Année : printemps 93
Nuit noire n'est pas le nom d'un passage mais le nom du document Word. Ce document contient un jet du début de l'histoire principale (à la base je devais continuer et l'écrire en entier). Ce texte est très important pour moi car il m'a permis de donner un sens à ce que j'écrivais, à donner un but à cette histoire et ses personnages. Un but concret, précis et concis.
Ce ne sera cependant pas le rendu final scénaristique parlant. J'ai trouvé plus intéressant pour le développement des personnages. D'autant plus que l'ancienne carte est toujours effective au moment où j'ai écris.Prologue
Azken marchait, dissimulé par un vieux manteau peu élégant. Il n’aimait pas la matière de celui-ci et craignait que sa saleté se transmette à ses habits plus riches en dessous. C’était néanmoins nécessaire pour maximiser ses chances de fuir. Un sentiment de culpabilité l'habitait, celui d'abandonner sa famille et de prendre une décision injuste.
Soudain, un cri le sortit de ses pensées. Il leva la tête et découvrit un homme encapuchonné qui fonçait vers lui, poursuivi par de nombreuses personnes armées. Azken reconnaissait les tenues de la caste de la ville voisine. Il devait les fuir, il ne voulait pas qu’on le ramène chez lui de force ! Il s’apprêta à faire volte-face mais une main agripper à son vêtement le retient. Le poursuivi se glisse derrière Azken, fait tomber sa capuche, dévoilant le visage du jeune noble et lui place un poignard sous la gorge.
« Plus un geste ou je ne vous laisse que le corps !! »
Les poursuivants s’arrêtèrent net. Azken se tendit, ravalant sa salive. Il n’était pas dans une situation très confortable.
« Prépare-toi à courir, souffla l’homme encapuchonné à son prisonnier. »
D’un geste brusque, il poussa Azken dans la direction où il devait s’enfuir. Celui-ci ne se fit pas prier, ne cherchant même pas à comprendre. L’autre fit jaillir des éclairs de ses paumes et les projeta sur les assaillants. Il se fichait pas mal de les blesser ou même de les tuer, tant qu’il parvenait à s’en défaire. Profitant de la pagaille, il se transforma en une énorme panthère noire et fit volte-face, décidé à rattraper son collègue de fuite. Ce ne fut pas long, ses pas étaient amples et puissants. Il attrapa entre ses crocs le manteau du noble aux cheveux blonds et le jeta sur son dos. Celui-ci s’y accrocha dans un cri de surprise. Cela fait, l’impressionnant félin accéléra. Il slalomait les troncs avec une étonnante aisance et une agilité remarquable.
Le trajet dura de longues minutes. Finalement, l’animal se coucha dans un bosquet pour reprendre sa respiration et permettre à son cavalier de faire une pause. Il restait cependant aux aguets, conscient que le danger pouvait vite revenir.
« Qui êtes-vous ? demanda Azken. Je ne sais pas si je dois vous remercier ou non. »
La panthère se tourna vers l’elfe, le regard clair. Elle parut sourire avant de reprendre forme humaine. C’était un grand personnage fin, vêtu d’un long manteau brun. Un foulard violet dont les deux extrémités pendaient derrière lui était noué à sa taille. Il retira sa capuche, laissant apparaître deux oreilles de félins, des cheveux sombres, ondulés ainsi qu’un masque violet.
« Tu peux m’appeler Ezer, ravi de te rencontrer. »
Ce nom rappelait quelque chose à Azken. Il réfléchissait. Un masque, une magie de foudre, un garou… il y était ! Celui qu’il avait devant lui était recherché dans tout le pays. Un assassin de première catégorie agissant dans une organisation terroriste. Le noble blêmit, pas très rassuré.
« Tu vas bien ? Tu as l’air un peu pâle.
- Je… euh… vais vous laisser. Je… on m’attend et…
- Désolé, ça ne va pas être possible.
- Ah… vraiment ? Vous êtes sûr ? bafouilla le blond.
- Certain ! sourit l’autre.
- Et qu’est-ce que vous allez faire de moi ?
- Tu verras bien. Allez, en route avant qu’on nous rattrape ! »
Azken voulut le retenir, avoir une réponse, mais l’autre avait repris sa forme animale et attrapé le noble entre ses crocs. Il se remit en route, reprenant sa course.
Cela dura de longues heures si bien que le soir finit par tomber. Azken ne reconnaissait plus les paysages depuis un moment. Il avait vu les plaines vertes de la Vallée des Vents et c’était tout. La panthère finit par s’arrêter au pied d’une pente rocheuse, haletante de la course qu’elle venait d’effectuer. Il y avait de quoi. Elle gronda un peu, semblant appeler quelqu’un.
Une créature que le blond n’avait jamais eu la chance d’admirer apparu : une chimère. Son épaisse crinière brune se balançait au rythme de ses pas et encadrait une face blanche rayée. Ses pattes avant épaisses et robustes semblaient celles d’un félin, quant à son postérieur, c’était celui d’une grenouille en tout point. Son pelage rayé se terminait par un longue queue de serpent et était épaulé par deux larges ailes colorées. Une corne retroussée vers l’avant ornait son museau.
Ezer reprit forme humaine, la respiration saccadée. Il salua la bête d’un signe de main, affichant un joyeux sourire. L’autre lui répondit par un grognement mécontent.
« Ça va, se défendit l’autre, c’est exceptionnel. »
La chimère gronda une fois de plus, dévoilant ses crocs aiguisés. Elle se baissa cependant pour permettre à l’humain de monter son dos. Azken en profita pour tenter un évasion. Rapidement, la bête le plaqua violemment au sol, planta ses dents dans la veste sale et décolla, emportant le jeune noble avec elle.
Le vol fut plus bref que la course. L’animal ailé les déposa au pied d’un bâtiment fait de pierre et de bois, dissimulé dans une épaisse végétation, au milieu de pics rocheux.
« Merci Hegal, dit l’homme-panthère à la chimère.
- De rien. »
Son ton sec trahissait son mécontentement. Elle déposa cependant en douceur son passager clandestin au sol. Il se sera bien fait balloter aujourd’hui. Il se redressa, ravi de retrouver la terre ferme, quoiqu’il avait le pressentiment que ses aventures ne faisaient que commencer. Pourquoi on l’avait emmené ici ? L’imposante bâtisse qui se tenait devant lui était-il le refuge des assassins tel que Ezer ? Où était-il ? Allait-il s’en sortir vivant ? Il y avait tant de questions qui le préoccupait. Il se sentait en danger et n’avait aucune idée de comment se sortir de ce mauvais pas.
« Personne ne te veut de mal, rassura Ezer. Enfin, si tu acceptes de coopérer. J’aimerai… ne pas avoir à t’éliminer, si tu vois ce que je veux dire.
- J’en ai bien peur…
- Tu ne me croiras peut-être pas mais je suis de ton côté. Si tu es en détresse, je peux t’aider ici.
- J’aimerai retourner bien sagement chez moi.
- Ce serait dommage d’avoir fait autant de route pour repartir si vite ! Allez en avant. »
Ezer poussa Azken vers la porte du bâtiment. Le noble savait qu’il était inutile de se débattre : son élément magique était faible face à la foudre et se battre contre une panthère, c’était de la folie. La peur au ventre, l’esprit paniqué, il lança un regard suppliant à celui qui l’avait emmené ici.
« Je te promets que ça va bien se passer, respire. »
Facile de dire ça. Le garou poussa la porte après avoir toqué. Azken resta planté là quelques secondes. La salle devant lui était vaste, jalonnée de table ronde. À son extrémité, un bar auquel était sagement accoudée une dizaine de personnes se tenait. À droite, il y avait une cheminée dans laquelle brûlait un feu joyeux. Ezer finit par entraîner le blond vers les autres qui étaient tournés vers eux. Ils portaient tous des masques de différentes tailles et de différentes couleurs. L’atmosphère était chaleureusement, mais quelque chose de mystique flottait dans l’air.
« Bienvenue, commença un homme aux cheveux mi- longs, sombres. Tu dois être Azken, si je ne me trompe pas ?
