~ Le poids de la culpabilité pesait sur ses épaules, rongeait ses pensées, lui meurtrissait l’âme, assombrissait sa vie… Un cauchemar récurrent venait la hanter chaque nuit, un cauchemar où son frère Yizrah se consumait de tristesse, cessait toute lutte pour rester en vie, car elle, Elàlia, sa propre sœur l’avait poignardé dans le dos en participant à la condamnation de Leora, la Djaalin dont il était fou amoureux. A chaque fois que ce cauchemar la réveillait, Elàlia se répétait comme un mantra qu’elle ne savait pas que c’était l’amante de Yizrah.
Pourtant, la culpabilité était là… Cela la rendait sombre, inquiétante, peu adaptée aux terres d’Aydo’h où elle n’avait pas sa place. Alors, elle avait pris la décision de partir pour une nouvelle contrée, où elle pourrait se refaire une vie, un nom, et peut-être, obtenir le pardon.
Rapidement, elle avait trouvé une nouvelle passion : la musique. C’était une liberté pour elle, elle pouvait oublier en chantant, elle avait juste à se tenir droite, ses ailes diaphanes repliées dans le dos, et alors, humblement, elle devenait une autre, exprimant ses sentiments et ses plus sombres pensées à travers des mélodies, des notes et des paroles.
Un jour, alors qu’elle chantonnait à voix basse, elle avait remarqué un Djaalin, majestueux, tout de glace, jusqu’au bout de ses ailes givrées. La voix d’Elàlia s’était coupée nette, son cœur s’était affolé, sa respiration s’était faite plus rapide… Ce mâle était si beau ! Si… pur !
Il ne la remarqua pas, passant son chemin comme si de rien était. Une énorme déception avait pris la forme d’une boule dans la gorge de la Djaalin… Une sensation de déchirement aussi. Était-ce cela que son frère avait ressenti avec la perte de Leora ? Non… Il avait sûrement ressentit bien pire. Elle venait de tomber amoureuse en quelques secondes d’un Djaalin qu’elle ne connaissait pas et ne reverrait sûrement jamais… Était-ce sa sentence ? Le prix à payer pour se faire pardonner ? Elle avait brisé un cœur immaculé, alors sa punition était de ne pas avoir le droit au bonheur ? Son avenir était-il d’admirer cet être de glace dans le plus grand des secrets ? Cela lui semblait bien mérité…
Les jours avaient défilés, sans revoir ce magnifique Djaalin, pourtant, il obsédait ses pensées !
Elle était tombée par hasard sur une affiche invitant les artistes à se retrouver lors d’un salon-rencontre et avait pris la décision de s’y rendre, cela lui changerait sûrement les idées. D’après les informations sur l’affiche, le salon avait déjà ouvert ses portes, alors elle n’avait pas perdu une seconde de plus pour s’y rendre. Elle était entrée timidement dans la grande salle et s’était mise à observer toutes ces créatures autour d’elle. Elle ne se sentait pas à sa place. Que lui était-il passé par la tête en venant ici ?
Elle s’était retournée vivement vers la porte qu’elle venait de franchir et s’était dirigée vers la sortie d’un pas précipité, l’avait ouvert dans un fracas et avait déboulé dehors comme une furie. Elle s’était arrêtée, avait cherché à remettre de l’ordre dans ses pensées. C’était à ce moment là qu’une patte s’était abattue sur son épaule, tendrement.
« Vous allez bien ? » dit une voix masculine, douce comme du velours.
« Oui, merci. »
« Vous êtes sûre ? Je vous ai vu, vous savez… Vous êtes partie en courant, paniquée, alors que vous veniez d’entrer… »
Elàlia s’était enfin décidée à relever les yeux.
Son cœur avait manqué un battement.
C’était lui…
C’était lui !
Et elle venait de se ridiculiser…
« Je… Je… Vais bien… Je… Vous assure… » balbutia-t-elle.
Le Djaalin l’avait observé en silence, d’un air protecteur, comme un grand frère qui prend soin de sa petite sœur. Puis il avait brisé le silence :
« Voulez-vous vous asseoir un moment avec moi ? Nous pourrions parler de nos talents, après tout si vous êtes venue, c’est que vous êtes une artiste vous aussi ! »
Elle avait timidement hoché la tête et elle l’avait suivi, alors qu’il partait s’asseoir sur un banc.
« Je me nomme Reòite, je suis peintre. »
« Je suis Elàlia… Je… chante. »
« Ah la chanson ! C’est un art merveilleux ! Je sais peindre les sentiments, mais vous, vous savez les faire ressentir ! »
Un nouveau silence s’était installé entre eux, mais il avait à nouveau été brisé par Reòite :
« Je préfère déjà vous le dire, je suis très tête en l’air et cela peut rapidement mener à de gros quiproquo, alors, je m’en excuse d’avance. Je suis né avec une âme d’artiste vous savez, je m’exprime mieux à travers mes pinceaux qu’à travers mes mots ! Ma source d’inspiration est la neige ! Il n’y a rien de si pure, de si beau et de si unique ! J’ai une muse aussi, Miritea, une Djaalin comme moi, toute de glace ! »
Le cœur d’Elàlia s’était serré en entendant ces mots.
« C’est… votre compagne ? »
« Quoi ? Oh non ! Miritea est ma sœur ! Elle a disparu… Je la cherche. Tous les jours j’espère retrouver sa trace, mais sans jamais réussir. »
« Je… Je suis désolée. Moi aussi j’ai perdu mon frère, d’une certaine manière. »
« D’une certaine manière ? »
Elle avait haussé les épaules, ne souhaitant pas s’étendre sur le sujet, puis elle avait ajouté :
« Votre quête, vous la menez seul ? »
« Oui… »
« Vous n’avez pas envie d’avoir de la compagnie ? »
« Mes pinceaux et mes œuvres m’accompagnent. »
« Peut-être pourrais-je venir avec vous, la prochaine fois ? »
« Pourquoi feriez-vous cela ? »
« Comme je l’ai dit, j’ai perdu mon frère. Cela était uniquement ma faute, et je ne suis pas sûre que ma famille pourra un jour être à nouveau réunie, mais la votre, oui. »
Reòite avait sourit et posé sa patte sur celle de Elàlia.
« D’accord. Continuons ensemble. »
Cela a été la Elàlia que j’ai rencontré, celle que j’ai connu, fragile, poursuivie par son passé et ses regrets. Malgré les tourments qu’elle subissait chaque jour, elle a été un pilier pour moi, mon seul soutien après la perte de Miritea. Elle est devenue ma nouvelle muse. J’étais tombé amoureux d’elle, sans même le remarquer. Je me suis rendu compte de la réciprocité de mes sentiments que lorsque qu’elle m’a avoué les siens… J’étais vraiment tête en l’air !
Quoi qu’il en soit, aujourd’hui Elàlia m’accompagne dans mes recherches et en retour, je la soutiens, je l’aide à affronter cette culpabilité qui l’habille.
Si je vous raconte cette histoire aujourd’hui, c’est pour vous faire comprendre que l’amour change une personne, alors, ne vous arrêtez pas sur des détails de son passé… ~