de tenir une journée de plus. D’où leur vient cette cruauté ? Il n’y aucun humain parmi eux. Il dégage tous quelque chose de froid, de violent, d'effrayant. J'ai peur d’eux. Je ne leur ai dit que mon prénom.

Sans que je puisse les retenir, les larmes glissent sur mes joues. C’est dur. Je ne veux pas revivre ça. Les coups, la violence, les insultes, la cruauté. J'ai peur. J'ai peur de mourir. J'ai peur de ne pas m'en sortir. J'ai peur de ne pas revoir mes compagnons. Ils doivent être morts d’inquiétude. Je suis mort de trouille. Je n'arrive plus à empêcher tout mon corps de trembler.
J'entends la porte s'ouvrir au bout du couloir de pierre. Non, non, non ! Va-t'en ! Je me recroqueville au fond de ma cellule aux barreaux de fers. Une ombre se dresse au-dessus de moi. C’est fini… c’est la fin…

On m'attrape le bras, je sens des ongles s'enfoncer dans ma peau. Je suis jeté à terre. Je tente de me relever mais on me maintient au sol. Se débattre est vain. Je lève les yeux. Ils sont deux.

« J’imagine qu’aujourd’hui encore, tu ne daigneras pas nous renseigner. Alors, j'ai élaboré une nouvelle méthode. J'ai de l'eau et de l'acide. Tu sais probablement que l'acide brûle. Normalement, il faut rincer le plus vite possible ce genre de brûlure. Je ne le ferai que si tu réponds. Alors dis-moi tout d’abord, où se trouve la base des oiseaux de malheur ?
- Pour que vous leur fassiez du mal ? Jamais. »

Tandis que le poids lourd d'hier me tient, l'autre, plus fin, vêtu d’un uniforme sombre, se penche sur mes jambes. Je ferme les yeux, ça va piquer… j'ai senti un liquide chaud couler sur ma peau. Cette dernière s'est instantanément embrassée. Je gémis de douleur. Ça me ronge. J'ai mal. Je me débats pour me libérer.

« Lâche-le ! »

Et le mastodonte me laisse me replier sur moi-même. Je ne dois pas y toucher. Je dois attendre mais je veux atténuer la douleur, lécher ce point de souffrance. Je m'accroche mes mains de chaque côté de la brûlure, m’enfonce mes ongles. Je ne dois pas y toucher.

« Alors, où se trouve la base de l’Œil du Corbeau ? Qu’a prévu ton chef pour vos prochains missions ? Compte-t-il prendre le pouvoir ? Comment ? »

Je ne dirais rien. Je dois les protéger. Ils viendront me chercher… ils viendront me sauver. Je ne dois rien dire. Je dois partir d'ici. Je dois… l'eau ! Je dois récupérer l'eau. Je lève un œil vers le plus fin, impossible de repérer où il cache la bouteille. Sûrement sous sa tenue…

Je rassemble mon énergie pour me redresser péniblement. Je dois lui prendre l'eau. Je retombe au sol au premier pas. Misérable…

« Bon, si tu veux garder le silence, je vais te faire souffrir un peu plus, tu as l'air d’aimer ça. »

Il s'approche. Je veux reculer mais une vive douleur me tient au sol. Il s'agenouille près de ma tête et empoigne ma chevelure. Il se penche, je sens sa respiration sur ma joue. Alors, il est vivant ? Comment peux-tu vivre avec ça ? La souffrance des autres ne t'atteint pas ?

« Pas la peine de jouer aux héros, tes petits copains, on les aura tôt ou tard et ils subiront le même sort que toi. Évite-leur une longue agonie et réponds ! Que crois-tu gagner en gardant ton silence ? Tu es seul, coupé du monde ! Tu te fais souffrir ! Alors dis-moi, où est votre base ? »

Je tremble. J'ai peur. Je ne suis pas seul. Ils vont venir me sauver. Ils viendront… je dois y croire. Je dois tenir, rester l'esprit lucide et lutter.

Il me lâche. La seconde d’après, je sens ma jambe prendre feu. Je hurle.

« Et elles ont pleuré, elles ont pleuré parce qu’à ce moment précis, c’est la seule chose qu’elles pouvaient faire. » Je comprends mieux ce que Maman voulait dire…
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Message par New Mentali » 09 Juin 2020 18:12

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Echoes est ici un ex-personnage que j'ai retiré. Ne cherchez pas d'explication au titre, il n'y en a pas.


Il s'assit près d’elle, un grand sourire éclairait son visage. Avec délicatesse, il déposa la couronne de fleurs qu’il venait de confectionner sur la tête de la jeune demoiselle. Elle rayonnait avec ces éclats aux milles senteurs sur ses cheveux blonds. C’était un soleil, ses yeux pétillants réchauffaient les cœurs de ceux qu’elle croisait, et surtout celui de Txiki. Le jeune homme, près d'elle, la contemplait, radieux.

De loin, Osasun les regardait. Ils étaient mignons tous les deux. Non seulement Txiki et Lur étaient inséparables, mais en plus, c’était une excellente équipe. Si elle ne brillait par sa puissance, elle alliait la force du jeune homme à la ruse de la demoiselle. La jeune elfe les enviait un peu parfois…

« À quoi tu penses ? »

Elle sursauta, ne s'attendant pas à ce qu’on la dérange dans l’arrosage du jardin. Elle se tourna vers la panthère-garou qui s’était approchée, les mains dans les poches.

« Rien, je me disais que les légumes poussaient bien cette année. »

Ezer haussa les épaules. Pas plus que l’année dernière… en même temps sur un sol rocailleux comme celui de la montagne où ils habitaient, c’était normal qu'ils peinent un peu, les pauvres. Heureusement que l'Œil ne comptait pas sur ce petit potager pour manger…

La panthère garou alla remplir un second arrosoir pour donner un coup de main à sa collègue. Les deux finirent rapidement la tâche. Ils se réfugièrent alors dans l’infirmerie en attendant que le moment du repas arrive.

« Tu ne m'as dit comment s’était passé votre dernière mission.
- Quand on a dû faire couler un bateau ?
- Celle-là même !
- Déjà, quand on est arrivé là-bas, il grêlait. Avec Lur et Txiki, on s'est planqué sur un porche. On avait pas tellement froid, juste peur de se faire assommer. Y'a pas à dire, il faut vraiment moche dans le Nord, il n'y a que chez les harpies que la météo se tient encore. Bref, cela fait, on a foncé au port. Avait tous pris l’apparence de mouettes. C’était galère les ailes de ces trucs-là : aux moindres coups de vent, on dévie. Au port, ils commençaient à charger les explosifs. Alors on les a laissé faire. On s’est posés sur le mât. Les explosifs étaient dans des grosses caisses et ils étaient bien gardés. Pas facile de s’approcher. Lur m'a alors dit de faire diversion pendant que Txiki mettrait le feu aux poudres. Quand cela serait, ils n'auraient qu’à s'envoler le plus vite possible. Alors on a fait ça. J'ai été faire un coucou aux gardes. C’était marrant, ils m'ont couru après. J’allais les saigner mais Lur a donné le signal. Alors je me suis envolé en vitesse. Et sbam ! Le bateau a coulé. Fin de l'histoire.
- Une mission simple en somme.
- Txiki a quand même réussi à se faire toucher par une attaque en dégommant la poudre, c’est Lur qui l'a récupéré. Ils ont eu chaud aux fesses, l'explosion leur a poussés dans le dos apparemment.
- Hm, j'ai vu ça, ils avaient des brûlures légères.
- Oui, j'ai vu ça aussi. »

Les deux se sont regardés pendant de longues secondes, silencieux. Un moment reposant, pour l'un comme l’autre, qu’ils avaient l'habitude de prendre.

