Le lendemain, Ezer s’installa à une table dans le hall pour prendre son petit déjeuner. Il s’était réveillé tard, alors sans personne pour discuter, il attrapa le journal du matin. Il commença une lecture des gros titres, les sens pas encore bien éveillés.
« Bonjour Ezer. »
Le garou leva la tête.
« Bonjour Zorigaitza.
- Bien dormi ?
- Oui.
- Je ne t’en ai pas parlé hier parce que tu étais fatigué, mais j’ai mis ça de côté. »
Il tendit un papier qui ressemblait à un article le journal. Ezer le prit et le lut de travers.
« Les parents d’Azken nous menacent ?
- Nous avons également reçu ça, de manière officieuse. »
Le garou fronça des sourcils. De manière officieuse ? Il regarda la lettre que lui tentait Zorigaitza. Il prit le temps de la relire deux fois, cherchant le détail qui pourrait changer la donne.
« Et là, ils nous proposent une grosse somme en échange de leur fils ?
- Comme tu peux le constater. Qu’est-ce que tu en penses ?
- Qu’ils nous proposent une grosse somme.
- C’est un constat, pas une réflexion.
- C’est vrai. Je pense que ce pourrait être un piège, comme ça pourrait ne pas en être un. Je ne doute pas une seule seconde qu’ils ont la somme et qu’ils veulent récupérer l’héritier de leur fortune. En revanche, ils peuvent aussi demander l’aide d’une caste pour nous tendre un piège. Ce qui est plus probable vu l’article de journal. Je veux dire, on les blâmerait de nous donner de l’argent, c’est un aveu de faiblesse… tu vois ce que je veux dire ?
- C’est ce que je pensais aussi. Dois-je en parler à Azken ? C’est le premier concerné. »
L’adolescent débarqua au même moment dans la pièce, venant de se réveiller.
« Demandons-lui ! suggéra Ezer. Azken !
- Bonjour, répondit celui-ci entre deux bâillement.
- Est-ce que Zorigaitza doit-en parler ?
- Hein ? De quoi tu parles ?
- De ce que Zorigaitza doit te parler !
- Mais de quoi il doit me parler ? fit Azken en levant un regard interrogateur vers le chef.
- Ben de ça, répondit Ezer en tendant les papiers qu’il venait de lire.
- C’est quoi ça ? »
Azken attrapa les papiers. Il lut le gros titre de l’article, puis leva les yeux vers les deux.
« Je peux aller chercher mon petit déjeuner avant ?
- Bien sûr ! sourit Ezer. »
Et l’elfe s’éclipsa dans la cuisine.
« Tu as peut-être été un peu direct non ?
- Non.
- En tout cas, tu aurais pu présenter ça autrement plutôt que de faire l’andouille…
- Mais j’étais sérieux ! S’il ne voulait pas en parler, il n’aurait pas pris les papiers.
- Il était forcé de les prendre de la manière dont tu t’y es pris.
- N’importe quoi !
- Allez, s’il veut en parler, dis-lui que je suis dans mon bureau.
- D’accord ! »
Et Zorigaitza laissa Ezer pour son travail. Le garou grimaça, il passait son temps dans son bureau… il devrait sortir de temps en temps.
Azken revint, son plateau en main. Il s’assit à côté d’Ezer et commença sa lecture. Ce dernier l’observait du coin de l’œil, guettant ses réactions. Il n’en décela pas beaucoup. Finalement, l’elfe releva la tête.
« Et qu’est-ce que l’Œil compte faire ?
- Rien. Et toi ?
- Que dois-je faire ?
- Je ne sais pas. Dire à tes parents à quel point tu es malheureux ? Je serai curieux de voir ce que valent leurs menaces. Ou alors exprimer ton souhait de rentrer chez toi ? Comme ça on récupère l’argent. Enfin, que ferais-tu si tu avais le choix ?
- Je n’ai pas le choix, je ne vois pas pourquoi je m’amuserai à m’inventer des utopies.
- Tu n’auras jamais le choix si tu ne tentes rien. Enfin, si tu veux en parler, Zorigaitza m’a dit que tu pouvais le trouver dans son bureau.
- J’y penserai à l’occasion… »
________________________________________________________________________
Ezer sortit dehors. L’air était frais. Il marcha un peu et après s’être assuré qu’il était seul, appela sa sœur. Il n’eut aucune réponse alors il attendit un peu, pour être sûr, et repartit dans une autre direction. Il répéta plusieurs fois ses appels, sans succès. Où pouvait-elle être ? Il réfléchit un peu et se souvint d’un détail. Le Conseil s’était tenu hier. Leur mère, qui n’était nul autre que la reine des chimères, lui avait demandé de l’y accompagner. Hegal avait râlé tout ce qu’elle avait pu et avait finalement accepté. La connaissant, elle devait sûrement bouder dans un coin à présent. Pas la peine de la chercher. Il revint alors vers l’abri. Il passa par le terrain d’entraînement. À sa grande surprise, il y retrouva Azken qui observait Txiki et Sua s’opposer. Erortzen et Grimgrim étaient là aussi, s’entraînant à lancer des sorts.
Ezer s’arrêta pour observer ses camarades. Sua et Txiki étaient deux bons combattants au corps à corps, mais le caprin gardait un avantage certain pour les attaques à distance sur le garou, et c’était souvent ce qui faisait la différence. De son côté, Grimgrim était très douée en magie lui donnant un gros avantage en arrière-garde, mais sa vivacité lui offrait également une place en première ligne. Quant à Erortzen, difficile de bien cerner ses capacités. Son démon le rendait imprévisible, et donc polyvalent. Il conservait ses capacités de caprin, mais la nature de sa magie était variable. Et Azken ? Que valait-il ? Quel genre de magie possédait-il ? Les elfes ont des magies diversifiées.
Ezer s’avança vers Erortzen.
« Tu veux faire un petit combat contre moi ?
- Ne me pique pas mon partenaire d’entraînement ! râla Grimgrim.
- On peut faire un deux contre deux alors ?
- Mais on est trois, remarqua le caprin.
- Mais non ! Azken, tu viens t’entraîner avec nous ? appela Ezer. »
L’elfe leva la tête, surpris.
« S’entraîner à quoi ?
- À se battre.
- Je ne suis pas sûr que…
- Allez ! insista Ezer.
- Tu ne devrais pas le forcer, remarqua Erortzen.
- Bon, accepta le blond. »
Ezer sourit. Il savait bien qu’Azken n’était pas dans le coin par hasard. Il n’était cependant pas certain que leurs entraînements conviennent à l’ex-noble. Les équipes se firent naturellement.
« Bon, on y va tranquille, glissa Ezer à Azken, il ne faudrait leur faire du mal.
- Ben on se bat ou pas ?
- Ouais. Pas de règle sinon on ne tue pas, on évite de blesser, et on crie stop pour arrêter le combat. Tout le monde doit s’arrêter à ce signal. C’est facile, non ?
- Oui. Et… tu as une stratégie ?
- On gagne.
