Chapitre Premier
Trois jours passèrent depuis mon arrivée à Levanos. Trois jours, durant lesquels je n’appris rien, pas plus que je fis quelque chose d’ailleurs.
J’eu l’impression que le soir de mon arrivée à la capitale était encore mouvementé que la journée passée. Je ne pus profiter du spectacle que me donnait le gigantesque roc que quelques minutes, car la lumière du jour déclinait et
on ne monte pas en ville comme ça, m’avait-on dit. D’abord horrifiée, je réalisai qu’effectivement, si la citadelle était imprenable, ce n’était pas sans raison. Heureusement que j’étais encore sur le dos de Baldr, car j’aurais surement refusé de bouger autrement. Ce dernier nous dirigeait plusieurs certaines de mètres plus bas, vers le début d’un immense pont suspendu, lequel, du fait de sa hauteur, ne me rassurait pas du tout. Je me demandais bien comment cette prouesse d’architecture avait pu être construite, car les énormes chaines qui le maintenait en place semblaient encrées en terre sous plusieurs kilomètres. Plusieurs autres gardes surveillaient qui montait ou descendait de l’édifice ; parfois arrêtaient-ils certaines personnes, mais jamais des créatures. Alors que je m’attendais justement à devoir répondre à des questions, Baldr entama sans demandé son reste à qui que ce soit l’ascension. Un soldat dû voir mon étonnement car il inclinait la tête pour faire comprendre que tout était en règle.
Peut-être que Baldr était connu par ici, après tout. Les sabots du Destrinos raisonnaient sur le bois sombre du pont. Ce dernier devait être assez large pour pouvoir laisser marcher une quinzaine de personne de front sans qu’elles ne gênent les unes ou les autres, et de hautes rampent sculptées séparaient quiconque voulait s’y risquer du vide. Aussi cette impressionnante rambarde abritait de temps en temps des feux nichés dans les riches détails du bois, et ces mêmes lueurs qui brillaient d’un éclat blanc devaient être magiques pour empêcher tout incendie. Par-dessous et sur les côtés, des torsades de chaines noires d’une impressionnante maintenaient le pont et l’empêchait surement de tanguer trop violement quand les vents, disait-on Rois dans la région, soufflaient sans relâche.
Quand enfin nous fumes arrivés aux portes, cette fois-ci de la ville, il faisait presque nuit noir et le ciel était déjà piqué par le firmament. Durant notre ascension, j’avais déjà eu loisir de les observées partiellement en raison de quelques nuages, mais Levanos abritait ainsi que ses îles voisines, d’immenses tours qui semblaient être d’un minerais ou d’une matière propre à ce monde. Elles n’étaient pas unies, car leurs surfaces lisses déclinaient toutes les couleurs possibles des aurores boréales. La tour du rocher principal où nous nous trouvions était la plus imposante : elle s’étendait sur toute la ville du fait de ses quatre immenses pieds, et je ne pouvais voir le sommet à cause, de nouveau, de quelques nuages qui passaient là. La capitale en elle-même était fidèle à sa définition, elle débordait d’activités et l’air était chargé tantôt de douces odeurs délicieuses, tantôt de chants provenant surement de tavernes. Mais Baldr, une fois de plus ; ne me laissa pas le temps d’en voir d’avantage, et s’il était encore au pas il avançait aussi vite qu’il le pouvait, surement pressé de prendre enfin du repos. Traversant une grande place dallée, il nous dirigeait vers un grand bâtiment qui semblait être très actif malgré l’heure. Les portes comme le reste des architectures, semblaient aussi bien adaptées à la navigation d’une créature aussi imposante que Baldr qu’à un humain, même si je devais me pencher un peu pour passer les portes, étant encore sur le dos de l’étalon. Le Destrinos traversa d’abord plusieurs pièces sans un mot, puis s’arrêta dans une grande salle commune comme pour chercher quelqu’un. Lorsqu’il croisa le regard d’une femme, qui visiblement l’attendait, il reprit son chemin et l’inconnue nous emboita le pas. Il finit par arriver à ce qui était une écurie, et, très patient, me laissa le temps de descendre et de prendre Wgablyth ; qui exténuée s’était déjà endormie, puis alla directement dans un box. La femme qui nous avait suivi lui glissa quelque mot à l’oreille, et après la réponse inaudible de Baldr, elle revint à moi. Elle était grande et se déplaçait avec agilité, sa robe marine et finement ornée, qui me faisait douter s’il s’agissait là d’un vêtement civil ou de défense ; suivait ses moindres mouvements. Ses yeux bleus étaient pleins de malice, et s’accordaient parfaitement avec ses cheveux blonds clairs qui tombaient sur ses épaules. Son sourire chaleureux à lui seul me réconforta et me fit presque oublier que j’étais une intruse.