Osasun aimait Ezer. Il était détendu, comme si le danger n’existait pas. Son sourire rieur illuminait son visage avec assurance. Elle se sentait en sécurité avec lui. Et puis, la panthère-garou n’hésitait pas à répondre, à dire franchement les choses. Elle n'avait pas peur de provoquer. Cela mettait en confiance la jeune elfe et l'amusait beaucoup. Elle enviait parfois cette spontanéité, cette vivacité d’esprit. Elle, elle était toute timide, réservée. La crainte que ses paroles soient mal prises, mal interprétées l'habitait. Alors elle se murait dans un silence, une gêne. C’est ainsi qu’elle pensait ne jamais être capable d'avouer ses sentiments.

Ezer se redressa et rangea ses mains dans ses poches, décontracté. Son regard se posa à l’extérieur, à travers la grande fenêtre de la pièce.

« La prochaine mission va te concerner.
- Comment tu le sais ?
- Je le sais. C’est une mission de sauvetage dans un village d'elfe. Ils sont atteints d’une maladie qui les décime à petit feu, alors personne ne veut les aider.
- C’est contagieux, non ?
- Je ne sais pas, mais si ça a touché tout le village, je suppose.
- D’accord. »

Et comme l'heure du repas approchait, Ezer salua Osasun de la main et alla mettre la table. Le soir même, après le repas, Zorigaitza appela les membres à se rassembler.

« Réunion ce soir car nous avons reçu une requête urgente. Elle provient d'un petit village d'elfes. Ils sont touchés par une épidémie et ils n’ont pas trouvé d'aide de la part de leur voisin ou d'une quelconque Caste. Ils sont assez désespérés pour nous contacter.
- Comment ils ont fait ?
- À l'aide de fusée et de signaux lumineux. Ils savaient qu’on ne passerait pas loin et qu’on les verrait durant la dernière mission.
- C’est assez… surprenant comme technique.
- Il faudrait qu’on pense à installer quelque chose pour ce genre de chose. Une sorte de boîte au lettre. Mais pour l’instant, concentrons-nous sur la mission. À propos de leur maladie, ils ne nous ont malheureusement pas dit grand-chose, si ce n’est qu’elle est mortelle dans la grande majorité des cas.
- Il va falloir être hyper prudent.
- Cela va de soi. Pas de contact avec les habitants, on ne boit pas dans la même eau, on ne mange pas derrière eux, on fait attention quoi. »

Pause. Zorigaitza jugea alors qu’il n’y avait pas question.

« Je compte envoyer Ezer, Echoes et Osasun pour cette mission. Oun vous emmènera.
- Ils n’y vont qu’à trois ?
- Le strict minimum. Pas besoin de prendre des risques supplémentaires.
- Hm… c’est vrai.
- Si cela convient à tout le monde, le chef de l’Œil se tourna vers les deux concernés, vous partirez demain à l'aube. »

Et le lendemain à l'aube, le quatuor prit son envol.
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Message par New Mentali » 09 Juin 2020 19:25

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C'est la suite de "Je suis touché" (pour ceux qui l'auraient pas lu, en gros Ezer se fait maltraiter après avoir été capturé).




« Tu sais quoi Kaosa ?
- Non dis-moi !
- Le gars de l'Œil qu’ils ont choppé, celui qui annule les magies, apparemment ils l'ont transféré à Lurria, sous la prison.
- Et quelqu'un a prévu d'aller le chercher ?
- L'Œil a lancé des menaces, ses membres doivent retourner ciel et terre là où il a disparu de la circulation. Ils ne le retrouveront pas comme ça, il est à des centaines de kilomètres…
- Et si on allait le chercher ?
- Pardon ?!
- Et si nous, nous allions le chercher ?
- Tu es malade ?! C’est blindé de garde ! Si on nous choppe, c’est cuit ! Et puis ça ne nous regarde pas ! Les Pirates n'ont jamais communiqué avec l'Œil du Corbeau, et ils n’ont jamais chercher à fouiller dans nos affaires ! Chacun de son côté ! Je vois pourquoi ça changerait !
- Dans ce cas, j’irai seule !
- Quoi ! C’est de la folie ! Tu ne bouges pas d'ici ! Il est hors de question que tu y ailles et encore moins seule !
- Je m'en fiche, j'irai !
- Ce que tu peux être têtue…
- Soit j’y vais seule, soit tu viens avec moi et tous ceux de l’équipe qui le voudront.
- Bien, bien, je vais les contacter.
- Rendez-vous à Lurria d'ici deux jours à l’aube, devant la grande taverne ! »

Et Fyru soupira. Cela ne faisait que deux mois que Kaosa avait rejoint son équipe, et si elle pouvait se montrer brillante, ses coups de tête étaient agaçants. Il s’était attaché à elle, à son regard plein de vie et à sa détermination inépuisable. Sa vivacité et son ingéniosité en faisaient une allié de taille, mais elle était terriblement têtue et imprudente.

Il se leva et tendit sa main à Kaosa.

« Après-demain, à l'aube.
- Après-demain à l'aube ! »

Kaosa lui serra la main, pleine d'entrain. Fyru la laissa, s’enfonçant dans l’obscurité de la nouvelle nuit. La panthère-garou rejoignit son lit et s’y fourra. Une peur, un doute commença à l'envahir. Et si elle ne s’était pas emballé un peu vite ? Ezer. C’est le nom de ce prisonnier. C’était aussi le nom de son frère, le dernier cadeau de sa mère avant que l'avoir laissée à Üle.

Il n'y avait aucun doute à avoir, c’était lui son frère. Une panthère-garou, comme elle, un orphelin puisque leur mère les avait laissés à d’autres. Il avait l’âge d’être ce petit frère que sa mère portait en elle lorsqu’elle l'avait laissé ici. Tout coïncidait parfaitement.

Mais aller le chercher sous la prison la plus grande, la plus sécurisée du continent, était-ce la meilleure des idées ? C’était une occasion unique de le rencontrer sans que l'Œil du Corbeau n'interfère. Mais n’était-ce pas aussi envoyé son équipe au casse-pipe ? La mission allait être périlleuse. D’autant plus qu’elle n'avait pas beaucoup de temps pour se préparer, il lui faudrait une bonne journée pour arriver à Lurria. Elle arriverait sûrement là-bas fatiguée. Ses compagnons seraient probablement dans le même cas. Hm… avait-elle réellement fait le bon choix ?

Et puis, est-ce que cet inconnu accepterait le fait d’être son frère ? Après deux décennies sans nouvelles… elle pouvait comprendre un rejet. Cela lui ferait beaucoup de peine, elle rêvait de retrouver de la famille depuis toute petite. Non pas qu’elle ait été malheureuse, mais elle enviait toujours les enfants qui pouvaient appeler quelqu’un « papa », « maman » ou « frérot ». Aujourd’hui, la solitude lui pesait un peu, maintenant que Üle et Jouna étaient morts. Flint devenait vieux et les chiens ne comblaient pas le vide en elle. C’était aussi pour cela qu’elle avait choisi de s'engager chez les Pirates. Trouver un peu de compagnie et récolter des informations sur son frère.