- D’accord, fit Azken en haussa un sourcil. »
L’elfe était peu convaincu par cette stratégie et ça ne le rassurait pas. Il avait pour partenaires des combattants redoutables et pour lui qui ne s’était jamais battu que dans la cour de l’école, sa position l’inquiétait. Il aurait préféré un minimum d’organisation pour une première fois, d’autant plus que s’affronter de cette manière ne lui était pas familier.
« Prêt à perdre ? provoqua Grimgrim.
- Quand tu veux, face de choux ! répliqua Ezer. »
Vexée, la phytopode engagea la bataille par une salve de projectiles magiques. Ezer s’élança alors vers elle, sans faire attention à la précédente attaque : les boules verdâtres s’évaporaient miraculeusement à son contact.
Erortzen lui barra la route, projetant une longue langue de flamme entre le garou et Grimgrim. Cette dernière profita de cette diversion pour foncer sur Ezer, bondissant au-dessus des flammes. Elle dégaina son poignard, prête à donner un coup féroce.
Ezer n’eut que le temps de dégainer son propre poignard pour bloquer la lame de la phytopode et recula presque immédiatement pour se donner le temps de réagir à la prochaine offensive. Cette dernière ne tarda pas. Erortzen avait enveloppé son poing dans une épaisse couche de magie et bondit sur le garou pour lui asséner un coup. Celui-ci prit son apparence de panthère et fut forcé de reculer encore pour ne pas se prendre un pain mémorable. Il risqua un regard en arrière, Azken les observait, semblant ne pas savoir quoi faire. Le félin grimaça, ce n’était quand même pas compliqué de balancer une attaque aléatoire…
Grimgrim profita des attaques d’Erortzen pour envoyer un projectile de magie sur l’elfe, histoire de voir comment il réagissait. Ce dernier réagit tard, puisqu’il regardait le caprins et le garou. Il se jeta sur le côté, roula dans la poussière. Il se redressa et lança un regard furieux à la lanceuse. Elle avait le culot de l’attaquer !? Elle ? La demi-vivante ? Une misérable phytopode !
Azken, d’un geste de la main vers Grimgrim, lui envoya une dizaine de boules d’eau. Elle les évita, un sourire sur les lèvres. Enfin le blond se décidait à se battre. Elle savait qu’elle l’énervait, qu’il considérait sa race comme soumise. Après tout, c’était un noble et tout le monde considérait les demi-vivants comme des êtres inférieurs, les réduisant à l’esclavage. Mais Grimgrim n’était pas de ceux-là. Elle refusait de servir qui que ce soit contre son gré. Et si Azken la méprisait aujourd’hui, elle trouverait le moyen de gagner son respect. Elle renvoya une salve de projectiles.
Ezer s’interposa, la magie disparut à son contact. Puis, il balança une décharge devant Erortzen pour le dissuader de continuer des attaques. La panthère, le pelage hérissé, le souffle bref, jeta un regard à l’elfe. Ils devaient se battre en équipe, sinon ils ne s’en sortiraient pas. Cet instant suffit au caprin pour changer de cible. En s’en rendant compte, la panthère bondit à sa poursuite. Elle savait qu’Azken ne pouvait pas rivaliser avec la force de frappe du démon.
Mais l’elfe en décida autrement. Il frappa du pied, éleva sa main vers le ciel ; du sol jaillit un torrent, il fondit vers Erortzen. Celui-ci ne s’arrêta pas pour autant et donna un coup dans l’eau qui gicla. Ezer fit un écart pour ne pas prendre une douche. Grimgrim en profita pour lui lancer un sort : des pousses jaillirent aux pattes du félin et le ligotèrent solidement au sol.
De son côté, Erortzen avançait malgré la force de l’eau. Azken serra les dents en s’en rendant compte. Ce tour lui coûtait beaucoup de magie… et à deux contre un, il n’allait pas faire long feu. Il devait trouver un moyen de libérer Ezer des plantes s’il voulait avoir une chance. Mais avant qu’il puisse réagir, de nouvelles pousses enserrèrent ses jambes. Surpris, il relâcha son emprise sur son propre sort. Il leva la tête. Le caprin était sur lui, le poing brandit. L’elfe plaça ses bras devant lui par reflex, les yeux fermés et aurait voulu reculer.
« Stop ! cria-t-il. »
Il n’osa rouvrir les yeux que quelques secondes après, constatant qu’il n’avait pas entendu le poing d’Erortzen atteindre une quelconque cible. Celui-ci s’était mué en main tendue, prête à aider l’elfe à se relever. De plus, les végétaux avaient relâché leur étreinte.
Azken accepta l’aide du caprin, maugréant un merci. Il constata que Grimgrim et Ezer s’était rejoint pour se serrer la main.
« Joli timing, complimenta le garou.
- Et toi, toujours aussi vif ! répliqua la phytopode. »
Erortzen esquissa un sourire timide à l’elfe.
« Tu t’es bien débrouillé pour une première.
- Merci… mais pas aussi bien que vous.
- Tu peux me tutoyer. »
Azken hocha la tête. Il voyait ce personnage comme un démon qui pouvait vite prendre le contrôle de ses gestes. Pourtant, toutes ses attaques avaient été parfaitement contrôlées, jusqu’à la dernière… et puis, il fallait avouer qu’il n’avait pas l’air méchant. Il n’était pas très bavard, un peu solitaire, mais toujours calme et poli. L’elfe revenait un peu sur ses préjugés, mais il restait méfiant.
Ezer posa sa main sur l’épaule du caprin et lui tendit l’autre.
« Des grosses frappes toute en finesse ! commenta joyeusement le garou.
- Merci, fit le possesseur de démon en lui serrant la main. »
Ezer tendit ensuite sa main vers Azken.
« Bien joué, partenaire !
- Toi aussi. »
Malgré le sourire du garou, l’elfe restait perplexe. Avait-il vraiment si bien joué ? Il avait un doute. Il serra cependant la main de son compagnon. La phytopode les rejoignit et échangea un regard complice et une poignée ferme avec son coéquipier. Un sourire éclairait son visage fleurie.
Avant qu’elle ne puisse tendre sa main vers Azken, ce dernier se tourna vers Sua et Txiki qui s’entrainaient toujours. La phytopode afficha une mimique résignée, Erortzen et Ezer lui lancèrent des regards désolés, comprenant où était le problème. Et sans perdre leur bonne humeur, le caprin et la jeune femme reprirent leur entraînement. La panthère-garou s’étira et reprit sa route vers l’abri. Il allait sûrement profiter qu’Azken soit dehors pour traîner à l’infirmerie.
La pluie frappait doucement le carreau. Azken s’assit devant Zorigaitza, un peu nerveux. Il avait l’impression de revenir chez lui, quand il rentrait dans le bureau de son père. Il se faisait souvent disputer, et il n’aimait pas l’ambiance de la pièce. Celui de Zorigaitza était plus sombre, moins spacieux, fait de bois. En revanche, le nombre de papier qui y était entassé était toujours aussi impressionnant.
« C’est à propos de la lettre et des articles…
- Je t’écoute.
- Qu’est-ce que vous comptez-vous ?
- Dans l’immédiat, rien. L’état actuel des choses ne me posent pas de problème. Je ne crois pas une seule seconde que tes parents aient les moyens de mettre leurs menaces à exécution au vue de leur lettre. Ils cherchent juste à conserver leur réputation.
