Lorsque la première fissure fendit la coquille, des petites griffes se glissèrent dans l’intercice créé et finirent de déchirer l’œuf ovale maintenu jusqu’alors par les ronces. On vit émerger une petite tête ronde, toute bleue, bientôt suivie d’un petit corps, lui aussi rond et bleu. Deux yeux ronds et rouges s’écarquillèrent au monde, et tout ce qu’ils virent fut ces mêmes griffes qui avaient arraché le flamiristou à sa douce coquille quelques instants plus tôt, prêtes à le frapper. Apeuré, le jeune flamiris recula instinctivement, se prit les pattes dans son ancienne maison et finit par dévaler tout le versant de la colline, blottit à l’intérieur Une fois en bas, arrêté et sain et sauf, il se dépêcha de quitter son abris avant qu’il ne lui tombe dessus et qu’il reste prisonnier dessous. Il retomba finalement à quelques pas de sa queue. Encore effrayé, le flamiristou leva les yeux vers le haut de la colline. Il ne savait pas exactement ce qu’il s’était passé ni ce qu’il allait y trouver, mais il y retourna car il le devait.
Dans le monde de Gothicat World, les bébés avaient la chance de savoir parler à la naissance, et notre petit se disait que sa génitrice, ayant vu son œuf éclore, l’attendait avec impatiente. En arrivant au sommet, le petit était tout essoufflé et persuadé que le pire était derrière lui. Il s’attendait à tout trouver sauf le spectacle qui se déroulait sous ses yeux : au moins deux cents flamiristous, ses frères et sœurs, se livraient une bataille sans merci.
Dès la sortie de l’œuf, comme presque tous les membres de leur espèce, ils ne pensaient qu’à se battre. Se battre pour survivre. C’était dans leurs gènes, tous savaient que leur mère ne choisirait que les plus forts d’entre eux. Elles les emmènerait dans leur nouveau foyer et laisserait les faibles, les vaincus et ceux qui ne s’étaient pas battu mourir ici. Elle ne pouvait pas se permettre de s’occuper de ceux qui pourraient la ralentir, qui mourraient en peu de temps et qui donc gaspilleraient de la précieuse nourriture. Eh oui, en ce contrées reculées de Gaïara, la loi du plus fort demeurait maîtresse de lieux.
Notre petit flamiristou se mit à avancer prudemment, en mettant maladroitement une patte devant l’autre. Il y avait des «erreurs» dans la nature, il en faisait manifestement partie car lui n’avait pas le moindre instinct de violence, mais plutôt l’envie de se sentir en sécurité. Il avait presque atteint l’une de ses sœurs qui restait tétanisée dans un coin que le soleil disparu, plongeant le petit creux de vallée dans la pénombre. Il était incapable d‘avancer, il ne savait plus où se trouvait la flamiristoune qu’il tentait de rejoindre. Le chaos avait pris possession de toute la petite fratrie. Des petits cris stridents résonnaient de partout et les queues et les pattes se piétinaient entre elles, mais la bagarre semblait oubliée. Ce n’était plus un chaos de cruauté mais d’enthousiasme. Bien entendu, la compétition était toujours palpable, mais tous les bébés flamiristous vainqueurs se ruaient à un point commun dans un but commun.
La flamiris.
La femelle qui avait pondu les œufs de tous quelques semaines plus tôt et dont les ailes immenses dissimulaient les rayons du soleil, mais par dessus tout, la flamiris qui allait finalement choisir lesquels de ses petits elle allait élever. Elle ignora ceux qui avaient décidé de s’accrocher à sa queue avec leurs minuscules dents, tant mieux pour eux s’ils arrivaient à rester suspendus durant tout le voyage. Les autres s’amassaient autour d’elle en sautillant. Elle n’en laissa monter qu’une cinquantaine sur son dos. Notre flamiristou avait compris ce qui était en train de se passer, il sortit de sa torpeur et se mit à courir après elle :
«Maman, maman ! hurla-t-il, attends-moi maman !»
La flamiris, qui s’était relevée, prête à partir, tourna la tête vers lui. D’ordinaire, elle ne prêtait aucune attention à ceux qu’elle n’avait pas choisi, mais d’ordinaire, ceux qu’elles n’avait pas choisi restaient à se lamenter dans leur coin, ils ne lui couraient pas après et encore moins en l’appelant «maman». «Le petit a de l’audace, pensa-t-elle, mais il ne tiendra pas deux jours».
Pour toute réponse, elle lui sourit puis l’écrasa de sa patte arrière droite, l’arrêtant dans sa course.