- Oui, acquiesça timidement le concerné.
- Pourquoi Ezer t’a amené à nous ?
- Pour devenir notre second médecin si tu n’y vois pas d’inconvénient, répondit joyeusement le concerné.
- Tu aurais pu nous prévenir avant, râla un homme avec un masque rouge.
- On s’est croisé par hasard ! se défendit la panthère.
- Peu importe, les coupa celui aux cheveux sombres. Si Azken manifeste son accord, il deviendra membre de l’Œil du Corbeau.
- Je crois que je n’ai pas beaucoup le choix, marmonna l’elfe.
- Bien sûr que si. Ezer pourrait te ramener à tes parents, ils promettent une belle récompense pour celui qui leur ramène leur fils.
- Sans me tuer ?
- Après avoir récupérer l’argent, sourit la panthère.
- Je vais plutôt rester là alors… »
L’homme à la chevelure sombre se leva et s’approcha d’Azken, celui-ci recula, pas très rassuré. La personne qui se tenait à présent devant lui ôta son masque, laissant apparaître un visage sévère et un regard doux. Elle tendit une main osseuse vers l’adolescent. Ce dernier hésita une seconde avant de sa serrer. Ce contact n’était pas désagréable, les doigts froids de l’homme avait quelque chose de rassurant. Peut-être parce qu’il aidait Azken à humaniser ce personnage.
« Soit le bienvenu parmi nous aujourd’hui et pour l’éternité à venir, Azken.
- Merci. »
L’adolescent croisa les yeux de celui qui l’accueillait. Il y trouva une profonde gentillesse. Ses paroles étaient sincères. Faisait-il réellement partie de ces monstres qui rongeaient la stabilité du pays en semant une violente pagaille ? Le blond eut un doute du lieu sur lequel il était tombé.
« Je me présente, je suis Zorigaitza, le chef et fondateur de l’Œil du Corbeau. Si tu as la moindre question, je suis à ton écoute.
- Je me représente, je suis Ezer et je vis avec l’Œil depuis un moment déjà ! enchaîna la panthère-garou en retirant son masque ; un sourire franc et un œil amusé apparurent. Et je pense que nous devrions fêter ton arrivée !! »
Les camarades accoudés au comptoir acclamèrent la nouvelle.
Partie I
Chapitre 1
« J’imagine que tu connais la raison de ta présence ici, Ezer.
- Je crois la deviner. Au cas où, je ne l’ai pas dit, mais je me porte garant de lui le temps de son intégration.
- Pourquoi lui ?
- Hm… une intuition.
- C’est tout ?
- Va savoir !
- Ezer, tu agis sans prévenir personne, sans raison valable apparente, et contre le gré d’Azken. J’espère que tu as conscience des risques que tu prends.
- Est-ce que je me suis déjà trompé ?
- Rien ne dit que ça n’arrivera pas.
- Rien ne dit que ça arrivera !
- Je me trompe peut-être mais tu as déjà un peu d’affection pour lui. Veille à ne pas avoir besoin qu’on l’élimine.
- Cela va de soi !
- Bien. Ton pari est risqué. En revanche, je serai ravi que tu le remportes. Sur ce, tu peux filer.
- À plus ! »
Le jeune homme s’arrêta cependant devant la porte.
« Merci bien, chef ! »
Si le ton était comme à son habitude provocateur, les paroles étaient sincères. Ezer savait que des chefs comme Zorigaitza, il n’y en avait pas cinquante. Il était convaincu que l’homme aux traits sévères était un mauvais leader, mais il le respectait pour sa magnanimité. Des gens aussi attentionnés, compréhensifs et généreux, on n’en fait plus des comme ça.
L’homme aux oreilles de panthère rejoignit l’infirmerie et s’arrêta contre le mur, près de la porte ouverte, de sorte à écouter la conversation à l’intérieur sans être vu.
« Et là, tu as les bandages. Je crois qu’on a fait le tour.
- Et euh… il n’y a pas de stocks de remède ? Je veux dire, pour les maladies par exemple…
- À vrai dire, je n’y connais pas grand-chose… c’est ma magie qui fait tout le travail…
- Vous pouvez guérir les maladies avec votre magie ? C’est rarissime comme pouvoir.
- Oui… oh, et tu peux me tutoyer. »
Il était vrai qu’Osasun avait eu pas mal de problèmes avec son pouvoir très convoité étant petite. La question lui rappelait des souvenirs, et pas que des bons. C’est l’Œil du Corbeau qui l’avait finalement sortie de sa misère.
« Et… je suis herboriste pour ma part, alors euh… je prendrais peut-être un de place pour…
- Oui, oui, ne t’inquiète pas ! Je… fais comme chez toi, vraiment ! »
Osasun, timide, avait les joues rosie par la gêne, elle ne savait pas bien comment accueillir Azken, lui céder un peu de place et le mettre à l’aise. Celui-ci le sentait et ne savait pas trop comment la rassurer. Au final, ils étaient comme deux idiots. Cela fit sourire Ezer. C’était le moment de les aider. Il toqua à la porte, attirant les regards vers lui et s’avança.
« Salut, vous vous en sortez ?
- Salut Ezer, oui et toi ? Qu’est-ce que voulait Zorigaitza ?
- Oh, rien de spécial. On a fait un débat sur la dangerosité du danger.
- Ah. Ça a l’air de t’avoir plus.
- Plutôt oui, c’était stimulant. »
Ezer regarda Azken qui n’avait pas encore dit un mot, pourtant on lisait la contrariété sur son visage.
« Tout va bien ?
- J’imagine.
- Je vois. Tu aimes ici ?
- Je suppose que c’est plus agréable que la mort, répondit le blond d’un regard accusateur.
- Je n’en doute pas… oh et puisque j’y pense, on peut se battre si tu veux !
- Hein ?
- Je ne sais pas, tu as l’air de m’en vouloir. Ça me changera de Sua.
- J’y penserai. Maintenant, je ne sais pas si tu as remarqué, mais tu te trouves dans une infirmerie. Soit tu es blessé, soit tu sors. Il y a des pièces plus adaptées pour boire le thé.
- Ah ah oui, c’est possible, rit Ezer. Sur ce ! »
Son sourire n’était plus là que pour cacher une certaine gêne et il sortit de la pièce. À l’extérieur, il soupira. Quel sale caractère ! Il rangea ses mains dans ses poches et retrouva une expression plus détachée. Dans le couloir, il croisa Grimgrim qui nettoyait les meubles.
« Ezer, ça va ? D’habitude, tu traînes à l’infirmerie à cette heure…
- Ah, ah, je viens de me faire jeter.
- Par Osasun ?! fit la jeune femme aux corps couverts de végétaux, incrédule.
- Non, par le nouveau.
- Ah. Pas sympa.
- Tu as besoin d’aide ?
- J’ai presque fini. Tu veux qu’on aille faire un tour après ?
- Non merci.
- Tu devrais aller respirer de l’air frais, ça te ferait du bien pourtant.
- Tu parles, à peine j’aurais posé le pied dehors que Hegal me sautera dessus pour me reprocher mon inconscience ! rit la panthère.
- Ça non plus, ça ne te ferait pas de mal…
- Eh !
- Je plaisante ! Je ne pense pas que tu sois inconscient, juste un peu joueur…
- Ce n’est pas la même chose ?
- Mais non. Allez, ouste, va t’aérer l’esprit ! »
Ezer remercia Grimgrim d’un geste de main et passa son chemin. Pour autant, il préférait rester dans les parages. Il s’assit dans la salle centrale, devant un journal qui traînait là. Il l’ouvrit, c’était celui du matin. Comment faire en sorte qu’Azken ne se bute pas sur lui ? Il ne doutait pas une seule seconde qu’il avait des raisons de lui en vouloir, mais Ezer avait besoin de communiquer avec lui. Il avait terriblement conscience du danger que présentait l’herboriste pour ses camarades. Il suffisait d’un poison versé à un moment d’inattention et c’était fini. Aussi détendu pouvait-il paraître, il était loin d’être serein.