- Mais votre réputation à vous…
- On nous accuse déjà de beaucoup de choses. Les elfes sont les plus hargneux de ce côté-là d’ailleurs.
- C’est possible, sourit Azken.
- Et toi, que comptes-tu faire ?
- Que puis-je faire ? Y a-t-il quelque chose que je peux faire pour aider l’Œil ?
- Eh bien, il y a deux cas de figure. Soit nous ne faisons rien, ce qui implique que tu es considéré comme un prisonnier aux yeux du monde. Cela signifie que si demain nous nous faisons attraper, tu as une grande chance de ne pas être jugé pour nos crimes. Si cela venait à arriver, j’espère même que tu témoigneras contre nous. Soit tu décides d’annoncer que tu appartiens désormais à l’Œil, et tu te mets dès à présent dans le même sac que nous. Si le monde l’apprend, ta famille en prendra sûrement un coup, et si on t’attrape… tu peux imaginer ce qui se produira.
- Je vois…
- Je peux te suggérer quelque chose ?
- Oui.
- Pense à ta famille. Ils n’ont probablement pas été toujours tendres, mais ils tiennent à toi. Au-delà du fait que tu sois l’héritier de leur richesse.
- J’y penserai.
- Je te laisse réfléchir ? Surtout, prends ton temps.
- Merci. »
________________________________________________________________________
Azken était assis par terre. Il jouait avec un caillou. Que faire ? Où en était-il ? Avait-il aujourd’hui la conviction de dire à quelqu’un « je veux rester à l’Œil » ? Il se sentait moins prisonnier qu’au premier jour mais de là à déclarer qu’il était ici de son plein gré… enfin, Lur voulait qu’il obtienne le pardon de chacun. Il n’avait pas d’autre choix que de s’intégrer. Pour que le fantôme le lâche, il devait protéger l’Œil et remplir son rôle comme un membre. Car finalement, il n’avait pas la certitude qu’elle le lâcherait s’il fuyait. Il ne voulait pas mourir par manque de sommeil et vivre toutes les atrocités qu’elle lui montrait.
Il restait ici. C’était une certitude. Avec joie, pas forcément certes.
Maintenant, agir ou pas ? N’était-il pas mieux qu’il reste prisonnier ? Il avait la possibilité de clamer qu’on l’avait obligé à faire telle ou telle action. C’était plutôt avantageux, d’autant qu’il ne mettait ainsi pas l’honneur de sa famille en jeu. En revanche, il lui semblait légitime de prévenir ses parents qu’il ne rentrerait pas de suite… ils pourraient étouffer l’affaire pour ne pas être remis en question. S’ils gardaient ça pour eux, ils pourraient avoir une longueur d’avance…
« À quoi tu réfléchis ? »
Azken leva les yeux. Ezer.
« À la lettre de mes parents.
- Oh, tu en as parlé à Zorigaitza ?
- Oui. Il a évoqué deux options. Soit on ne fait rien. Soit j’annonce que je rejoins l’Œil.
- Et que vas-tu faire ?
- Zorigaitza a dit que je devrais penser à ma famille. Que même s’ils n’avaient pas toujours été gentils, ils m’aimaient.
- Il a dit ça ? rit Ezer.
- Qu’est-ce qu’il y a de drôle ?
- Ce devrait être la dernière personne en mesure de déclarer cela.
- Comment ça ?
- Tu n’es probablement pas sans savoir que l’Œil a été rasé une première fois, il y a une vingtaine d’années. Qui a ordonné cela ? Qui a ordonné la mort de tous ces traîtres au royaume et celle de Zorigaitza ?
- Le roi ?
- Bingo ! Son père lui-même. Il a provoqué la mort de la quasi-totalité des amis de Zorigaitza. C’est sans aucun doute la pire chose qui soit arrivé dans sa vie, et c’est son père qui le lui a infligé. Et je ne te parle pas du reste de la famille… son frère rêve de le voir six pieds sous terre depuis longtemps. Il ne cherche que le pouvoir.
- Je vois… il ne me l’a pas dit sans être en connaissance de cause…
- Ça tu l’a dit !
- Je pensais juste prévenir ma famille que j’allais rester ici un moment… un long moment.
- Ça me paraît juste. Comment tu vas t’y prendre ?
- Je vais leur envoyer une lettre, je pense.
- Hm… je te le déconseille vu le contenu. Tu ne sais pas entre quelle main elle peut tomber.
- Comment veux-tu que je m’y prenne alors ?
- Vas les voir.
- Quoi ?
- Dis leur de vive voix. Tu n’as pas peur d’eux quand même ?
- Je peux ?
- Ben oui. Tu demandes à Zorigaitza, il va t’envoyer là-bas avec Oun ou Arrano. Il ne faut pas croire, mais nous voyons tous nos familles. Enfin, quand on en a encore.
- Ah. Je ne savais pas.
- Regarde Sua, il prend toujours une quarantaine de jour dans l’année pour aller voir ses parents qui habitent à l’autre bout du continent. Ils ressemblent à des pierres dans le sol maintenant, mais il y va quand même !
- Ça ne se dit pas… t’es pas très respectueux.
- Jamais quand il est absent.
- Ça ne change rien.
- En attendant, ton départ ne va pas se planifier tout seul.
- Certes, mais je ne suis pas sûr d’avoir envie d’y aller.
- Pourquoi ?
- Parce que.
- C’est compréhensible, en effet.
- De quoi ?
- Ta raison.
- Arrête de te moquer.
- Comme tu voudras ! Allez, réfléchis bien ! À plus ! »
________________________________________________________________________
Ezer appela une énième fois Hegal, commençant à s’inquiéter qu’elle ne se montre pas. Il savait que le Conseil l’avait probablement beaucoup contrariée, mais de là à faire disparaître ainsi tout signe de vie… cela faisait tout de même deux jours. Si demain elle n’était pas revenue, il irait la chercher.
Il avait confiance en sa sœur et sa prudence naturelle. Il ne pouvait rien lui être arrivé de grave. Ce n’était qu’un coup de tête, ou du moins il l’espérait. Peut-être aussi qu’elle avait voulu rester un peu avec leur mère. Qui sait ? Ezer se rassura comme il put, continuant ses appels.
________________________________________________________________________
« Tu le laisses y aller seul ? demanda Ezer.
- Et toi ? répondit calmement Zorigaitza. »
Azken venait de partir sur le dos de Oun. Personne ne le suivait ou ne le surveillait. Enfin, le griffon le suivrait probablement bien qu’il n’en ait pas reçu l’ordre.
« Je pars demain à l’aube si Hegal ne rentre pas cette nuit.