« — Bienvenue à vous ma chère, bienvenue à Levanos. Je me nomme Qilicia et suis, en quelques sortes, à votre service le temps que vous en aurez besoin. Ma mission est d’intégrer et d’aider les nouveau-nés tels que vous-même, c’est pourquoi, si vous avez besoin de quoi que ce soit, je ne serais jamais loin. » Elle s’inclina, la main droite sur le cœur, et poursuivit : « Vous devez être exténuée. Laissez-moi vous conduire à vos appartements. » Sans un mot je la suivis de bon cœur, car depuis tout ce temps, même si les questions me démangeaient, j’avais vraiment besoin de repos. Elle me guida à travers divers escaliers et couloirs, si bien que je n’essayais même pas de me souvenir du chemin emprunté; et quand mes jambes si lourdes ne pouvaient plus descendre une seule marche, elle finît par s’arrêter devant une porte en pierre, qui malgré la matière paraissait incroyablement légère, puisque la jeune femme l’ouvrit sans bruit avant de me laisser passer. Je ne m’y ferais pas, c’est moi qui suis chez elle, pensai-je en passant le seuil.
« — Voici votre séjour. Vous y trouverez de quoi vous nourrir et vous désaltérer, et bien sûr de quoi vous laver et vous changer. Je reviendrais demain vous voir quand vous serez éveillée, mais d’ici là si vous avez besoin de moi n’hésitez pas à m’appeler », dit-elle en désignant juste à côté de la porte, une petite clochette finement ornée. « Oh, et peut-être vaudrait-il mieux que je prenne le Stoufix. Ne vous en faites pas, j’en prendrais bien soin. » Comme je ne savais pas à propos de quelle chose elle venait de me parler, elle tendit les bras vers les miens, toujours le sourire au visage. C’est en suivant son geste que je réalisais que Wgablyth dormait toujours en boule dans mes bras. Gênée de l’avoir oubliée, je la tendis aussi délicatement que je le pouvais à Qilicia, qui là prit avec autant de douceur. Elle s’inclina de nouveau, et partit en fermant d’un geste de main surement magique la porte. Je me trouvais pour la première fois depuis longtemps, du moins en apparence, à nouveau seule. Mon séjour, bien que sans fenêtre, était spacieux et trop riche à mon gout. Il était fait de différentes teintes de pierre qui ressemblait au marbre, éclairé par les mêmes feux du pont que nous avions traversé auparavant. Plusieurs portes de rangements se trouvaient au fond de la pièce, et un renfoncement dans le mur droit, caché par un paravent en toile mauve, dissimulait ce qu’on pourrait appeler une salle de bain. Le long de ce même coté du mur se trouvait un grand lit, également aux draps violet. En face se trouvaient une table et deux chaises, assorties au reste du mobilier. Le plafond était sombre, mais tout aussi ouvragé que les murs. La quasi-totalité de la pièce étant faite de pierre, j’en venais presque à me dire que nous étions à l’intérieur du rocher de Levanos. Laissant cette idée farfelue pour plus tard, et même si la motivation m’en manquait, je m’obligeai à prendre une douche et à me changer. Je cherchai un moment dans quel placard, car ils étaient nombreux et tous remplis de choses qui ne me serviraient sans doute pas, où se trouvaient mes nouveaux vêtements ; mais je mis encore plus longtemps à comprendre comme faire fonctionner la douche. Une fois ce problème réglé et après m’être changée avec ce qui ressemblait une sorte de tunique blanche, je ne pouvais voir que mon lit. Exténuée, je glissai dans les draps doux et frais, et n’en bougea pas pendant trois longs jours.