Azken était arrivé ici contre son gré alors soit il s’attachait à la vie ici, soit Ezer serait contraint de s’en débarrasser. De tout son cœur, il ne tenait pas à en arriver là. Le blond pouvait apporter beaucoup à l’Œil de part sa noblesse. Il était certes jeune, mais si cela pouvait faire réfléchir les autres nobles sur les objectifs de l’organisation. Et puis, avoir un médecin avec des méthodes différentes de celle d’Osasun était plus confortable : l’elfe aux cheveux rouges ne quittaient presque jamais l’abri en raison de sa faiblesse au combat. De ce fait, elle récupérerait toujours les membres en sale état lorsqu’ils se blessaient. Si Azken venait en mission avec eux, il pourrait leur procurer des soins sur place sans démunir le repère. Par ailleurs, sans le connaître, Ezer s’est déjà un peu attaché à ce blond qui fuit sa famille. Dans les journaux et les avis de recherche, Azken avait été kidnappé d’après ses parents, mais il l’avait retrouvé seul et sans envie de rentrer chez lui. La vérité, c’est que l’elfe avait fugué. Pour une raison qui échappait à Ezer certes, mais quand même, cela ressemblait à une fugue.
La panthère-garou sourit ironiquement. Elle n’avait plus qu’à se faire un peu oublier. Elle pourrait essayer de discuter avec Azken, mais elle avait peur que ce soit contre-productif. Ezer supposait qu’il verrait en sentant le bon moment.
________________________________________________________________________
Le soir, les membres de l’Œil, ou du moins tout ceux qui le souhaitaient, se retrouvèrent pour manger. Ezer avait surveillé la préparation du repas avec beaucoup d’attention, il n’avait donc pas de doute sur l’absence de poison. Tout le monde avait remarqué ce manège, personne n’avait rien dit. C’était normal.
« Eh Ezer, ça te dit d’aller pêcher demain ? lança Sua.
- Je ne sais pas.
- Tu te dégonfles ?
- Je suppose. Je peux avoir le sel s’il te plaît ?
- Tiens. »
Sua tendit les grains gris à le panthère. Il était assez intrigué du comportement d’Ezer. Il ne réagissait jamais comme ça d’habitude. Alors, sans se laisser démoraliser par ce premier échec, il se tourna vers Erortzen, un autre caprin.
« Tu viens avec nous, Erortzen ?
- Si tu veux.
- Et toi Azken ? tenta Sua.
- Non merci…
- Tu sais pêcher ?
- Je n’ai jamais péché.
- Ce serait pourtant l’occasion !
- J’ai d’autres choses à m’occuper avant de me consacrer à ce genre de choses.
- Ce sera pour une prochaine fois alors.
- Oui. »
Zorigaitza leva les yeux vers Ezer. Celui-ci le remarqua et les deux se fixèrent un moment. Grimgrim les regarda avant de râler :
« Si vous avez des trucs à dire les gars, vous pouvez parler ! »
Azken leva les yeux vers Grimgrim. Celle-ci est une phytopode, une espèce généralement utilisée dans les familles moyennes et pauvres pour effectuer les tâches ménagères. Elle avait deux fleurs roses qui ornaient de chaque côté ses cheveux, de longues algues aux extrémités brunes. Son corps, de manière générale, était tacheté de pousse verte. Derrière elle, en guise de queue, deux longues tiges pendaient. C’est ainsi que l’elfe ne comprenait pas qu’elle prenne la parole au même titre que les autres. Il trouvait cela déjà assez déplacé qu’elle mange avec eux.
« Bien sûr, mais tu oublies nos talents de télépathes ! sourit Ezer.
- Parce que tu fais de la télépathie toi maintenant ? Tu es sorti faire un tour comme je te l’avais dit au moins ?
- Pourquoi tout le monde me met dehors ? fit ironiquement la panthère.
- Ne répond pas aux questions par d’autres questions !
- Non, pas la peine d’en faire un plat !
- Il aurait fallu le dire avant que tu l’aies devant toi. »
Ezer cligna plusieurs fois des yeux, posa son regard sur son assiette et comprit.
« C’était recherché. Un peu trop.
- Je ferai mieux la prochaine fois !
- Tu ne pourras pas faire pire ! »
Grimgrim tira la langue à la panthère. Ezer sourit, amusé. Le repas se termina dans la bonne humeur, comme d’habitude. C’était toujours animé lorsque tout le monde se rassemblait.
Le soir, Ezer sortit à l’extérieur pour respirer un peu. Il s’éloigna un peu du bâtiment, suffisamment pour que sa lumière ne lui parvienne plus. Il s’assit. Rapidement, il sentit le pelage chaud d’Hegal se blottir contre lui. Il passa sa main entre ses poils, pas mécontent qu’elle ne lui reproche rien. Enfin quelqu’un de silencieux et de reposant. Il se coucha contre elle, respirant l’air nocturne.
« Les étoiles sont belles ce soir.
- Oui. Que vas-tu faire ? La situation n’est pas confortable.
- Hm… demain, j’irai voir Nomnos. Je lui demanderai si on peut faire un meuble supplémentaire pour que Azken y mette ses affaires dans l’infirmerie. Elle est déjà bien pleine, ce sera mieux que de faire de la place.
- Ça ne suffira pas.
- Tu veux que je lui parle, n’est-ce-pas ? Je comptais le faire. Je ne sais pas comment, ni quand, mais je pense que cela sera nécessaire.
- Lui parler de quoi ?
- Je ne sais pas trop. De pourquoi je l’ai amené ici ? J’ai peur que ça envenime encore plus la situation.
- Tu n’avais pas de raison ?
- Pas que je puisse lui fournir et qu’il pourrait entendre. C’était un peu instinctif comme choix. Sur le coup, je ne me suis pas posé la question, c’était naturel.
- Effectivement. Demande ce qui le gène. À moins que tu le saches.
- Non. Nous n’avons pas beaucoup parlé au final. Demain, j’essaierai de créer une situation dans laquelle nous pourrions nous retrouver face à face.
- Je te sens tendu.
- Comment ne pas l’être ? Je risque tout ce que j’ai. Ou presque. Il pourrait tous nous empoisonner.
- Je comprends, mais tu n’es pas seul. »
Un bruit de pas en arrière attira l’attention d’Ezer. C’était Erortzen. L’homme aux pattes et aux oreilles de chèvre vint s’asseoir près du garou sans un mot. Les deux se sourirent et se tournèrent vers le ciel. Ce moment de sérénité ensemble balaya l’inquiétude de la panthère. Ça ira. Tout ira bien. Les étoiles brillaient par milliers ce soir. C’était bon signe. Le vent, doux et léger, agitait délicatement les épines des sapins aux alentours. Une belle nuit s’annonçait.
« Je crois qu’Azken à peur de moi. »
Ezer sourit, amusé. Ils avaient tous peur du démon Erortzen avant de le rencontrer.
« Laisse-lui le temps de trouver comment briser les normes qu’on lui a imposé. »
Le caprin ne répondit pas. Ezer se redressa vivement et se pencha vers celui-ci.
« Je crois qu’Azken me déteste. »
Erortzen regarda Ezer sans bouger.
« Vraiment ?
- Oui.
- Alors raison de plus pour vivre. »
Ezer se recoucha contre Hegal. Celle-ci observait le caprin, touchée. Elle, comme toutes les chimères, se détestait, détestait son histoire, l’histoire de son peuple né déchu. Effrayantes ou pitoyables, les siennes cachaient leur laideur, la discorde de leurs âmes. Elles se haïssaient encore plus que ceux qui leur avaient donné la vie.
« Tu as raison, répondit Ezer. »
Et il savait de quoi parlait Erortzen. Ce dernier avait dû fuir très jeune les hommes qui voulaient sa mort et celle de son démon. Un démon, ici bas, a une puissance suffisante pour raser le continent, alors ceux qui en possèdent un sont tuer à la naissance. Mais parfois, les parents aimaient leurs enfants au-delà des monstres qu’ils abritaient, et c’est ainsi que le caprin donna la mort aux siens à ses quatre ans, un caprice de son démon. Alors Erortzen savait ce que c’était que de se faire détester.