- Entendu. »
Azken de son côté se cramponnait à sa monture. La route était longue et il n’y avait personne pour plonger le récupérer aujourd’hui. De plus, la nuit tombait. L’arrivée était prévu au matin. Ensuite, l’elfe aurait jusqu’au matin d’après pour faire ce qu’il avait à faire ; le retour était prévu dans deux jours. C’était le temps qu’on lui avait accordé. Zorigaitza avait accepté facilement à son grand étonnement. Il avait finalement plus de liberté qu’il ne l’aurait cru…
Le blond réfléchissait. On lui avait prêté un long manteau qui dont la capuche dissimulait aisément son visage. Avec son masque en plus, il pouvait se promener un peu dans la ville. On le regarderait peut-être de travers avec ça mais on ne le reconnaîtrait pas. Il avait reçu un peu d’argent « pour des vêtements ou ce qui te fera plaisir » de Zorigaitza. Où allait-il aller pour passer un minimum inaperçu ? Il ne comptait pas acheter grand-chose… ce serait encombrant pour le vol. Et puis, avoir reçu de l’argent de l’Œil le gênait un peu. S’il voulait quoique ce soit, il le prendrait chez lui et comptait récupérer des habits, car pour le moment, on lui en prêtait beaucoup.
« Oun, tu as un sort pour nous dissimuler ou pas ? »
Le griffon répondit d’un cri aigu et joyeux. Azken traduit cela par un « oui ». Ça le rassurait un peu que Oun soit avec lui, au cas où cela dégénérerait. Au fond, avait-il vraiment le courage d’annoncer son départ à sa famille ? Il s’était dit qu’il devait le faire, c’est pour ça qu’il était parti si rapidement : il ne voulait pas trop y réfléchir. Mais maintenant que cela approchait, il redoutait. Comment leur expliquer ? Y avait-il un moyen pour leur faire comprendre ? Mais leur faire comprendre quoi ? Il n’était même pas maître de cette décision. Il était prisonnier et il allait annoncer qu’il le restait ? Ça n’avait pas de sens.
Il imaginait déjà la réaction de ses parents. Ils allaient appeler du renfort avant même qu’ils ne l’écoutent. Ils voudraient le garder sous protection en pensant le protéger de l’Œil. Comment contrer ça ? Qu’est-ce qu’il allait se passer si cela arrivait ? Est-ce que ses nouveaux camarades viendraient le chercher ? Risqueraient-ils leur vie pour cela ? Il ne fallait pas. Il pouvait toujours se prétendre prisonnier… il avait là l’occasion parfaite de rentrer chez lui, de quitter l’Œil. La caste le protégerait contre des tentatives de leur part de le ramener de force.
En fin d’après-midi, Azken se décida à annoncer la nouvelle à ses parents. Il demanda à Oun de l’attendre dehors. Il préférait être seul. À présent, il se tenait debout devant le bureau de son père où ses parents avaient l’habitude de se retrouver pour faire les comptes et les papiers administratifs de la journée précédente. Il inspira profondément. Il devait rester calme. Ne pas s’énerver, les empêcher de prévenir tout le monde… pourvu qu’ils l’écoutent.
« Az… Azken ? C’est bien vous ? »
Le blond tourna vivement la tête. Un large sourire illumina son visage en reconnaissant sa servante, une jolie elfe dont les cheveux étaient noués par un ruban pastel.
« Kaa, lui répondit-il. »
Elle se jeta à son cou, tellement soulagée. Azken la réconforta. Puis, elle s’écarta, les yeux brillants d’une nouvelle joie.
« Comment êtes-vous arrivé ici ?
- C’est une longue histoire que je n’ai pas le temps de te raconter, Kaa. Mais… je ne peux pas rester. Je repars à la tombée de la nuit.
- Pourquoi ? fit-elle inquiète et déçue.
- Je dois retourner à l’Œil. Je suis toujours leur prisonnier. Ils m’ont accordé la possibilité de voir ma famille, rien de plus. Je ne dois pas les contrarier, tu comprends pourquoi.
- Je vois… dans ce cas, je vais vous préparer des affaires pendant que vous annoncez cette triste nouvelle à vos parents… bien que je pense qu’ils ne vous laisseront pas.
- Merci infiniment Kaa. »
La belle servante lui sourit, désolée. Elle aurait tellement aimé qu’il reste. Elle s’éloigna, le pas lent. Azken la regarda, se sentant coupable de lui faire tant de peine. Mais il ne pouvait plus reculer. Il toqua à la porte.
« Entrez ! lui répondit une voix grave. »
C’était son père. Azken inspira une dernière fois et poussa la porte. Il entra et prit soin de la refermer derrière lui avant de lever les yeux vers ses parents. Enfin, sa mère avait sauté à son cou avant qu’il ne puisse apercevoir son père.
« Je suis si heureuse, sanglota-t-elle contre l’épaule de son fils. Je me suis tant inquiétée…
- Je suis là, ça va, la réconforta-t-il un peu gêné par autant d’affection. »
Puis, elle se redressa et tâta un peu le visage de son enfant, comme pour vérifier que c’était bien lui. Elle se rassura en constatant qu’il n’avait pas maigri.
Son père avança vers lui, un doux sourire sur le visage.
« Bienvenue chez toi.
- Merci. »
À ce moment-là, il regrettait déjà ce qu’il allait leur dire. Ça allait leur briser le cœur…
« Mais je…
- Ne t’inquiète pas, le coupa son père, j’ai prévenu la caste de la ville. Il devrait bientôt arriver, personne ne pourra plus t’emmener de force.
- Je… je vois… »
Ils avaient encore agi avant de le consulter… il retint une grimace. Qu’allait-il se passer maintenant ? Oun attendait dehors, il pouvait s’enfuir. Lui, en revanche, allait devoir trouver quelque chose pour ne pas qu’on le soupçonne de trop… maintenant qu’il y pensait, aucun méchant ne laissait de permission à un prisonnier pour voir sa famille…
« Comment es-tu arrivé ici ?
- Eh bien… c’est une longue histoire. Je pense que je n’aurais pas le temps de la finir si les secours arrivent bientôt… mais en gros, je me suis échappé.
- Et comment tu vas ? Que t’ont-ils fait ?! s’enquit sa mère.
- Je… ça va. Je n’ai que des bleus, rien d’insurmontable. J’ai été coopératif, alors ils ne m’ont pas trop mal traités… j’avais du pain sec et de l’eau tout les jours, parfois les restes ! sourit Azken.
- Je suis tellement soulagée. Je te promets qu’il ne t’arrivera plus rien. »
Elle lui prit les mains, les yeux emplis d’espoir. Azken soutint son regard, cachant son malaise de mentir ainsi. Il fallait le reconnaître, il avait un lit chaud et il mangeait bien à l’Œil. On l’avait toujours traité comme un membre à part entière.
« Qu’est-ce qu’il t’ont forcé à faire ?
- Surtout des remèdes. Parfois les tâches ménagères — ce n’était pas de la rigolade — et le reste du temps, j’étais enfermé dans un sous-sol sombre et humide. Le soir, je sentais les rats grouiller à mes pieds. »
Le blond appuya sa déclaration par un frisson de dégoût.
Au même moment, la grande fenêtre du bureau vola en éclat. Les trois elfes se jetèrent à terre. Azken releva la tête presque immédiatement. Oun ! Le griffon se jeta sur lui et l’attrapa entre ses serres. De surprise, l’elfe n’eut pas le temps de réagir. C’était en regardant dehors qu’il comprit : la caste était là et ils étaient nombreux.