Et c’est d’un sommeil sans rêves que je me réveillai en sursaut, me posant moi-même les mêmes questions auxquelles j’attends encore et toujours des réponses. Que fais-tu là ? Qu’est-ce qui t’es arrivé ? Qui est-là ? Quand mes yeux furent habitués à la lumière, pourtant peu éblouissante, je fus à la fois soulagée et étonnée de la présence de Qilicia, qui était assise sur une chaise non loin. Cette dernière me salua et me demanda comment je me sentais. Après une réponse qui visiblement là satisfaisait, elle s’excusa :
« — Pardonnez-moi de mon intrusion, mais je devais m’assurer que votre sommeil était paisible. » Face à mon étonnement grandissant, elle continua : « Ils nous ait parfois arrivé que des personnes comme vous se retrouvent prisonnières entre deux mondes. » J’aurais surement préféré qu’elle garde ce détail pour elle, mais encore plus abasourdie, je mis cette nouvelle frayeur de côté et dévora le petit-déjeuner qu’elle m’avait apporté, comme si mon réveil avait été programmé.
« — Même si vous vous montrez très silencieuse, vous devez surement avoir beaucoup de questions. J’ai la joie de vous annoncer qu’une partie d’entre elles trouveront une réponse si toute de suite après », me déclara-t-elle toujours avec le sourire. Peut-être est-elle comme mon page, me demandai-je, mais cette idée aussi séduisante soit-elle me dérangeait. Pour toute réponse, je hochai la tête, et finit de manger, même si l’excitation grandissante venait de me couper l’appétit. Après quoi elle me laissa un peu d’intimité, et m’annonçât qu’elle m’attendrait dehors quand je serais prête. La même angoisse que je ne connais que trop depuis que je suis ici m’envahit à son tour, alors que ma tête essayait d’imaginer toutes sortes de scénarios possibles. Je me relevai et choisit d’autres habits, avec la désagréable impression que ces trois jours de sommeil étaient trois jours loupés. Cette fois-ci j’optais pour une robe mauve sombre, par-dessus laquelle se trouvait une sorte de tablier plus clair mais assortit et ouvragé ; qui ressemblait presque à ce que Qilicia portait aujourd’hui. Je ne pus en revanche pas faire grand-chose de ma tignasse indomptable, raison pour laquelle j’improvisais une tresse ramenée en chignon grâce à une fine baguette de bois trouvée un peu au hasard. Machinalement je réalisai que je prenais beaucoup d’importantes sur mon paraître ; peut-être parce que je ne mettais toujours pas vu yeux dans les yeux depuis que je suis arrivée. Je dois surement avoir des cernes d’un bleu bien visible, me dis-je, mais elles sont assorties à ma robe au moins. Je pouffais toute seule à cause de l’anxiété grandissante, mais je me résolue à sortir après avoir soufflé un grand coup.
Qilicia, aussi jeune que rayonnante, m’attendait les mains jointes et encore ce magnifique sourire aux lèvres. Elle tenta de me rassurer en me disant que tout irait bien, mais sa réponse eut en fait l’effet inverse, car elle sous-entendait que j’allais rencontrer quelqu’un d’autre ce qui ne me m’arrangeait guère. Même si j’avais presque réussis à passer presque inaperçue jusqu’à maintenant, j’allais maintenant être vue et très surement jugée pour ce que je suis : une étrangère. Je déglutis et, comme la dernière fois que j’étais passée ici, je la suivais machinalement, mon esprit tout ailleurs. Elle me guida jusqu’à une vaste pièce, surement une autre salle commune, où se trouvaient un bon nombre de personnes et de créatures ; peut-être y avait-il aussi des nouveaux arrivés comme moi. Qilicia me dirigea vers une table isolée où deux personnes, un homme et une femme tous deux en armure, m’attendaient accompagnés de Wgablyth, que j’étais contente de revoir. Comme les deux inconnus se levaient, je pus les observer d’avantage : par la richesse et les détails de leurs cuirasses, tout deux devaient être des personnes importantes. Leurs plastrons étaient faits de qui pourrait ressembler à de l’argent, et des rappels de ce même métal avaient été réalisés sur leurs ceintures et les pièces qui protégeaient leurs hanches, ainsi que sur leurs gantelets et heaumes, tous posés sur la table. Une côte de maille et du cuir teinté de violet, esthétiques mais nul doute qu’ils soient aussi résistants, composaient la majorité du reste de leurs armures. La femme avait la peau très pâle, tout autant que ces yeux bleus en fait ; ce qui faisait paraître ses cheveux presque blanc, malgré son jeune âge. Elle avait un visage assuré et son menton marqué accentuait encore plus cet effet. Quant à l’homme, qui lui était un peu plus en âge mais abordant un air tout aussi déterminé et robuste, avait les yeux très aussi clairs, d’un bleu tirant presque dans le blanc en fait, et des cheveux courts bruns. Les deux inclinèrent la tête vers Qilicia, qui après les avoir imités s’éclipsa, puis ils se tournèrent vers moi et refirent de nouveau ce geste, cette fois la main droite sur le cœur comme on me l’avait déjà fait quelque jours auparavant. C’est l’homme qui prit la parole, coupant court à mon interrogation sur comment les saluer.