________________________________________________________________________

À l'aube, le surlendemain, devant la grande taverne de Lurria, cinq hommes s’étaient rassemblés dont Fyru. Kaosa afficha un grand sourire en les voyant, toute l’équipe était venue.

« Salut Kaosa !
- Salut les gars ! Merci beaucoup d’être venus !
- Tu as un plan ? coupa sec Fyru.
- À vrai dire…
- Bien, voilà le plan. »

Et Fyru expliqua, il avait réussi à obtenir des informations sur la prison qu’ils allaient piller et notamment des plans. Il répartit un rôle à chacun, prenant en compte les forces et faiblesses de chaque membres.

________________________________________________________________________

Kaosa arriva devant la cellule où était Ezer. Elle glissait nerveusement les clefs du trousseau qu’ils avaient trouvé une à une. Ses mains tremblaient, elle ne trouvait pas. Finalement, l'une des clefs accepta de tourner et elle ouvrit la prison.

Au bout du couloir, Fyru lui faisait signe de se dépêcher. Il avait assommé les gardes, mais le silence pourrait alerter les autres. Le leader avait conscience des risques qu’ils prenaient et rien que d’y penser, il s'en mordait les doigts. Personne ne devait les voir, les Pirates seraient accusés de relâcher un tueur dans la nature. De plus, ils seraient sûrement punis par l’organisation elle-même d'avoir diriger cette mission clandestine. Et surtout, il ne donnait pas cher de leur peau si on les capturait.

Kaosa se rua sur le corps, inerte. Elle donna une petite claquee sur la joue du dormeur. Rien à faire. Il respirait cependant. Elle le jeta sur son dos, il n’était pas aussi lourd qu’elle s’y attendait, et décampa sans demander son reste. L'urgence de déguerpir sans être vu était plus forte que tous ses doutes. Il n’y avait pas de question à se poser.

Fyru fit signe à Kaosa de rejoindre comme prévu le conduit de secours. Pendant ce temps-là, il allait prévenir ses complices qu’ils évacuaient.
La panthère-garou se hissa dans le conduit de secours, destiné à l’évacuation d'urgence en cas d’incendie. Elle reposa la grille qui bouchait l’ouverture derrière. Tirant le corps d'Ezer dans l’étroit passage, elle finit par arriver dans un tunnel plus large. Là, un de ses coéquipiers l’attendait.

« Mission accomplie ! déclara-t-elle.
- Il faut encore filer. Tu veux que je le prenne ?
- Non, ça ira. »

Ils se lancèrent un regard entendu et déguerpirent.

________________________________________________________________________

Kaosa coucha le corps sur le lit de la chambre d'ami. Ils avaient réussi à évacuer sans problème. La petite équipe, rassemblée dans la cuisine, était soulagée. Fyru avait ramené deux bouteilles d'hydromel pour fêter ça.

La panthère-garou s'affaira à retirer les vêtements sales, déchirés et tachés du blessé. Il faudra presque les jeter… ils sont irrécupérables. Elle découvrit une multitude de marques rouges, bleus ou violacées. Des coups de fouet, des morsures, des brûlures et sûrement d'autres qu’elle ne parvenait à identifier. Elle serra les dents, pourvu qu’il s'en remette… on l'avait bien secoué.

« Les gars, vous pouvez me ramener la trousse de secours ?
- Oui ! »

C’est Kadata qui se dévoua. L'elfe déposa la mallette près de la jeune femme et siffla en découvrant l’état d'Ezer.

« Ils l’ont pas raté dis donc ! Dommage qu’on n'ait pas de doc sous la pattes.
- Aide-moi à tout désinfecter plutôt que commenter ! »

Kaosa lui jeta le coton et la bouteille d’alcool entre les mains.

________________________________________________________________________

« Kaosa, ça va aller ?
- Oui, ne t’inquiète pas, je m'en occupe. Ne prenez pas le risque de trop traîner ici, on ne sait jamais.
- Ouais. Appelle-moi si tu as besoin ! Plus tard !
- Plus tard ! »

Et Kaosa s'est retrouvée seule avec son blessé et Flint qui l'a rejoint. Le chien loup fixait sa maîtresse qui lui semblait tendue.

« Flint, et s’il ne se réveille pas ? Je veux dire… il est faible. Je vais galérer à le nourrir en plus… »

La panthère-garou s'agenouilla. Flint vint lui lécher doucement la joue pour la réconforter.

« Il doit survivre. Je ne veux pas avoir risqué la vie de tout le monde pour rien. J'ai peur, Flint. »

Elle serra l'animal contre elle. Ses doutes dégoulinaient sur ses joues. Les deux dernières journées l'avaient vidée. Elle avait à peine la force de se raccrocher à ses espoirs. Elle avait peur que son frère meurt. Elle avait peur qu’il la rejette en apprenant la vérité. Elle avait eu peur qu'ils se fassent tous attraper.

________________________________________________________________________

Ezer ouvrit doucement les yeux. La tête lourde, il avait l’impression de s’être fait écrasé par un troupeau d'hippalectryons. Où était-il ? Il ne reconnaissait pas le lieu. Une odeur de pluie lui chatouillait les narines, mais rien d'autre ne lui paraissait familier. Il porta sa main à son visage, une douleur lancinante lui vrillait l'esprit. Il manquait probablement de sommeil. Mais maintenant, impossible de se rendormir, il souffrait. Il gémit, et passa le regard de sa main sur son front. De la sueur. Il avait de la fièvre comme c’était là…

Une main attrapa la sienne, froide, humide.

« Tu m’entends ? Si tu m'entends, serre ma main. »

Il serra la main qu’il ne reconnut pas. Qui était-ce ? La vue trouble, il ne parvenait pas à distinguer le visage qui était penché au-dessus de lui.

« Je m’appelle Kaosa, tu es chez moi, en sécurité. Je vais t'apporter de l'eau et à manger. Ne bouge pas. »

Sa voix était calme mais ferme. Elle articulait bien et parlait fort pour ne pas que son hôte ai besoin de faire beaucoup d'effort pour la comprendre. Elle lâcha doucement la main d'Ezer et alla chercher à boire et à manger. Elle se rassit près de lui.

« Tu peux te redresser ? »

Pas de réaction. Elle jugea alors plus sage de le laisser au sol. Alors avec patience, elle le nourrit à la cuillère. Flint vint la rejoindre et glissa son museau sous la paume du blessé. N'obtenant rien, il se coucha contre le corps.

Ezer finit par refuser de manger alors Kaosa écarta le repas. Elle était contente, en mangeant il allait reprendre plus vite des forces.

« Mes amis… prévenir, murmura le blessé. »

Kaosa s'assit près de lui et posa sa main sur la sienne.

« Je n'ai pas de moyen pour les joindre. Tu dois vite récupérer pour les retrouver. »

Les yeux de son hôte se refermèrent doucement, emporté dans un profond sommeil par sa faiblesse. Kaosa soupira. Il pensait déjà à partir. Elle aimerait bien le garder un peu pour elle… le temps qu’elle trouve l’occasion de lui annoncer qu’il était son frère. Elle aimerait apprendre à le connaître, après toutes ces années.

