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Chapitre 1 : Un orage des plus étranges
« - Tylan !! ». Je me retourne vers celle qui m’appelle. Je la détaille, sa tenue est encore différente des autres jours. Aussi sobre que multicolore, un agencement parfait des styles de couleurs. Une énième provocation envers le corps enseignant. Ses cheveux blonds volent dans le vent contrastant le noir rigide de ses collants tandis que sa chemise bleu ciel fait ressortir ses yeux bleu marine. « -Tylan », répète-t-elle, « sors un peu de tes rêveries, on va être en retard. Bouge-toi un peu franchement ». Je souris, Diana débordait toujours d’énergie même pour aller dans le cours le plus ennuyant de la Terre. J’acquiesçais à son petit sermon puis me mit en marche vers le grand bâtiment qui nous faisait face. Ce bâtiment était notre orphelinat mais servait également, d’école, de bibliothèque, de salle de sport et de musée. Il était plus un gigantesque manoir grouillant de vie qu’autre chose. Diana était déjà prête à entrer dans le bâtiment mais elle m’attendait, par habitude. Sans elle ma vie n’avait aucune importance, mais avec Diana à mes côtés tout devenait possible. Je me rappellerais toujours de notre rencontre. J’ai toujours été de nature solitaire, et ce 9 décembre d’il y a trois ans, je dessinais, adossé contre un arbre, les petits animaux qui osaient s’aventurer sur la fine couche de neige recouvrant le sol. J’aurais du me trouver au chaud dans une salle de cours, mais je n’en faisais qu’à ma tête. Et, alors que le temps défilait sans que cela ne me fasse quelque chose, une ombre avait fait fuir tous mes petits amis. J’avais levé la tête et je l’avais aperçue. Elle n’était encore qu’une petite fille, riante, heureuse et dynamique. Elle avait un uniforme d’élève d’une des meilleures écoles de la ville, jupe à carreaux noirs et rouges, et chemise blanche. Pourtant, elle semblait bien trop jeune pour faire partie de cette école. A peine j’avais formulé cette pensée, que la petite fille était devenue une adolescente en riant. Puis elle m’avait parlé, d’une voix claire comme le cristal mais avec un regard coupant comme l’acier : « Salut, jolis dessins. Mais en attendant tu n’as rien à faire là.
-Et je peux savoir qui tu es toi ?
-Tout dépend de qui tu veux que je sois. Je peux être une enfant, une fille, un garçon, une amie, une ennemie, une maman… »
Au fur et à mesure de ses paroles, Diana se transformait. Peu de gens étaient capables de la voir. En réalité, elle était une entineige, c’est-à-dire que son corps entier était fait de flocons qu’elle pouvait remodeler à volonté, transformant ainsi tout ce qu’elle voulait, du physique aux couleurs ou le fait d’être visible ou non. J’avais rétorqué :
« -Je pense qu’une amie me suffira. Mais pourquoi moi ?
-Tu connais la réputation des entineiges ?
- Peu de gens s’y intéresse, donc c’est plus facile d’être ignoré.
-J’en conclus que oui, »me répondit-elle en riant. Elle reprit : « -Je ne sais pas pourquoi je suis vers toi mais maintenant je ne te lâcherais pas. Et il faut vraiment que tu retournes en cours »
J’allais lui répondre, mais elle s’était déjà mise à courir vers le bâtiment qui était mon lieu de vie. Je soupirais en rangeant mes affaires puis me mis à la suivre, me demandant comment expliquer sa présence aux rares personnes qui pourraient la voir.