« — Nous vous souhaitons la bienvenue à vous à Levanos. Je me nomme Arrin et voici Lenah. » Il me fit ensuite signe de m’assoir en face d’eux, et Wgablyth vint à ma hauteur me saluée elle aussi, avant de prendre place sur mes genoux.
Décidément les Stoufix sont très affectifs, me dis-je en me rappelant du nom que Qilicia avait employé.
« - Nous sommes chargé de répondre à toutes vos questions », continua l’homme. « Nous avons tout notre temps pour ça » ajouta-t-il d’un air plus détendu. Si je m’attendais à sentir un flot d’idée me monter en tête, je ne fus que plus intimidés par ces deux personnes, et pour être honnête cela m’embarrassait d’être interrogée ainsi, ce pourquoi je m’empourprai. Je finis par aligner les mots suivants :
« — Je vous en remercie, c’est très aimable à vous. Euh, et excusez-moi si … s’il vous arrive parfois de ne pas comprendre ce que je dis où… » Je me retrouvais bêtement à agiter les mains en face d’eux pour terminer ma phrase sans pouvoir quoi dire quoi que ce soit de plus, comme si le peu de courage que j’avais s’était totalement évaporé. Mais Lenah s’empressa de répondre pour me sauver :
« — Tu n’as pas à t’en faire pour ça, car finalement nos deux mondes ressemblent assez, tu sais…» Me dit-elle doucement, un petit sourire aux lèvres.
« — Croyez-vous ? Du peu que j’ai vu… enfin, je veux dire, ils sont différents mais dans le bon sens, du moins celui-ci me semble bien meilleur que là d’où je viens. » Je m’empourprai de plus belle devant l’absence de réponses des deux personnes, excepté Lenah qui avait hoché la tête. A cet instant, j’aurais vraiment voulu fuir pour me cacher. Faisant face à mes problèmes, je repris mon souffle et les regarda tour à tour dans les yeux, incapable de pouvoir soutenir leur regards perçants trop longtemps. Comme il était visiblement impossible d’aborder des banalités pour m’habituer à eux, mais aussi pour me libérer au plus vite, j’entrai dans le vif du sujet d’une voix tremblante:
« — D’ailleurs, pourquoi suis-je ici ? » C’est la jeune femme qui me répondit, même si Arrin semblait prêt à intervenir à la moindre occasion :
« — Il est une part des choses dont nous sommes sûr, et il est une autre dont nos Dieux ont décidés pour nous. Wgablyth m’a raconté votre voyage et je sais qu’elle et Baldr vous ont déjà dit quelques mots. Au passage j’espère que vous vous êtes bien remise de ces événements. » Un coup d’œil sévère de l’homme la réprimanda sur l’écart qu’elle venait de faire, ce pourquoi elle se mit à parler ensuite d’une manière quelque peu déconcentrée : « Euh, comme vous le savez donc, notre monde connait malheureusement la guerre en ce moment même où je vous parle. » Elle osa toiser son collègue du regard et reprit à mon attention :
« — Depuis son origine, depuis son premier jour et depuis que toute chose est, notre monde a toujours connut l’harmonie. Il est né par un équilibre parfait qui devait perdurer à jamais. Cependant telle est la nature du Mal, qui s’est sollicité lui seul alors même que nous ignorions ce qu’il était. Rendant visible aux yeux de tous son existence possible, il est en train de briser notre prospérité. Ce Mal s’est manifesté sous forme d’Ombres maléfiques, raison pour laquelle tous les regards se sont d’abord tournés vers Renarhim la contrée des Ténèbres, qui fut pointée du doigt alors qu’évidement elle n’y était pour rien. Voyez, ce Mal à même réussit à créer des doutes entre nous, chose qui était même impensable auparavant. Ces Ombres ont d’abord