Lorsque le petit rouvrit les yeux, le soleil avait réapparu et sa mère disparaissait au loin. Il regarda autour de lui. Il était seul au milieu du champs, les autres abandonnés s’étaient réfugiés en tremblant derrière les buissons. Il était donc le seul que le soleil éclairait. Il baissa piteusement sa tête et ferma les yeux. Peut-être aussi qu’une larme coula sur la terre sèche.
La loi de la nature semblait irrévocable.
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-Niet, niet, niet i niet !
Anastasia se cambra sur sa gauche, les pattes croisée bien droites et le museau haut. Son serviteur, un petit lipicus, se faufila jusque devant elle.
-Mais Princesse…
-Il n’y a pas de «mais», il est tout bonnement hors de question que je mette ce voile, ou n’importe quel autre voile, pour sortir d’ici.
Le lipicus haussa piteusement les épaules, il savait très bien qu’elle ne changera pas d’avis.
-D’accord, finit-il par soupirer, sortez à visage découvert si vous en avez envie, mais vous devez tout de même vous couvrir de quelque chose, n’oubliez pas que vous êtes de sang royal et…
Son interlocutrice attrapa nerveusement une tunique légère et des bracelets discrets. Elle se tourna à nouveau vers le majordome, le regard interrogateur et presque provocateur. Ce dernier soupira :
-Vous êtes parfaite…
Elle s’en alla non sans un petit soupir hautain. Avant de sortir par la petite porte des bonnes, elle prit soin de mettre à son oreille et à sa queue deux de ces petits accessoires de perles et de plume tant prisés par les jeunes. Tandis qu’elle s’en allait, le lipicus la rattrapa et lui cria de l’encadrement de la porte :
-Et n’oubliez pas que vous devez assister au banquet qui aura lieu à dix-huit heures ! Il sera suivi des Démonstrations !
Anastasia se pavanait dans la ville. Elle profitait que les rues soient encore désertes pour sautiller de gauche à droite, elle avait tellement peu d’occasions de sortir qu’elle profitait du mieux qu’elle pouvait de l’air frais de l’aurore. Elle était sur le point de tourner à l’angle de la rue qui la mènerait à la meilleure pâtisserie du quartier lorsque qu’elle fut l’espace d’un instant par le soleil naissant filtrant entre deux bâtiments. Elle s’y faufila après une longue hésitation ; de toute façon elle aurait eu à attendre. De ce côté-ci se terminait la ville.
Elle fit une dizaine de pas et ferma les yeux. Elle pouvait sentir la douceur de l’herbe sous ses coussinets, la chaleur du soleil sur son museau, la fraîcheur du vent qui faisait voleter la soie et les plumes, la mélodie des cris d’un bébé… «La mélodie des cris d’un bébé ? La nuisance des cris d’un bébés, oui!» se dit-elle. «Euhhhh, attendez, un bébé ?» Tout à coup, toute la magie disparut. Elle se retourna, la gueule entrouverte, les oreilles vers l’avant. Ce cri se fit minime. C’est à ce moment qu’Anastasia se rendit compte qu’elle avait faillit marcher sur une petite boule de plumes et d’écailles bleues
-Oh, choupinou… Non d’un Neptulys, mais tu es un flamiris !
Elle ramassa la petite boule et la déposa dans le creux de sa queue. Elle n’osait pas le lécher, elle ne connaissait pas bien cette espèce. Et s’ils avaient des dents ? Elle approcha prudemment son museau et le retira tout aussi vite lorsque le flamiris se mit à bouger. Il découvrit son bec et ses grands yeux rouges. Toute attendrie, elle rabattit ses oreilles sur son crâne et leva la tête, pensive. «Est-ce que mon ère acceptera de...».
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-Je m’en doute que tu en as marre d’être caché, mais que veux-tu que je te dise !
Anastasia marqua une pause.
-En tant que princesse je sais très bien que tu peux ressentir, mais crois-moi, si je pouvais te laisser sortir à ta guise, je le ferais ; mais je ne peux pas. Tu imagines si tu croisais quelqu’un ? Si mon père apprenait que cela fait trois ans que j’héberge un flamiris sur ses terres ? Je te jure que quand j’ai su qu’il me serait impossible de te garder, j’ai essayé de te trouver un nouveau foyer. Mais il n’y a aucun flamiris dans tout le royaume. Ton espèce fait peur à la mienne, c’est comme ça. Ne m’en veux pas, ce n’est pas de leur faute, ils sont effrayés parce qu’ils ne connaissent pas. Je suis sûre qu’ils changeraient d’avis s’ils te rencontraient, mais jamais ce ne sera possible.
Le jeune flamiris l’avait à peine écoutée, il restait appuyé à la fenêtre de sa maison improvisée, dans un coin où l’on ne vient jamais. Sa mère de substitution, sentant qu’il souhaitait rester seul, se retira.