« Va-t-en ! hurla-t-il. Laisse-moi ! »
L’elfe se débattait. Il savait qu’Oun ne pourrait pas faire face à tant de guerriers. C’était impossible. Le griffon fut surpris par la réaction du blond. Un cri de protestation lui répondit, il était impossible de stabiliser efficacement son vol si Azken gigotait. Ce dernier n'en fit qu’à sa tête.
Oun tentait de s’enfuir malgré son vol irrégulier. Il fut rapidement repéré. Deux cavaliers, l’un sur un hippalectryons et l’autre sur une vouivre menèrent l’offensif, couverts par une dizaine de garous, des archers et des magiciens, se jetèrent sur le fuyards. Azken paniqua. Ils étaient trop nombreux, trop puissants… il envoya un faible projectile d’eau au visage du griffon.
« Dégage ! Laisse-moi ! lui hurla encore l’elfe. »
Surpris et pas moins paniqué, l’animal lâcha le blond et s’éloigna à tire d’aile, poursuivit par une horde de combattants. Azken quant à lui tomba sur le toit d’une maison, sur un coin d’une lucarne. Il roula dans son élan et dans un reflex désespéré s’accrocha au bord de la toiture en chaume pour ne pas tomber. À moitié sonné, une douleur à la côte, il lâcha bien vite. Un des membres de la caste, un garou, le rattrapa avant que ne percute le sol et le déposa délicatement au sol.
« Vous allez bien ? Vous m'entendez ? s'enquit-il en attrapant la main d’Azken. »
L’elfe était sonné par sa chute. Une violente douleur le lançait sur le côté gauche. Ses oreilles bourdonnaient sauvagement. Il se sentait partir, mais tenta tant bien que mal de résister, enfonçant férocement ses doigts dans la main de son sauveur. Pourvu que cela permette à Oun de s’enfuir…
________________________________________________________________________
Azken entrouvrit les yeux, la bouche pâteuse. La tête lourde, il regarda autour de lui… une infirmerie. Il ne la reconnaissait pas. Où était-il ? Pourquoi ? Une brume épaisse dans son esprit l’empêchait de se souvenir clairement.
La porte de la pièce s’ouvrit. L’elfe tourna la tête. Un homme aux cheveux longs vêtu d’une longue blouse blanche s’approcha.
« Réveillé mon garçon ? »
Il attrapa une carafe et un verre disposés sur la table de chevet.
« Je te sers un verre ? »
Azken hocha doucement la tête. Le médecin lui fit boire son verre. C’était bon de sentir le liquide rafraîchir son gosier.
« Merci, articula le patient.
- Mais avec plaisir ! Comment tu te sens ?
- Où suis-je ?
- À l’infirmerie de la caste.
- Le griffon… vous l’avez eu ?
- Non. Ils a été blessé mais il a tout de même réussi à filer.
- Dommage…
- Ne t’inquiète pas, il ne reviendra pas de si tôt si tu veux mon avis ! Tu as mal quelque part ?
- Je me sens faible…
- Je me doute, tu réponds toujours à côté. Tu as besoin de quelque chose où je te laisse te reposer ?
- C’est bon.
- Parfait. »
Et Azken ne tarda pas à se rendormir.
________________________________________________________________________
« Oun ! Oun ! Réponds-moi ! Je t’en prie, tiens bon ! appela Zorigaitza en voyant l’animal s’effondrer devant l’abri. »
Il s’agenouilla près de la bête qui peinait à rester consciente et la caressa comme apaiser sa douleur.
« Azken nous a-t-il trahi ? »
Les yeux d’Oun se levèrent faiblement vers le chef. Lui-même n’en savait rien. L’elfe avait certes tenu à rester là-bas, mais son attaque n’avait pas pour objectif de blesser. Que s’était-il dit dans la pièce entre Azken et ses parents ? La réponse était sans aucun doute là.
« Oun… Azken est-il en danger ? »
Les yeux de l’animal se refermèrent avant qu’il put apporter une réponse. Osasun rejoint rapidement Zorigaitza et commença les soins de sa magie.
« Que s'est-il passé ? Où est Azken ? demanda-t-elle inquiète.
- Je ne sais pas. Je vais là-bas avec Zizare. Prends soin d’Oun ! »
Zorigaitza se redressa, le poing serré. Il n’était pas serein. Qu’était-il arrivé ? Il n’avait le temps d'attendre Oun si Azken était en danger. En plus, Ezer n’était pas là. Il ne voulait pas envoyé quelqu’un d’autres régler ça. Il se méfiait d’une trahison. Il rentra dans le bâtiment qui abritait l’organisation. Nomnos était en train de réparer un engin.
« Comment sont les nouvelles ?
- Peu réjouissantes. J’y vais, je te laisse le commandement ici.
- Attends… tout seul ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
- Zizare m’accompagne. Je ne le sais pas mais je n’ai qu’un homme sur deux qui revient et ça me préoccupe.
- Azken n’est pas revenu ? Et vous n’y allez qu’à deux alors que vous allez croiser sans aucun doute une caste ? C’est de la folie Zorigaitza.
- Avec qui veux-tu que j’y aille ? J’ai besoin que tu restes ici avec Osasun au minimum. Il ne reste que Kerme et Erortzen qui viennent tout juste de rentrer de mission ! Je préfère y aller seul qu’avec des troupes épuisées.
- Comme tu voudras. »
________________________________________________________________________
Ezer redressa la tête. Il avait entendu un cri strident. Il regarda Hegal.
« Tu as entendu ?
- Oui. On dirait Arrano. »
Le garou se transforma en panthère et bondit hors de la grotte où ils avaient élu domicile depuis hier. Il grimpa sur les roches, prenant suffisamment d’altitude pour surplomber la forêt de sapin qui dissimulait la cavité. Il prit une inspiration et rugit de toutes ses cordes.
Un nouveau cri lui répondit. Les deux s’appelèrent jusqu’à ce la panthère aperçoive l’oiseau. Ce dernier se posa et désigna sa patte à Ezer. Un papier y était attaché. Le garou reprit sa forme humaine et attrapa le message.
« Azken n’est pas rentré, Oun est revenu blessé. Zorigaitza est parti avec Zizare chez les elfes. Rejoins-le Ezer. — Nomnos. »
Le garou soupira. La belle jambe !
« Arrano, tu as ordre de rentrer ? »
L’oiseau hocha la tête.
« Dis à Nomnos de retenir tout le monde à la base tant que nous ne sommes pas rentrer. C’est trop dangereux de se déplacer là-bas en masse. »
Et l’aigle reprit son envol.
________________________________________________________________________
« C’est comme chercher une aiguille dans un botte de foin. Commençons par le bâtiment de la guilde, on trouvera bien un de nos camarades. »
La chimère hocha la tête.
« Tu penses qu’il nous a trahi ?
- C’est la grande inconnue de cette intervention. A-t-on au moins la certitude que Oun et Azken se soient séparés ici ? Qu’Azken y soit toujours ?
- Non, on a aucune certitude sinon que ça a dérapé quelque part. Sans savoir où, difficile d’intervenir.
- Que feras-tu s’il nous a trahi ?
- Je le tuerai.