Sa voix me tira de mes pensées. Je lui souris puis entrais dans le bâtiment en sa compagnie. Nous parcourûmes une dizaine de couloirs avant d’arriver à la salle du cours de mécanique. Je toquais par principe et une fois sûr que la salle n’était pas pleine, contrairement au sourire de Diana, je pénétrais dans la pièce. Je regardais autour de moi, l’environnement intérieur était assez austère, murs nu couleur grisâtre et quelques néons au plafond, tout le contraire de ce que laissait penser l’extérieur du bâtiment. Je balayais ainsi la pièce du regard avant de choisir mes places, au fond vers la fenêtre. Je laissais la place la plus proche de la fenêtre à Diana, elle n’avait pas vraiment besoin d’écouter les cours, juste de s’assurer que j’y participe. Du coup, elle profitait de ces heures pour regarder tomber les flocons. Un brouhaha ambiant commença de s’installer alors que je m’asseyais. Les autres élèves allaient arriver. Je haussais les épaules, j’appréciais ma solitude et tous les autres l’avaient bien compris, on me laissait toujours tranquille. Chacun s’installa, à une place qui convenait plus ou moins bien à son tempérament, les solitaires allaient sur les côtés et vers le fond, les travailleurs et ceux en difficulté se regroupaient devant et le plus possible vers le centre, tandis que les bavards se mettaient entre les deux grandes catégories. Des pas lourds se firent entendre, et l’ensemble de la cohue d’élèves retint son souffle. Ce phénomène étrange retentissait à chaque début de cours et il demeurait toujours inexpliqué. Une fumée blanchâtre emplit la salle et tout le monde se mit à tousser, ne prêtant aucune attention à la forme qui se dessinait à mes côtés. Maudits lutins farceurs, il fallait toujours qu’ils essayent de trouver l’invisible. J’essuyais Diana, lui permettant de reprendre une respiration normale sans tout chambouler dans son organisme et fixait le professeur, qui venait d’apparaître au milieu de la fumée, avec animosité. Il faisait ce cinéma à chaque séance, malgré tous les dangers qui étaient exposés. Diana me sourit et me regarda jusqu’à ce que je me sois calmé. Je repris une position un peu plus détendue et sortit mes affaires. La salle se remplit de bruit, les fenêtres qui s’ouvraient, les classeurs qui claquaient sur les tables, les sacs qui se posaient d’un coup brusquement sur le sol, les chaises que les élèves ne soulevaient pas, une véritable cacophonie. Et lorsque tout fut en place, ce fut le silence absolu. Même le vent glacial qui soufflait dehors semblait ne plus avoir de souffle. Tout le monde retint sa respiration. Quelques minutes passèrent et le silence perdura. Il y eut un petit carillon et tout le monde soupira de soulagement. Il n’y aurait pas de contrôle aujourd’hui, du moins pas dans cette matière. Le manoir-orphelinat semblait animé de magie la plupart du temps. La plupart des élèves voire la quasi-totalité préférait penser à des phénomènes inexplicables. Pour ma part, j’étais sûr qu’il y avait une explication quelque part et j’étais bien décidé à la trouver. J’entendis mon nom retentir, je levais la tête vers le tableau, un exercice y figurait. Je me levais tranquillement, prenant mon temps ce qui agaça grandement le professeur. Tant pis pour lui, je commencerais à bien me comporter quand il le fera aussi. Diana tapa du talon sur le sol, mécontente, mais après qui, c’était un demi-mystère, puisqu’il n’y avait que deux solutions, le prof ou moi. J’arrivais vers le tableau et regardais l’énoncé. Je pris une craie et résolvais son énoncé en quelques minutes. Avant même qu’il ait le temps de dire quelque chose, j’étais retourné à côté de Diana. Le prof se retourna pour vérifier et valida l’exercice. La sonnerie retentit, libérant ainsi le flot d’élèves.