« Je crois que nous devrions parler plus à Azken.
- Hmf… il se cloître dans l’infirmerie en prétextant que seuls les blessés peuvent y venir. Plus simple à dire qu’à faire.
- Je sais, Grimgrim m’a dit que tu t’étais fait sortir. Ça m’étonne d’ailleurs que tu ne lui aies pas répondu lorsqu’il t’a dit de sortir.
- Je ne veux pas rendre la chose plus dure qu’elle ne l’est déjà.
- Tu devrais demander de l’aide à Txiki, puisqu’ils sont dans la même chambre maintenant.
- Ouais… d’ailleurs, il faudrait que j’aille voir Txiki, lui demander comment il prend la situation.
- Il n’a rien dit.
- Justement. Je veux savoir ce qu’il en dit.
- Tu as tout fait à l’arrache, sourit Erortzen.
- Pas exactement, mais ça y ressemble. »
La démarche était hasardeuse, mais réfléchie. Ezer savait où il voulait aller, ce qu’il voulait prouver, mais il n’avait qu’une vague idée de comment atteindre son but. C’était une aventure humaine, il ne pouvait pas tout prévoir même s’il le voulait.
________________________________________________________________________
Dans son lit, Azken s’était replié sous sa couverture. Pourquoi personne ne l’écoutait ? Que ce soit chez lui ou ici, personne n’avait fait attention à ce qu’il désirait. Ezer l’avait emmené dans une organisation criminelle contre son gré. Il lui avait imposé le rôle de médecin sans lui demander son avis ! Ses parents lui imposaient de reprendre leur commerce ! Quand pourrait-il choisir sa voie ? Quand serait-il libre ?! Il avait fui dans ce but et le revoilà prisonnier ! Il en avait marre qu’on décide pour lui. Il s’enfuirait un fois de plus. Comment faire ? L’Œil le poursuivrait. Ils le tueraient.
Il pourrait les tuer avant… s’il parvenait à glisser un poison dans les plats ou dans l’eau, le tour était joué. De plus, on le considérerait comme un héros d’avoir réussi à se débarrasser de l’Œil du Corbeau, un des fléaux du continent. Peut-être qu’en récompense, on le laissera libre… il réfléchit un peu. Où trouver un poison suffisamment puissant pour tous les tuer ? Un poison discret et à effet rapide...
Chapitre 2
Hegal s’assit dubitative devant Ezer et Nomnos qui montaient une nouvelle étagère dans l’infirmerie. Osasun aidait aux travaux.
« Où est Azken ? finit par demander la chimère. Non pas que ça m’étonne qu’il se soit éloigné, mais je ne l’ai pas encore vu aujourd’hui.
- Il a dit qu’il allait chercher des plantes dans les environs.
- Je vois. »
La chimère, dont la présence était dissimulée par un sort d’invisibilité, sortit à l’extérieur. Elle n’était pas naïve, ou du moins pas suffisamment pour laisser Azken seul dans la montagne. Qui sait ce qu’il pouvait y faire ou qui il pouvait y croiser ? Elle se mit à la recherche de l’adolescent, les sens aux aguets.
Elle retrouva le blond un kilomètre plus loin en contrebas. Il cueillait des baies rouges. Hegal, invisible, l’observait. Personne ne mangeait de ces fruits, à quoi pouvaient-ils servir ? Sa méfiance la poussa à rester près d’Azken à la recherche d’indice.
Finalement, l’elfe remonta avec toutes sortes de plantes à l’infirmerie juste avant midi. Ezer et Nomnos avaient presque fini leur chantier.
Dans l’après-midi, Hegal ne lâcha pas du regard Azken. Il écrasa les baies, les fit cuire, les écrasa à nouveau, et finit par obtenir une sorte de poudre très fine. Lorsqu’Osasun lui demanda ce qu’il faisait, il répondit qu’il faisait un remède contre la fièvre et qu’ils pourraient le stocker pour plus tard.
Dès qu’il se crut seul, il fourra la poudre dans un sachet qu’il glissa dans sa poche. Et alors, Hegal eut un énorme doute sur l’utilisation qu’il allait en faire. Il était dans l’infirmerie, en toute logique, il aurait dû le ranger… pas le prendre avec lui.
Le soir arriva doucement. Chez l’Œil, le tour de cuisine tourne tous les repas. C’était à Sua de préparer le dîner. Hegal se glissa jusqu’à lui.
« Est-ce qu’Azken est passé dans la cuisine ? souffla-t-elle.
- Non pourquoi ?
- Tu me fais confiance ?
- Dis-moi tout.
- Fait les assiettes et laisse Azken faire le service.
- Bien Hegal. »
La chimère se dirigea à présent jusqu’à Zorigaitza, toujours invisible.
« Laisse faire ce soir, lui murmura-t-elle. »
L’autre hocha doucement la tête. Il faisait confiance en ses compagnons, d’autant plus qu’il savait qu’Hegal agissait toujours en connaissance de cause.
La bête ailée se dirigea ensuite vers Ezer.
« Empêche-les de manger. Azken va empoisonner le repas. Lorsque tu mettras la table, oublie volontairement quelque chose. Demande à Azken d’aller le chercher et échange son assiette. Pour la suite, tu es maître de tes choix. »
Ezer accorda une caresse à la chimère en guise de remerciements. Il priait cependant pour qu’elle se trompe. Et si elle avait raison ? Que devait-il faire ? Il ferma les yeux, la mine contrariée. Il ne connaissait pas le temps que le poison prendrait à faire effet, mais s’il échangeait l’assiette d’Azken, ce dernier en consommerait pensant que son assiette est saine ou alors, il ne mangerait pas du tout. Le deuxième cas était peu probable, à moins que l’elfe soit suffisamment stupide pour croire que personne ne trouverait cela suspect. Alors, il faudrait faire durer le repas jusqu’à ce qu'Azken se rende compte du problème… avait-il un antidote au moins ? Il serait stupide de ne pas en avoir confectionner un.
Le repas arriva. Sua croisa Azken en sortant de la cuisine et lui demanda de faire le service. Tout le monde était à table. L’elfe déposa son assiette, la dernière, à sa place et avant qu’il puisse s’asseoir, Ezer l’interpela.
« J’ai oublié de ramener le pain, tu peux aller le chercher pendant que tu es debout s’il te plaît ? »
Azken fit un effort de serviabilité. Ezer fit alors signe à Txiki d’inverser son assiette avec celui de l’elfe. Celui-ci fronça les sourcils et s’exécuta sans comprendre. Grimgrim s’apprêta à goûter au plat. En la voyant, la panthère-garou attrapa sa fourchette et la lança comme une fléchette. Elle vint taper le couvert que la phytopode tenait en main. Surprise, elle lâcha tout et jeta un regard furieux à Ezer. Il lui fit signe de ne pas manger. Celle-ci fit une grimace contrariée. Tout le monde autour de la table commençait à comprendre.
Lorsqu’Azken revint, le repas commença. Les fourchettes piquaient mais jamais ne finissaient dans les bouches de leurs propriétaires. Dès que l’elfe tournait le regard, la nourriture tombait sur le plancher. Seul le blond mangeait, ne se doutant pas que son assiette puisse avoir été échangée.
« Je glisse l’antidote dans ta poche, souffla Hegal à Ezer. »
Alors il y avait bel et bien un antidote… comment Ezer devait-il réagir ? Hegal avait déjà eu l’intelligence de faire avaler son propre poison à Azken, ça lui ferait déjà une belle leçon, surtout s’il ne retrouvait l’antidote. Pour le moment, il fallait faire un peu durer la bonne humeur du repas.
Au bout d’une petite heure, Azken se leva.
« Je suis désolé, je suis un peu fatigué, je vais aller me coucher. »
Il salua tout le monde d’un geste de main et disparut dans le couloir qui menait aux chambres et à l’infirmerie. Les regards se tournèrent vers Ezer.
« Félicitations pour votre jeu d’acteur, je suppose. Je ferai le ménage si vous me regardez avec tant d’insistance…
- Oh oui ! confirma Grimgrim. Pas question que je nettoie tes bêtises !