________________________________________________________________________

Il s'assit en tailleur. Une vive douleur le rattrapa. Il serra les dents pour ne pas gémir. Dans le noir de la nuit, il découvrit la pièce où il était couché. Une chambre, circulaire, aux murs de peau et de cuir, le tout tenu par une armature de bois. La porte n’était qu’un simple rideau aux couleurs délavées. Le sol était fait de planches. Couché sur un matelas fin, un peu dur, il avait hérité de deux couvertures et d'un chien loup, couché contre lui. Étonnant qu’il ne l'ait pas encore réveillé en bougeant d’ailleurs. À deux mètres de lui, un tabouret supportait des tissus, soigneusement pliés… des vêtements ? Au sol, une assiette et une carafe étaient posées. Les deux étaient pleines mais il n'avait pas la force de les atteindre. Chaque mouvement lui arrachait une nouvelle souffrance. Il jeta un coup d'œil à ses membres, il était couvert de bandages… une vraie momie ! Et il ne voulait même pas savoir ce qu’il y avait en-dessous, il avait déjà assez mal comme ça. Il soupira. Son état était pitoyable… il n'avait même pas la force de joindre ses camarades et son cristal d'urgence avait été récupéré par les membres de la Caste. Ils devaient être morts d’inquiétude… pourvu qu’ils ne tentent rien d’irréfléchi. En plus, il n’avait aucune idée de combien cela faisait qu’il dormait.

Sa douleur roula sur ses joues, noyant ses yeux. La cruauté, la violence, la monstruosité d'un homme l'effrayait. Il repensait à ce qu’il avait subi. Les coups, les injures, les accusations, on l’avait traîné dans la boue. Il n’avait jamais pensé que telles atrocités puissent être faites. Il n'avait jamais réalisé avec les chimères à quel point c’était douloureux d’être maltraités, violentés, juste pour le plaisir de quelques uns. Et encore, il avait la chance de s'en sortir entier…

________________________________________________________________________

Dès qu’il fut suffisamment rétabli, il commença à accumuler de la magie. Il fallait absolument qu’il envoie un message à ses camarades.

« Combien de temps s'est écoulé depuis que j'ai été capturé ?
- Douze jours. Tu es resté trois jours prisonniers et cela en fait neuf que tu es ici.
- Je vois… désolée de te donner du mal.
- Ne t’inquiète pas ! Je n’aurais pas été te chercher si ce n'avait pas été de bon cœur.
- C’est impressionnant que tu aies réussi à t'infiltrer. Tu étais accompagnée, je me trompe ?
- Non.
- Tu remercieras tes coéquipiers de ma part alors. Je suis soulagé de ne plus être là-bas.
- Je pense bien ! »

Ezer lui sourit doucement. Il n'avait pas retrouvé sa vivacité, montrant un calme étonnant, comme si on l'eut vidé de toute son envie de vivre. Kaosa s’était habituée à ce rythme morne, tentant néanmoins d'égailler le visage de son hôte avec de brusques éclats de bonne humeur. Le convalescent s’était attaché à cette manie qui lui arrachait des sourires.

Soudain, Kaosa a laissé tomber sa joie puis une expression plus sérieuse.

« Il faut que je te dise quelque chose…
- Hm ?
- Je… tu es mon frère. Nous… avons les mêmes parents. Notre mère m'a confié à Üle, l'ancien propriétaire de ces terres, alors qu’elle te portait encore dans son ventre. Elle m'a dit qu’elle t’appellerait Ezer pour que je puisse te retrouver…
- D’accord. »

Kaosa leva les yeux vers Ezer, surprise de sa réponse. C’est toute sa réaction à une déclaration si importante ? Il la croyait ? Il…

« Kaosa, je n'ai jamais cherché ma famille biologique. Ma famille adoptive me suffit.
- Je comprends… à vrai dire, je m’attendais à ce genre de réponse.
- Je suis désolé.
- Ce n'est pas grave, soyons juste amis !
- Cela me paraît raisonnable. Je te suis reconnaissant pour ce que tu fais pour moi.
- Ce n'est… »

Ezer reposa sa tête contre l'épaule de sa sœur. Celle-ci, surprise tout d’abord, sourit et le prit dans ses bras. Ce frère qu’elle avait tant rêvé de rencontrer, il était juste là, contre elle.

« Ravi de te rencontrer.
- Moi aussi. »

________________________________________________________________________

Finalement, quelques jours plus tard, Ezer était d’attaque pour contacter ses camarades. Il se tenait dans l'herbe, devant la maison. Kaosa et Flint se tenaient derrière lui, vigilants. Toujours en convalescence, le membre de l'Œil brandit sa main en l'air et envoya une puissante décharge vers le ciel. Il priait pour que ses camarades puissent la détecter de là où ils étaient. Cela fait, il se laissa tomber dans l'herbe, vidé.

Kaosa s’approcha, loin d’être inquiète. Ezer avait tenu à faire ce tour le plus tôt possible, alors c’était normal que celui lui prenne beaucoup d’énergie.

« Je ne t'ai même pas demandé. L'Œil sait que vous m'avez libéré ?
- Non. Je préfère d’ailleurs qu’il croit que j'ai été te chercher seule. En fait, le roi n'a pas voulu dévoiler ton évasion pour faire pression sur l'Œil.
- Encore plus vicieux que son père ce Azmin. Et qu’a-t-il obtenu d'eux ?
- Rien. Ils ont rasé la Caste qui était censée te retenir prisonnier. Comme ils n'ont pas eu de résultats, ils ont menacé d'attaquer les Castes de la capitale.
- C’est du suicide. Elles sont plus puissantes que nous.
- D’ailleurs, comment as-tu su que j’étais dans cette prison ?
- C’est mon secret.
- D’accord. Je crois que j'ai deviné alors.
- Tant pis ! Tu comptes rester couché là longtemps ?
- L'herbe est confortable.
- Soit, je vais préparer de quoi les accueillir dans ce cas.
- Okay. »

Kaosa a fait signe à Flint de veiller sur Ezer avant de filer jusqu’à la maison.

« Eh, Flint. Tu crois qu'ils vont verser combien de larmes en me voyant ? »

________________________________________________________________________

Ce n’est que quelques heures plus tard qu’une silhouette apparue dans le ciel. Ezer se redressa et fit de grands gestes de bras. C’était Hegal. Elle avait senti sa magie ! La chimère se posa avec empressement devant son frère, manquant de le déséquilibrer d'une bourrasque et cacha son museau contre lui. Il enfouit son visage dans sa crinière. Ils étaient si heureux de se retrouver. Ils avaient eu peur. Peur d’être séparés à jamais. Ils étaient ici, ensemble.

Quelques minutes plus tard, c’est Oun, portant sur son dos Sua, Kerme et Azken qui débarqua. S'ensuivit Zizare avec Erortzen et Nomnos, Zorigaitza, Txiki et Grimgrim. L'Œil était là, presque au complet. De touchantes retrouvailles eurent lieu. De la maison, Kaosa les observait, Flint près d'elle. Un sourire doux éclairait son visage. Ils étaient complices tous autant qu’ils étaient, les voir réunis lui réchauffait le cœur. Mais cela signifiait aussi qu'Ezer allait partir. Peut-être même que c’était la dernière fois qu’elle le voyait. Elle se disait qu’elle n'avait pas à être triste : il avait de bons camarades et semblait heureux avec eux.