-Je reviendrai avant ce soir, Upweke. Aujourd’hui ont lieu les Démonstrations annuelles…
Anastasia attendait derrière un immense rideau de velours avec le majordome lipicus. On pouvait entendre les discussions de tous les lunaris mâles bien nés des royaumes alentours. En ce jour, pas d’à côté, elle avait sortie sa magnifique tenue avec tout l’artillerie de perles et de dentelle. Il ne manquait plus que son père pour lever le rideau et débuter la cérémonie.
Les Démonstrations avaient lieu chaque année. Un royaume voisin n’était fait que de glace et de neige depuis qu’un sorcier lui avait jeté un sort, personne ne pouvait y vivre. Ce même sorcier avait renfermé tout son pouvoir dans un joyau qui s’était retrouvé en possession des lunaris de génération en génération, et aujourd’hui au père d’Anastasia. Lorsque l’élu s’en approchera, il se mettra à briller de mille feux. Et alors lui seul aura le pouvoir de rompre le sort qui pesait sur ces terres de glace, et deviendra le premier souverain depuis des années et des années. Le roi actuel avait promis la patte de sa fille à cet élu, et dans ce but il faisait s‘approcher de la pierre le plus de jeunes lunaris qu’il le pouvait chaque année depuis l’adolescence d’Anastasia. Il cherchait encore et avait mis beaucoup d’espoirs dans l’édition de l’année en cours.
Le roi commençait à se faire attendre lorsque l’on entendit des cris provenant de la salle où était gardé le précieux joyau. Des membre de la famille royale allèrent calmer les invités qui s’agitaient tandis que la princesse et le majordome en chef se ruaient vers la pièce en question. Ils y trouvèrent le roi, terrifié, recroquevillé dans un coin de la pièce et gardant la pierre précieuse tout contre lui. Sans oublier l’énorme flamiris au milieu de la pièce. La princesse s’avança comme pour le protéger.
-Upweke ! Mais que fais-tu ? demanda-t-elle les larmes aux yeux.
-Anna’ ! hurla son père. Pourquoi baragouines-tu au nez de cette bestiole ? Au nom de ce que tu veux, écartes-toi !
-Je ne baragouine pas, papa, «upweke» signifie «solitude» en swahili, je l’ai appelé comme cela car il était abandonné quand je l’ai trouvé.
-Quand tu l’as trouvé ? Que cela veut-il dire ? Qu’en sais-tu qu’il est abandonné ! Il est presque adulte !
-Tu ne comprends pas, je l’ai trouvé il y a de cela trois ans, c’était un tout petit bébé flamiris, pas une bestiole. Il avait besoin d’aide et je l’ai secouru, je ne t’en ai jamais parlé car je savais que tu ne voudrais jamais de lui. J’avais fait plusieurs sous-entendus et la réponse était claire… Alors je l’ai gardé et je l’ai caché. Mais je lui avais dit de ne pas bouger… ajouta-t-elle en se tournant vers son petit protégé.
Mais il avait disparu et c’est à ce moment qu’une lumière intense envahit la pièce.
Upweke posa pour la première foi une patte sur son nouveau royaume. La tempête qui s’y étai installée et qui ne s’arrêtait jamais cessa presque immédiatement, ne laissant que les beaux paysages couverts de neige et les morceaux de glace pure sur les quels se reflétait le soleil.
Il s’était peu à peu approché du roi tandis qu’Anastasia parlait quand tout à coup le joyaux sembla exploser de l’intérieur, éblouissant tout le château pendant plusieurs minutes. Quand on réussit à nouveau à y voir, le pelage d’Upweke était étincelant, mais par dessus tout ses écailles étaient recouverte de givre par endroit, et ses ailes de plumes bleues s’étaient voilées d’une délicate couverture de rosée.
Sa famille, par une mystérieuse loi, avait décidé de abandonner, et il le porterai toute sa vie dans son nom. Mais cette même loi, la Nature, avait vu qu’il était différent, et s’était enfin décidé à lui apporter bien plus que ce qu’il n’aurait jamais pu rêver. La lunaris qui l’avait élevé et qui avait depuis trouvé bague à sa patte était fière de lui et lui rendait régulièrement visite. Il devint un roi renommé pour son pacifisme et sa bonté, dirigeant à merveille son royaume, constitué de toutes les espèces de créatures existant. Elles cohabitaient car elles avaient apprit à se connaître et à apporter leurs différents qualités aux autres, et c’est pour cela qu’elle attirait encore et toujours des animaux seuls et perdus de toutes les races et toutes les origines, dans l’espoir d’avoir là-bas le même que le grand Upweke.