- Oh zut, j’avais un espoir ! fit ironiquement Ezer. »
Il se leva, une main sur le poignard qu’il portait toujours à la ceinture. Son expression s’était durcie, on pouvait reconnaître une certaine colère dans son regard.
« Ezer, commença Zorigaitza.
- Je suis calme, coupa Ezer. »
Il se dirigea vers le couloir où avait disparu Azken.
« Hegal, empêche-les de s’en mêler.
- Entendu. »
Il entendait du bruit dans l’infirmerie. La porte était entrouverte. Azken fouillait précipitamment. Il devait chercher le remède. Ezer poussa la porte silencieusement et se glissa dans le dos de l’elfe, concentré sur sa recherche.
« Merde ! Où je l’ai mis ?! s’énerva le blond.
- C’est ça que tu cherches ? »
Azken sursauta et regarda la petite fiole que tenait Ezer. Il n’osa pas répondre devant le ton cassant de la panthère, d’autant plus qu’il avait probablement compris, puisqu’il était là… ça sentait mauvais. L’elfe recula un peu.
« De quoi as-tu peur ? Que je te tue peut-être ? »
Et un de ces sourires déments se dessina sur le visage du garou, laissant à découvert des crocs luisants. Azken recula encore.
« Je… je suis désolé… pardon, balbutia l’elfe.
- Oh vraiment ? C’est mignon. »
Ezer avançait, menaçant. Azken fut rapidement acculé contre un mur, une grimace sur le visage. Il était taraudé entre la peur et la douleur dans son estomac. Il lui fallait l’antidote…
Ezer soupira, reprenant une expression plus calme. Il n’aimait pas jouer à ce genre de choses avec ses camarades. Le bluff, c’était pour les ennemis. Pour autant, sa colère n’était pas passée, il en voulait à Azken de s’en être pris à ses compagnons. Il avait pris pleinement conscience de ce qu’il venait d’éviter.
« Le poison met combien de temps à agir ?
- Quelques heures, pas plus.
- Très bien. Dans ce cas, je vais te dire un truc très important. Ne. Recommence. Jamais. Ça.
- Promis…
- Garde ta parole, elle n’a plus de valeur à mes yeux. Maintenant, ce qu’on va faire, c’est que tu vas aller te coucher puisque tu es fatigué. Demain matin, toi et moi, on va se retrouver derrière le bâtiment et on va régler nos comptes. C’est clair ?
- Oui.
- Attrape ! Et que je n’entende pas parler de toi d’ici là. »
Ezer jeta l’antidote à l’elfe avant de s’éloigner. Il s’arrêta devant la porte et regarda Azken. Il aurait préféré ne avoir à en arriver là…
Chapitre 3
« Que comptes-tu faire maintenant qu’il a manifesté son envie de nous éliminer ?
- Que devrais-je faire Zorigaitza ?
- Tu connais ma réponse.
- Si tu en donnes l’ordre, je le ferai. En attendant, je vais chercher un moyen de discuter avec lui.
- Tu forces le destin.
- Bien sûr. Et je continuerai à le faire temps qu’il ne me déplaira.
- Je me demande vraiment ce que tu lui trouves. »
Zorigaitza laissa seul Ezer. Ce dernier avait encore une chance, le chef se montrait clément. Mais c’était peut-être aussi une complication en plus. Quelque part, n’attendait-il pas de le leader donnait l’ordre d’éliminer Azken ? La décision mortelle ne devait pas venir de lui ou il se sentirait coupable d’un échec. Il souffla, non, il ne devait pas penser à ça. Ça ira. Tout ira bien. Comment se montrer juste avec l’adolescent ?
Assise sur une clôture en bois, la panthère-garou fixait le ciel. Que lui dire ? Il ne pouvait pas se contenter de déclarer : « C’est pas grave, tu ferais mieux la prochaine fois. ». Sa colère l’en empêcherait de toute façon. Il était frustré, si Hegal n’avait pas été là, Azken aurait bien décimé ses amis.
Il finit par entendre le blond s’approcher derrière lui. Il se retourna. L’autre avait clairement la tête dans le cul.
« Bah alors, on a mal dormi ? se moqua Ezer.
- Oh ça va hein ! gronda Azken.
- Baisse d’un ton, tu veux ?
- Tout ça c’est de ta faute d’abord ! Si tu ne m’avais emmené ici, il n’y aurait jamais eu de problème !!
- Parce que c’est moi qui ait empoisonné la nourriture peut-être ?
- En même temps, est-ce que tu t’es préoccupé une seule seconde de ce que moi je voulais !? Est-ce que tu m’as demandé une seule fois si j’avais envie d’être ici ?! Tu n’as pensé qu’à toi !
- Ah oui ? Et qu’est-ce que tu veux ?
- Je veux partir d’ici ! Ça ne fait pas partie de mes objectifs de faire partie d’une minable organisation de terroriste !! »
Ezer se leva et s’approcha jusqu’à se retrouva face à face à Azken. Il faisait des efforts considérables pour garder la tête froide.
« Pour aller où ?
- Qu’est-ce que ça peut te faire ? Tu n’en aurais rien à faire de toute façon ! Jamais personne ne m’écoute de toute façon. »
Azken fit volte-face et s’éloigna, agacé. Ezer serra les crocs. Qu’est-ce qui le retenait de lui mettre une droite, franchement ? Un caprice d’ado ne valait pas le coup de tuer autant de personnes. Est-ce que c’était une raison ? Et puis c’était frustrant, ils n’avaient réussi qu’à s’engueuler…
Hegal, qui avait observé la scène, suivit Azken. Elle avait décidé de remplir sa rôle de sentinelle jusqu’au bout. Elle n’avait pas confiance en l’elfe, pas d’un poil, et après les récents événements, ça n’arrangeait rien. En revanche, la chimère avait la certitude que c’était une bonne chose que les deux se soient balancés le peu qu’ils avaient à se dire. Si Ezer mettrait un peu de temps à prendre du recul, la bête avait compris une partie du problème. Elle comprenait le mal-être de l’elfe.
Azken s’était enfoncé dans la forêt de sapins environnante. Sûr d’être seul, il s’assit sur la souche d’un arbre. Il se recroquevilla sur lui-même, les yeux humides. Pourquoi personne ne comprenait ? Pourquoi ne le laissait-on pas tranquille ? Il pourrait juste vivre sa vie. Au fond, il ne demandait que cela. Il était fatigué. Sa nuit avait été ponctuée de cauchemars, il n’avait cessé de se tourner et retourner dans son lit. Il était fatigué mais il pouvait encore se battre. Tout espoir n’était pas perdu, tant qu’il était vivant, il pouvait retenter sa chance. Pas de les tuer, il avait compris que c’était un peu compromis, mais de s’enfuir. Un jour, ils partiraient en mission, ils l’emmèneraient probablement, et dès qu’ils auraient le dos tourné, il pourrait se cacher.
Ce plan semblait plus raisonnable, plus pacifique. Alors, Azken essuya ses yeux et se redressa. Au fond, il ne voulait pas créer de problème. Il voulait juste vivre en paix et libre. Il allait s’excuser… enfin, comment s’excuser à quelqu’un d’avoir tenter de le tuer ? C’était… bizarre. Ça ne pouvait pas être sincère. Surtout s’il comptait s’éclipser à la première occasion. Que faire ? Que dire ?
________________________________________________________________________
Azken resta seul jusqu’en milieu d’après-midi. C’est en entendant crier son nom qu’il décida de remonter à la planque. Autant ne pas envenimer la situation. Rapidement, il reconnut la voix d’Osasun. Elle devait s’inquiéter… enfin peut-on s’inquiéter pour celui qui a essayé de vous tuer ? Il grimaça, contrarié de cette réflexion. Il n’avait plus à attendre quoi que ce soit à attendre d’eux, il ne le méritait plus. Alors, il ferma son cœur. Il fallait attendre la première brèche venue.
Osasun afficha un sourire timide en le voyant.
« Je suis contente, comme tu ne rentrais pas, je… je me demandais où tu étais. Tout va bien ?