- Si tu en es capable. Ça fait longtemps que tu aurais pu le faire de manière justifiée.
- Peut-être. »
Ils arrivèrent devant le bâtiment. Ezer soupira. Il fallait entrer. Il jeta un regard entendu à la chimère et les deux passèrent les gardes, invisibles grâce à Hegal. Ils pénétrèrent le bâtiment dès que quelqu’un passa la porte. Sans s’attarder sur la décoration, ils s’enfoncèrent dans les couloirs.
« Vous l’avez interrogé ? »
Ezer fit signe à Hegal de s’arrêter et apposa son oreille contre la porte d’où provenait la voix.
« Oui, le docteur Tamod nous y a autorisé.
- Comment il va ?
- Il dort beaucoup. Le docteur lui a trouvé une côte cassée à cause de la chute. Toutes ses autres blessures qui sont des hématomes sont antérieurs.
- Il a été frappé ?
- C’est ce qu’il a dit.
- Et a-t-il des informations concernant l’emplacement de la base de l’Œil ? Ou bien sur ses membres ?
- Il a expliqué que tous les trajets qu’il a effectué, il était ligoté les yeux bandés. En revanche, il a noté qu’il ne faisait pas très chaud là-bas.
- Il aurait été emmené vers le nord ?
- Peut-être. Concernant les membres, tous avaient des masques lorsqu’ils les voyaient. Il n’a rien noté que nous ne sachions pas déjà… d’après son récit, ils avaient pris leur précaution.
- Alors comment est-il revenu ici ?
- Il était enfermé dans un sous-sol. Il a creusé pendant plusieurs jours jusqu’à s’enfuir durant la nuit. Il est revenu à pied ici.
- Combien de temps a-t-il marché ?
- Cinq ou six jours.
- Pourquoi n’a-t-il pas demandé de l’aide sur la route ?
- Il ne voulait impliquer personne. Il savait qu’on le poursuivrait, comme le griffon.
- Je vois… il y a plusieurs éléments qui ne collent pas. »
Ezer grimaça. Il ne savait pas ce qu’il s’était passé mais il comprenait que quelque chose trouble ces agents… Azken se serait fait rattrapé sur ce lapse de temps. Il aurait perdu du poids. Les ronces auraient déchirés ses vêtements, il aurait sûrement plus que des hématomes. Et pourquoi Oun aurait attendu que la caste arrive pour attraper l’elfe ? C’était trop risqué ! À moins que le blond ait réglé ces détails, peu de chance qu’on lui accorde beaucoup de crédibilité. Et puis surtout, s’il était arrivé là à pied, il savait forcément par où il était passé et donc où était la base !
Il fallait rapidement le sortir de là avant qu’on lui pose de nouvelles questions et qu’il se tire tout seul une balle dans le pieds. Ezer tira Hegal en avant, signe qu’ils continuaient. Il ne restait plus qu’à trouver l’infirmerie.
Après quelques tours et détours, ils trouvèrent ce qu’ils cherchaient. Le problème était qu’ils allaient devoir faire toutes les chambres…
« On pourrait demander au médecin, murmura Ezer.
- Je te suis. »
Ezer patienta un peu jusqu’à ce qu’un homme en blouse blanche passe. Il rabattit sa capuche et sortit son poignard, le sort d’invisibilité opérait toujours. Il se glissa derrière l’homme et plaqua sa main sur sa bouche, lui passant sa lame sous la gorge.
« Conduisez-moi à Azken, lui susurra-t-il. Je vous laisserai peut-être la vie sauve. Vous ne souhaitez pas que quelqu’un meurt, n’est-ce-pas ? Surtout si vous avez le pouvoir de sauver sa vie… »
L’homme ne tenta pas de se libérer. Ezer le poussa pour le faire avancer. Le médecin le conduisit jusqu’à une porte. Ezer s’arrêta un instant pour écouter… pas de bruit suspect.
« Ouvrez calmement la porte et entrez. »
L’homme s’exécuta. Ezer referma la porte du pied derrière eux et regarda l’elfe qui dormait paisiblement dans le seul lit de la pièce.
« Qu’est-ce qu’il a ? »
Ezer découvrit légèrement la bouche du médecin qui semblait ne pas vouloir lui opposer trop de résistance.
« Une côte cassée.
- Racontez-moi ce qu’il s’est passé.
- Vous allez le tuer ?
- Racontez-moi ce qu’il s’est passé.
- Je n’ai que des échos de part mes collègues. Nous avons reçu un signal de ses parents, nous leur avions laissé un cristal un peu spécial qui émet des ondes magiques lorsqu’il est brisé. Une équipe a été dépêchée. Lorsqu’ils sont arrivés, un griffon blanc emmenait ce jeune homme. Celui-ci aurait attaqué la bête qui l’aurait alors lâché. Il est au lit à cause de la chute. Le griffon a malheureusement réussi à s’enfuir, nos hommes ne seraient parvenus qu’à le blesser.
- Je vois.
- Vous êtes un membre de l’Œil, n’est-ce-pas ?
- Et vous, vous êtes drôlement coopératif.
- Si je peux sauver tout le monde, alors cela vaut le coup d’essayer.
- C’est vrai. Hm… à vrai dire, je suis effectivement de l’Œil du Corbeau.
- Pourquoi l’Œil se risquerait à venir récupérer son prisonnier dans la gueule du loup ?
- Ah ! Parce que vous avez devant vous un balayeur né ! Et je ne vous parle même pas de ses talents pour la plonge ! rit Ezer. Sur ce, j’y vais ! »
Le garou rangea son poignard à sa taille et tendit sa main vers le médecin.
« Merci de vous occuper de lui. »
L’homme en blouse regarda la poignée que lui proposait l’intrus et leva les yeux vers Ezer.
« Nous restons ennemis, dépêchez-vous avant que l’envie d’appeler mes collègues me prennent.
- Avec plaisir docteur ! »
Le garou ouvrit la fenêtre en grand, jeta un dernier regard à Azken avant de s’envoler sous la forme d’un oiseau noir. Il devait retrouver Zorigaitza et Zizare à présent. Pour le moment, impossible de transporter l’elfe, la douleur pendant une demi-journée en vol serait intenable. Ils devaient attendre. Mais attendre quoi ? Que les mensonges du blond éclatent au grand jour ? Il avait la certitude qu’Azken aurait pu dire beaucoup de choses sur eux et les mettre dans un sérieux embarras, mais il ne l’avait pas fait. En revanche, il aurait attaqué Oun et si ses parents ont prévenu la caste, l’elfe aurait du le savoir sur le coup et aurait au moins prévenu le griffon… mais ce dernier était-il au courant de la situation de pseudo-prisonnier d’Azken ? Quelqu’un lui avait-il dit ? Il y avait trop d’inconnu pour espérer tirer une conclusion qui ne soit pas hâtive.
Le corbeau se posa sur le bord du toit d’une bâtisse.
« Que comptes-tu faire ? demanda Hegal.
- Tu veux bien que l’on se répartisse les rôles ?
- Je t’écoute.
- Peux-tu retrouver Zizare et Zorigaitza ? J’aimerai aller chercher des indices chez Azken.