Elle les vit remonter vers elle. Son instinct lui criait de se méfier mais Flint aboya gaiement. Et si Flint était confiant, alors il n’y avait pas de raison de craindre. Le chien loup courut jusqu’à Erortzen et sauta autour. Kaosa regarda le caprin et après quelques secondes, elle reconnut l'homme qu’elle avait aidé une bonne décennie auparavant. Elle savait qu’il avait rejoint l'Œil du Corbeau, mais n'avait pas fait attention. Alors il se portait bien, elle était contente.

« Bonjour, vous êtes Kaosa, c’est bien cela ?
- Bonjour, et vous êtes le chef de l’Œil du Corbeau si je ne m’abuse ? Je suis honorée de vous rencontrer, vous et vos amis ! »

Elle a balayé tous les membres du regard, souriante. Est-ce qu'Erortzen la reconnaissant ? Elle était petite à l’époque…

« Tout le plaisir et pour nous. Nous vous sommes infiniment reconnaissant d'avoir pris soin d'Ezer. Nous aimerions vous remercier…
- Alors venez boire quelque chose ! Je vous offre volontiers le thé !
- Nous ne voulons pas vous déranger…
- Si vous me dérangiez, j'aurais commencé par mettre Ezer à la porte !
- Tu n'aurais pas osé, a répliqué l’intéressé.
- Tu crois ça ? Je suis sûre que les brebis apprécierait un peu de compagnie ! »

Ils ont échangé des regards provocateurs. Kaosa a souri, enfin il retrouvait un semblant de vie…

La bergère fit entrer l'Œil. On se serra un peu autour du feu, mais chacun trouva sa place. Kaosa offrit un verre à chacun.

« Je suis surprise que vous soyez autant à vrai dire. Vous êtes presque au complet…
- Effectivement, nous cherchions Ezer quand Hegal a senti sa magie. Comme elle a décampée d'un coup, on s'est douté qu’elle avait une piste. Mais dites-moi, vous avez l’air bien informée sur nous ?
- En compilant les informations dans les journaux, on arrive assez facilement à vous cerner vous savez ?
- Je vois. Et vous vivez seule ici ?
- Si on excepte les animaux, oui. Üle, le précédent propriétaire de cette ferme, est mort il y a déjà quelques années. Il était mon tuteur, alors j'ai récupéré le terrain et les responsabilités qui vont avec.
- Je vois. Vous ne devez jamais vous ennuyez.
- Oh si ! À vrai dire, la solitude rend le temps long. Alors je suis toujours contente que les gens s’arrêtent discuter ici ! »

Elle s'est assise dans le cercle, un sourire ravi fendant ses lèvres. Rayonnante de bonne humeur. Elle avait pris soin d'enliser ses doutes et ses peurs dans cette lumineuse joie.

« Je comprends, a souri Zorigaitza.
- Quelqu’un a encore soif ? »

La jeune bergère a attrapé la casserole et s'est levé. Ezer a levé son verre silencieusement, appuyé contre Hegal. À peine le regard de Kaosa s’est posé sur lui qu’il lui a lancé son verre. La femme l'a attrapé sans mal et a tapé du pied sur le sol.

« Je t'ai déjà dit de ne pas lancer la vaisselle !
- Je ne vois pas le problème si tu la rattrapes.
- Garde ton énergie pour guérir andouille.
- Je te ne permets pas, répliqua Ezer d'un ton à peine outré.
- Comme si j'avais besoin de ça ! répondit l'autre avec ironie. »

Kaosa lui servit un nouveau verre d'infusion. Elle savait qu'Ezer l'aimait beaucoup, il en avait bu des litres depuis qu’il était là.

« Tu es bien insolent avec elle, remarqua Hegal à l'intention de son frère garou. »

Celui-ci lui répondit d'un sourire amusé. Un jeu. Ce n’était qu’un jeu qui s’était installé entre eux ces derniers jours. Et l'un comme l’autre l’appréciait, un joyeux défouloir.

« Quelqu’un d’autre ? »

Erotzen leva son verre timidement.

« S’il te plait. »

Et Kaosa s'exécuta.

« Je suis désolé pour Üle.
- Je suis sûre qu’il est ravi que tu sois ici de là où il est. Quand il a appris que tu avais rejoint l’Œil, il était content.
- Pourquoi ?
- Je ne sais pas. Il a juste souri, un de ces mystérieux sourires dont il avait le secret.
- Je vois…
- Vous vous connaissez ? a demandé Zorigaitza.
- Erortzen a dormi quelques jours ici par le passé, il y a très très longtemps. J’étais encore petite comme ça ! »

Elle abaissa sa main au niveau de sa hanche. Erortzen a attrapé doucement son poignet et a descendu sa main de quelques centimètres.

« Quoi ! J’étais pas si petite ! s'est faussement vexée la bergère. »

Un petit rire a parcouru l’assemblée.

« Je vois, a conclu Zorigaitza amusé. »

Kaosa est retournée s'asseoir à sa place.

« Au fait, qu’est-ce qui vous ferez plaisir en guise de remerciement ?
- Hm… vivez encore quelques décennies, ça fera l’affaire !
- Nous ne pouvons pas garantir cela… encore moins vu notre statut.
- Normalement, on répond juste affirmativement avec toute sa volonté de s'accrocher…
- C’est une coutume du coin ? Je ne savais pas.
- Laissez tomber, c’est impertinent. »

Elle s'est levée encore une fois, incapable de tenir en place.

« Faites simplement comme Erortzen, il remplit très bien sa dette d’il y a longtemps.
- Je fais de mon mieux.
- Tu es plutôt bon alors. Treize ans, c’est un bon score.
- Je peux faire mieux.
- J’espère bien ! Je veux au moins les vingt ! Après je commencerai à considérer que c’est remboursé.
- Tu commenceras ? J’imagine qu’il n'est jamais trop tard pour débuter.
- Ah ah oui ! a rit la bergère. »

Zorigaitza a commencé à comprendre où elle voulait en venir. Elle leur souhaitait simplement une bonne continuation, elle ne voulait rien. Il la trouvait généreuse, d'une profonde gentillesse.

« Excusez ma curiosité, a commencé Sua, mais comment Ezer est-il arrivé ici ?
- Un coup du destin je suppose !
- Qu’est-ce que c’est censé vouloir dire ? »

Sans répondre, Kaosa s'est rendue dans la pièce voisine chercher une couverture et l'a étendue sur Ezer qui s’était endormi de fatigue.

« Il vous contera son histoire s’il en a la force. En revanche, vous devez savoir qu’il a été transféré immédiatement après sa capture sous la grande prison à Lurria. Il y est resté quelques jours avant d’être ramené ici dans un état pitoyable. Je l'ai soigné avec les moyens du bord. J'avoue que j'ai plusieurs fois eut peur qu’il me clamse entre les doigts, mais il a toujours tenu. Et finalement, il guérit. Je ne suis pas docteur ni rien, alors je suis assez fière de mon coup, je l’admets.
- Qui l'a ramené ici ?
- Je ne peux pas vous le dire.
- Comment ces personnes ont su où il avait été transféré ?
- Je ne peux pas vous le dire.
- Par ignorance ou bien ?
- Je ne peux pas vous le dire.
- Cela fait beaucoup de mystères.
- Je suppose.
- Pourquoi avez-vous sauvé Ezer ? a demandé Kerme.
- Vous lui demanderez. Il sait.
- Que cherchez-vous à protéger ? fit Zorigaitza.
- Chacune des personnes impliquées dans cette affaire. L’ignorance a aussi ses avantages. »

Kaosa retourna s'asseoir. L'ambiance s’était alourdie. Cela ne lui plaisait pas. Sa bonne humeur ne rayonnait plus.