- Oui.
- Nous t’avons laissé une part comme tu n’étais pas là à midi.
- Ah, c’est gentil. »
Osasun lui fit signe de la suivre et le conduit à la cuisine. Elle lui tendit une assiette de légumes ainsi que des couverts. Le menton dissimulé dans une écharpe rouge, l’elfe semblait de bonne humeur. Ses cheveux magenta, barrés de quelques mèches vertes cachaient son œil. À son côté pendait une sacoche qui semblait pleine. La jeune femme n’était pas très grande, plutôt fine, elle semblait fragile, peu sûre d’elle.
Puis les deux rejoignirent l’infirmerie. Azken s’assit devant la table centrale pour manger. Osasun, quant à elle, se percha sur le lit destiné à d’éventuel blessé. Un silence lourd s'installa entre eux. Que dire ? Que faire ? Ni l’un ni l’autre n’était particulièrement bavard.
« Je suis arrivée ici quand j’avais neuf dix ans, commença Osasun. Je n’étais pas très grande et très timide. Vu ma magie, mon rôle ici était évident. Je me suis installée ici, à l’infirmerie. Je devais ranger les choses qui trainaient parce que c’était vraiment le bordel du temps où il n’y avait de médecin dans cette pièce. J’ai grimpé aux étagères pour atteindre les plus hautes. L’armoire s’est renversée. Ezer était là, il m’a poussée à temps et s’est retrouvé sous l’armoire à ma place. Les autres sont venus, attirés par le bruit. Ils ont dégagé Ezer et je l’ai soigné. Le lendemain, j’avais l’escalier que tu vois là-bas. »
Les regards convergèrent vers les trois marches en bois qui servaient à atteindre les étagères hautes, aujourd’hui encore.
« Je pense que si j’avais demandé plutôt que de grimper, Ezer n’aurait pas été blessé. »
Azken leva les yeux vers Osasun. Elle se frottait les mains, rougie par la gêne. Quel message cherchait-elle à lui faire passer ? Quel rapport avec sa propre situation ? Et puis, n’importe quel enfant savait qu’il ne fallait pas monter aux étagères, les parents le répétaient bien assez souvent ! Osasun avait été sotte.
« Donc si… si tu rencontres des difficultés… tu… tu peux m’en parler, bafouilla l’elfe. Enfin, si tu veux… »
La jeune femme avait les joues empourprées, fixant honteusement le sol. Azken se leva, son assiette en main.
« Merci pour le repas.
- Ah ! De rien. »
Le blond sortit de la pièce et alla laver sa vaisselle. L’eau était froide, c’était désagréable. Il n’avait jamais fait la vaisselle auparavant et il ne souhaitait déjà plus recommencer. Il attrapa le premier tissu qui lui tomba sous la main et essuya ses couverts. Puis, il regarda les placards. Il n’avait plus qu’à fouiller pour savoir où tout cela se rangeait. Il commença à ouvrir hasardeusement les portes. Il trouva où mettre son assiette et reprit ses recherches.
« Essaie le tiroir tout à droite. »
Sans se retourner, Azken s’exécuta. Bingo ! Il rangea ses couverts.
« Merci, fit-il en découvrant que Zorigaitza s’était appuyé contre le mur derrière lui, il ne l’avait pas entendu arriver. »
L’elfe regarda le chef. Il semblait qu’il avait des choses à lui dire vu comment c’était là. Il s’était posé à distance égale des deux portes de la cuisine et observait le blond.
« Oui ?
- Hm… je voulais te dire que pour hier soir, tout bon chef devrait prendre des mesures… définitives. J’ai d’ailleurs pensé qu’Ezer prendrait lui-même cette décision au début, mais je crois qu’il n’a pas pu s’y résoudre. Je crois qu’il attend que je lui dise.
- Pourquoi vous ne le lui dites pas ?
- Parce qu’il a fait un pari risqué en te ramenant ici et cela m’amuserait qu’il le gagne. Et également parce que ce serait trop facile pour lui. Je veux dire, il a fait un choix, à lui de l’assumer jusqu’au bout.
- Je vois… sans intention de vous blesser, vous êtes un chef curieux. Je veux dire, normalement, ça aurait été à vous de choisir…
- Possible. Au fond, peut-être que je me voile la face en me cherchant des raisons. »
Et Zorigaitza haussa des épaules : à chacun d’en juger. Peut-être qu’il était un mauvais leader, mais en attendant, il restait leader.
« Enfin, sache que tu n’es pas le premier, et tu ne seras le dernier, à souhaiter notre mort. »
Azken baissa les yeux. Ce n’était pas là son premier souhait, mais comment le contredire ? Après ce qu’il avait fait, c’était inutile. Il n’y avait rien à faire pour se racheter. Il le savait. Ils le haïssaient sans aucun doute.
________________________________________________________________________
Ezer, Sua, Txiki et Erortzen étaient dehors, dans un endroit dégagé pas très loin de la base. Ils s’entraînaient tous les quatre. Ils avaient l’habitude de le faire, parfois rejoint par Zorigaitza, et plus rarement par Grimgrim. Ils formaient la plus grosse force de frappe de l’Œil.
Sua et Erortzen s’affrontaient en duel tandis que Ezer et Txiki les observaient avec attention.
« Txiki ?
- Hm ?
- Comment est-ce que tu vis tout ça ?
- Ta question est vaste. Le moral n’y est pas, mais je ne pense pas qu’Azken soit quelqu’un de méchant. Enfin, je n’ai pas encore reconsidéré cela depuis hier soir. Je ne te cache pas que je ne m’attendais pas à ce qu’il aille si loin. On a beaucoup parlé le soir de son arrivée…
- Ah oui ?
- Mais je n’ai pas mal dormi pour autant. Je crois que je n’ai pas bien conscience de ce qu’il s’est passé. Tu sais, je ne suis pas très lucide en ce moment…
- Je me doute. Je te demandais pour être sûr que rien ne te gêne, rien de plus. Je sais que ce n’est pas facile en ce moment…
- C’est gentil, Ezer. »
Soudain, une onde de magie agita les chevelures des observateurs. Quelque chose de malsain et d’effrayant émanait d’Erortzen. Encore fois, son démon s’était réveillé. Ezer se redressa et posa sa main sur l’épaule de Txiki.
« Tu es quelqu’un de bien alors ménage-toi ! »
Cela dit, il bondit sur le champ de bataille. En le voyant, Sua cessa ses attaques enflammées et recula. Ezer fut en quelques secondes au pied d’Erortzen qui lutait pour ne pas perdre le contrôle de sa magie et de son corps. La panthère-garou lui attrapa le poignet et activa son pouvoir de dispersion de la magie. Doucement, les ondes maléfiques s’atténuèrent. Le caprin fit signe à son camarade que ça allait, haletant. Ezer le lâcha.
« Ça va ?
- Oui. Désolé.
- Fais une pause, je vais finir ton œuvre. »
La panthère leva un regard provocateur à Sua. Ce dernier répondit par un sourire combatif.
« Tu tiens tant que ça à perdre ?
- Ne parle pas trop vite face de bouc ! »
Erortzen s’écarta. Sua bondit immédiatement sur Ezer. Les deux s’échangèrent de vigoureux coups de poings et coups de pied avant de passer à la vitesse supérieure. Ils bondirent en arrière et engagèrent un échange d’éclairs et de boules de feu. Rapidement les alentours furent envahis de fumée noire. L’un comme l’autre se servirent de cet écran sombre pour se dissimuler.
Txiki baissa les yeux vers Erortzen, assis près de lui.
« Le problème quand ils se battent, c’est qu’on voit que dalle.
- Ça rend le résultat surprenant ?
- J’imagine. »
Les deux ne perçurent que quelques éclats de magie jusqu’à ce que la fumée se disperse. Le sol était jonché de fléchettes cramées. Les deux guerriers se faisaient face, haletants. Ni l’un ni l’autre ne comptait plier. Enfin, c’est ce que croyait Txiki et Erortzen. Mais les deux finirent par quitter leurs positions de combat et se rejoignirent pour se serrer la main.