- Entendu. »
Et les deux se séparèrent. Le corbeau se changea en moineau et partit à la recherche de l’herboristerie du coin. En planant dans les quartiers riches et en suivant les rares panneaux d’indication, Ezer parvint à repérer l’immense bâtiment, creusé dans la souche d’une arbre qui devait sûrement touché le ciel du temps où il était debout. Il en fit brièvement le tour et repéra une fenêtre ouverte. En quelques battements d’ailes, il se posa sur le rebord. Une petite fille aux cheveux longs et fins, d’un blond doré jouait au sol. Ses yeux grands comme l’océan se levèrent vers le nouveau venu. Un large sourire se dessina sur son visage comme pour accueillir l’être à plumes.
Ezer se demanda quoi faire. Les traits de son visage ne laissaient aucun doute : c’était la sœur d’Azken. Il remarqua alors que l’elfe parlait peu de sa famille en elle-même. Devait-il rester caché ? Probablement. Elle semblait naïve. Mais en même, il n’avait aucune idée de ce qu’il cherchait précisément.
La petite se leva et s’approcha du volatile. Ezer décida de la laisser faire. Autant gagner sa confiance, et de toute manière, que risquait-il ? Elle tendit sa main vers l’oiseau, et, étonnée qu’il ne s’enfuit pas, le prit dans ses mains. Le garou se laissa caresser sous la mimique ravie de la demoiselle. Il la trouvait mignonne, ses cheveux séparés en deux queues de cheval lui donnait un air enfantin.
« Bonjour monsieur l’oiseau. Je m’appelle Tara ! Et toi ? Tu t’es perdu ? »
Le volatile gazouilla en guise de réponse. Émerveillée d’une telle rencontre, les yeux de la petite demoiselle brillait de joie. Ezer s’en voulait presque de lui mentir sur son identité, mais c’était mieux comme ça.
« Il faut que je te montre à mon papa ! Si ça se trouve, il voudra même bien que je te garde. »
Et la jeune fille sortit de sa chambre toute excitée, son nouvel ami dans les mains. Ezer put constater l’immensité de la demeure, emplie de riches décorations. Ça faisait un peu bling-bling à son goût, mais après tout, ce n’était qu’un rustre, il ne pouvait probablement pas apprécier ce spectacle à sa juste valeur.
Elle se précipita jusqu’à une grande porte. Elle s’arrêta un instant pour vérifier l’état de ses habits, qu’elle était toujours bien coiffée, et toqua.
« Entrez ! »
Cette voix était grave, et elle parut austère au garou. Il se jetait probablement dans la gueule du loup mais c’était le prix à payer pour comprendre. Il pourrait juste attendre le rétablissement d’Azken ou d’Oun, mais avait-il le temps ? Pas sûr. Quoiqu’il en soit, il devait avant tout neutraliser le cristal qui permettait de prévenir la caste.
La blondinette poussa la grande porte et s’avança jusqu’à bureau. La pièce était immense. À son bout, une immense toile s’étirait, signe que la fenêtre brisée n’était pas encore remplacée.
« Papa ! Papa ! J’ai trouvé un joli oiseau, regarde comme il est mignon ! »
L’homme leva à peine un sourcil sur les mains tendues de sa fille. Il semblait très occupé à écrire, concentré sur sa plume. Son visage ferme lui donnait un air strict et sa position était parfaitement droite. Un vrai aristocrate… Ezer comprenait qu’Azken n’ait pas envie de marcher sur ses pas.
« Il est blessé ? demanda l’elfe.
- Je ne crois pas. »
Et Ezer se méfia. S’il pouvait berner une petite fille, avoir ce père qui venait de récupérer son fils non sans encombre était plus difficile. Il avait conscience qu’il n’avait pas le comportement d’un moineau commun. Il devait agir vite, mais comment ? Il ne voulait pas créer de problème ici, surtout devant la petite. Il ne savait pas non plus la nature de ce qu’il cherchait.
« Fais-moi le voir ! demanda l’homme. »
Et instinctivement, le garou se dit que c’était la brèche. Le père tendit sa main mais avant qu’il ne puisse saisir l’oiseau, celui-ci s’envola jusque derrière lui. Ezer reprit forme humaine en une fraction de seconde et plaqua un doigt dans le dos de l’elfe.
« Les mains sur la tête, fit-il en lui envoyant une légère décharge comme pour lui signifier qu’il pouvait l’électrocuter à tout moment. »
L’autre s’exécuta.
« Qui êtes-vous brigand ?
- Je suis désolé, c’est moi qui pose les questions. Où est le cristal qui permet de prévenir la caste ? »
Silence.
« Répondez ! insista Ezer d’une nouvelle décharge.
- Dans ma poche droite.
- Je me permets, fit le garou en récupérant la petite pierre.
- Qu’est-ce que vous voulez ? gronda l’homme.
- Des informations seulement. »
Ezer retira son doigt, n’ayant plus vraiment de raison de le menacer. Il n’avait qu’à s’assurer que personne ne sorte ou ne rentre. L’homme se retourna pour lui assener un coup. Le garou, plus vif, se baissa et recula sans contrattaquer. Ce n’est pourtant pas l’envie de lui faire un croche-pieds qui lui manquait, mais il n’était pas venu pour se battre.
« Qui a brisé cette vitre ?
- Ça ne vous regarde pas !
- Ne soyez pas dans une telle adversité, cela nous fait perdre du temps à tous les trois. J’aimerai bien rentrer chez moi aussi et avant ce soir, les tempêtes de nuit, c’est pas la chose que je préfère.
- Qui êtes-vous ?
- Je suis de l’Œil du Corbeau, si c’est ce que vous attendiez. Qui a brisé cette vitre ?
- L’un des vôtres, je me trompe ?
- Je ne le sais pas. Sinon je ne perdrai pas mon temps et le vôtre.
- C’est un griffon blanc.
- Pourquoi l’a-t-il brisée ?
- Vous devez bien le savoir. Vous êtes son complice !
- Je vous ai déjà dit que si je le savais je ne vous le demanderai pas, s’agaça le garou devant tant de résistance.
- Que voulez-vous à mon fils ?
- Actuellement, rien. Je ne peux pas en décider sans connaître la vérité. Pourquoi l’a-t-il brisée ?
- Pour emmener Azken.
- Et que s’est-il passé ensuite ?
- Azken s’est débattu. Le griffon l’a tout de même emmener dehors, où la caste arrivait. Au moins où elle les a pris en chasse, Azken a attaqué son ravisseur, cela a suffit pour ce celui-ci le lâche. Il s’est blessé dans sa chute et la caste l’a emmené pour le soigner et le protéger.
- Comment la caste a su que ce griffon était là ?
- J’ai brisé un cristal du même genre que celui que vous m’avez pris en voyant Azken entrer dans le bureau. Je ne savais pas que ce griffon était là.
- Azken vous a-t-il vu briser ce cristal ?
- Je ne crois pas.
- Hm… je peux regarder un peu ? En échange, je vous promets de vous rendre votre cristal à la fin. Vous aurez même le loisir d’avertir toutes les castes de l’empire. »
Ezer se dirigea vers la toile, cherchant des détails qui pourrait infirmer ou confirmer ce qu’il avait entendu jusque là.