« J'ai une question, moi aussi. Vous le ramenez aujourd’hui ?
- Avec l'accord du médecin de bord, oui. Nous ne voulons pas vous imposer sa présence plus longtemps. Surtout vu son insolence…
- Je suis heureuse de l'avoir ici vous savez, il met un peu de couleur dans mes journées. Tiens j'y pense, je vous fais visiter ? Ça lui laissera le temps de dormir un peu. Ce serait dommage de le réveiller alors qu’il vient de s’endormir. »

Et le groupe sortit, guidé par la bergère. Seuls Azken et Hegal étaient restés dans la maison.

________________________________________________________________________

En fin d’après-midi, Ezer daigna ouvrir les yeux. Il se redressa, encore fatigué et regarda ses camarades qui le fixaient. Azken s’approcha.

« Ça te dérange si je t'examine ?
- Ce n'est pas nécessaire, mais si tu y tiens…
- Je préférerais.
- Bien. »

Le garou se leva et fit signe à l'elfe de le suivre. Il se dirigea vers la chambre d'amis où il séjournait. Hegal voulut les suivre.

« Reste là, s’il te plait. »

Ezer lui a sourit. Il préférait qu’elle ne voit pas. Une fois que les deux se sont retrouvés seuls, Azken a fait signe au garou de s'asseoir.

« Pourquoi tu ne veux pas que je regarde ?
- Ce n'est pas glorieux, tu sais. C’est pas très beau en plus de ça…
- Je sais pas bien que quand tu te blesses, tu ne fais pas semblant.
- Ah, oui, on peut dire ça…
- Je peux regarder ou tu refuses catégoriquement ?
- Vas-y… »

Azken s'est assis derrière Ezer et a soulevé son haut, dévoilant une multitude de plaies, parfois infectées, parfois à peine cicatrisées.

« Tu dois souffrir avec tout ça, non ? Tu ne devrais même pas te lever…
- Ouais, ça picote un peu.
- Tu sais si Kaosa a mis quelque chose dessus ?
- Elle a désinfecté à l'alcool.
- D’accord. Et tu en as partout des bobos de ce genre ?
- Brûlure aux jambes, le fouet dans le dos, des coups sur le devant, coupures sur les bras, le poignet droit en vrac, quelques touffes de cheveux en moins – heureusement que je suis bien fournis –, quelques kilos en moins, enfin la totale quoi.
- Je me disais bien que tu me paraissais plus maigre… allez, retire tes vêtements, on va mettre un peu d'onguent là-dessus ! D’ailleurs, ils sortent d’où ces habits ?
- Kaosa me les a offert, les miens étaient nazes apparemment.
- Je vois. »

Et Azken a sorti de sa sacoche son stock de pommades et de crèmes. Il a commencé à en appliquer sur les blessures du garou qui s'est laissé sagement faire.

« Je rentre ce soir ?
- Je pense. Ton état semble l’autoriser, même si tu devrais te ménager.
- J’aimerai… rester un peu ici.
- …
- Tu sais, Kaosa se sent seule. Elle est heureuse quand elle est avec quelqu’un… et lui tenir compagnie n'a rien de désagréable.
- Tu l'aimes bien non ?
- Je dois admettre que je me suis attachée à elle.
- Bon, je vais arranger ça alors… mais tu me promets que tu te tiendras tranquille ! Pas de folie ! Et je passerai te voir de temps en temps pour vérifier.
- Merci beaucoup Azken.
- Tu sais, je suis soulagé que tu t'en sois sorti. Plusieurs fois, j'ai failli admettre ta mort. Nous avons cherché tant de jours sans trouver aucune trace de toi… mais en voyant Hegal continuer, je me disais qu’il y avait encore de l'espoir. J’étais certain qu’elle sentait que tu étais vivant, quelque part. »

Ezer a simplement souri, ne pouvant exprimer ses propres sentiments qu’il refoula. Il n'avait pas la force de les exprimer, ces douloureux moments avaient été insupportables et il ne pouvait y penser sans se faire submerger par ses propres émotions.

Azken a accepté ce silence. Il savait que c’était dur. Vu les marques que présentaient son ami, il comprenait bien qu’il ne pouvait que s’imaginer sa souffrance. Et il ne pouvait rien faire pour guérir ce genre de traumatisme sinon se montrer à l’écoute et être patient. L'elfe termina de badigeonner le garou et rebanda les plaies.

« Voilà, tu devrais être tranquille demain avec ça. Je vais conseiller Kaosa au cas où tu chopperais une bonne fièvre – et l’espère, ça te forcera à rester coucher – ou que tu aies des douleurs. Et puis, il faut que je lui demande de quoi faire une attelle à ton poignet avant de partir.
- D’accord. »

Ezer se rhabilla. Azken rangea son matériel et sortit de la pièce. Les autres étaient toujours là, ayant sorti un jeu de cartes.

« Il vaut mieux qu’il reste ici au calme pour le moment.
- Il en a pour combien de temps ?
- On parle d'Ezer, difficile à dire. S’il est raisonnable, d’ici une semaine, il devrait pouvoir rentrer sans problème. En tout cas, il s'est pas raté.
- À ce point-là ?
- Il faut que je refasse mes stocks. Où est Kaosa ?
- Elle est avec les bêtes, elle a dit qu’elle revenait.
- Je vais aller la voir.
- C’est urgent ?
- Si on ne veut pas rentrer de nuit, oui. Je vais lui donner quelques consignes. Et de toutes façons, je repasserai d’ici quelques jours.
- Entendu. On peut aller voir Ezer ?
- Attendez qu’il sorte de lui-même ! »

Et Azken s'est dirigé vers l’étable. Il s’arrêta à la porte et fut accueilli par des aboiements frénétiquement de la part des trois chiens qui vivaient là.

« Silence ! a crié Kaosa, apparaissant de derrière une botte de paille. »

Les canidés se sont tus.

« Comment il va alors ?
- Comme quelqu’un qui ne s'est pas raté. Je n'ose même pas imaginer l’état dans lequel tu l'as récupéré.
- Ah… je n'ai pas osé chercher de médecin, mais j’aurais peut-être dû…
- Pour te faire dénoncer, mauvaises idées.
- C’est ce qui m'a retenue.
- Est-ce que tu aurais de quoi faire une attelle ?
- Je peux trouver des barres de fer et de la ficelles, ça ira ?
- Ouais, je vais bricoler avec ça. »

________________________________________________________________________

De son côté, Ezer s’était décidé à sortir de la chambre, ne serait-ce que pour rassurer ses camarades. Il savait qu’ils s’étaient fait un sang d'encre pour lui, c’était la moindre des choses.