« Merci bien, Sua !
- Merci à toi de t’être livré à ce charmant défouloir !
- C’est avec tout le plaisir du monde !
- Vous allez bien ? demanda Txiki, dubitatif.
- Bien sûr !
- Ça ne vous ressemble pas de vous échanger des politesses au milieu d’un combat.
- Ah, mais on a fini !
- Ah bon ? Vous allez jusqu’au bout d’habitude… même que Ezer se fait rétamer à chaque fois.
- Je ne te permets pas ! râla faussement le concerné. »
Les quatre camarades se sourirent. Aujourd’hui, ils n’avaient pas envie, voilà tout. Ils avaient failli tous périr hier soir, alors la volonté de se battre les uns contre les autres n’y étaient pas, même si ce n’était que pour s’entraîner.
« Ezer, qu’est-ce que nous avons fait de travers pour Azken ? demanda Sua.
- Rien, c’est de ma faute. J’aurais du être plus attentif.
- Quand bien même, c’était son propre choix. Nous aurions pu trouver une solution tous ensemble sans qu’on en arrive là.
- Il y a des choses qui ne sont pas si simples à dire, je suppose. J’ai trop joué avec le feu et je me suis brûlé, ça arrive.
- Et que comptes-tu faire ?
- Hm… est-ce que vous lui pardonneriez ?
- Je pardonne mais je n’oublie pas, déclara Sua.
- Je ne lui en veux que de nous avoir priver d’un repas, personnellement, annonça Txiki.
- Quant à moi, si je devais haïr tout ceux qui veulent ma mort, conclut Erortzen.
- Je vais probablement lui parler de nouveau alors. Je doute que ce soit productif, mais après tout, je ne perds rien à essayer. »
Chapitre 4
« Tu as vraiment une sale tête, tu dors le soir ?
- J’essaie.
- Tu n’y arrives pas ?
- Non.
- Pourquoi ? »
Ezer regarda Azken. Il avait les yeux noircis de fatigue et il n’avait vraiment pas l’air dans son assiette. Il faisait presque pitié.
« Pourquoi ? répéta calmement Ezer. Dis le moi, je ne moquerai pas.
- Dès que je ferme un œil, je fais des cauchemars.
- Des cauchemars ? Quel genre de cauchemars ?
- La nuit dernière, je me suis retrouvé au bord d’une falaise, encerclé par des monstres. Je ne pouvais rien faire, paralysé. Et le sol s’est effondré et… et je me suis réveillé. Je me sentais nauséeux et puis, j’avais l’impression qu’il y avait quelqu’un qui m’observait… mais pas Txiki… quelque chose d’autres. »
Azken frissonna en y repensant, fixant honteusement ses chaussures. Ezer réfléchissait. Ce ne pouvait pas être Hegal, elle ne surveillait pas le blond la nuit. Hm… la scène contée par ce rêve sonnait familière à Ezer, comme quelque chose qu’on lui avait déjà raconté.
« Il y a autre chose dont tu te souviens ?
- Quand j’étais plus jeune, je me suis battu à l’école avec un camarade. J’ai revécu cette scène, mais ce n’était pas ce même camarade. C’était une jeune fille, blonde. À l’époque, le professeur nous avait séparés. Là, elle… elle m’étrangle… et autour… il y a des enfants… »
Et l’elfe craque, incapable de placer un mot de plus. Ezer passe sa main dans son dos pour le réconforter.
« Respire, ça va aller, d’accord ? Ça va aller, répète-t-il avec calme et douceur, on va trouver une solution. Allez mon grand, ça va bien se passer. »
Azken renifla et inspira profondément. Il ne fallait pas qu’il se laisse aller.
« … les enfants, ils rient… et… et ils…
- Ça va, tu n’es pas obligé si…
- Ils ont vos visages ! s’étouffa Azken entre deux sanglots. »
Ezer frotta sa main dans le dos de l’adolescent qui était repartit dans une crise de pleurs. Il réfléchissait, il croyait comprendre, mais ce n’était qu’une hypothèse. Peut-être qu’au fond, il s’imaginait des choses, que ça n’était même pas possible.
« Azken, la fille que tu as vu, elle a une natte ? »
Il secoua fébrilement la tête.
« Et est-ce que tu as essayé de dormir autre part ? »
Hochement de tête latéral. Ezer se leva. Il avait des doutes, des gros doutes et si le problème était celui qu’il pensait, il ne savait comment le résoudre.
« Tu m’écoutes ? Il fait beau aujourd’hui alors on va te trouver un coin tranquille et tu vas essayer de faire une sieste, d’accord ? Parce que là, tu fais pitié et ça te fera du bien de dormir un peu. Allez, debout ! »
Ezer attrapa le bras d’Azken et le tira vers le haut. Sans le lâcher, il l’entraina entre les sapins et les roches. Il repéra un creux dans la pierre et lâcha le blond pour y fourrer des épines mortes. Il fit signe à l’elfe de se reposer et s’apprêta à revenir sur ses pas.
« Ezer…
- Quoi ?
- La fille… elle a dit… « Je te tuerai avant que tu ne les tues »…
- Bien sûr. Maintenant dors, sinon je viens te border. »
Et Ezer remonta à l’abri.
« Zorigaitza ?! appela Ezer à peine il eut poussé la porte.
- Dans son bureau, râla Nomnos, dérangé dans sa lecture.
- Merci. »
Ezer alla frapper à la porte de Zorigaitza.
« Entre ! »
La panthère entra et alla s’asseoir directement en face du chef.
« Tu ne t’assoies pas sur le bureau aujourd’hui ? Tu es malade ?
- J’ai une théorie, je veux que tu l’infirmes ou non.
- Je t’écoute.
- Je pense que Lur revient hanter Azken dans son sommeil. »
Zorigaitza resta silencieux alors Ezer reprit la parole.
« Est-ce que c’est possible ?
- Je ne sais pas.
- Azken vient de me raconter la manière dont elle est morte.
- Quelqu’un le lui a peut-être raconter ?
- Qui ? »
Silence. Le sujet de la mort de Lur est tabou à l’Œil.
« Il a vu Lur dans ses cauchemars et elle a essayé de l’étrangler.
- Je comprends qu’il passe de mauvaises nuits. Mais pourquoi Lur reviendrait pour hanter Azken ?
- Azken a très bien dormi la nuit de son arrivée. C’est à partir de la deuxième que cela s’est corsé. J’imagine que tu te souviens bien ce qu’il s’est passé juste avant cette nuit ?
- C’est une vengeance ?
- On dirait. Après tout, il a voulu tuer ceux pour qui elle s’était toujours battu. Ça a dû la retourner dans sa tombe.
- Et que devons-nous faire ?
- Si je le savais… Azken est dehors, je l’ai couché. Je vais voir s’il arrive à dormir. Auquel cas, il faudrait le changer de place. Sinon, trouver un charlatan ?
- Tu sais comme moi que c’est bidon ces choses-là.
- C’était une boutade. Bon allez, je vais aller voir si la princesse dort bien. Merci de ton temps. Tu as fait une faute ici. »
Ezer pointa un mot sur le papier qu’écrivait Zorigaitza avant son arrivée.
« Merci. »
L’homme-panthère s’éclipsa. Il se dirigea vers la chambre de Txiki et Azken. Il toqua. Personne. Il poussa doucement la porte et entra silencieusement la pièce. Son regard se posa sur l’ancien lit de Lur, celui de l’elfe aujourd’hui.
« Je ne sais pas si tu m’écoutes, Lur, mais auquel cas j’espère que tu vas bien. Azken m’a raconté ce que tu lui faisais voir. J’apprécie sincèrement que tu cherches à nous protéger. C’est admirable alors que… tu… enfin bref. Même s’il a merdé, et il a beaucoup merdé je te l’accorde, trouve un terrain d'entente avec lui, s’il te plait. Je… on a besoin de lui et de ses compétences ici. Mon instinct me dit qu’il y a toujours une place pour lui avec nous. C’est pour ça que j’ai fait l’effort de parler avec lui jusqu’ici. Aujourd’hui, je suis heureux qu’il m’est parlé de toi. Ce couillon aurait pu attendre de mourir de fatigue, bête comme il est ! Enfin, tu comprends la situation. S’il te plait… sois clémente. Sur ce, passe une bonne journée ! »
Ezer ne s’attarda pas plus. Il se sentait bizarre d’avoir fait un monologue. Heureusement que personne n’était passé dans le coin. Comment expliquer qu’il parlait aux esprits ? On le prendrait pour un énergumène, même si c’était déjà pas mal le cas.