emprisonnés les habitants trop imprudents, homme, femme ou créatures de tout âge. Nous ne purent évidemment pas ignorer le danger grandissant, et quand pour la première fois nous prirent les armes pour nous battre, les Ombres ne ripostèrent que trop fort. Nous étions impuissants face à eux, et l’acier ne savait rien leur faire. La magie et certains métaux plus rares semblaient avoir des effets, mais nous n’étions nullement préparés à de telles choses. Car nul d’entre nous ne connaissait le mal, si bien que nous ignorons comment il pouvait réagir. Nous mirent du temps avant de pouvoir édifier des murs magiques, que nous sommes sans cesse obligés de renforcer en ne négligeant aucun détail. Mais si en savons un peu plus maintenant, notre expérience nous en coûte cher. Le Mal, car il ne mérite aucun autre nom que celui de sa nature, et parce qu’aucun nom n’est capable de désigner une telle chose, s’est établit en chacun de nous, profitant alors de nos faiblesses devenues apparentent. Il nous a apporté la guerre et son unique existence ici chez nous est de trop. J’ose penser que vous connaissez de dont je parle. »
Oui, je ne connais pas les maux les plus violents mais l’Histoire d’où je viens ne connait que trop cette abomination. J’étais figée sur mon dossier et sans m’en rendre compte, mes mains avaient quittés Wgablyth, toute tremblante ; pour venir se crisper autours des accoudoirs. L’air grave, Arrin prit la parole :
« — C’est parce que nous ne connaissions pas le Mal que nous avons fait appel à des personnes comme vous. Pardonnez de m’exprimer ici, mais le Mal existe dans votre monde, n’est-ce pas ?
— Oui. Mais… mais comme vous l’avez dit il fait partit de nous, de chacun d’entre nous que vous avez amené ici.
— Vous n’avez pas été élu au hasard, je vous prie de me croire.
— Comment alors ? Et n’avez-vous pas pris un risque supplémentaire en faisant ça ?
— Nous n’y sommes pour rien, reprit Lenah, car cela relève de l’ordre divin. Comme vous là dit Baldr, nous pensons des choses que nous ne sommes pas aptes à vérifier. » Arrin reprit, en acquiesçant ce que venant de dire sa collègue :
« — C’est pourquoi nous pensons qu’aucun d’entre vous n’ait une menace. S’il en a été la décision des Dieux, c’est qu’ils avaient une bonne raison. Vous rappelez-vous de ce que vous pensiez de votre ancienne vie ?
— Vaguement. Mais j’éprouvais du dégoût pour certains de mes semblables, pour ce qu’ils étaient capable de dire ou de faire. » Je marquai une pause, me remémorant certaines brides de sentiments qui revenaient peu à peu ; car les quelques souvenirs clairs que j’avais ne les intéresseraient pas. Mais une chose percuta mes idées :
« — Je fais donc partis de ceux qui doivent vous aidez ? Vous aidez à vaincre ce mal ? Parce que de là où nous venons cette chose est présente, et par conséquent nous le connaissons et nous serions apte à le vaincre ?
— Oui, répondit simplement Arrin.
— Dans mon monde, le mal ne pouvait être vaincu. Il était toujours là, en chacun de nous même comme vous le savez hélas, et tôt ou tard il finissait toujours par se manifester à nouveau.
— Nous sommes bien conscient qu’une victoire ne peut être que temporaire. Mais nous avons la foi. Ne l’avez-vous pas ?
— Je ne serais même pas sûr de ce que c’est. Ou alors trop de choses m’ont amenés à la perdre, je ne saurais dire. Et puis je n’ai jamais eu à faire face à de telles situations, ou sinon la gravité n’était pas comparable. Si j’ose dire, le Mal est comme banalisé de là où je viens.