« Azken nous a dit qu’il valait mieux que tu te reposes ici, ça ira ? Tu as besoin qu’on te ramène quelque chose ? a commencé Sua.
- Non, ça ira. Merci. Rassurez simplement Osasun et Pigné !
- Pas de soucis. Mais dis-moi… qu’est-ce qu’il s’est passé exactement ? Kaosa nous a un peu laissés dans le flou.
- Elle a fait ça ? J’imagine qu’elle avait ses raisons.
- Peux-tu nous expliquer ?
- Pas vraiment en fait, je me suis un peu réveillé là comme par magie. Je n'ai aucun souvenir de mon transfert entre ici et la prison.
- Et quel intérêt a-t-elle à te soigner ?
- Ah ça, c’est un peu compliqué. Je crois que ses raisons sont totalement valables et légitimes… j'aurais probablement fait pareil si j'avais son courage.
- Tu tournes autour du pot, a râlé Sua.
- Qui te dit que j'ai envie de te dévoiler le contenu du pot ?
- Je vois, toi aussi tu gardes le mystère… on ne saurait donc jamais qui sont les acteurs et ce qui les a poussé à agir dans cette histoire.
- À vrai dire, il y a encore des parts d'ombre, même pour moi. Notamment concernant mon évasion. Je n'ai que des intuitions sans réels fondements alors je préfère garder le silence pour le moment.
- Ezer, a repris Zorigaitza, que s’est-il passé lorsque tu étais en captivité ?
- Je ne leur ai rien dit.
- C’est une bonne chose, ça aurait pu poser problème. »

Zorigaitza a marqué une pause. Ce n'est pas exactement la réponse qu’il attendait.

« Et qu’est-ce qu’ils t'ont fait ? »

Ezer a posé son regard sur le seau d'eau qui était contre le mur, près de l’entrée. Une barrière s'est érigée dans son cœur, une fragile protection entre lui et ce qui s’était passé. Pour ne plus y penser. Pour oublier.

« Rien.
- Rien ?
- Rien. »

Personne n'a insisté. « Il vous contera son histoire s’il en a la force », ces paroles commençaient à prendre un sens dans l'esprit des membres de l'Œil.

« Si tu veux en parler, nous sommes à ton écoute. Si tu préfères garder le silence, nous respectons ton choix.
- Oui. »

Et finalement, ce petit moment fut interrompu par le retour d'Azken et Kaosa. Ils s’arrêtent en constatant l’ambiance peu joyeuse qui régnait, puis sans commentaire, l'elfe s'assit devant Ezer et lui demanda son poignet.

« Pas de tentative de mouvement tant que c’est pas totalement guéri, c’est clair ?
- Oui.
- Et autre chose, évacue. Je suis pas médecin de la tête, mais si tu veux causer, y'a des moutons charmants à l'étable.
- Ah, j’y penserai à l’occasion docteur.
- Voilà, fit Azken en resserrant une dernière fois l'attelle qu’il venait de réaliser. Si tu as un soucis, je te file ça ! »

Asken sortit un cristal de sa poche. Celui était en réalité de la magie solide produite par Pigne. Bien utilisé, il permettait de lancer un signal magique donc utile en cas de détresse urgente.

« Merci.
- De rien. Guéris vite.
- Je ferai de mon mieux. »

Et l'Œil put repartir presque serein, bien que sans explication précises suite aux récents événements. À peine ses camarades eurent disparu du regard d'Ezer que des larmes commencèrent à troubler sa vision. Il était faible. Il ne pouvait même pas les rassurer, leur apporter une quelconque explication, leur avouer qui était Kaosa, ou même de leur raconter ce qu’il avait vécu. Même les chimères avaient réussi à franchir le cap quand c'eut été leur tour ! Et lui, il avait la chance d'avoir des amis qui lui faisaient confiance les yeux fermés, qui tenaient fort à lui et qui étaient près à tout accepter, mais il était incapable de leur parler. Et puis, il avait mal ! Au poignet, aux jambes, dans le dos, partout ! Chaque mouvement étaient pour lui un gros effort mais il ne voulait pas rester coucher. Il ne voulait pas inquiéter.

Kaosa s'est agenouillée devant lui et l'a pris dans ses bras avec la douceur d'une mère, la fermeté d'un père et la complicité d'une sœur. Ezer s'est accrochée à elle. Pourquoi elle ne doutait jamais ? Comment faisait-elle pour toujours conserver son aplomb ? Il lui enviait sa bonne humeur, son audace et son courage.

Le dîner fut bref, silencieux. L'un comme l'autre étaient épuisés de cette journée. Kaosa du aider son frère à marcher jusqu’à son lit. Elle était inquiète de le voir ainsi vidé de son énergie, mais elle se rassurait en se disant qu’elle était fatiguée aussi alors qu’elle était en bonne santé.
À peine Ezer fut sous la couverture qu’il tomba dans un profond sommeil.

________________________________________________________________________

Le lendemain, il fut incapable de se lever, pris d'une violente fièvre. Kaosa resta patiemment à son chevet, tricotant lorsqu’elle n’était pas en train d'éponger le front de son patient. Elle répondait à ses plaintes rauques sans faillir par des berceuses que lui chantait parfois Üle lorsqu’elle était plus jeune.

Elle était inquiète et ce serait mentir que de dire qu’elle n'avait pas pensé à appeler Azken. Il lui avait donné un cristal de détresse au cas où. Mais il lui avait aussi dit qu’il mettrait au moins deux heures avant d'arriver sur place de là où il était. Alors, elle s'est tâtée. Mais elle a décidé d'attendre.
Azken l'avait prévenu qu'Ezer aurait très probablement de la fièvre et qu’il serait cloué au lit. Il avait expliqué que le blessé avait besoin de plus de repos, qu’il n’aurait pas du se lever. Ses blessures pour certaines n'avaient pas été suffisamment nettoyées et son système immunitaire avait été trop affaibli pour lutter contre toutes ces plaies en même temps. Il avait aussi dit qu'Ezer était très têtu et n'aimait pas les périodes de convalescence alors il fallait être ferme avec lui.

Kaosa aurait aimé donner à son frère un mélange qu'Azken lui avait confié en cas de fièvre ou de douleur, mais il avait refusé de l'avaler. Il avait tout refuser d'avaler, même le repas. Il buvait simplement, et elle ne savait pas si elle pouvait diluer le médicament dans l'eau. On lui avait toujours dit d’être prudente avec les produits à base de plantes, de ne pas faire de mélange sans savoir. Et elle ne savait pas.

La nuit est tombée et Flint a rejoint sa maîtresse. Celle-ci a allumé une lampe pour pouvoir surveiller son patient. Le chien loup s’était couché contre elle et avait fini par s'endormir. Elle ne tarda pas à le rejoindre dans les bras de Morphée.

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Le lendemain, elle fut réveillée par quelqu’un qui toquait à l’entrée. Elle se leva brusquement, réveillant Flint au passage. Ce devait être Azken. Il avait dit qu’il repasserait. Elle se dirigea vers la cuisine, remettant brièvement sa chevelure en ordre.