Je restais en place, il y allait avoir une énième confrontation avec le professeur. Au fond j’avais fini par m’y faire et n’y prêtait plus aucune attention. J’attendis quelques minutes sans absolument rien écouter de ce que le professeur me disait, s’il y avait une punition, Diana me le rappellerait. Lorsque le flot de paroles s’interrompu, je me levais et attendit mon amie. Cette fois, on allait vraiment être en retard dans un cours. Je haussais les épaules, la professeure suivante avait l’habitude. Je me dirigeais vers une autre salle, quelques couloirs plus loin, arrivant au beau milieu de la phrase de Madame Clochette. Je lui adressais un sourire et, cette fois, pris position devant, par politesse et principe. J’observais Diana, me demandant si elle allait partir car il n’y avait aucune place de libre ou bien au contraire, si elle allait venir sur mes épaules ou mes genoux en changeant de forme pour ne pas trop me gêner. Elle semblait hésiter, et la dirigeante du cours continuait son raisonnement explicatif du texte que nous avions à lire. Je lui souris lorsqu’elle vint finalement se positionner sur mes genoux et continuait de reprendre mon cours. Diana, fidèle à son devoir, me fit un résumé complet de la tirade dont je n’avais pas écouté mot. Je hochais la tête de temps en temps, ne me souciant guère des regards, plus qu’intrigués, que me jetaient mes camarades. Aucune punition ne fut mentionnée. Je haussais les épaules, le lutin farceur avait peut-être enfin compris. Plus aucun son ne me parvenait, je levais la tête, Madame Clochette écrivait au tableau et Diana s’était endormie. Je souris et la calais de façon à ce qu’elle soit bien positionnée sans me gêner pour écrire. Le petit carillon sonna de nouveau. Je me tournais vers mon voisin de derrière pour demander le début du cours mais celui-ci me fuit. Je soupirais, ce n’est pas comme ça que j’allais récupérer mes cours. Je remis Diana et me concentrais pour faire apparaître la lumière autour de moi. Diana étant une entineige, elle m’avait appris quelques trucs. Je regardais les lettres se former et recopiais ainsi le cours qui me manquait. J’entendis des applaudissements et perdit toute ma concentration. Je levais la tête et regardais ma professeure. Celle-ci prit la parole : « -Pardon, je ne voulais pas te déranger. Mais à ce que je vois tu as bien progressé. » Elle regarda Diana : « -La petite est fatiguée ? Encore les fumigènes ? » Je les regardais toutes les deux et finit par répondre : « - Oui, désolés pour le retard.
-Ne t’en fais pas, tu veux que j’aille lui parler ?
- Ça ne changerait rien, il recommence à chaque fois quand même.
-Tu m’as l’air triste, pourquoi ?
-J’aimerais juste…juste pouvoir la protéger comme elle le fait »
Diana se réveilla au même moment. Elle bailla et nous regarda à demi-ensommeillée et nous sourit. Elle pencha la tête sur le côté avant de parler à son tour : « - Je n’ai pas besoin d’être protégée. »
Je haussais les épaules, je me doutais qu’elle ne comprendrait pas. Je lui souris et puis regardais notre professeure, une des seules qui pouvait voir mon amie : « -Vous pouvez toujours essayer de lui parler mais je suis sûr que ça ne changera rien. Au revoir. » Je me levais et partit dans le dédale de couloirs. Je portais toujours Diana dans mes bras, elle s’était rendormie.
Tout en marchant, j’écoutais les bruits environnants. Des grondements sourds retentissaient au-dehors. Le temps était inhabituel pour un hiver. Je décidais d’aller dehors, cela ferait plaisir à Diana et me changerait les idées. Je pris un couloir aux murs noirs et passait par une porte dérobée, me retrouvant à l’air libre. J’observais la colère des éléments, le vent soufflait en rafale, semblant ainsi créer une tornade de neige. Tornade qui était illuminée par des éclairs de flocons. Je marchais en direction de cette tornade, observant cet orage des plus inattendus. Je sentis Diana bouger, je lui souris et lui montrais la tempête qui avait lieu. Elle sauta de mes bras, pour courir dans la neige pure. Peu à peu, je la vis reprendre sa forme initiale, celle qu’elle avait vêtue lors de notre première rencontre. Celle d’une petite fille heureuse, pleine de vie et d’insouciance. D’un geste, elle m’invita à la rejoindre dans sa folle danse. Je riais de bon cœur en l’accompagnant, entre neige et glace, dans le souffle du vent. Nous nous éloignâmes petit à petit de l’orphelinat, oubliant les heures qui défilaient. Nous arrêtâmes de courir après un long moment, Nous regardions autour de nous, observant la forêt qui nous entourait. J’avais bien l’impression que nous nous étions perdus mais, au fond, je m’en fichais totalement. Je surveillais Diana, qui au contact de ce qu’elle aimait, devenait une enfant joyeuse qui courait un peu partout. Soudain, je l’entendis crier et la vis disparaître sous la neige. J’observais quelques instants, croyant à une de ses farces mais ne la voyant pas revenir, j’avançais vers l’endroit de sa disparition alors qu’une trombe d’éclairs s’abattait. Je reculais précipitamment et attendit que ça se calme mais la tempête semblait sans fin. Alors je pris mon courage à deux mains et traversais le torrent de foudre à mes risques et périls. La dernière chose dont je me rappelle, c’est d’avoir réussi à attraper la main de Diana avant de m’évanouir.