« Je n’y manquerai pas ! s’indigna l’elfe.
- Vous n’êtes pas un rigolo vous… je comprends qu’Azken puisse se sentir oppressé ici. Il paraît que vous tenez absolument à ce qu’il reprenne votre commerce.
- Je ne vous permets pas.
- Je ne vous demande pas de me le permettre. Ce n’est qu’une remarque, une tentative succincte d’engager un dialogue. Vous savez, j’aurais pu vous tuer un centaine de fois, vous et votre fille, depuis le début.
- Je ne vous laisserai pas faire !
- Je ne compte pas le faire. Comme je vous l’ai dit, je ne suis venu chercher que des informations.
- Pourquoi ?
- Pour m’épargner la tâche d’éliminer votre fils. »
Ezer remarqua de petits morceaux de verre sous un meuble, des oubliés lors du ménage… la vitre avait bien été brisée de l’extérieur.
« Sortez d’ici ! s’insurgea le père.
- Deux secondes, je n’ai pas fini. D’ailleurs, Azken vous a dit pourquoi il venait vous rendre visite ?
- Je ne veux pas savoir ! Partez de cette maison ! »
Ezer leva le regard vers lui, il était rouge de colère, les poings serrés. Et le garou jugea plus sage de ne pas faire plus monter la tension, il rangea ses mains dans ses poches. De toute façon, le ménage avait été fait… difficile de trouver plus de preuve. Il aurait aimé trouver une plume ou les poils d’Oun, mais le sol était propre. Alors, il fit volte-face et se dirigea vers la porte.
« Un dernier conseil : profitez d'Azken pendant que vous le pouvez. »
Et Ezer lança le cristal à l’elfe avant de sortir sans se poser de question. Il savait que l’autre allait le briser quasi instantanément. Dans le couloir, il remarqua une servante… elle devait venir de passer devant la porte du bureau. Il passa devant sans y prendre garde. Il rejoignit la fenêtre la plus proche et prit son envol.
________________________________________________________________________
« Ezer ! appela Hegal. »
Le garou regarda autour de lui et remarqua sa sœur dans un recoin sombre d’une ruelle. Il la rejoignit. Les deux rejoignirent silencieusement Zorigaitza et Zizare un peu plus loin qui avaient élu domicile dans une impasse coincée entre de hautes maisons. Hegal les avait retrouvé après des heures de recherche.
« Salut ! sourit Ezer.
- C’est toi qui a provoqué toute cette agitation ?
- Cache ta joie de me retrouver… oui c’est moi. J’ai été à la pêche aux infos.
- Tu es venu seul avec Hegal ?
- Oui.
- Bien. Raconte-moi ce que tu as trouvé. »
Ezer lui raconta ses récentes aventures.
« Il va falloir avoir un bon timing…
- Il va surtout falloir que l’on trouve où ils vont planquer Azken avec le bordel que j’ai mis.
- D’autant plus que toute la ville va être agitée et patrouillée. Tu aurais du t’y prendre plus discrètement.
- Peut-être bien mais il fallait vite savoir s’il nous avait trahi ou non. Il aurait pu leur donner un million d’informations. Au lieu de ça, il a raconté des bobards qui ne tiennent pas la route. C’est pas très confortable pour nous mais c’est mieux que s’il ne l’avait pas fait.
- C’est sûr. »
Les deux laissèrent un silence où chacun sembla réfléchir. Quand agir ? Comment ? Pouvaient-ils déplacer Azken sans le blesser plus ? Pouvait-il tenir une journée de vol ?
« Doit-on agir ?
- Comment ça ? demanda Zorigaitza, étonné de la question.
- Azken n’est-il pas mieux ici avec sa famille ?
- Et s’il décidait de se retourner contre nous ? Et si on découvrait son mensonge ?
- Que risquons-nous ? Que détient-il de si vital comme information sur nous ? Je ne suis pas sûr qu’il sache revenir de lui-même à la base. Il n’a pas d’informations sur ceux qui nous fournissent. Sur nous et nos pouvoirs, les castes sont déjà plutôt bien informées depuis le temps. Et puis, nos identités peuvent sauter… qu’est-ce que cela changerait ?
- Cela rendrait les missions plus difficiles… et si l’Œil tombe, ceux qui ont réussi à conserver leur visage secret pourront se refaire une vie.
- Admettons. Supposons que demain nous enlevions Azken pour la deuxième fois en prenant beaucoup de risques. Qu’est-ce qu’il restera ? Les incohérences dans le récit d’un blessé et une tentative acharnée et désespérée pour récupérer un simple prisonnier ? Ne crois-tu qu’ils se méfieront ? Ils ne sont pas toujours très intelligents mais ils ne sont pas totalement stupides non plus.
- J’entends, mais est-ce plus prudent pour lui de rester ici ? Que se passera-t-il s’ils comprennent qu’il a menti pour nous aider ?
- Il n’a qu’à leur dire toute la vérité.
- Pardon ?
- Il n’a qu’à leur dire ce qu’il s’est vraiment passé. Que je l’ai kidnappé parce que je voulais qu’il devienne l’un des nôtres ! Qu’il n’a jamais eu son mot à dire alors il a toujours fait semblant ! Qu’il n’attendait qu’un moment pour s’enfuir ! Que nous l’avons envoyé dans une mission dangereuse dans lequel il a failli mourir dans une tempête ! Que finalement, il est heureux d’être là.
- Dis-moi si je me trompe, mais tu es en train de me dire que tu abandonnes ce pourquoi tu t’es battu depuis que l’a rencontré ?
- Tu sais, j’ai réfléchi. Azken est en train de souffrir parce que moi, je l’ai entraîné là-dedans. Et malgré tout, il s’obstine à mentir et à s’enfoncer. Il se met en danger alors qu’il n’a jamais rien demandé…
- C’est pour ça qu’on va le sauver, je me trompe ?
- Le sauver de quoi ? N’est-ce pas nous qui le mettons le plus en danger ?
- Et alors ? Pourquoi tu fais parti de l’Œil Ezer si tu ne veux pas prendre de risque ?
- Pour que tout le monde sur ces terres puisse vivre !
- Qui te dit qu’Azken n’a pas les mêmes aspirations ? Si tu l’as laissé partir seul avec Oun, c’est que tu lui faisais confiance.
- Je l’ai laissé partir parce que ça ne représentait pas de risques majeurs »
Zorigaitza fronça les sourcils. Ça ne lui plaisait pas qu'Ezer se dégonfle comme ça. Il réfléchit quelques secondes.
« Très bien. Si tu ne veux pas que nous allions le chercher, j’irai seul.
- C’est une bêtise.
- Peut-être mais c’est encore moi qui décide.
- Tu n’as pas une autre idée ?
- Laisse-moi réfléchir encore alors.
- Et si on laissait Azken choisir ? intervint Hegal.
- Et on lui demande comment ce qu’il veut ? Parce qu’actuellement c’est un peu complexe, répliqua Ezer.
- Laissez-lui le temps de se remettre. Cela prendra un peu de temps mais la décision reviendra au concerné. »