— Vous avez le choix de repartir si vous le souhaitez. Vous n’aurez aucun souvenir de ce qu’est ici, comme maintenant vous n’en avez aucun de ce qu’est là-bas, ou vaguement alors ; mais vous n’êtes en aucun cas obligé. » En réalité je ne savais pas vraiment où j’en étais, car je comprenais sans être capable d’expliquer le problème de ces êtres. Je poursuivis quand même, sans vraiment réfléchir à ce que je disais :
« — Si j’ai bien compris, vos divinités se manifestent encore. Ne peuvent-elles simplement pas intervenir pour supprimer ce mal ? »
Arrin me fixa de ses yeux perçants et s’avança de manière à poser ses mains jointes sur la table. Il jeta un œil à Lenah qui avait pris un air abattu.
Cela ne devait pas être simple de répété aux nouveaux arrivants les malheurs dont ils souffrent, pensai-je en étant désolé pour eux. La voix grave de l’homme finit par me répondre :
« — Peut-être qu’ils le pourraient, oui. Ils peuvent surement le faire même. Mais si le mal rampe maintenant dans chaque chose, imaginez-vous les conséquences que cela engendrait ?
— Que trop mal, mais j’ai quelques idées. Vous avez raison», dis-je d’une petite voix. L’immensité du problème, et parce que je n’avais jamais rien vus de tel, me noua le ventre. Si j’avais la capacité et la possibilité de faire quelque chose qui saurait les aider, le minimum était pour moi de le faire. Je posai alors une autre question :
« — De qu’elle manière est-il possible de vous aider ?
— Elles sont très nombreuses. Il s’agit aussi bien de participer en tant que nouvelle recrue sur le front, que d’aider ou sauver des créatures qui en ont besoin. Parfois il s’agit de sillonné les contrées en tant qu’éclaireur, ou de former les volontaires aux points faibles de l’ennemi, ou … » Il fut arrêté par Lenah qui lui serait le poignet, comme s’il en avait trop dit.
« — Si toute aide nous ai évidemment précieuse, nous sommes bien conscients que vous n’êtes pas d’ici et que par conséquent ce combat n’est pas le vôtre. Vous n’êtes nullement contraint de faire quoique ce soit ou de rester ici. Nous pouvons si vous le souhaitez-vous laisser le temps d’assimiler toutes ses informations », souffla-t-elle à demi-mot. Arrin opina, et j’eus l’impression de voir quelques remords dans ses traits fermés.
« — Je comprends oui, et je vous en remercierai même. Mais sachez juste que je ne suis pas insensible à ce que vous m’avez dit et que je ferais tout ce que je peux.
— Merci à vous. Si vous souhaitez nous reparler, demandez-le simplement à Qilicia », finit-elle par dire avec un signe de main adressé à quelqu’un dans mon dos. Ils se levèrent tous deux, prirent leurs effets personnels de la table et s’inclinèrent de nouveaux après quelques formules de politesse. J’eu à peine le temps de répondre, même si Wgablyth s’était dérangée pour que je puisse me mettre debout. J’étais un peu sonné par cette discussion, d’autant qu’elle s’était terminée de manière étrange. Je soupirai aussi en remarquant combien j’avais du paraître peu crédible : je venais d’arriver, je ne savais rien d’ici, et avec à peine vingt ans sans la moindre expérience, je venais quasiment de m’engager dans une guerre. Wgablyth me sortit de mes pensées, même si elle me parlait par télépathie :
« — Je suis désolé de te laisser ainsi mais je dois y aller. Nous nous reverrons surement dans la journée », me dit-elle en sautant de la table. Elle ajouta en se retournant quelques bonds plus loin : « Oh, et ne t’en fais pas. Lenah et Arrin ont crus en toi », dit-elle, après quoi elle fila. Ses paroles ne m’arrangeaient pas, car je ne les compris pas toutes. En la suivant des yeux, je remarquai Qilicia qui était un peu plus loin à m’entendre. Sans doute le signe de la femme soldat, si s’en était une, lui était destinée. Je lui souris, mais c’était presque un sourire forcé. Maintenant que j’avais au moins une part de mes réponses, j’étais encore là à geindre. J’allais tout de même à la rencontre de la jeune femme, car elle était la seule personne qui pouvait faire quelque chose pour moi tout de suite. Bien que l’irrésistible envie de sortir au grand jour me torde le ventre, je repoussai cette idée et lui demandai si elle pouvait me mener à une bibliothèque. Sans doute ravie de pouvoir se rendre utile, elle afficha un grand sourire et de nouveau, je me mis encore une fois à la suivre.