« Salut Kaosa. Quoi de neuf ?
- Fyru ! Salut, j'ai eu de la visite et toi ?
- Les Pirates sont au courant de notre petite escapade.
- Ah, et c’est comment ?
- C’est bien. Ils ont salué notre discrétion, en revanche ils ne veulent aucun problème avec l'Œil du Corbeau. Ils n’ont pas peur d'eux, mais ils le détruiront s’ils font des histoires. Ils ont largement de quoi tu sais.
- Ils n'ont pas fait d’histoire. Ils sont venus avant-hier, et ils étaient soulagés. Ils ont posé des questions, et je crois qu’ils sont repartis avec.
- C’est bien comme ça. C’est mieux s’ils ne savent bien, qu’ils n'aillent pas inventer des choses.
- Tu as une certaine défiance à leur égard, je me trompe ?
- Je n'ai rien contre personnellement, mais nos supérieurs sont prudents. Nous sommes une organisation pacifique. Si tout le monde apprend que nous avons remis dans la nature un des gars les plus recherchés du continent, tu vois le tableau ? Ça nous fait une bonne réputation et qui dit méfiance, dit plus de difficultés en mission.
- Je comprends. Je suis contente que les Pirates acceptent que je vous aie entraîné là-dedans.
- Ils n'ont pas le choix. C’est fait. Du coup, tu n'as plus notre patient ? Ils l'ont emmené ?
- Il est toujours là.
- Tu aurais du le dire avant, je n'aurais pas parlé si fort.
- Ne t’inquiète pas, il est cloué sous sa couverture. En revanche, j'attends de la visite de la part de l'Œil aujourd’hui.
- Je ne vais pas m’attarder alors. Je venais surtout voir si tout allait bien.
- Tu veux le voir ?
- Non, je ne veux pas prendre de risque, je te fais confiance. Ils sont comment alors à l'Œil ?
- Plutôt sympathique, ma foi ! Ils sont venus très nombreux : ils étaient quasiment au complet !
- Oh, intéressant ! Tu as pu récupérer des infos ?
- Ah, tu sais, je n'ai pas fait attention. Mon but n’était pas de remplir notre banque de donnée. En revanche, si tu as des questions plus précises, je peux essayer de t'aider.
- Je passerai si j'ai besoin alors. Allez, à plus !
- Plus ! »

Et Fyru est parti. Kaosa l'a suivi du regard jusqu’à ce qu’il disparaisse de son champ de vision. Elle était contente de l'avoir vu. Alors les Pirates avaient su… ils étaient vraiment partout. Enfin, pour quelque chose aussi gros que ce qui s’était produit, c’était normal. Cela l’étonnait cependant qu’ils soient si pacifiques alors que les événements pourraient leur attirer de gros tracas. Peut-être avaient-ils un plan ?

Finalement, Azken n'arriva qu’après le midi, accompagné d'Osasun et d'Oun. Kaosa les accueillit en leur offrant de quoi grignoter puisqu’ils avaient dû se mettre en route le matin même.

« Comment ça se présente ?
- Il a eût une grosse fièvre hier et ce matin, il est plus calme mais s’il reste mal-en-point.
- On peut le voir ?
- Faites comme chez vous ! »

Azken lui a lancé un regard reconnaissant et a fait signe à Osasun qui était restée toujours un peu en retrait de le suivre. Kaosa les a regardé jusqu’à ce qu’ils disparaissent dans la chambre. La jeune femme aux cheveux rouges, elle en avait entendu parler, mais on avait très peu d’information sur elle chez les Pirates. Apparemment, ce serait dû au fait qu’elle ne sorte que rarement en mission. En tout cas, elle avait l’air un peu réservée.

Azken s'est assis près d'Ezer et a posé sa main sur le front de celui-ci. C’est chaud. Il a retiré la couverture pour contempler ses blessures. C’était toujours un peu rouge, pas très glorieux, mais c’était mieux. Osasun s'est agenouillée de l’autre côté du corps et à poser ses mains froides sur le corps.

« Ne force pas trop, lui a rappelé Azken. »

Et la jeune femme a activé son pouvoir de guérison. Azken surveillait les plaies d'Ezer qui se refermaient à vue d'œil. L’efficacité d'Osasun l’impressionnait toujours… dommage que ça lui consomme tant d’énergie. La minute d’après, elle avait retiré ses mains, la respiration saccadée.

« On va repasser un peu de pommade et ça devrait aller. S’il ne bouge pas, il devrait être rentré d'ici une semaine. »

________________________________________________________________________

Quelques jours plus tard, Ezer était debout. Il allait et venait dans la maison, aidant Kaosa aux tâches ménagères. Les deux développaient une certaine complicité, appréciant se provoquer.

« Kaosa ?
- Oui ?
- À quoi ressemblaient nos parents ?
- J’étais trop petite, je ne me souviens pas de notre père. Üle m'a dit qu’il était marchand, et qu’il a abandonné Maman pour des problèmes d’argent. Maman était grande, avec les cheveux sombres, bouclés. Son visage était doux, un peu allongé. Elle était belle, elle aimait bien faire des couronnes de fleurs. Elle a dit me laisser ici parce qu’elle ne pouvait pas s’occuper de moi, que serait plus heureuse avec Üle. Et toi, tu étais dans son ventre, elle m'a dit qu’elle t’appellerait Ezer. Après coup, j'ai appris qu'avant de rencontrer son mari, elle était une pauvre prostituée en ville. Elle n'avait donc pas un sou pour elle, et donc pour nous…
- Et s’il y avait un autre Ezer ?
- Non. Tu as l’âge, l’apparence, le nom, tout colle. Pas d'erreur possible.
- Et tu crois qu’elle est toujours vivante ?
- Je ne sais pas. Si elle l’était, elle serait peut-être passé me voir… mais peut-être qu'elle a un nouveau travail trop contraignant. Je n'ai jamais eu de nouvelles.
- Je vois. »

Kaosa a regardé Ezer, il semblait réfléchir. Finalement, il croyait un peu à cette histoire, ça lui faisait plaisir.

« Tu sais quelle genre de magie avait nos parents ?
- C’était deux garous, maman panthère et papa pie apparemment.
- Et ils n'avaient rien de plus ?
- Je ne crois pas, j’étais petite tu sais… j’oublie probablement des détails. J'avais trois ans quand je suis arrivée ici.
- D’accord. »

Ezer se replongea dans ses pensées. Il ne saurait donc jamais d’où vient ce pouvoir d'annuler la magie ? Il ne connaissait que son cas, et un garou ne maîtrise normalement pas d'autre pouvoir que celui de son animal de prédilection. Alors pourquoi n’était-il pas comme tout le monde ?

« Tu demandes ça à cause du fait que tu peux annuler la magie ?
- Oui.
- Je ne peux pas vraiment t’aider… je peux simplement t'assurer que je n'ai pas cette capacité. Je contrôle simplement la foudre, comme toute panthère qui se respecte.
- Je contrôle aussi la foudre, mais je peine à le faire de plus en plus.
- C’est étonnant. Tu veux dire qu’avec le temps, ton pouvoir devient incontrôlable ?
- Oui, mais c’est léger. Je me concentre et ça repart, mais je n'avais pas besoin de ça avant, c’était plus naturel.
- Hm… et si tu annulais ton propre pouvoir ?
- Je le sentirai tout de même…
- Je ne sais pas alors. »

Et puis, ce n’était une question d'affaiblir son pouvoir, c’est une question de le contrôler. Finalement, le mystère restait entier. Force de croire qu’il ne savait pas grand-chose de lui. Enfin, il n'avait jamais beaucoup cherché.
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