Il rejoignit l’endroit où il avait laissé Azken. Celui-ci dormait à poings fermés. Ezer sourit, pas mécontent qu’il existe au moins une solution.
« J’ai une question, fit la voix d’Hegal sortie de nulle part.
- Je t’écoute.
- Pourquoi est-ce-que tu l’aides alors qu’il a voulu tuer tes amis ?
- Tu sais, j’ai beaucoup réfléchi ces derniers jours. Ce que j’ai entendu aujourd’hui confirme ce que je pensais. Il n’a jamais voulu nous tuer par véritable haine. Je ne crois pas qu’il nous déteste. Si c’est le cas, il m’aurait craché à la figure que nous nous moquions de sa mort tout à l’heure. Ce n’était qu’un rêve, il était épuisé, mais je pense que c’était véritablement dur pour lui à dire.
- Il avait besoin d’aide, il n’allait pas lancer un nouveau conflit.
- Peut-être bien. Mais il aurait pu aussi abandonner. Il lui restait la force de se dire « ce n’est qu’un rêve » et il avait le courage de venir me voir.
- Surtout toi…
- Ce qu’il a fait est admirable. Hm… tu veux que je le veille ? Tu pourrais profiter de ton après-midi. Depuis le temps que tu le suis, tu le mérites largement.
- C’est toi qui l’a dit. »
Alors Ezer se percha en haut du rocher au creux duquel dormait Azken. Il sortit de ses poches du bois et commença à tailler de nouvelles fléchettes pour remplacer celles que Sua avait brûlées. Il en était arrivé à cette solution en constatant ses lacunes en attaque à distance et mi-distance.
________________________________________________________________________
Le soir, Ezer réveilla Azken. Celui-ci grogna, le réveil était difficile.
« Bien dormi princesse ?
- Oui. Tu aurais pu me laisser là toute la nuit.
- Avec les bêtes ? Sans façon et puis, c’est bientôt l’heure de manger. Mais avant, il faut que je te raconte un truc.
- Ah ?
- Avant que tu arrives, il y avait une jeune fille de ton âge à l’Œil. Elle s’appelait Lur. Elle était très gentille, très souriante, pleine de vie, une personne brillante en somme. Elle s’entendait d’ailleurs très bien avec Txiki, mais évite de lui en parler, c’est encore difficile pour lui. Elle nous considérait comme une famille, ses précieux camarades. Elle est morte lors d’une mission il y a deux semaines.
- Ah.
- Voilà ! Maintenant, rentrons. »
Ezer fit signe à Azken de bouger. Les deux remontèrent à l’abri sans un mot. L’elfe avait encore l’esprit trouble, n’ayant pas assez dormi.
________________________________________________________________________
Azken mangea peu et alla se coucher plus tôt. Cela fit froncer les sourcils de Zorigaitza et il regarda Ezer. Celui-ci lui fit de laisser, que ça allait. Il était bien surveillé et trop fatigué pour avoir glisser un quelconque poison dans la nourriture.
L’elfe se glissa sous sa couverture, et ferma instantanément les yeux. De nouvelles images l’assaillirent, il se retrouva non loin de l’abri de l’Œil. C’était le printemps, des fleurs tachetaient le sol de mille couleurs. Devant lui, une adolescente ramassait les efflorescences avec soin et les rassemblait en un délicat bouquet. Azken s’approcha un peu et blêmit : c’était celle qui l’avait étranglé la nuit passée. Elle leva la tête vers lui, il recula. Un sourire charmant s’afficha sur son visage et se déforma en quelque chose de terriblement malsain. Elle se leva et s’avança dangereusement, un poignard à la main.
« Attends… on… on peut discuter avant de, balbutia Azken. »
Elle lui sauta dessus comme un fauve affamé.
« Lur ! Non ! »
Stoppée net dans son élan meurtrier, elle regarda Azken, interloquée.
« Tu es Lur, hein ? Je me demandai pourquoi Ezer me parlait de toi, mais je comprends mieux… »
Si sa voix était maîtrisée, il n’en restait pas moins effrayé. Il ne voulait pas faire encore une de ces horribles nuits, mais accepterait-elle le dialogue ? Il ne savait même pas pourquoi elle faisait ça ! Il ne savait pas comment non plus.
« Tu faisais partie de l’Œil du Corbeau, c’est bien ça ? »
La jeune esquissa une grimace agressive et fit un pas menaçant en avant. Azken agita fébrilement ses mains devant lui :
« Du calme, ça va, d’accord ? Tout va bien… »
Il cherchait plus à se convaincre lui-même que la demoiselle, reculant de quelques pas.
« Je… je ne sais pas pourquoi tu me fais vivre toutes ces horreurs, je ne comprends pas tes motivations… mais on peut peut-être trouver un arrangement, non ?
- Mes motivations sont pourtant évidentes ! cria presque la demoiselle. »
Emprunte d’une nouvelle colère, elle bondit de nouveau comme un fou de sa boîte.
« Explique-moi ! »
Mais elle l’avait déjà plaqué à terre et son poignard n’eut aucune hésitation.
Azken se redressa, haletant, couvert de sueur. Il porta sa main à son visage, le regard trouble. Il avait envie de vomir toutes ses tripes, pris d’un violent malaise. Comment faire ? Comment faire pour arrêter tout ça ? Il ne comprenait pas ! Qu’avait-il pu faire à quelqu’un qu’il n’avait jamais rencontré ?! Un profond désespoir qu’il était incapable de retenir s’ajouta à sa douleur et dégoulina sur ses joues. Il enfouie sa tête entre ses genoux. Que faire ? Que dire ?
Il se rallongea, épuisé. Cela faisait longtemps qu’il n’était plus en état de veiller. Il redoutait le moment où il fermerait les yeux, mais ses paupières furent rapidement trop lourdes.
Lur lui passa de nombreuses scènes morbides où il se réveillait en sueur et en pleurs. Il n’en pouvait plus. Plusieurs fois, il avait demandé des explications, mais jamais l’adolescente n’avait répondu à son appel. Et il replongea une fois de plus dans le monde imaginaire, incapable de se tenir éveillé. À bout, il s’agenouilla à terre, front contre sol.
« Ezer m’a menti ! Tu n’es ni gentille ni brillante ! cria-t-il. »
Lur se tint face à lui, le regard méprisant. L’envie ne lui manquait pas de l’envoyer à nouveau dans l’autre monde.
« Tu as voulu détruire ce que j’ai cherché à protéger de ma vie, déclara-t-elle froidement. L’Œil est ma famille, je me battrai pour eux, morte ou pas, et tu es un danger. »
Sans la regarder, Azken sentait sa détermination dégoulinante de colère. Elle était morte sans avoir achevé son rôle.
« Je suis désolé. Pardon. Je ne le referai plus, je te le promets. Je…
- Je me passerai de tes excuses bidonnes !!
- Alors qu’est-ce que je peux faire ? »
Silence. Pour autant, l’elfe sentait la rage de la défunte bouillonner, si bien que lorsqu’elle reprit la parole, sa voix tremblait.
« Et toi pauvre imbécile, dis-moi ce que tu peux faire !
- Je… qu’est-ce qui te permettrait de trouver le repos ?
- Ah. Le repos ? Ça me ferait plaisir de savoir que mon remplaçant remplisse bien son rôle. Enfin, faudrait-il déjà que chacun le pardonne de ses fautes ! »
Et elle disparut. Azken se réveilla brusquement. Les premiers rayons du soleil perçaient par la fenêtre. Pour autant, l’elfe n’avait pas la force de se lever. Il se rendormit.