« — Ne voulez-vous rien manger avant ? Le temps a filé durant votre entretien », me demandait-elle pour briser le silence.
« — Non merci, mais je n’ai pas faim. Plus maintenant.
— Avez-vous entendu des choses qui ne vous plaisaient pas ? » Elle avait l’air sincèrement inquiète. Je me demandais bien qui pouvais être cette fille, et comment faisait-elle pour
servir, car ce n’était plus
aider, les jeunes arrivés. Ce n’était pas une tâche aisée et si à l’avenir on m’offre le choix, je ne prendrais surement pas cette fonction-là, aussi essentielle et respectable soit-elle.
« — Je ne sais plus vraiment quoi en penser. J’aimerais des avis extérieur à tout ça », fis-je avec un geste de bras, « et je me disais que je pourrais peut-être le trouver dans les livres. » La jeune femme garda le silence mais son expression m’indiquait qu’elle allait répondre. Sans doute choisissait-elle avec précaution ses mots, ce qui me fit remarquer que beaucoup de personnes ici faisaient cela.
« — Mais si je puis me permettre Madame, si hélas nombre d’années ont passés depuis cette tragédie, je doute que vous puissiez trouver beaucoup de livre à ce sujet », murmura-t-elle aussi discrètement qu’elle le pouvait. Qilicia devait sans doute avoir raison, et plus encore parce que cet événement est à la fois inconnu, récent et douloureux pour eux, même si les mots étaient faibles. Je m’arrêtai, comme si marcher m’empêchait soudainement de réfléchir.
« — Et… est-ce qu’à tout hasard, vous connaîtriez quelqu’un d’autre qui pourrait, euh, m’aider ?
— Effectivement Madame, il s’agit d’un Arrivé de plusieurs années. Je crois savoir où nous pourrions le trouver.
— Pourriez-vous me menez à lui s’il-vous-plait ?
— Bien entendu Madame », et elle s’inclina de nouveau. Comme elle s’avançait déjà pour reprendre son chemin, je me permis aussi de lui demander ceci :
« — Oh, et Qilicia… est-ce que s’il-vous-plait vous pourriez simplement m’appeler par mon prénom ? Je suis déjà assez gênée d’avoir quelqu’un à mon service, pour reprendre vos mots et… » Je laissai ma phrase en suspend quand l’intéressée vira au rouge.
« — Mais Madame, sans vouloir vous offenser, j’ignore votre prénom, personne n’a su me le donner », dit-elle d’une voix qui diminuait à mesure qu’elle prononçait ses mots. J’essayai de la répondre de la manière la plus rassurante possible :
« — Et vous n’avez pas à vous en faire car moi-même je l’ai oublié. Je ne me rappelle que de mon surnom, Denou, je crois que c’était cela. Nous pourrions simplement nous comporter en amie l’une envers l’autre. » Elle leva ses yeux bleus qui s’étaient soudainement illuminés surement de soulagement et de joie :
« — Ce serait un honneur pour moi Mad… Denou, je veux dire », répondit-elle avec un sourire. Mais visiblement toujours embarrassée par la situation, elle ajouta avec empressement : « Allons donc trouver cet Arrivé. » C’est alors qu’elle m’entraina derrière, et nous montèrent beaucoup de marches, si bien que mes soupçons avaient maintenant une réponse : je venais de passer plusieurs jours dans le rocher qui soutenait la capitale ! Quand enfin Qilicia s’arrêta pour pousser une dernière porte, la lumière du jour m’aveuglait presque, et se fut comme si j’avais à redécouvrir chaque chose sous un autre œil ; mais je fus bien obligé de m’avouer que c’était précisément le cas. Sous cette journée radieuse ou le ciel était bleu sans aucun nuage pour le troubler, Levanos paraissait irréel. Ses tours de cristal, même si ça ne devait pas en être ; brillaient autant qu’elles reflétaient d’intenses couleurs, dont les reflets s’étalaient sur les bâtiments qui osaient défiés les hauteurs des édifices. Comme nous étions sortis sur une grande place, qui avec de la hauteur devait surement représenter quelque chose à la vue des pavés alignés avec choix, mes yeux ne savaient pas sur quoi ils devaient se poser tellement il y avait à voir. Et pourtant mon regard s’arrêta sur une imposante statue qui ne pouvait représenter personne d’autre qu’Aquilion.